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Les Jardins d'Aéoliah

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Chapitre 14

*** L'atoll de Nasachto et Inelounia ***

* Musique: Bearns and Dexter, The Golden Voyage Vol 3 «Look after Tomorrow for me»

 

Quelques temps après la célèbre fête des Jardiniers des Ames, où il fut si bellement décidé de s'impliquer dans le sauvetage d'Aurora, Anthelme et ses amis, Elnadjine, Liouna, Algenio et bien sûr Nellio, étaient tous ensemble réunis, juste en début de soirée avant le repas, comme ils avaient l'habitude de le faire.

A cette époque, ils avaient installé leurs maisons au pied d'un rocher, un peu plus haut que leur ancien buisson de mousse mauve. Celle d'Algenio et Liouna était faite d'une belle argile jaune recouvert de feuilles cirées, pour éviter que la pluie ne dissolve l'argile. Ces feuilles, cueillies fraîches et collées sur l'argile encore humide, avaient la propriété de garder, une fois séchées, la forme qu'on leur avait donné, sans plis, comme si elles étaient peintes sur l'argile. Cette maison formait donc une boule brun-vert très discrète, ou une poire plutôt, car une chambre plus petite avait été ajoutée à un bout, où le jardinier Algenio gardait ses graines. L'argile, facile à former, avait permis de définir divers placards dans leur maison. Anthelme et Elnadjine étaient restés fidèles à leur longue courge couleur d'abricot et de soleil, dont ils gardaient les graines chaque fois qu'ils en faisaient pousser une nouvelle. Anthelme avait encore sa petite salle d'étude, son support et ses rouleaux. Il avait maintenant l'habitude d'aller les chercher lui-même à Irizdar, quand il ne les y dévorait pas tout simplement sur place, seul dans un coin moussu des immenses grottes.

Il y avait une troisième maison, faite par un couple d'oiseaux jaunes et verts très gentils, qui devinrent amis avec Algenio. Ils l'avaient aussi faite d'argile, avec même les feuilles collées dessus, aussi en forme de poire, le gros bout contre la roche, et le petit bout avec l'ouverture pour entrer. Celle d'Algenio avait toute sa longueur contre la roche, le petit bout avec sa propre ouverture. Ainsi quiconque venait pour les graines pouvait entrer sans avoir à demander. Les trois maisons formaient un demi-cercle contre la roche, entourant une cour très intime, fleurie de violet, et si moussue qu'ils y disparaissaient complètement en s'y allongeant.

Les deux oiseaux ressemblaient, de silhouette et de caractère, à des rouges-gorges. Il y en a souvent sur Aéoliah, mais jamais beaucoup au même endroit. Contrairement à nos rouges-gorges terrestres, leurs couleurs sont assez variables, et les éolis les appellent des izdars. Ces deux-là étaient vert et jaune. Personne ne les connaissait, ils étaient apparus un jour au village, et, sans rien demander, ils s'étaient installés près de chez Algénio, qui en conçut une gentille amitié pour eux. Car savez vous, les rouges-gorges sont des oiseaux très doux, au fort joli chant. Ceux-ci étaient souvent parmi les annonciateurs du Soleil levant. Ils vivent par couples un peu ermites; ils sont sentimentaux et fidèles en amitié. Même sur Terre, il est assez facile de s'en faire des compagnons joyeux et constants, pourvu que vous évitiez de les déranger, et que vous leur donniez à manger l'hiver. Ils aiment aussi qu'on leur parle.

Anthelme, Elnadjine, Algénio, Liouna et Nellio commentaient les divers préparatifs pour le secourisme des âmes. Adénankar et ses amis d'Irizdar avaient un peu parlé de leurs projets. Au lieu d'intervenir au hasard, ils voulaient maintenant suivre plusieurs terriens, dix ou vingt peut-être, plus s'il venait d'autres secouristes, et devenir vraiment leurs anges-gardiens personnels. Bien sûr Aurora serait la première sur la liste, mais pour le moment on ne savait encore rien d'elle. En attendant, des recherches allaient être entamées sur la Terre pour savoir qui ils pourraient le mieux aider. Adénankar jubilait!

Mais une telle activité ne devait pas dépende du soutient d'un seul village. aussi une bonne partie des secouristes et des assistants allait déménager pour plusieurs villages voisins. Ce serait un de ces chambardements comme il en prend envie aux éolis, de temps à autres. Oh cela durerait sans doute des années, le temps de trouver des amitiés, de bâtir des maisons, etc. En attendant, on commençait à se balader, à faire des échanges, à semer des potirons, à travailler les uns avec les autres. Il est courant que des éolis déménagent, changent de village, voire de continent, au gré d'une amitié, d'un paysage, d'une aspiration, parfois par tribus entières...

Un grand chapeau-fleur atterrit presque sur Liouna.

Ils levèrent tous le nez pour voir Antonnafachto éclater de rire en haut du rocher, juste au-dessus d'eux. Qui voulez-vous qui ait lancé un chapeau?

«Grand Nafachto, va!

- C'est comme ça que tu distribues tes chapeaux?»

Antonnafachto s'exclama: «Eh, tu m'a demandé un nouveau chapeau, pas vrai? En voilà un bien rond, mauve comme tu les aime.

- Sur la tête, pas sur le nez!

- Eh bien sûr, sur la tête, c'est là que je visais, mais c'est drôlement dur de lancer un chapeau-fleur: on ne sait jamais où il va aller! Mais je m'entraîne, tu vois.»

Miélora, la compagne d'Antonnafachto, apparut à son tour sur la crête du rocher, pour rire elle aussi. Liouna, qui dans l'astral se révélait une capitaine intrépide et décidée, était encore, en chair, une toute jeune éoline timide, et les jeunes éolis restent enfants et joueurs longtemps après que leur corps soit adulte. Certains, comme Antonnafachto, le restent même toujours. Sacré Antonnafachto! C'était un travailleur du chapeau, car c'est lui qui cultivait les fleurs à chapeau, les mettait à sécher, pendant que sa compagne Miélora les formait et les cousait. Ils en faisaient des modèles courants, ou des particuliers sur demande, et, une fois une bonne pile constituée, ils partaient les distribuer à leurs futurs propriétaires du village et des environs, avec leurs bonjours et toutes leurs gentilles facéties avec. Plof! Un autre chapeau couleur pêche, démesuré, pour Elnadjine qui l'esquiva de justesse.

«C'est qu'elle nous fait faire double travail, celle-là, avec tous ses cheveux.

- Oh!

- Ah!»

Cette fois c'en était trop. Anthelme et Elnadjine s'envolèrent vers le farceur, qui les bombarda avec les chapeaux qui lui restaient. Arrivés en haut, ils l'attrapèrent, et ce fut bientôt une mêlée joyeuse. Quels gamins, ces éolis.

Et quand la mêlée est finie, qu'est-ce qu'ils font? Ils restent ensemble les uns sur les autres, en profitant pour faire quelques câlins anonymes, un peu au-delà du registre habituel de la tendresse, ou à l'affût d'un prétexte pour recommencer. Ce soir c'était bien parti et ça aurait pu continuer longtemps si un doux chant mélodieux de voix éolines n'était pas venu d'en haut du village pour les appeler au repas.

Chez les éolis, la poésie annule et remplace toujours le rire. Les Eolis, toujours libres comme le vent, jouissent d'une parfaite maîtrise d'eux-mêmes, et ils sont capables de passer instantanément (ou presque...) du plus joyeux charivari à la plus suave poésie. Alors, ils se sont concentrés (sauf Mielora qui cria, car elle l'avait senti un câlin anonyme nettement au-delà du registre habituel de la tendresse. Elle se retourna juste pour voir que l'auteur n'était autre que son compagnon Antonnafachto, qu'elle foudroya de son impayable regard de joyeux reproche)

La chanson du repas dure un moment, pour laisser le temps à tout le monde de ranger les outils, se laver les mains et ainsi de suite. C'est un temps de contemplation, où la douceur du soir revient: le soleil a modéré ses ardeurs, et il était maintenant une mer d'or sur la Montagne du Soir; l'air embaumé avait des parfums de plantes aromatiques et des odeurs de terre chaude; les oiseaux étaient maintenant silencieux, ou ils pépiaient doucement, tendrement; les grillons accordaient leurs instruments avant le grand concert du crépuscule; la douce lassitude des activités de jour laissait les membres délicieusement engourdis, dans le bonheur du travail accompli.

Le Eolis, Anthelme, Elnadjine, Liouna, Algenio, Nellio, Antonnafachto et Mielora se sont pris par les mains, en haut du rocher, et ils ont repris le chant à leur tour, le retransmettant ainsi vers l'étape suivante jusqu'aux champs les plus éloignés, bien au-delà de portée de voix du lieu du repas. Ils furent rejoints par leurs voisins Nasachto et Inelounia, un couple d'Eolis parmi les plus anciens du village, que tout le monde aimait beaucoup car ils étaient extrêmement doux, discrets et très gentils. Ils brillaient par leur Sagesse, leur Amour lumineux, un parfum mauve et surtout une grande pureté spirituelle... La blonde Inelounia était vêtue toute de rose, et Nasachto d'orange pêche. Ils vivaient dans un potiron sur le bord du rocher, jouissant ainsi d'une vue imprenable sur les jeux d'amour des nouveaux eolis, mais ils avaient le tact de ne jamais les voir. Antonnafachto venait aussi pour eux, mais sans blagues, car ils vibraient toujours dans la plus pure poésie.

Quand le chant cessait, on avait quelques minutes pour s'envoler vers la place du repas. C'était précis, car il ne fallait pas que le recueillement du repas du soir ne soit troublé par d'incessantes arrivées. Mais le long chant permettait à chacun d'être prêt à temps. Bien vu, non?

Les nouveaux éolis, Anthelme, Elnadjine, Liouna, Algénio, Nellio, avec Antonnafachto et Miélora et leurs gentils voisins Nasachto et Inélounia s'envolèrent pour le repas. Il faut vous habituer, ami lecteur, à voir toujours pleins d'éolis ensemble, avec ces énumérations de noms qui s'allongent sans cesse.

Tard ce soir-là, Anthelme et Elnadjine se retrouvèrent aux côtés de Nasachto et Inélounia. Ils n'avaient jamais discuté avec eux, car en leur présence la Vie et le Bonheur coulaient de toute leur lumineuse évidence. Tout était complet, achevé, et le moindre commentaire superflu. Nasachto et Inélounia étaient devenus presque des anges. Parce qu'on devient ange, à la longue, quand notre évolution humaine est achevée, et que l'on en a goûté les fruits dans toute leur plénitude.

Ceux qui disent que «qui fait l'ange fait la bête» ont bien tort, car on est justement sur Terre pour devenir des anges. Mais c'est vrai qu'il ne suffit pas de se dire un ange pour en être, bien au contraire, hi hi hi! Nasachto et Inélounia, eux, étaient vraiment loin de ces histoires. Etre des anges... Ils y étaient presque arrivés, mais pas du tout pressés de parcourir le peu qui leur restait du chemin. Il leur fallait goûter vraiment, longuement la vie d'Aéoliah, et les milliers d'années qu'ils avaient encore devant eux n'étaient pas de trop pour cela.

Ce soir-là, comme à leur accoutumée, ils contemplaient le point rouge en haut de la Montagne du soir. Ils semblaient connaître la signification de la moindre de ses fluctuations. Pourquoi se mirent-ils à parler avec les nouveaux éolis? Cherchaient-ils à revivre leurs lointains débuts sur Aéoliah, quand ils étaient de jeunes éolis encore tout ébahis de leur Félicité? Commençaient-ils à espérer quelque chose d'encore mieux, sans trop savoir encore où le chercher? Ou bien tout simplement offraient-ils en cadeau aux nouveaux éolis un peu de la lumière limpide et parfumée de leurs âmes?

Antonnafachto et Miélora étaient aussi à proximité, tout pleins d'oreilles. La voix suave et langoureuse d'Inélounia était vraiment un délice. Il fallait en profiter avant qu'elle ne parte pour...

Que racontait Inélounia, avec de temps en temps un commentaire de Nasachto? Elle parlait de fleurs merveilleuses qui poussent dans d'autres régions d'Aéoliah; elle parlait d'amis, qui avaient fait des voyages extraordinaires, dans les îles idylliques des tropiques d'Aéoliah, elle parlait de l'océan infini et lisse comme un miroir, au point qu'il reflète les étoiles, la nuit; elle disait son Bonheur de vivre sur une si belle planète, et sa gratitude à la Source de Vie Universelle de lui avoir permis d'exister et d'aimer... Elle s'arrêtait un peu, échangeant avec son compagnon Nasachto un regard de tendresse... Elle était étonnamment belle, dans les roses et les bleus des fleurs-lumière, qui jouaient dans ses cheveux blonds comme de l'or neuf au grand soleil. Elle conta leur amour, gai et primesautier, qui avait commencé quinze mille ans plus tôt, puis était devenu petit à petit tendre et émouvant. Les échanges de câlins étaient devenus petit à petit des câlins au coeur puis à l'âme: ils avaient développé la télépathie et maintenant c'était directement d'âme à âme qu'ils s'aimaient. L'émouvante, la merveilleuse voix d'Inélounia se tut. Comment décrire l'indescriptible, comment nommer l'ineffable, comment faire ressentir le sublime? Un jour, jeunes éolis primesautiers, vous saurez, vous accéderez à des profondeurs insoupçonnées. Nasachto commenta encore: «Les éolis de la montagne n'ont plus besoin de parler: ils communient directement d'âme à âme, leur pensée fulgure d'esprit à esprit, et leurs sentiments s'épanchent directement de coeur à coeur. Pour eux les mots leur sont bien fades, bien lents, bien limités. Ils ne s'interdisent pas du tout de les employer, mais ils ont tellement mieux! Même leurs gestes de tendresse ne sont plus qu'un prétexte, car ils peuvent visualiser directement plaisir et joie dans le corps et le coeur l'un de l'autre. Quel prodigieux Mystère!»

Puis Nasachto garda le silence à son tour. Il y eut un long silence où chacun d'eux médita ces révélations. Puis Anthelme, avec sa curiosité insatiable, a demandé de savoir où trouver ces fameuses îles.

Mais Nasachto et Inelounia nétaient jamais allés sur ces îles; ils avaient juste entendu quelques mots de leurs amis, il y a peu de temps. Mais ces quelques mots éveillèrent leur désir...

Vous connaissez maintenant les éolis, ami lecteur. Cette discussion fut un déclencheur, un point focal pour les énergies. Le lendemain, c'était décidé: Inelounia et Nasachto iraient sur une île idyllique. C'est bien les éolis. Ils ont également invité Anthelme et Elnadjine, et bien sûr Nellio. Les précautions avec Nellio étaient moins strictes, mais il était toujours incapable de rester loin de son transmuteur plus de quelques jours. Comment faire? Milarêva est apparue dans l'après-midi pour leur dire qu'elle allait les accompagner, pour Nellio. Génial! Mais elle était occupée avec les secouristes des âmes, comment pourrait-elle participer? Oh, mais c'était vraiment inutile de se soucier de ça avec Milarêva. Elle ne pouvait jamais manquer un rendez-vous, elle. Mais chut...

Il manquait encore quelques ingrédients pour que leur folie monte en neige. Comment dénicher un îlot d'un demi-kilomètre, dont ils ignoraient totalement la situation, sur une planète qui en fait cinquante cinq mille de tour et qui compte plus d'un million d'îles en tout genre? Comment traverser des milliers de kilomètres d'océan sans un caillou où se poser? Détails que tout cela. Tout s'arrangerait. Ils se réunirent à trois reprises, en cercle, sur la pointe de leur rocher, pour se recueillir et formuler le voeu d'y aller, et après ils s'en retournèrent relax s'occuper de leurs pommes. L'idée vivait, sa manifestation concrète allait venir inéluctablement et sans tarder.

 

Et elle ne se fit pas attendre. Trois jours plus tard, un groupe d'oies blanches ou colorées parut dans le ciel du village. Elles restèrent quelques temps dans les parages, sans doute pour se reposer, a moins qu'elles n'attendissent compagnons ou compagnes, car il y avait des jeunes parmi elles. La rencontre dût se faire, quelque part dans les vertigineux pitons de grès rose qui bordent le plateau vers l'Est: on vit un matin s'élever là-bas un vol nuptial, en larges spirales qui finirent par se perdre dans l'azur immaculé du ciel d'Aéoliah. Pendant quelques jours encore on les aperçut passant et repassant à l'entour, par deux ou quatre. Mais ni elles ni les éolis n'étaient pressés. Elles, se mariaient. Eux, de leur côté, devaient préparer les pâtes de fruits, indispensables réserves de sucre pour survivre pendant les longues étapes océaniques. Sur des feuilles aromatiques spéciales, une sorte de menthe, vous versez un jus de fruit adéquate, et vous laissez sécher au soleil. Vous en reversez ainsi plusieurs fois. A la fin vous obtenez une sorte de pâte de fruits très concentrée et crissante de cristaux de sucre, vigoureusement parfumée, et vous repliez les feuilles autour pour ne pas coller partout. Miam!

Les oies finirent par se rassembler un matin dans une prairie à proximité du village, près de l'endroit où les jeunes éolis avaient découvert l'amour. Tranquillement, Inélounia alla les voir, et une demi-heure plus tard tout le monde était prêt. Elles étaient douze adultes et quatre jeunes, dont ce serait le voyage de noce. Ce nombre même avait donné envie à Algénio et Liouna de se joindre à leurs amis: les oies pourraient sans problème les porter et se relayer. En peu de temps, tout le monde installa sur le dos des oies les couvertures, quelques outils de voyage, les pâtes de fruit et les précieuses outres d'eau.

Huit éolis prirent donc le départ, dans les chants d'allégresse de tous leurs amis du village qui faisaient de grands au revoir. Les deux izdars verts et jaunes venaient aussi! Quelle équipée!

Chaque couple d'éoli était sur une oie, allongé sur son dos et solidement agrippés à des plumes dorsales robustes qui poussent exprès pour cela. Dès que les chants d'au revoir de leur village furent inaudibles, ils se mirent à admirer intensément le magnifique paysage qui se déployait au-dessous d'eux au fur et à mesure qu'ils prenaient de la hauteur. Les deux izdars ramaient vaillamment à leurs côtés.

Une dernière fois ils aperçurent de minuscules points orange: leur village, ou un autre voisin. A cette hauteur on n'entendait déjà plus les oiseaux ni rien d'autre: un silence majestueux et immensément doux régnait dans toute l'immensité du ciel. Les oies montaient toujours, en vastes cercles, comme à leur accoutumée, et la vue devenait immense. En dessous le plateau de leurs amis ondulait en d'imperceptibles buttes, tacheté de forêts et de prairies plus claires, gorgé de lumière, de chaleur et de soleil. Vers l'Est, les pics de grès rose aux si charmantes silhouettes avaient déjà perdu leur imposante allure: au-delà s'étalaient des rangées de ballons verdoyants, lumineux comme des vitraux, descendant doucement vers une immense plaine se perdant dans un infini bleu-vert. Au sud également s'amoncelaient des milliers de collines, au-delà d'un magnifique lac, et, immensément lointaine, une imposante barrière de montagnes violettes hérissée de pics en folie. Au nord c'était le paysage familier du chemin d'Irizdar, mais, comme écrasé par un si haut point de vue, il avait perdu toute sa majesté: la falaise jaune était devenue un simple seuil avec le panache blanc de sa cascade, totalement immobile vu de si haut. Au-delà le plateau verdoyant d'Irizdar semblait presque plat; sa falaise rose était surpassée par d'autres plus lointaines, étrange contraste de verts et de rouges tirant sur le mauve avec la distance. Les bouches des grottes étaient nettement visibles, et même l'étoile d'or de l'entrée. Au-delà s'étendaient à perte de vue des montagnes brunes ou violettes, et plus loin encore, des neiges éternelles semblaient flotter dans le ciel. La grande vallée du bas d'Irizdar rejoignait la plaine de brume verte à l'est, après avoir franchi un très long lac d'émeraude pâle. Enfin à l'ouest, où ils se dirigeaient maintenant, la Montagne du Soir barrait l'horizon, immense enchevêtrement de monts verts, surmontés de vastes escarpements violets et bruns entrelacés de filons multicolores, surplombés enfin par le cône sommital où se tenait le fanal de la nuit.

Allaient-ils passer par dessus? Non, car instinctivement les oies évitaient ce lieu sacré. Mais ils ne l'avaient jamais vue de si près. Ils étaient même déjà plus haut, filant rapidement vers le sud-ouest. Ils ne virent rien d'autre que des roches claires et d'immenses pentes d'éboulis entre les prairies d'altitude, et un petit plat ou cratère tout à fait au sommet, sans rien de remarquable. Rappelons nous que c'était un imposant massif volcanique, éteint depuis longtemps. Ce cône en avait été l'ultime construction. L'apex de cette pyramide naturelle était l'endroit désigné pour la rencontre entre les forces vitales du coeur de la planète et celles spirituelles de l'Espace infini...

Enfin ils dépassèrent les arrêtes du sud de la montagne, et cette fois un paysage entièrement nouveau s'offrit à leurs yeux. C'était immense, des massifs vertigineux, des pics étrangement ciselés, entrecoupés de profondes vallées noyées de toutes les nuances de vert, avec, çà et là, des plateaux, des coteaux, où, ils le devinaient, devaient vivre, chanter et s'émouvoir des myriades d'éolis totalement inconnus d'eux, des millions d'amis qu'ils ne connaîtraient jamais... Poignante nostalgie de l'Univers infiniment vaste, que l'on ne pourra jamais entièrement visiter...

Ils montaient toujours, et l'air fraîchissant, ils durent se rouler dans leurs couvertures. Maintenant ils étaient bien plus hauts que les plus vertigineuses montagnes, et l'air lui-même se raréfiait: pas un problème pour les éolis, accoutumés depuis toujours, mais au prix d'une sorte de somnolence. Ils restaient allongés sur le ventre, subjugués par les merveilles qui se déroulaient sous eux... C'était d'une beauté à couper le souffle, et les éolis rendaient grâce de vivre sur une si belle planète... Ils restèrent ainsi jusqu'au soir, sans piper mot, dans le silence immaculé des hautes altitudes, si propice à la méditation.

Pourquoi les oies volent-elles si haut? Simplement parce qu'à ces altitudes circulent sur Aéoliah de vastes et rapides courants aériens, sortes de jet streams variables selon le jour et la hauteur, qui poussent et aident considérablement. Sans eux, les oies ne pourraient jamais traverser les vastes océans Aéoliens d'une seule traite. Ainsi, en changeant au besoin de vent ou de courant, elles arrivent à voyager à la vitesse d'un petit avion. Ces oies sont adaptées depuis toujours à ces performances dans l'air raréfié et glacial, comme certaines de leurs congénères sur notre Terre, qui accomplissent une fantastique traversée de l'Himalaya à neuf mille mètres d'altitude...

 

Toute la journée ils survolèrent chaînes et vallées, falaises et plateaux. De temps à autre, les monts laissaient la place à de petites plaines intérieures, chatoyantes de verdures fleuries, ou à de profonds lacs d'outremer, de turquoise ou d'or vert. Ils en virent même un rose. Parfois les monts escaladaient le ciel jusqu'à blanchir leurs sommets. Une fois, et une fois seulement, ils distinguèrent quelque chose d'artificiel: Sur une colline isolée en forme de dôme, toute bleue de fleurs, s'enroulait une spirale d'arbres, avec une petite tache claire au sommet. Sans doute quelque chose d'important, pour déroger ainsi à la discrétion habituelle sur Aéoliah: une école de Sagesse du genre d'Irizdar, ou quelque autre mystérieux centre spirituel éoli. Pendant un long moment aussi, le panache d'un volcan en activité se profila sur l'horizon, loin au Nord, sans qu'ils n'en voient de détails.

Le soir trouva leur vision saturée de merveilleux spectacles, de collines chamarrées de toutes les fleurs qu'elles portaient, de lacs joyaux opalescents dans leurs écrins. L'émotion et le bonheur étaient à leur comble.

Avec le soir vint un temps de repos: l'une des oies portant des éolis ralentit et se place juste au-dessus d'une libre. Puis l'un des deux passagers éoli se laisse glisser sur l'oie du dessous, et l'autre, avec une corde, lui envoie les bagages, avant de descendre à son tour. Ainsi, les oies se relaient, même si le éolis ne sont pas un fardeau pour elles. c'est une manœuvre délicate, mais les éolis y sont instinctivement habitués. Au point qu'ils en profitent pour voler un peu à côté de l'oie, et faire pipi. Chacun sur une oie, avec leur corde, ils sont capables au besoin de passer rapidement d'une bonne quantité de bagages. Pour cela chaque sac a un anneau pour glisser le long de la corde. Mais généralement, ils n'emportent que des couvertures imperméables, les pâtes de fruits, des gourdes d'eau, la corde de manoeuvre, et une petite machette, sûrs comme ils sont de toujours trouver l'hospitalité, où qu'ils aillent sur Aéoliah.

 

La nuit tombante promettait un peu de repos après tant de merveilles; mais ils ne se doutaient pas que la nuit, la vue était encore plus fantastique. Tout d'abord, l'arche d'or de l'anneau planétaire se mit à briller au-dessus d'eux, ce qui était déjà une fantastique vision. Mais dessous, c'était proprement ahurissant, car les fleurs-lumière sauvages s'allumaient chacune leur tour, déployant d'un horizon à l'autre leurs somptueuses marqueteries de lumière. Imaginez le sol comme un immense vitrail multicolore, un feu d'artifice immobile, pourpre, mauve, rose, bleu, ou, selon les endroits, jaune, rose, orange... Les forêts ou les roches apparaissaient comme des taches de velours noir, tandis que les lacs avec des algues-lumière faisaient des pans d'opale, de jade ou de turquoise. Plus loin, une forêt laissait une étrange phosphorescence verte grésiller à travers la canopée, depuis le sous-bois. Cette vie de lumière, tout en auras et nuances, était d'une beauté inexprimable, et si en avion vous avez survolé une grande ville la nuit, vous n'avez presque rien vu. La splendeur des fêtes de la Terre, les plus somptueuses illuminations, sont rien à côté de cette magnificence vivante, aimante, frémissante, toute en voiles, constellations, subtil changements de couleurs. Le Eolis étaient stupéfaits, se blottissant ensemble sur le dos de leurs oies. Que dire? Que faire? Ils étaient si émus qu'ils en oubliaient même de rendre grâce pour tout ça.

Les illuminations étaient presque toutes dans les vallées. Chaque fois qu'ils franchissaient une crête, la nouvelle vallée était d'abord visible comme une sorte d'aube, avant de révéler une nouvelle splendeur, riche brocart détaillé ou grande harmonie colorée. Parfois, les lumières étaient si étrange qu'ils se demandaient bien ce qui pouvait les produire, comme ces clignotants (ils en virent plusieurs, de teintes variées), une sorte d'entonnoir blanc, et d'autres formes mystérieuses. En un endroit, une algue blanche avait colonisé l'ensemble du réseau d'une rivière et de ses affluents, formant une résille argentée menant à un lac de diamant! Ils furent tous submergés d'un désir sensuel de bain de lumière dans cette eau de rêve...

La nuit s'avançant, l'anneau se cacha petit à petit dans l'ombre de la planète, tandis que les fleurs-lumière s'éteignaient les unes après les autres. Mais certaines restaient: ils réalisèrent vite que la plupart des hautes montagnes, dès qu'elles formaient quelque promontoire, portaient souvent des lumières de différentes couleurs, comme sur leur Montagne du Soir, simples étoiles au sommet, ou ovoïdes flous plus grands, planant juste au-dessus du sommet. Peut-être y avait-il des dizaines de milliers d'entre eux sur toute leur planète...

L'obscurité révéla la splendeur du ciel étoilé. Ami lecteur, vous pouvez me croire, c'est vraiment une vue fabuleuse que ces milliers de lumières colorées plus brillantes que notre étoile du soir, au cœur dense de la galaxie Aeoliah... Il y a une voie lactée dans le ciel éoli, mais aussi on distingue une vaste auréole floue, circulaire et sans détails: la galaxie elliptique géante, voisine de celle d'Aeoliah, où dort l'ancien quasar...

Les yeux des eolis, conçus dès le départ pour l'émerveillement cosmique, peuvent intégrer la faible lumière des nébuleuses lointaines pendant plusieurs minutes, dès qu'ils restent immobiles (contre une demi-seconde pour les yeux des Terriens) et cela leur permet d'admirer beaucoup plus de scènes astronomiques que nous, en dépit de leur atmosphère épaisse et humide qui absorbe une grande partie de la lumière. Ainsi, les Eolis peuvent à volonté, tout simplement en restant détendus, allongés sur le dos, contempler les splendeurs du ciel étoilé, surtout en altitude, et sentir ses puissantes vibrations éthérées, violet, rose, indigo, vibrations supérieures et pures du cosmos, écho de la lumière de la Source universelle de Vie qui répand si généreusement la conscience et l'esprit parmi les innombrables mondes de l'infini...

Enfin, ils se sont endormis.

 

Le lendemain, au réveil, l'anneau d'or était à nouveau illuminé, et l'aurore mauve les suivait, dans un silence absolu. Absolu? Non! Les deux izdars-rouges-gorges étaient là, toujours ramant aussi infatigablement que les oies. Ils chantèrent comme à l'accoutumée, mais leur chant fut totalement pur, dénué de tout écho, de toute matérialité, dans cet immense silence. C'était comme s'il n'y avait plus d'univers autour d'eux. Les éolis chantèrent aussi, aspirant à pleins poumons l'air léger et vivifiant, pur et frais, avec un subtil parfum indigo entre l'encens et la violette. On aurait eu envie de faire des galipettes, mais oseriez-vous, à douze mille mètres d'altitude sur le dos d'une oie?

Au fur et à mesure que le jour paraissait, les éolis découvrirent un étrange spectacle. Derrière eux s'allumaient les ors du levant, en une barre sur l'horizon. Le ciel passait petit à petit du noir au violet. Mais le sol restait obstinément obscur, sans aucun détail visible. Il n'y avait plus d'écho, plus de sol, plus rien: ils flottaient, immobiles dans l'univers infini, seulement bercés par les doux et réguliers battements d'ailes. Bizarre, tout de même. Le ciel prenait bien la teinte bleu-indigo qu'il a le jour à cette altitude, mais le sol restait d'un outremer impénétrable, sans distance, aussi lisse et immatériel que le ciel, jusqu'à l'horizon, où il se perdait dans une brume bleu pâle.

Ils étaient au-dessus de l'océan! Un immense océan de velours violet, qui ne tarda pas à refléter le Soleil. Il y eut deux Soleils, un en haut, et un en bas, presque aussi brillants. On allait de surprise en surprise!

Ils survolaient l'immense océan qui s'étend entre les cinquième, sixième, septième et huitième continents Aéoliens, le légendaire Télérion aux immensités infinies, à la surface parfois si tranquille, si lisse, qu'on y voit se mirer les étoiles... Il est aussi appelé Southélérion, ou Océan Mauve. On le dit vivant, frémissant, palpitant d'imprévisibles courants, peuplé d'êtres immenses ou incroyables, recelant dans ses abysses insondables les plus profonds mystères d'Aéoliah. Il s'anime parfois d'immenses réseaux de rides spiralant autour des remous; les houles des profondeurs y tracent de vastes zébrures, visibles seulement depuis les hautes altitudes... Les éolis aperçurent aussi le Souffle de l'Océan: d'immenses nuages d'écume jaillissant soudain d'un point de la surface. Le mystérieux phénomène s'étendit en rides concentriques, avec un sourd grondement comme un avion au loin. Il cessa au bout d'une heure environ, laissant un panache de brume saline grimpant jusqu'à la stratosphère en un immense champignon blanc.

 

Le temps passait en rêves éveillé, entre les changements d'oies et les chansons lancées ou poursuivies par les izdars, et parfois les oies qui se mettaient à cancaner sans raison apparente, ce qui fait un beau boucan. Elles permutaient régulièrement leurs positions, dans leur formation de vol en triangle. Les Eolis bougeaient rarement, et ils n'en sentaient pas le besoin, habitués qu'ils étaient à rester blotti les uns contre les autres pendant des heures, sans ankylose. Il ne faut pas oublier que cet air était à moins quarante degrés, et dans ces conditions la gymnastique n'est pas simple.

Toute la journée se passa sans incident, sans aucune solution de continuité dans les deux immensités bleues. Ils sortirent les pâtes de fruits, avec leurs cristaux fins délicieusement croquants, avec un chaud parfum de fruit sucré étrangement mêlé de menthe. Les deux izdars, qui n'ont tout de même pas tant d'endurance que les oies, se posèrent une fois ou deux sur le dos de l'un d'elles, qui cancana bruyamment son amitié. Ils répondirent d'un doux gazouillis.

 

Le deuxième soir avait encore quelques surprises à révéler. Comme d'habitude, une fois que les feux du soleil sont éteints, en face d'eux l'anneau s'éclairait dans le ciel. Ils étaient déjà très proches de l'équateur, et il se tenait maintenant debout sur l'horizon, au lieu de l'allure inclinée qu'il a vu depuis leur village. De sorte que, avec son reflet dans l'océan, il formait maintenant un cercle d'or complet tout autour d'eux!

Mais l'océan lui-même brillait d'une quantité infinie de plancton, de micro-algues lumineuses, par bancs de différentes couleurs! Les Eolis contemplait avidement les boucles étranges et les spirales, les longues ondulations et les plis, les festons et les flous, parfois si grand qu'ils s'étendaient d'un horizon à l'autre. Curieusement, les couleurs semblaient ne jamais se mélanger. Contrairement aux lumières des continents, qui évoquaient un paysage de matière solide, quoique transfiguré, la vue des algues semblait de pure couleur, comme des arcs en ciel bouclés ou des brouillards colorés. Quel étrange sentiment que de flotter au-dessus de la lumière sous un ciel noir! Encore une fois ils eurent ce sentiment de ne plus se mouvoir dans leur univers. Mais que leur planète était donc belle! Ils furent émus aux larmes, frissonnants, ne sentant plus faim ni froid.

Et c'était vrai: l'océan d'Aeoliah est si calme que, certaines nuits, on peut voir les étoiles se mirer dedans. Ils avaient donc un double ciel étoilé, comme si ils étaient dans le cosmos, dans un vaisseau spatial!

 

La troisième nuit revit le même paysage étrange, mais loin dans le nord, ils purent contempler pendant deux heures une aurore rose, avec une tache brillante pourpre, juste sur l'horizon, pulsant lentement par intervalles de cinq minutes environ. Un volcan à nouveau. Il y en a vraiment beaucoup sur Aeoliah, et ils carburent.

Le quatrième jour, ils durent donner les pâtes de fruits restantes aux izdars, qui ne sont pas habitués à ces longues étapes. Enfin, ils ont vu plusieurs îles, d'une étonnante variété: atolls émeraude ou azur, montagnes d'ombre verte en pain de sucre, une grande île couverte de forêts et de montagnes, de petits volcans roses ou bruns entourés de récifs coralliens... Enfin, l'après-midi, l'île idyllique était là. Les oies avaient soudainement cessé de battre leurs ailes, et ce fut ce silence qui tira les Eolis de leur rêverie.

Elle était vraiment minuscule. Un rocher mauve et tout grumeleux, comme une taupinière fraîche, avec, autour, un croissant de terre plate dont les cornes se touchaient presque, couvert de forêt, entouré d'une plage d'or. Dans le creux du croissant, et juste autour, la mer était d'un vert ineffable, mais dès que l'on allait un peu au large elle bleuissait, puis elle reprenait son violet profond. L'atoll devait être dans un courant marin, car il en émanait une sorte de long sillage sinueux.

Les éolis s'exclamèrent de joie. Les izdars quittèrent le dos de leur oie et se mirent à voleter autour, en chantant de leur voix claire. Les oies se contentaient maintenant de planer doucement, dans un silence presque absolu, avec juste le chuintement feutré de l'air dans leurs plumes. Elles avaient décroché de l'invisible mais rapide flux d'air qu'elles suivaient, si bien que maintenant, avec la hauteur, tout semblait immobile.

Ce fut donc dans un suspense grandissant qu'ils virent l'île grandir lentement, au fur et à mesure qu'ils descendaient dans une longue et émouvante glissade. L'air retrouvait sa chaleur habituelle, son bleu lumineux, son parfum de soleil et de la vie.

L'île était vraiment petite. Le rocher n'avait pas plus de deux cents mètres de diamètre, et toute l'île à peine cinq cents. Le rocher était la partie émergée d'un pic de lave violacée, épaisse et boursouflée, de l'un de ces volcans éphémères qui pullulent dans certaines régions des mers Aéoliennes. A peine refroidi, il s'est retrouvé entouré d'une barrière de corail. Peu à peu, il sombrerait dans l'océan, comme le fond approchait du continent, vers les profondeurs qui les entourent. Avant cela, il pourrait être le lieu de vie de nombreuses générations d'une petite communauté de Eolis, mais nous n'en sommes pas encore là.

Quand ils furent assez bas pour entendre les premiers chants des oiseaux, les oies se sont mises à battre des ailes tout en claironnant, faisant un grand cercle autour de l'île, à la hauteur de la roche. Ces chants des îles étaient merveilleux; ils n'avaient jamais entendu rien de tel. N'essayez pas de comparer avec quoi que ce soit que nous ayons sur Terre. Ces oiseaux, au lieu de successions rapides de notes, lançaient de longs appels, avec des glissandos et trémolos dans les plus hauts aigus, ou dans les plus émouvant médiums. On y trouvait aussi des perruches familières, des oiseaux qui apportent leur joie partout sur Aeoliah, et, de temps en temps, les appels profonds et mélodieux des toucans. Plus bas, ils pouvaient entendre les appels et réponses des couples de mandarins, brefs et indéfiniment répétés, qui signifient: «Tu m'aimes? -Oui Je t'aime.» Les izdars qui accompagnaient les Eolis ne purent pas tenir plus, et ils s'échappèrent pour rejoindre leurs camarades.

Enfin les oies se posèrent sur une des merveilleuses plages, la plus abritée dans le lagon, à l'intérieur du croissant. Tous les Eolis de l'île idyllique étaient rassemblés là, à les attendre. Cette plage ne faisait pas plus de vingt mètres environ de long comme de large, mais c'était amplement suffisant pour tout le menu peuple de ce lieu. Et un merveilleux spectacle y attendait les arrivants!

Ce lagon était très petit, il se réduisait même à un simple canal courbé, entre deux rangées de grands arbres, qui limitaient la vue de tous côtés. Une plage d'or le bordait, et l'eau tiède, absolument lisse, virait à un vert miraculeux au fur et à mesure que sa profondeur augmentait. Des poissons et d'autres formes inconnues sur Terre s'y mouvaient, éclairs d'argent ou fuseaux violets. «Maman c'est quoi tous ces bildolios qu'il y a dans l'eau!» S'exclama Algénio. Les arbres étaient très hauts: Ce n'étaient pas des palmiers, mais des feuillus, formant des murs de verdures chargés de myriades de fleurs, de pendeloques de lianes multicolores, et d'une infinité de doux pépiements, de crissements, de sifflements de petits oiseaux ou d'insectes chanteurs les plus variés. Les troncs de la plupart des arbres se divisaient en racines à environ trois mètres du sol avant d'y plonger un large éventail de racines, formant, à l'échelle des petits éolis, d'étranges cathédrales de mousses pendantes au sol de sable. La plage proprement dite était parsemée de féeriques coquillages de nacre, pastels ou vivement colorés, de testes ou autres restes d'étranges êtres marins. Certains de ces joyaux étaient assez gros pour abriter un éoli.

Mais nos amis éolis ne virent pas toutes ces merveilles, car un autre spectacle encore plus beau leur coupait le souffle: les éolis de l'île idyllique, trois centaines, prévenus par les cris des oies, les attendaient tous là, en une grande ronde ouverte de leur côté, accompagnés de perruches et d'autres oiseaux, mêlés à eux à même le sable.

 

Qu'ils étaient donc beaux!

 

Mais beaux!

 

Que la Source Universelle de vie soit louée pour tant de merveilles!

 

Que les génies créateurs d'Aéoliah, à jamais inconnus, soient remerciés, encensés, que sais je encore!

 

Leur taille et leur silhouette n'étaient pas différents de ceux que nous connaissons déjà, mais leur peau était... Imaginez du marbre, de la perle, du blanc avec un soupçon du plus suave mauve, assez subtil pour qu'il paraisse tantôt rose, tantôt bleuté. Des personnages de crèche de Noël, ou même en sucre. Leurs cheveux étaient roses, blancs, mauves, bleus, violets, noir de jais. Leurs lèvres et les tétons des éolines étaient aussi d'émouvants roses ou mauves, juste plus foncé que leur peau. Quelle chance ils avaient, d'être aussi beaux!

 

Nos amis oubliaient juste qu'ils étaient eux aussi très beaux!

 

Ils portaient pas de tissu, mais des sortes de jupes, de paréos comme ils les appellent sur les atolls de la Terre, non pas faits de paille, mais de fin duvet d'oiseaux, merveilleusement flous, assortis avec leurs peaux et leurs cheveux. (Rassurez-vous que jamais un éoli n'oserait seulement penser à prendre les plumes d'un oiseau vivant, certainement pas. Ils les ramassent simplement au moment de la mue, quand elles se détachent d'elles-mêmes). Ces paréos faisaient autour de leur taille et de leurs cuisses une sorte de nuage ou suave aura, contrastant avec leurs belles silhouettes longilignes. Ils portaient également des chapeaux en pétales bleus ou roses, plus petit que ceux de nos amis, ou parfois des sortes de couronnes de peluches ou de petites plumes de vives couleurs. L'insigne éoli était dessiné à même leur peau, peut-être avec une sorte de henné de couleurs variées. La plupart d'entre eux portaient également des anneaux gracieux autour de leurs bras et chevilles, ou des pendentifs de perles blanches, irisées ou translucides, parfois d'improbables grappes de grosses perles pastel.

Bien sûr, il y avait beaucoup de métis et de métis de seconde génération. Comme vous le savez, avec le Eolis aussi, l'amour ignore les races, ou plutôt il les adore. Cela ne les empêche pas de se maintenir, vu qu'elles réapparaissent après quelques générations de mélange. Une Eoline semblait de vieux cuivre brillant, avec une longue chute de cheveux crépus violet foncé. D'autre étaient roses comme les nouveaux arrivants, ou avec une nuance étrange et profondément émouvante de violet avec des cheveux noirs ou violets, parfois réduits à un fin duvet sur leurs têtes. Deux Eolis portaient des cheveux longs de feu dansants: l'un avait la peau couleur pêche, harmonie étrange, et l'autre l'avait couleur de ciel, étonnant contraste. Certains couples étaient également bleu ciel, avec des cheveux violacés, outremer, ou noirs. Enfin, l'un était brun comme nos Africains, avec des cheveux à la Bob Marley, orné de nombreux colliers de petits pétales rouge-orangé. Heureusement qu'il n'y a pas de racistes sur Aeoliah, car ils seraient vraiment malheureux de voir autant de belles différences se tenant gentiment par les mains ou par la taille.

Si la description est longue, la scène n'avait pas cessé une seconde de vivre. Les hôtes ont entamé une chanson de bienvenue très douce, avec des glissandos émouvants et une suave mélodie. Ils regardaient les nouveaux arrivants, ondulant les hanches et souriant, une étincelle de lumière dans leurs yeux. D'autres arrivaient encore de sous les arbres avec des flûtes, pour les accompagner de rêve...

Les échanges d'amitié étaient très longs: étreindre tout le monde, et pas superficiellement! Avec parfois des baisers variés, le tout répété trois cents fois... Mais toujours avec une joie renouvelée. Ils aimaient également se sentir les uns les autres, avec des rires amusés, car, rappelez-vous, les éolis sont parfumés, et les parfums sont très différents selon les races. Si nos amis roses portaient des parfums chauds et fruités, les mauves en avaient des fleuris et légers, très spirituels; la rouge embaumait une épice étrange et puissante, et l'«africain» était un peu comme l'encens d'église, mais avec la chaleur de la cannelle.

La pure et blanche Milareva fut profondément admirée, et Nellio reçut beaucoup plus de baisers que les autres. Leurs hôtes ressentaient instinctivement l'élévation spirituelle de la première, et la plaie du cœur du second; ils n'avaient encore jamais rencontré cela auparavant, mais tout de même ils ressentaient immédiatement la bonne conduite avec lui: Nellio fut particulièrement chéri tout le temps qu'ils sont restés, en particulier par les éolines.

Petit à petit l'ambiance était devenue exubérante: on avait tant de choses à se demander, à se montrer, à s'expliquer. Il fallait rire aussi, pousser des exclamations étonnées, se glisser dans les coquillages, caresser les duvets et les cheveux, échanger les chapeaux d'un geste léger et enfantin, et surtout, surtout enlever vite ces grandes robes et aller faire des gros ploufs dans ce lagon merveilleusement tiède, où les poissons venaient vous chatouiller. Quelle eau délicieuse! Quelle joie de s'y laisser porter! Quelle transparence, quelles étranges fleurs mouvantes au fond! Quelle galopade éperdue quand un gentil petit poulpe venait vous faire des mamours...

Les oies, posées un peu plus loin, regardaient placidement tout ce remue-ménage, en échangeant de temps en temps des clins d'oeils qui avaient l'air de dire «Ils sont fous ces éolis. Heureusement que nous sommes là comme gardiennes de la Dignité». Mais rassurez vous elles disaient aussi cela pour rigoler, car elles sont infiniment gentilles comme toutes les oies et tous les oiseaux d'Aéoliah, et sincèrement heureuses de voir les éolis aussi contents. Evitez tout de même de les faire rigoler pour du bon, car cela fait beaucoup de bruit.

Il fallut décharger les oies, qui se dispersèrent dans le voisinage.

Pour finir, après force baignades, tout le monde s'envola faire le tour de l'île. Les plages extérieures de l'atoll étaient plus agitées, avec une longue houle lisse qui venait friseler sur le sable jaune. Passé les quelques récifs de corail, le fond plongeait à pic d'un seul jet jusqu'à plus de mille mètres, comme souvent autour des atolls. La baignade de ce côté demandait donc un peu de prudence, mais elle valait le coup d'oeil, car la vie sous-marine déployait les merveilles que l'on imagine...

 

Le sel séchant, les éolis se retrouvèrent un peu collants: un rinçage s'imposait. Tout le monde fila donc par dessus les arbres immenses, vers le grand rocher. Vu de près, il était resté tel que quand il avait jailli du fond de l'océan: un gros amas de pierre bulleuse, violacée, comme ces tuiles trop cuites que l'on trouve parfois sur nos vieux toits. Mais l'eau de pluie, stagnant dans les creux, avait fini par la dissoudre et y creuser des sortes de marmites, comme on en voit sur certains dolmens de Bretagne. Les éolis avaient pris bien soin d'écoper et de retirer le sable pour accélérer et diriger ce phénomène, pour augmenter la capacité de stockage en eau. La roche elle-même était déjà parcourue d'évents de dégazage et truffée de petites galeries et de creux, une véritable éponge gorgée d'eau de pluie fraîche et pure.

Cette eau ressortait au pied de la roche, en un endroit à la vibration pure et puissante. Imaginez les sous-bois comme une grotte de verdure, avec le sol couvert de mousse. Des plus hautes ramures tombait une lumière verte atténuée, comme d'un vitrail. L'air était frais, délicieusement humide et vivifiant. Les chants mélodieux de toutes sortes d'oiseaux berçaient le silence et la tranquillité. Au pied même de la roche, dans la pierre violacée, s'ouvrait une sorte de caverne, juste un évidement. Des gouttes tombaient des murs et du plafond, dans une sorte de bassin, infiniment limpide, très pur, tout en sable clair, où ne poussaient que des sortes de nénuphars, avec des fleurs blanches plus grandes qu'un éoli, et des algues formant de longs filaments verts. Des animaux portant des coquilles d'escargots mauves et hérissées y vivaient aussi. Elle était très petite, à peine trois mètres, mais pour les éolis c'était comme si elle avait quarante mètres.

C'était vraiment l'endroit idéal pour se rincer, contraste euphorisant et dynamisant après l'ardeur du Soleil.

Pourtant on ne faisait pas plouf, on rentrait dans cette si belle eau avec attention et recueillement: En de tels lieux la merveille, ténue et délicate, demande votre silence respectueux pour être perceptible... A peine a t-on mis le pied dedans qu'une fraîcheur délicieuse remonte en doux frissons le long du dos, de la nuque, et emplit l'être entier d'un sensuel amour pour la vie: on est heureux d'exister, et on a envie de partager ce vrai Bonheur!

 

Le reste de l'après-midi se passa en une visite émerveillée de l'île. Ses habitants s'étaient un peu dispersés, ne laissant avec nos amis qu'un comité d'accueil plus réduit. Inélounia reconnut les fleurs fabuleuses dont on lui avait parlé, trois fois plus grandes qu'un éoli. Elles étaient d'une beauté stupéfiante, avec tout un arc-en-ciel pastel sur leurs pétales! Le sous-bois était extrêmement dense, mais parcouru de nombreux couloirs de vol, soigneusement entretenus par les oiseaux. Un peu partout des passages montaient vers le ciel, tandis que près du sol, sous les ramifications des racines, de nombreuses grottes de verdure formaient aussi un labyrinthe d'allées sableuses et fraîches, parsemées de coquillages couverts de mousse. Curieusement, la vue y était assez dégagée, limitée seulement par de petites dunes sans herbe ou par des enchevêtrements de branches mortes couvertes de champignons exubérants. Mais l'essentiel de la vie se déroulait plus haut, dans la canopée où les plus hautes lianes formaient d'innombrables tonnelles de fleurs et des hamacs ondulants pour les nids. Mais de maisons éolines, point. Intrigué, Nellio demanda, mais il n'obtint qu'un petit rire pour toute réponse. C'était la surprise!

 

Le soir vint, avec le repas. On ne chantait pas le repas ici: les oiseaux s'en chargeaient tout seuls. Ils changeaient soudain de chant, quand le Soleil commençait à toucher les flots. Tous les éolis et un bon nombre d'oiseaux se rassemblaient alors, assis sur le seul endroit découvert de l'île (hors la plage). C'était au pied du rocher, sur une sorte de promontoire sableux et moussu, avec vue sur l'océan vers le couchant. Un fort bel endroit aussi: juste en dessous s'étendait une prairie de fleurs jaunes, où gambadaient des oiseaux à aigrettes, et quelque mètres plus loin, l'océan léchait la plage minuscule de son léger ressac, à peine plus qu'un clapotis. La marée avait baissé. Eh oui, il y a des marées sur Aéoliah. Là il y en a qui vont me dire que je me suis trompé: il ne pourrait pas y avoir de marées sans Lune. Et pourtant si, car le Soleil aussi participe aux marées! Les marées solaires sont moins fortes que les marées lunaires, mais par contre elles sont toujours aux mêmes heures. Ici, le maximum était l'après-midi, et le minimum vers l'heure bleue de la nuit.

Le repas ne surprit pas les éolis arrivants: des fruits, bien sûr, mais ils n'en connaissaient aucun, bien entendu. Ils étaient tellement bons qu'Algénio, suçant un pépin, demanda: «Est ce qu'il pousserait chez nous?» Ce qui souleva un concert de non non non amusés:

«Ce n'est pas possible, ces arbres ne poussent que les pieds dans l'eau de la mer!

- Oh non, il leur faut des champignons symbiotes spéciaux dont le cycle reproducteur passe par nos intestins à nous, les éolis mauves. Il faudrait qu'on te porte toutes nos crottes dans ton verger.

- Ce serait difficile, car les graines ne lèvent que si c'est un oiseau éreanil qui les sème! On n'a jamais su pourquoi.

- Et les éréanils ne construisent leurs nids que sur des lianes o'chan'oa avec seulement de la mousse ibizar...

- ...qui ne pousse qu'au pied des arobans.

- Et de toute façon les éreanils ne nous écoutent jamais.

- Je vois, ça a l'air compliqué votre affaire. Mais je trouverai bien un truc.

- Le truc, ami Algénio, c'est de venir vivre sur notre île!» Et un éclat de rire général termina cette discussion.

Le ciel était maintenant presque violet, et les éolis invités contemplaient le rouge du couchant. Mais il n'y avait pas de fleurs-lumière, sur la place du repas? Pourtant on y voyait fort bien.

La nuit descendant dévoila une nouvelle merveille. Les fleurs lumières poussaient ici sur les arbres. A la nuit noire, la forêt toute entière était illuminée comme un palais de fées. La petite place du repas recevait suffisamment de lumière pour y voir confortablement. Sous les arbres, il faisait plus clair que le jour (pas tant en réalité, mais l'illusion était persistante) et les berceaux et les tonnelles de lianes scintillaient... Même des guirlandes ou des arbres de Noël auraient été une piètre comparaison, car les fleurs étaient tellement grosses qu'elles se superposaient et tout brillait comme des murs de lumière, des froufrous d'arc-en-ciel. Le sous-bois était une succession de grottes et de salles pleines de tentures de lumière rose, ou mauve, orangée, dorée... Les perruches continuaient d'y voleter, de passer et repasser, mais dans un étrange silence troublé seulement par le chuintement de leurs ailes. Elles semblaient, dans une sorte d'extase, accomplissant quelque rituel inconnu, sans voir les éolis, et leurs plumages scintillaient de tous les feux rencontrés...

Que notre vocabulaire terrien est dépassé! Beauté, merveille, féerie, que dire? Même les éolis ne trouvèrent pas de mot pour exprimer ce qu'ils ressentirent. Un peu tremblants, ils pensèrent à la Source Universelle de Vie...

Les flûtes sortirent, et les éolis de l'île se préparaient à la veillée, sauf quelques-uns. Décidément ces éolis n'ont pas les mêmes rythmes que nous terriens, qui devons nous coucher tôt sous peine de détraquer nos nerfs. Mais les éolis invités avaient eux bien sommeil après ce voyage et ces émotions. L'heure était donc venue de leur dévoiler la surprise des maisons de l'île, aussi invisibles ici que dans la forêt. A leur étonnement, on les emmena vers le rocher, vaste masse noire dans la nuit. On les guida dans un étroit passage entre la roche et la forêt, pour se poser sur un rebord échancré comme une écume.

Quelle étrangeté? Des taches de lumière dans le rocher. Ils s'approchèrent, sous les yeux amusés de leurs guides. Il découvrirent des orifices, et dedans... La roche était truffée de milliers de géodes, de petites grottes aux parois tout incrustées de nacres scintillantes! Elles étaient assez grandes pour être aménagées en chambrettes, au sol couvert de mousse. On en montra une à chaque couple. Leurs hôtes, avec une grande attention, y avaient même amenés les couvertures de pétales, et d'autres en feuilles velues et souples qui les y attendaient déjà. D'un commun accord, les oiseaux ne nichaient pas dans les géodes et les laissaient toutes à la disposition des éolis.

Quel merveilleux sommeil, parmi les fééries souterraines infiniment réfractées, avec la forte odeur de paille des couvertures!

En fait, cette débauche d'énergie lumineuse ne durait pas très longtemps; passé les heures du soir elle s'éteignait doucement, bien avant l'anneau, couleur par couleur, en un lent dégradé, comme si un arc-en-ciel passait sous les arbres: rose, orange, jaune, bleu pâle, bleu profond, noir... La seconde moitié de la nuit ne montrait plus que de discrets lumignons indigo, répandant un puissant et fort étrange parfum, ressemblant de loin à la violette. Comme souvent, les éolis dormaient une heure ou deux, se réveillaient, rêvaient ou s'aimaient, puis se rendormaient à nouveau. Aux heures obscures, ils ne voyaient plus que l'ouverture de leurs grottes, silhouettes scintillant doucement par le fourmillement des photons. Des tréfonds du grand rocher fraternel émanait une douce et puissante énergie de Paix et de Sérénité qui les berça toute la nuit. Le silence des heures obscures (ici on disait des heures bleues, à cause des lumignons) se perlait de temps à autre de la ligne mélodique d'un oiseau de nuit. Nulle part sur Aéoliah vous n'auriez trouvé quoi que ce soit qui ressemblât à des chouettes, mais plutôt des sortes de rossignols au chant doux et mélodieux: les durlus, ou les ouars qui doivent leur nom à leurs mystérieux appels sporadiques...

Aux heures fraîches, précédant l'aube, l'anneau planétaire brillant à nouveau remplaça les lumignons indigos, dont le parfum se dissipait, remplacé par la fraîcheur vivifiante et pure, un peu iodée, qui ici annonce l'aube. Le silence s'argenta du clapotis des vagues sur les récifs qui se découvraient à cette heure de basse mer. C'est ainsi que les Eolis de l'île idyllique savent qu'il est l'heure de se lever.

Ici les oiseaux commençaient d'infimes et très doux trémolos et pépiements bien avant que la moindre lumière ne soit visible à l'Est. Petit à petit le chant s'étoffait, rejoint par d'autres oiseaux, sans que l'on ait pu dire à quel moment il avait commencé, pas plus que l'on ne peut dire quand débute l'aurore. Mais tous deux étaient bien là, et les éolis sortirent la tête de leurs chambres de nacre. Les chants d'oiseaux eux-mêmes semblaient faire lever le Soleil. Une brume d'argent émanait du sous-bois tout humide, avec une bonne odeur d'humus. Quelle délicieuse fraîcheur! Les bactéries du sol devaient se régaler. La partie du rocher où les invités logeaient, donnait un peu vers l'Est, vers l'aurore naissante. Avec de doux bruissements d'ailes, les habitants de l'île sortaient de leurs géodes et s'envolaient vers le sommet du rocher. Les invités en firent autant.

Le sommet du rocher n'était pas plat, mais formait une sorte de paysage, avec de nombreuses marches, une succession de plateaux et de terrasses étagées, un jardin de rocaille planté d'étranges cactus (sans épines, bien entendu) mousses et lichens, de fleurs jaunes ou rouges, sur fond de roche violacée et tourmentée. Curieusement cette lave donnait l'impression de s'être figée la veille, alors que par endroits l'eau ou les pas millénaires des éolis l'avaient profondément entaillée. Il y avait aussi des coquilles, soudées à la roche par le temps, que de lointains ancêtres avaient dû monter ici. Le sommet de ce dôme de lave comportait des creux, dont l'un était assez grand et profond pour contenir une petite mare, avec des fleurs jaunes, et des sortes d'insectes nageurs tout blancs. Le simple fait que les éolis s'y baignaient régulièrement suffisait, par une subtilité de la biochimie Aéolienne, à garder à l'eau toute sa pureté.

Tous les éolis de l'île se retrouvaient ici à l'aube pour chanter et admirer le lever du Soleil, avec un chant très doux et remarquablement organisé, autour de dix ou douze voix différentes, mettant chacune en valeur le timbre d'une race différente. Chacune prenait la première place du chant, puis laissait les autres s'exprimer à son tour. Les oiseaux y participaient aussi, en une douce et chaleureuse manifestation de reconnaissance envers la Vie éternelle. Certaines voix étaient plus simples, pour permettre aux invités de s'y mêler même si ils ne les connaissaient pas encore. Ces éolis des îles ont vraiment le sens de l'accueil! Le premier lever de Soleil sur l'océan des nouveaux éolis fut vraiment inoubliable: un déploiement de couleurs, l'épanouissement vers l'Infini de tout un paysage qui en devenait grandiose! C'était plus beau encore que vu du ciel: l'aube ici était d'un bleu clair allègre et radieux, entouré de violet, irisé de feu.

Un des Eolis du comité d'accueil vint discrètement avertir les invités qu'ils devaient être prêts à voir le rayon vert, qui dure le temps d'un clin d'oeil, juste avant que le disque du Soleil apparaisse à l'horizon. Ils n'avaient jamais entendu parler de ça avant! Mais ils ont vraiment vu un diamant vert, juste avant que le cuivre fondu du disque solaire n'apparaisse sur l'horizon océanique. Après, le soleil se leva dans toute sa splendeur majestueuse, tandis que la chanson des éolis monta en force, en un puissant hymne à la joie, avant d'éclater tout à coup en un brouhaha cristallin de rires, joyeux appels et gambades.

 

Le plus gros du mouvement allait vers la place du repas, mais les éolis invités restèrent un peu en haut, en compagnie de quelques autres, pour la magnifique vue qu'ils avaient sur toute l'île. Les oies avaient disparu. Le lagon, pris entre les deux branches du croissant et son ventre, se réduisait à un simple couloir de verdure, plus serré là où ils étaient atterris. Il ne communiquant vers le large que par une passe étroite. Les ondulations régulières du fond étaient soulignées par des amas d'algues. Une petite île de verdure et de fleurs flottait là. Elle s'était déplacée depuis la veille, sans doute sur quelque radeau de branches. La plage extérieure se découvrait complètement, à marée basse, se terminant sur les récifs couverts d'algues vert pâle, violacées ou rougeâtres. Le sable ne se prolongeait pas au-delà de ces récifs: l'eau y devenait bleue puis violet profond. Du côté du rocher, il n'y avait pas de plage, mais l'eau immobile et merveilleusement transparente montrait, juste sous la surface, un platier de roches riche d'une merveilleuse vie sous-marine: l'envie d'aller y plonger était vraiment poignante!

Mais les nouveaux eolis étaient impatients de visiter d'abord les géodes, où ils avaient passé la nuit sans pouvoir les admirer, par manque de lumière. Toujours accompagné de quelques-uns des habitants de l'île, ils les ont explorées avec beaucoup de commentaires! Imaginez de petites cavités souterraines, entièrement carrelée avec des morceaux de nacre irisée, bien arrangés et harmonisés, fixés peut-être avec quelque ciment connu des seuls éolis. En plus, certaines nacres aéoliennes sont colorées... Appelons cela des géodes, bien que ce ne fusse pas de vraies géodes de cristal, qui ne se forment pas dans la lave, mais avec les eaux minérales profondes. Celle de Nellio et Milarêva était d'un orange feu. Leurs hôtes avaient fait un bon choix, car, il faut le dire, même pour les éolis il est difficile de deviner les couleurs préférées d'une personne inconnue. Algenio et Liouna s'étaient vu attribuer une grotte en forme de haricot, d'un tendre mauve tendre, remarquablement lisse; celle de Nasachto et Inelounia était ronde, plâtrée d'un rose laiteux suave, comme prévu, et enfin Anthelme et Elnadjine avaient une grande caverne, également orange, dont l'entrée était couvert d'un volet translucide: à l'intérieur, il ressemblait à un verre taché de feu. Les habitants de l'île se poussaient les uns les autres, heureux de les voir s'émerveiller! Je dois dire que ces grottes claires, lisses et joyeusement colorées, étaient vraiment un plaisir à habiter. Il y avait des centaines, creusées dans la roche, mais de manière à ne pas être visible de l'extérieur.

Le repas du matin eut lieu comme celui de la veille, parmi les fruits et les rires. A la fin, deux grands toucans sont arrivés de l'océan, chacun portant deux éolis mauves sur leur dos. Ces toucans ressemblaient un peu à ceux de la Terre, avec les mêmes énormes becs, de teintes différentes mais aussi gaiement colorée, avec des appels profonds émouvants. Il n'y avait que quatre ou six couples sur l'île, mais c'était assez pour qu'on les entende de partout. En tant que seuls grands oiseaux résidents, ils avaient en charge le transport des éolis d'une île à l'autre. Ils passaient donc la moitié de leur temps à voyager au-dessus de l'océan, car tous les jours des éolis allaient et venaient des nombreuses îles voisines.

 

Il serait bien long de raconter toutes ces journées de doux bonheur que les nouveaux éolis passèrent sur l'île idyllique. Ils avaient tant de choses à se dire! En effet, la plupart des habitants de l'île n'y étaient pas nés; les éolis mauves venaient des troisième et quatrième continents, les bleus des cinquième et sixième, et les autres de plus loin encore. Que de tendres confidences et d'épanchements spirituels, dispersés en petits groupes dans les balançoires de fleurs en haut des arbres, ou sur les plages extérieures! Que de paysages divers, de moeurs étranges à comparer! C'est que c'est grand, Aéoliah, et on peut difficilement imaginer que cent milliards d'éolis vivraient tous pareil.

A première vue, il n'y avait aucune activité sur l'île idyllique. Aucune culture, pas de maison à entretenir, pas d'habits à tisser ni à coudre. Pourtant les insulaires étaient toujours occupés... Il fallait entretenir les plages et la forêt, ramasser les coquilles vides (à dix, pour les plus grosses) retirer le sable des grottes, tailler les arbres, couper les vieilles fleurs, rassembler les déchets... Sans arrêt les fourmis éolines passaient et repassaient dans les bois, traînant une feuille, grattant un tronc... Ils tenaient en particulier à ce que la mousse dans les grottes de verdure, sous les racines, soit toujours impeccable comme un gazon anglais. Mais ici, pas d'enthousiasme démonstratif: une sorte de douceur rêveuse... Toute aussi efficace, d'ailleurs. En fait l'essentiel du travail n'était pas tant son but concret que la joie qu'on y mettait: les éolis chantaient, dansaient en se faisant la chaîne, plaisantaient, se racontaient des histoires, disparaissaient dans les facétieux labyrinthes de mousse...

Une autre activité importante était la méditation, qui n'arrêtait pas de la journée, ni même de la nuit, au sommet du rocher. Que rayonne la douce Harmonie de l'île idyllique, offerte à toute la planète et à tout l'univers! Les rires-grelot et les soupirs d'origines variées qui montaient de la forêt ne gênaient pas du tout les méditants: bien au contraire cela teintait leur rayonnement de douce tendresse et de gentillesse. Pour les méditations plus profondes, quelques géodes étaient réservées, côté océan, dans le silence parfait des minéraux, sans même les chants d'oiseaux. Vue de l'astral, l'île était un splendide phare rose posé sur un roc de Sérénité, ou un lotus aux mille pétales dans une verdure gorgée de sève.

La nuit, comme les secouristes des âmes, certains habitants de l'île idyllique partaient en voyage astral, vers une planète lointaine où ils aident les êtres sur le chemin de leur évolution. C'étaient de petits animaux, pas beaucoup plus évolué, intellectuellement, que nos poissons. Mais ces êtres ne s'étaient jamais révoltés contre la vie, et ils recevaient l'enseignement amical et lumineux des éolis avec une naïveté émouvante. Ils travaillaient déjà pour rendre leur planète plus harmonieuse, alors qu'ils avaient même pas de mains. Quelles promesses formidable cette planète tenait! Quelle honte pour certains terriens paresseux ou destructeurs, alors qu'ils ont tant de possibilités!

Les habitants de l'île furent fortement intéressés par le secourisme des âmes sur la sombre Terre, et même deux candidats se sont joints à eux. Milarêva et Liouna acceptèrent facilement cette aide inattendue, ressentant que ces deux éolis bleus étaient spirituellement assez solides et vraiment capables. Comme il serait impossible de les rencontrer physiquement tous les jours, ils convinrent de se rencontrer dans le monde astral, pour des séances d'entraînement ou de travail. Ainsi Milarêva avait un très bon prétexte pour revenir leur rendre visite sur l'île, ce qui était plutôt pour lui plaire!

Les éolis invités se dispersèrent, pour se joindre aux insulaires dans leur vie quotidienne, et se mêler à leurs travaux.

 

La place du repas bourdonnait tout au long du jour de discutions, et parfois de véritables conférences: il y avait toujours des visiteurs sur l'île, pour quelques jours ou pour quelques siècles. Les plus gentils éolis de l'île idyllique leur distillaient ainsi petit à petit leur Sagesse. Quand les éolis discutent, comme dans toute autre activité, ils maintiennent tous leur pensée dans l'Harmonie des Lois Universelles. Ainsi, jamais la pensée ni les actions d'un seul éoli ne peuvent blesser, contredire ni irriter celle d'un seul autre éoli. Ni d'aucun autre être vivant d'ailleurs. Et si parfois certains portaient la contradiction, voire organisaient de véritables débats, c'était pour provoquer et stimuler le cheminement de la pensée entre les divers aspects et arguments d'un problème, un exercice très utile pour former le raisonnement ou pour comprendre des matières complexes. Mais, au-delà des échanges de connaissances, ces discutions étaient surtout des dons ou des échanges d'énergie: encouragement, admiration, égards et estime réciproques pour ce que chacun a à apporter d'original... Chaque partie s'en revenait plus solide, plus assidue dans son travail spirituel, plus heureuse de son mode de vie, plus sereine, plus forte, plus enthousiaste dans ce qu'elle avait de plus précieux. Jamais le ton ne montait, toujours il était pétri d'allégresse ou d'émerveillement, entre la chaude amitié ou la douce confidence. La seule précaution demandée était de parler posément et calmement, pour ne pas troubler le silence de la nature ni les méditants juste au-dessus d'eux en haut du rocher, mais cela les éolis y font toujours attention.

Un peu plus loin le long de la plage, ou dans de petites alcôves de verdure, des groupes d'éolis et d'éolines chantonnaient doucement en taillant des bouts de nacre ou en assemblant des plumes, pour leurs belles parures, au son d'un pipeau rêveur un peu chuintant.

Dans une grotte au fond de la roche, des graines avec un fort parfum de cannelle étaient laissées à macérer, et utilisées comme une sorte de henné pour dessiner à même la peau le petit coeur et l'étoile à quatre pointe portés par tous les Eolis. Mais le gros de la production avait une utilisation aussi inattendue que belle: c'était l'éoline à la peau cuivrée qui s'en faisait abondamment oindre par son compagnon. Sa peau naturelle était en fait rose comme les européens. Ils prenaient un grand plaisir amoureux à cette étrange coutume, peut-être un souvenir d'une ancienne vie sur une planète exotique. Les autres éolis ne partageaient pas ce jeu, mais ils étaient heureux de les voir heureux comme ça.

Ah! Ami lecteur, j'aimerais vous parler des jeux d'amour des Eolis! Combien de tendresse, de poésie, de douceur! Mais il se trouve que, aujourd'hui, notre Terre est dans une de ces tristes époques où l'amour physique est vulgarisé, souillé, dépoétisé, commercialisé. Oh, comme nous nous privons, de projeter une telle bassesse sur nos plaisirs les plus simples! Même l'amour du coeur n'est considéré que comme un simple prétexte, quelque chose d'accessoire! Quelle misère!

Aussi je me sens l'obligation, à regret, d'entourer d'une charmante discrétion tout un pan de la vie des éolis, qu'aucune réflexion malsaine ne viendra ainsi souiller. On ne regarde qu'avec les yeux propres. Du reste, les éolis eux-mêmes n'en parlent guère entre eux, et seulement entre proches. Ah, ils n'ont pas besoin d'éducation sexuelle, eux.

Que les lecteurs à l'esprit pur que cela intéresse sachent tout de même que les éolis nous ressemblent sur ce plan. Ou plutôt c'est pour eux comme chez les maîtrisent vraiment leurs énergies, ce qui leur vaut bien plus de plaisir et de Bonheur qu'en suivant platement la pente de leurs fantasmes et autres instincts primaires. Que tous les aspects de leur vie sont poétiques, doux, gentils, purs, beaux, parfumés, émouvants. Comme dans tous les domaines, le désir, l'énergie restent sous la domination de leur âme, qui ne les laisse s'élancer qu'au moment opportun. Mais alors ils le font sans hésitation, sans retenue. Les éolis vivent leur vie complètement, éperdument.

Si nous sur Terre avions été dans une de ces périodes de froide bigoterie, de cette si malsaine et malodorante pudibonderie qui nous fait avoir honte du chaste baiser d'un enfant, j'aurais sûrement pris un provoquant et sain plaisir à détailler l'intimité éoline et ses mille plaisirs... Savez vous que certains ont des coutumes parfois surprenantes. Dans un autre livre peut-être, dans un avenir plus pur?

Il faut tout de même savoir que les éolis ne séparent pas leur vie amoureuse de leur Sagesse ni de leur esprit, pas plus qu'ils ne le font d'autres aspects de leur vie, comme l'économie ou l'art. Ils suivent en fait une voie qui fait aussi partie de différents enseignements spirituels terriens. Mais cela est encore entouré de discrétion: il est dangereux de bricoler dans ces domaines sans une motivation parfaitement pure.

La morale des éolis (si on peut l'appeler ainsi, car ce n'est point un ensemble de règles aristotéliciennes formelles, c'est plutôt une Sagesse intuitive et exacte, bien qu'ineffable) diffère par quelques détails de celle qui devrait être la nôtre... Mais attention, que ceux qui veulent faire croire que la morale n'est qu'une convention variable avec le lieu ou l'époque, que ceux-là restent coi: les écarts entre eux et nous ne sont justifiés que par quelques différences de biologie ou de psychisme. Mais sur le fond, la morale éoline et celle qui devrait être la nôtre sur la Terre reposent toutes les deux sur le même respect de la personne et des Lois Universelles de la vie.

Même si cela peut surprendre certains lecteurs, Adenankar, lorsque l'archangélique Milareva lui a été présentée dans le monde astral, avant leur naissance afin d'unir leurs vies Éoliennes, il lui a demandé de partager tous les aspects de cette existence future; il a demandé qu'elle soit en mesure de s'abandonner comme tous les amoureuses Eolines. Elle n'a pas refusé; mais son aura blanche de bonheur mystique éternel s'est teintée d'une nuance rose envers celui qui se préparait à naître pour devenir son compagnon amoureux.

Et, en fait, ami lecteur, si vous pouviez rencontrer la blanche, la pure Milarêva, vous la trouveriez vraiment charmante...

 

 

 

 

* * *

 

Comme il n'y avait pas grand chose à faire sur l'île, les éolis invités furent laissés à faire ce qu'ils voulaient. Milareva disparu autour de la place des repas, dans la partie ouest de l'île, où les habitants avaient l'habitude de faire des bijoux de nacre. Elle aura aimé couper ces pierres blanches, dans le doux silence complice d'une petite équipe, qui aura aussi goûté sa vibration délicieusement pure et puissante... Anthelme et Elnadjine ont rejoint la petite expédition spéléopoetique dans les creux de la roche, pour vider le sable et l'eau saturée de minéraux dissous, et permettre à de l'eau fraîche de dissoudre plus de roche. Algenio et Liouna, au pied de la roche, mais du côté de la mer, sont allés sur les récifs de corail juste au-dessus de l'eau, pour je ne sais quelle entreprise nécessaire en ce lieu. Ainsi, les émouvantes mers cristallines d'Aeoliah hébergent des formes de vie assez étranges et beaucoup de secrets, que l'auteur de ces lignes n'a pas été autorisé à regarder de près. Peut-être que nous pourrions étudier scientifiquement les océans Aéoliens, et peut-être trouver des explications aux phénomènes étranges qui s'y produisent, mais ainsi ils perdraient leur poésie, leur mystère... Certains curieux ont peut-être cherché, et peut-être trouvé, mais la mer n'est-elle pas beaucoup plus belle à contempler du haut du rocher?

Nasachto et Inélounia restèrent avec Nellio et huit éolis mauves, pour le nettoyage des couloirs de mousse sous les racines. Ils étaient intrigués: pourquoi les arbres poussaient-ils ainsi sur des trépieds? Pourquoi des coquilles fraîches s'amoncelaient-elles par endroits, loin de la plage? Il aurait suffit de deux mois pour les enlever toutes. Ils ne posèrent pas de questions, tout à leur joie de jouer-travailler en compagnie d'êtres aussi charmants... Leur parfum mi-rose mi-violette s'amplifiait dans le sous-bois, répondant au leur propre, d'abricot ou de pêche. Leurs rires cristallins se répondaient sur des modes différents, en d'infinies variations.

On finissait d'enlever les plus grosses coquilles d'une allée déjà nettoyée des petites, et pour cela on s'attelait et on tirait, comme font les éolis pour toutes les lourdes charges. Ça allait facilement, vu le nombre. Ces promenades sous les bois frais étaient agréablement accompagnées des chants aigus et aériens des éolis mauves. Inélounia, qui chantait merveilleusement bien, leur répondait avec ses compagnons dans des tons plus graves et émouvants.

Les coquilles dégagées des sous-bois avaient plusieurs destinations: elles étaient montées au rocher, pour quelque construction fleurie, ou elles allaient vers les plages des bijoux. Mais la plupart étaient entassées en certains endroits pour renforcer les dunes. On les remplissait alors de sable. Ces coquillages étaient fort beaux, parés de couleurs magnifiques, échancrés de mille dentelures ou au contraire du galbe le plus pur. Même pour les entasser, on les rangeait par couleurs, en veillant à ce qu'ils s'accrochent mutuellement. (Pourquoi ces précautions?)

Les éolis mauves, tous plus doux et gentils l'un que l'autre, n'oubliaient jamais de suivre une bien belle discipline: accomplir chaque geste le plus gracieusement et légèrement possible, danser en harmonie avec la chanson, et cette chanson elle-même n'était pas un texte ni une musique fixe, mais une improvisation constante dont le mode et l'expression reflétaient l'ambiance, le moment, le lieu, l'humeur des participants...

Plus encore, ils s'efforçaient d'être présents, c'est à dire d'être bien conscients de la situation, de l'ambiance, de la poésie propre à chaque lieu et à chaque geste... Et de goûter pleinement le bonheur qui en découlait.

Cela suffisait pour occuper à plein temps leur pensée, qui ne divaguait pas à des choses inutiles. Il n'y avait d'ailleurs sur Aéoliah que bien peu de choses inutiles, de ce que nous appelons des distractions. Les exercices des éolis mauves étaient somme toutes assez faciles; mais en plus ils s'entraînaient à le faire ensemble, en pleine communication et communion.

C'est que la communication est un art simple mais délicat. L'«émetteur» ne doit rien envoyer en disharmonie avec les Lois Universelles ni contre la Poésie du moment, contre quoi le «récepteur» serait obligé de se défendre. Ce dernier, lui, doit accepter et rentrer dans le jeu, dans celui des Lois Universelles bien sûr, mais aussi dans l'état d'esprit de l'«émetteur», dans l'idée ou le sentiment qu'il veut faire passer, sans se braquer dans un état de refus, ni d'ailleurs d'attachement ou de dépendance. Pour la communion, il faut que tout deux puisent à la même source d'Amour de la vie et d'Enthousiasme (sans forcément communiquer, subtile nuance). C'est un fil subtil qui les relie, que le moindre geste maladroit peut briser, mais quand on a développé la Douceur, la Patience, la Discrétion, cela n'arrive jamais.

Cet art est un apprentissage sur le tas, comme toutes les grandes réalisations de la vie. Au début c'est difficile, on échoue souvent, mais cela finit par se faire. Apprendre à communiquer, c'est comme d'apprendre à monter à vélo, dans le monde matériel: c'est difficile, et si vous n'aviez jamais entendu parler de gens montant à vélo, cela vous semblerait impossible, «utopique», «irréaliste». Et pourtant le délicat équilibre du vélo est vite acquis, d'autant plus vite que l'on est passionné. Puis il devient évident, un réflexe de fond inconscient. Ainsi un gamin intrépide peut stupéfier ses parents en faisant la chandelle les mains sur le guidon, ou en le lâchant pour bouquiner en roulant. An contraire quelqu'un qui a peur mettra longtemps, voire s'obstinera toujours à tomber. C'est une histoire de circuits nerveux à former, à adapter. Des cellules inutilisées du cerveau se connectent, s'assemblent automatiquement pour former un circuit nerveux capable de résoudre en se jouant les équations différentielles du troisième ordre nécessaires pour conduire un vélo. Eh oui votre cerveau fait cela, sans même que vous vous en aperceviez. Quel fantastique auxiliaire! Et quel est donc le si puissant moteur capable de créer automatiquement et à partir de rien ces formidables assemblages de cellules nerveuses plus complexes qu'un ordinateur géant? C'est la joie, l'Enthousiasme, la passion! Le principe primordial de toute pédagogie est qu'il faudrait toujours aller à l'école pour s'amuser, jamais pour travailler.

Ce qui vaut pour cet exemple «terre à terre» est tout autant valable pour la communication, ou pour la culture du jardin de l'âme en général. Tout cela est aussi affaire de formation du cerveau, au moins pendant la vie matérielle. Les éolis, comme tous les êtres de tous les univers, cultivent le jardin de leur âme. C'est pour eux un travail et une préoccupation joyeuse, mais constante. Ils y arrivent grâce à leur joie primesautière, à leur fond d'Amour et d'Enthousiasme pour toute la Création. Qu'est ce qui peut bien nous empêcher, sur Terre, d'en faire autant? Ces gentils (mais lucides) éolis auraient-ils raison de nous considérer comme enfantins, immatures, inachevés, voire même pour certains d'entre nous comme «malades», révoltés, ou au moins en porte à faux avec la lumineuse évidence de la vie, tentant perpétuellement de nous cacher à nous-mêmes ce porte à faux, malgré les douloureuses chutes qui en résultent? Si tel était le cas, il ne faudrait alors pas chercher pourquoi le sens de la vie et les grandes Vérités Universelles paraissent «incommunicables» ou «ésotériques» à ces gens. De toute façon quel sens peut bien avoir le mot «communication» pour un humain qui aurait passé toute sa vie à ne penser qu'à lui?

(J'ai développé ces questions d'une manière plus claire et plus scientifique dans mon livre «Epistémologie Générale», Cinquième partie sur la conscience.)

En tout cas, les éolis, eux, ils progressent, et même très vite quand c'est le moment. Mais ils savent aussi prendre le temps de jouir pleinement du résultat, de s'imprégner longuement de tout ce Bonheur paisible. Après avoir formé leur cerveau, il faut former aussi le corps spirituel, qui seul nous accompagne après la mort. Et pour cela il faut beaucoup de temps, beaucoup de joies, beaucoup de travail. Quelle longue vie de bonheur appliqué pour accomplir tout cela!

 

Pendant tout leur séjour sur l'île idyllique, les nouveau Eolis ont aidé au nettoyage de deux vallées dans le sous-bois, entre les dunes. Ces vallées étaient des lignes de grottes sous les racines fourchues des grands arbres, ou de charmantes petites clairières moussues. Par endroits des branches ou des troncs morts formaient de grands ponts. Mais ils disparaissaient rapidement, car les champignons et les insectes mangeurs de bois mort accomplissaient rapidement leur tâche. Quelle idée d'avoir tant de variétés de champignons sur une si petite île? Chaque morceau de bois mort était un palais de chapeaux aux formes et couleurs variées, qui complétaient très avantageusement les fruits dans le régime alimentaire des éolis. Dans les sous-bois ombreux poussaient aussi de nombreuses plantes dont la chlorophylle n'était pas verte, mais bleu-vert, bleu, violet, rose... Sur Terre seulement certaines algues ancienne ont encore ces couleurs, ou des plantes ornementales qui les ont retrouvées.

Mais les éolis invités n'ont jamais terminé ce travail. Un matin, près de la fin de leur séjour, ils ont senti l'avertissement désormais familier des frissons Aeoliah. Mais aucun frisson ne venait. Ils ont dû grimper sur le rocher, et les habitants de l'île l'ont aussi fait. A midi, ils étaient tous au sommet, avec des fruits pour le repas, dispersés en petits groupes sur les plats du sommet. Au début, les éolis invités n'ont pas réalisé ce qui venait en silence: ce sont les exclamations joyeuses des autres qui les ont fait regarder en bas. La plage avait disparu. Seulement à ce moment ils entendirent le souffle puissant de l'eau se précipitant sous les arbres. Puis la plage se découvrit à nouveau, dans une cataracte de reflux rapide. L'eau du lagon est restée un moment à se balancer, se troublant peu à peu. Que pensiez-vous, dans cette région des volcans fulminants, ces petits tsunamis étaient assez communs.

Heureusement, cet appel télépathique a mis en garde les créatures de la terre, ainsi que celles de l'eau, laissant à chacun le temps de grimper sur un rocher ou de s'éloigner vers la mer ouverte.

Les éolis invités, redescendant du rocher, purent voir que la vague avait déferlé dans le sous-bois, transformant le paysage, creusant ici, rassemblant du sable là, répandant partout des coquilles et des morceaux de coraux multicolores. Ah, il y avait toujours du travail sur l'île! Les arbres se protégeaient aussi à leur manière, contre ces affouillements permanents: c'était le but de leurs racines en trépied! Car en réalité, il n'y a pas d'atolls sans grandes vagues: tsunamis sur Aeoliah ou cyclones sur Terre. Sinon, comment le sable produit par le corail sous la mer pourrait construire des îles au-dessus de cette mer? Seules les vagues les plus exceptionnelles l'ont amenés là où il est maintenant, sinon nos belles îles tropicales ne seraient que des récifs visibles juste sous la surface. Dans l'île paradisiaque, ces raz de marée étaient une sorte de jeu: être caressé par l'océan... Et les frissons d'Aeoliah? Les éolis ne frissonnent que d'amour...

 

Quand le lendemain ils se remirent à nettoyer les sous-bois, les éolis invités purent se rendre compte de l'utilité de leur travail. Les murets de coquilles et de coraux, habilement ajustés, avaient pour la plupart résisté au flux puissant et retenu du sable: ainsi les dunes se consolidaient petit à petit et les mousses restaient propres comme un gazon. Même sans le travail des éolis, racines, buissons et mousses fixaient déjà beaucoup de sable. La mer avait projeté un peu partout de nouveaux débris de corps marins et de nacre, qu'il fallait à nouveau ramasser. Certains étaient assez pesants malgré leur petite taille, composés de plaquettes et de filaments lisses. On les déblayait en premier, pour les entasser par catégories près des plages. Les éolis invités savaient de quoi il s'agissait, pour en avoir souvent vu même sur leur continent loin de la mer. Mais vous, amis lecteurs, je vous le donne en mille.

Réfléchissez avant de lire la suite...

 

Du fer! Eh oui, vous vous étiez sans doute demandé comment les éolis fabriquent leurs pioches et couteaux en métal, sans feu ni industrie? On aurait assez mal vu ces petits personnages bâtir des hauts fourneaux ou manipuler le fer rouge. Oh, débrouillards comme ils le sont, ils y seraient certainement arrivés, mais ce n'était pas ainsi qu'ils comptaient vivre. Il fallait donc que la nature généreuse d'Aéoliah leur fournisse ce métal tout de même d'usage bien pratique.

Ce sont des êtres marins qui le fabriquent, à partir de l'oxyde de fer dissous dans l'océan. Les animaux des mers d'Aéoliah sont capables de réduire cet oxyde, ce qui est plus facile que de réduire le gaz carbonique et l'eau comme le font couramment les plantes. Du métal, ils se font des sortes d'os, qu'ils abandonnent à leur mort corporelle. Il ne reste qu'à ramasser ce que les vagues remontent et à le distribuer sur tous les continents d'Aéoliah, à l'occasion des divers voyages individuels. Là des forgerons éolis finissent de les tailler avec des meules et de les assembler.

Ces blocs ne sont de toute façon pas de fer pur, mais un alliage contenant d'autres métaux, également présents dans l'eau: manganèse, silicium ... et aussi un peu de carbone: ce qui en fait de l'acier, pas supérieur, mais assez bon pour les usages des éolis. Par contre, il ne contient pas les impuretés (soufre, phosphore ...) du fer de la mine, ce qui le rend très résistant à la rouille, presque inoxydable.

Ce fer est sécrétée atome par atome, par une sorte de périoste. De là, certaines propriétés étranges, que les éolis n'ont pas manqué d'utiliser à d'astucieuses fins. Il est en quelque sorte trempé natif; ses cristaux sont orientés, ce qui lui donne un grain comme le bois, meilleur que celle de l'acier matricé. Parfois, il est magnétique. Suppositions de rêve... ces polarités magnétiques puissantes des êtres aux os de fer ont-elles à voir avec leurs amours? ... ... ?

Ces os sont plus denses que ceux en calcaire, mais que le fer est beaucoup plus résistant, ce qui les rends plus légers que les os de calcaire. Donc, leurs porteurs peuvent flotter aussi bien qu'une boîte (fermée) ou un bateau le peuvent. Le plus souvent, ces os ont forme de lames ou de tubes, à partir desquelles il est facile de faire des outils, des pics, des gouges, des essieux, des lames, des forets...

Toute cette chimie vivante ne doit pas nous surprendre: la vie est de loin le meilleur chimiste.

Ainsi, savez-vous que sur Terre, des bactéries vivent dans l'eau bouillante, respirant du soufre, parfois à plusieurs kilomètres sous Terre. D'autres se nourrissent de minerais.

Sur Terre nous avons choisi de vivre avec une industrie... qui ferait bien mieux d'imiter la vie Aéolienne. La mer contient tous les corps chimiques en solution, et c'est une ressource inépuisable, puisque tous ces minéraux sont renouvelés indéfiniment, grâce à l'érosion. Quelques usines flottantes, vastes mais discrètes, pourraient les extraire, avec de l'énergie solaire, sans aucune pollution ni nuisance à qui que ce soit. Prenons-en donc de la graine: pour le prix de quelques sous-marins nucléaires, nous pourrions gagner beaucoup de liberté et de temps de vie, tout en évitant beaucoup de pollution sur notre planète.

 

 

 

* * *

 

Leur séjour sur l'île idyllique fut pour le Eolis invité un rêve, un long bonheur impossible à dire. Il semblait plus fort que dans leur village, car il était différent. Et ces Eolis mauves étaient vraiment très agréables. Ils ne riaient pas aussi souvent que les roses, leur enthousiasme était plus discret, mais ils émanaient une poésie très pure, très délicate, comme une figurine de Marie vêtue de bleu dans sa crèche de Noël, sereins comme le ciel, purs comme l'air sur le sommet des montagnes, avec un parfum plus subtil que le parfum des fleurs... et, tout comme leur peau dont on ne peut jamais dire si elle est plutôt rose ou plutôt bleue, leur sourire passait imprévisiblement de la douceur appliquée à l'émerveillement contagieux.

Nos amis eurent l'occasion de se familiariser davantage avec certains des habitants de l'île idyllique, en particulier la suave Lioureline qui ne parle qu'en chantant. Elle est devenue une grande amie d'Inelounia, comme nous le verrons plus loin.

 

Mais ce séjour toucha à sa fin. Sans aucun regret d'ailleurs, pour cette île merveilleuse, ses oiseaux miraculeux, ses éolis si gentils. Juste un tout petit peu de nostalgie de quitter de nouveaux amis. Mais leur désir était revenu à leur village, leurs amis roses, leur parfum d'abricot et toutes leurs chères activités en suspens.

Une à une les oies reparurent, sans les jeunes, mais avec deux autres couples d'un beau bleu de cobalt.

Les éolis de l'île se rassemblèrent à nouveau pour les au revoir, sur la plage du lagon. Ce fut aussi long qu'à l'arrivée, car si on n'avait plus à se découvrir, on avait maintenant beaucoup à se dire. De nouveau les oies attendirent placidement, chargées des fameuses plaquettes de fer, en se roucoulant de temps à autre des secrets d'oies, l'oeil en coin sur les éolis.

De nouveau ils s'envolèrent, le soir cette fois, pour un merveilleux voyage de retour. Mais ils ne repassèrent sans doute pas par le même trajet, car ils ne reconnurent aucun paysage. Juste avant que la nuit ne tombe, ils aperçurent une île plus belle encore, sans rocher, mais avec un lagon circulaire d'un rose ensorcelant et des arbres immenses flamboyant de jaunes et d'oranges. Sans doute était-il habité, car il rayonnait une sorte de joie exubérante et rythmée. Plus tard, après que l'anneau planétaire fut rentré dans l'ombre, ils virent encore deux autres atolls brillant dans la nuit, l'un était un cercle indigo, l'autre était plutôt en forme de huit, signalé par quelques étoiles d'un bleu-vert ahurissant. C'est ainsi sur Aéoliah: on croit toujours avoir trouvé le summum de la merveille, mais on découvre toujours mieux...

 

Ils s'en revinrent à leur village natal et à leurs amis, riches d'un peu plus de merveilleux souvenirs...

 

 

Les Jardins d'Aéoliah

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Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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