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Les Jardins d'Aéoliah

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Chapitre 3

* L'amour d'Aurora et Nellio *

(Musique suggérée: thème des éolis, Bearns et Dexter, Golden Voyage 3, look alter tomorrow for me.)

(Avec Lovely Day de William Aura ce n'est pas mal non plus.)

 

Aurora et Nellio naquirent sur Aéoliah vers le huitième siècle de notre ère; ils sont donc de jeunes éolis, avec vingt à cinquante mille ans à vivre devant eux, ou bien plus si ils le veulent, car leurs corps se régénèrent indéfiniment. C'est d'eux-mêmes qu'ils quitteront un jour Aéoliah pour d'autres plans de conscience plus élevés, après avoir bien profité de toutes les merveilles que celui-ci avait à leur offrir. Au fond vingt mille ans c'est très rapide pour cela. Aurora et Nellio étaient de jeunes âmes enfantines; ils avaient toujours vécu dans des mondes de pur sentiment, de pure vibration, sans formes corporelles ni matière. Ils étaient également toujours restés en communion parfaite avec la Source Universelle de vie et de Bonheur! Comment auraient-ils seulement imaginé qu'il soit possible de quitter cette communion de si peu que ce soit? Tentés par l'expérience pour eux exotique de la vie matérielle, ils avaient choisi pour cela Aéoliah, dont la féerie douce et joyeuse les enchantait. Aéoliah du monde des formes vibre aussi en communion parfaite avec la Source de vie Universelle, mais d'une manière infiniment plus complexe car elle est elle dans un univers matériel...

Aurora était tellement neuve, que, dans le ventre de sa mère, toute à son extase lumineuse et émouvante, elle crut que c'était déjà la vie corporelle! Quel bonheur d'être ainsi, nimbée d'une clarté rouge ou dorée, bercée de suave musique et d'un tambour envoûtant (le coeur de sa mère)! Elle aurait aimé percevoir Nellio avec ses nouveaux sens, mais elle n'y arrivait pas: forcément, il était dans le ventre de sa mère à lui. Mais, pour sa plus grande joie, elle savait toujours quand il pensait à elle! Lui s'était renseigné et il savait que cette phase était seulement préliminaire; la vie corporelle était bien plus étonnante encore. Il essaya d'expliquer cela à Aurora, mais elle ne pouvait le concevoir; lui non plus d'ailleurs. De temps à autre, ils se retrouvaient comme ils étaient avant, libres de folâtrer là où ils aimaient, libres de se fondre délicieusement l'un dans l'autre, ou avec leurs anciens amis. Ou bien ils percevaient d'Aéoliah de lumineux et inextricables puzzles de taches de couleurs fort jolies mais auxquelles ils ne comprenaient rien du tout.

C'était ce que nous appelons des images, mais comment imaginer des images sans en avoir jamais vu? Et qu'on ne sait même pas reconnaître un rond d'une ligne droite? Pour les habitants des mondes abstraits, les formes ne veulent rien dire, elles sont totalement inconnues. Ils connaissent bien les couleurs, mais pour eux ce sont plus des vibrations ou des sentiments que des sensations. A quelles émotions inattendues pouvaient bien se rapporter ces entremêlages de sensations exotiques? Leurs guides du monde des sentiments leur avaient bien parlé d'images et de formes, mais comme personne là bas ne savait vraiment de quoi il s'agissait, leurs maigres explications étaient bien abstraites et les images sans doute fort compliquées à comprendre. Aussi Aurora et Nellio ne se doutèrent pas, au début, qu'ils voyaient enfin ces extraordinaires images dont leurs maîtres leur avaient parlé.

 

Ils naquirent sur la douce Aéoliah, dans notre village, Aurora un petit matin et Nellio deux jours plus tard, suivis de six autres enfants éolis. Ô ces jours bénis du commencement, à jamais gravés dans leur mémoire, nimbés de purs frissons un peu nostalgiques... Eh oui, les naissances sont rares sur Aéoliah, de par la longue vie. Aussi chacun essaie d'en profiter autant qu'il peut: elles sont regroupées pour que les enfants soient entre eux, et pour que ceux qui s'aiment puissent se retrouver sans délai. Quelles fêtes pour les éolis!

 

Quelle surprise inimaginable de naître ainsi, submergé, transporté par tant de sensations entièrement inconnues! Aurora s'enivra d'images les trois premiers jours, elle qui en ignorait tout auparavant. L'obscurité de la nuit fut une découverte totalement déconcertante: Comment concevoir que la Lumière puisse ainsi manifester son absence? Pour un habitant des mondes de l'esprit, la Lumière c'est la Vie, c'est le Bonheur, et les lumineuses couleurs sont les beaux sentiments. Heureusement le cerveau éoli ne capte aucun sentiment négatif, sinon Aurora aurait eu peur. Elle éprouva plutôt un sentiment de profond mystère et fut finalement heureuse (après s'être endormie) de se sentir de nouveau en communion, en fusion avec Nellio son aimé.

Lors de ces brûlants échanges, chacun, par sa gentillesse, donne à l'autre le Feu de la vie, l'entrain, l'élan vers le Bonheur, la Confiance en la vie et en l'Univers. L'existence même de la conscience serait inconcevable sans ce don. On leur avait promis qu'il en existait également de nombreuses formes dans le monde matériel, mais il leur faudrait trouver eux-mêmes comment. Toutes ces subtilités les avaient tout de même bien fait un peu hésiter!

 

Il leur fallut aussi s'habituer au déroulement du temps très spécial du monde matériel. La sensation de durée les dérouta complètement au début: comment imaginer qu'un événement n'existe pas de lui-même, du simple fait que sa cause soit établie? Attente, distance, durée, tout cela leur était totalement étranger.

Aussi, dans les mondes de pur esprit, les lieux sont les ambiances des êtres: une pensée aimante, et hop nous voilà dans l'aura de l'ami, avec sa présence, à ses côtés ou en communion avec lui, selon la profondeur de notre amour. Une autre pensée et le premier ami nous quitte pour un autre avec une ambiance différente. Pas de trajet intermédiaire, ni d'espace ni de distance comme dans l'univers matériel; ou, plus exactement la distance entre deux êtres n'est autre que la différence entre leurs ambiances: plus le contraste est grand de l'un à l'autre, plus ils sont loin, en esprit. Plus il y a de variété et de différences, plus il y a d'espace et de Liberté, et plus on peut aller loin, d'un simple geste du coeur. Quelle étrangeté, donc, de ne pouvoir déplacer leur nouveau corps instantanément, à leur guise, dans notre espace matériel! Il leur fallait au contraire, pour avancer, accomplir une série de mouvements compliqués, et recommencer encore, et encore... Mais nos jeunes éolis en avaient été dûment prévenus dans leurs cours de préparation. Aurora et Nellio en gardèrent leur vie durant, comme beaucoup d'autres d'ailleurs, la sensation très nette que chaque endroit de leur planète, chaque paysage, chaque roche, chaque maison, a sa propre ambiance unique, irremplaçable, celle des êtres visibles ou invisibles qui les habitent, et qu'elles peuvent être proches ou lointaines sans rapport avec la distance matérielle.

Mais les éolis sont des êtres terre à terre, si on peut employer cette expression pour des habitants d'une lointaine planète. Bébé Aurora et Bébé Nellio s'habituèrent vite à leur nouvelle condition et surent bientôt s'en trouver parfaitement heureux et à l'aise, comme tous les autres. De toute façon les nuits semblaient revenir régulièrement: elles leur permettaient de retrouver leur ancien état et de se reposer des bizarres gymnastiques de la journée. Ne riez pas ami lecteur: pourquoi croyez-vous que vous dormez vous aussi?

Etonnant, pour un terrien, le cordon ombilical des éolis. Chez les terriens il ne dure que quelques minutes, le temps d'apprendre à respirer avec plénitude, après quoi il se tarit. (Il est fort dangereux de le couper immédiatement, cela fausse l'autoréglage de la respiration, condamnant l'enfant à rester toute sa vie étriqué du poumon) Chez les éolis il dure bien une vingtaine de jours! Eh oui, les bébés naissent tout petits, dans le ventre très mince et si mignon de leur maman! Les créateurs d'Aéoliah avaient leur idée, ah ça oui! Tout ce passe très bien du reste, et quand le cordon se flétrit les bébés éolis ont grandi, ils savent respirer, manger et marcher.

Aurora eut quelques difficultés à manger le premier jour: sa maman lui tendait ce fruit au suave parfum... Aurora le humait, mais ne comprenait pas ce qu'il fallait faire avec. Elle essaya de fusionner avec le fruit, comme elle avait l'habitude dans son ancien monde, mais il restait contre sa mignonne figure sans rentrer en elle. Ah les séances de barbouillade! Heureusement Aurora n'avait qu'à se laisser guider par son corps matériel qui lui, savait parfaitement quoi en faire, du fruit. Il finit par rentrer, mais par petits bouts! Etonnée, elle accepta cette étrange forme de fusion spirituelle et se délecta d'ananas au goût délicieux. Aurora sentait que ce goût, ce parfum, cette lumineuse couleur dorée, nourrissaient en son âme l'Emerveillement, la Poésie, la Joie! Alors miam, l'ananas et tous les autres fruits prirent vite l'habitude de passer par là où il faut.

La maman d'Aurora était une grande éoline au nom d'Elora, aux longs cheveux jaune pâle avec de curieux reflets verts. Elle est toujours au village aujourd'hui. Elle regardait Aurora de ses grands yeux d'un vert limpide, lui souriant ou lui murmurant de tendres paroles de sa voix douce et profonde. En la voyant si belle et si douce, Aurora ressentit au plus profond de son âme que, malgré ses bizarreries, la vie matérielle valait largement la peine d'être vécue.

Nellio s'en sortait bien lui aussi. Les cours de préparation l'aidaient. Ainsi il savait qu'il fallait manger, mais ignorait tout à fait comment ça se passe: ses gentils maîtres avaient tout de même laissé beaucoup de détails dans l'ombre! Or dans le monde matériel le plus petit détail a son importance. Ce qui n'empêcha pas non plus Bébé Nellio de dévorer bientôt à belles dents, d'explorer tout autour de son regard infatigable, et de gazouiller le plus joliment du monde.

Une différence plus subtile d'avec le monde de l'esprit est que dans le monde matériel, il faut sans arrêt fournir un effort pour rester en communion avec la Source Universelle de toute vie. C'est certes facile, sur Aéoliah, mais aucun relâchement n'est tolérable. Ça, par contre, leurs maîtres n'avaient pas oublié de le leur seriner, c'était une règle impérative, de la plus haute importance. Piqués au jeu, Aurora et Nellio s'y employèrent bientôt avec fougue. Bien le leur en prit, car sans cela ils n'auraient pu devenir de vrais éolis joyeux et poétiques, et ils auraient été éjectés d'Aéoliah comme de vulgaires poux.

Aurora et Nellio devinrent d'adorables enfants éolis, qui, à peine leur cordon abandonné, se mirent à explorer et à jouer, vêtus d'une robe et d'un mignon petit chapeau-fleur. Les enfants éolis ne correspondent pas du tout à l'image des enfants chahuteurs et perturbateurs que certains d'entre nous ont dans la tête. Pas du tout. Comme tous les enfants de l'univers ils consacrent leur intarissable énergie à goûter à toutes les joies et à toutes les activités de la vie. Les enfants éolis sont des poètes! Et quel spectacle infiniment poétique et attendrissant nous offrent-ils!

Le premier jeu d'Aurora fut de respirer les parfums des fleurs; dès qu'elle le put, elle s'en alla trottinant dans le village, humant tout ce qui était à sa portée, goûtant voluptueusement à l'immense variété de fragrances Aéoliennes, qui souvent changent au long du jour.

Nellio suivit bientôt Aurora; quelle ne fut pas leur surprise quand cette grande fleur jaune et or se mit à ramper sur le sol! C'était une chenille. Elora, qui les regardait, vint la caresser. Une chenille, savez vous, c'est tout à fait propre; si nous, terriens, elles nous dégoûtent, c'est seulement un instinct protecteur car il y en a d'urticantes sur notre globe. Absolument rien de tel sur Aéoliah: tout le monde peut se caresser ou s'embrasser dans la plus totale confiance. Ah la tête étonnée des enfants!

Elora leur expliqua de sa voix grave et douce que c'était un corps de forme différente, servant lui aussi de véhicule à une petite âme toute simple. Ils ne comprenaient pas encore vraiment, mais ils sentirent qu'il y avait là quelque chose d'important.

La chenille leur lança un regard naïf, touchant et amical, avant de s'en retourner gondoli gondola vers sa vie de chenille.

Aurora et Nellio se mirent à chercher d'autres chenilles, ils trouvèrent un splendide scarabée noir aux reflets bleus métalliques, et un autre plus petit comme fait d'or massif. (Ça aussi il y en a chez nous) Le petit doré s'envola promptement, mais le grand noir les suivit un moment. Il arborait de longues pinces devant; il en saisit un petit fruit violet tombé d'un buisson et l'emporta dans un trou de rocher, juste au bord d'une des places du village.

C'était la place du coton: Nellio s'en approcha et se demanda si les beaux flocons roses étaient aussi vivants. Sans doute oui, car, poussés par une légère brise, ils tentaient de s'en aller.

Antonnafachto et Miélora triaient et rangeaient la récolte du jour. Miélora fut enchantée par la vue de ces si mignons enfants gazouillant et se balançant avec un charme ravissant. Elle montra à Aurora les gestes du coton: retirer les débris de feuilles, serrer les mèches (Le cardage se faisant plus tard). Antonnafachto montra à Nellio comment on rebondit sur un sac rembourré, ce qui le fit rire aux éclats: sacré Antonnafachto!

 

La toute première éducation des jeunes éolis est d'être réellement conscient des merveilles du monde et de la vie, de savoir s'en réjouir, d'y goûter pleinement, sans aucun calcul ni pensée parasite. C'est de la plus haute importance, le fil même de la vie. Sans cela elle ne vaut pas la peine d'être vécue, sans cela on n'est heureux qu'en pointillé, on se laisse distraire par des pensées sans vie, insignifiantes, on vit à côté de la vie, n'en percevant que la surface, la croûte morte. Le Bonheur, tel un jardin, une plante ou une maison, se construit, s'entretient, se répare. Et l'attention continuelle en est le premier outil. Tout comme un être vivant, le Bonheur se nourrit, de beaux sentiments, d'attention mutuelle et de Sincérité.

Les éolis faisaient faire de charmants exercices aux enfants pour les y habituer: admirer le lever du Soleil, écouter les oiseaux, respirer les fleurs, être ensemble, accomplir joyeusement les activités utiles de la vie quotidienne...

Aurora et Nellio y reconnurent, émus, les formes de fusion spirituelle qu'on leur avait promises, dans l'activité partagée, les sentiments et les idéaux tendus vers un même but, le groupe harmonieux de la chorale, l'entrain joyeux des gros travaux ensemble, la complicité d'un regard lors des douces séances de couture assis l'un à côté de l'autre en silence, ce merveilleux Silence respectueux des autres, et puis les gentillesses, les encouragements, les petites attentions mutuelles qui sèment la Joie et galvanisent le feu de la vie! Etre heureux, c'est un travail, une attention de tous les instants!

 

Tous les enfants éolis s'appliquent à ces exercices avec enthousiasme et sérieux. Ces huit-là firent connaissance les uns avec les autres pour partager leurs expériences. Dès qu'ils surent tenir un outil ils voulurent organiser la culture des fraises sur une des terrasses du village.

Il fallait d'abord étaler un vieux tas de compost mûr. Dès le lendemain matin, avec l'aide de trois villages voisins, plus de cent éolis se mirent à étaler le tas. L'affaire fut menée rondement, en deux jours. Quelle belle fête! Les enfants regardaient voler tout ce monde et le village bourdonnait comme ruche en grande miellée: Les enfants ne savaient plus où donner de la tête, ils en étaient tout babas! Leurs parents et amis aidèrent les jeunes forces des petits éolis pour ces premières plantations; en fait de fraises, de coups de foudre en idées ravies, il fut planté plus de quinze sortes de fruits, des fleurs, et d'autres plantes à divers usages.

Ce n'était pas une toquade: aujourd'hui encore, treize siècles plus tard, certains des huit éolis cultivent toujours cet endroit.

 

Les plantations étaient presque terminées quand le ciel changea de couleur; il en tomba de grosses gouttes de rosée! Les enfants éolis découvrirent la pluie, qui revient régulièrement tous les vingt ou trente jours, à chaque fois que l'unique front météo d'Aéoliah fait un tour de la planète. Elle dure deux ou trois jours, pendant lesquels il est malcommode de sortir, pour ces petites créatures.

Les huit enfants furent alors invités dans une vaste maison potiron toute neuve, à l'intérieur jaune et rose, où on leur montra de grands rouleaux de papier couverts d'images. C'était merveilleux, ils apprirent ainsi que toute Aéoliah est ronde, qu'il y a d'autre sphères dans le ciel, et, sur Aéoliah, d'innombrables autres villages, avec des plantes infiniment variées et des éolis avec des couleurs de peau différentes. Ils avaient tant et tant à découvrir! Emerveillés, tantôt riant et s'exclamant, tantôt rêveurs et contemplatifs, ils dévorèrent des yeux les si belles images de leur monde encore inconnu.

Le soir, les tout jeunes éolis vont dormir; mais dès qu'ils savent parler et s'activer, ils restent un peu avec les grands sur la place du village. La lumière ne disparaît pas tout à fait: l'anneau d'Aéoliah vaut bien une Lune, qui dispense une faible mais chaude clarté dorée. Semblable à l'anneau de Saturne, mais moins large et translucide comme une brume d'or, il étend sa splendeur en un grand arc dans le ciel nocturne piqueté d'étoiles. Des grains lumineux permettent de voir sa rotation éternelle...

Cette clarté même aurait fait pâlir les étoiles, si Aéoliah ne s'était pas trouvée dans le bulbe de sa galaxie, où les étoiles sont plus serrées, donc plus brillantes dans le ciel. De toutes façons, au coeur de la nuit l'anneau est dans l'ombre de la planète: il est alors possible de contempler à loisir toutes les splendeurs du ciel profond...

La place du village est aussi illuminée de fleurs lumière. Imaginez des cactus-boule lisses, vert foncé, gros comme une tête (d'éoli), plantés dans des bassines facilement transportables; ils font des fleurs à six longs pétales effilés, fermés sur un coeur à trois étamines orangées. Curieusement inodores et pâles le jour, elles rayonnent la nuit une émouvante fluorescence colorée, comme des lucioles. Les éolis les harmonisent par trois pour faire une lumière à peu près blanche, mais les ombres sont alors joliment irisées. D'autres fleurs-lumière sauvages poussent dans la nature, petites lanternes magiques, et, doucement, amis lecteurs, fermant un instant les yeux, imaginez cette splendeur animant les lointains nocturnes: fantasmagoriques aurores, vitraux lumineux aux couleurs les plus hardies, soulignant montagnes et collines, répondant aux étoiles du ciel, paysage de lumière palpitante et de velours noir qu'aucun conteur de merveilles terrien n'a jamais osé imaginer!

Dès le premier soir passé avec leurs aînés, les jeunes éolis, subjugués, restèrent longuement silencieux face à une si puissante beauté. Pour une première méditation contemplative, ça en fut une! Ah, se sentir faire partie d'un aussi bel Univers! Si beau que monte un ardent désir de le découvrir, de le contempler encore plus et encore plus loin, que monte surtout une délicieuse envie de participer à son enthousiasmante Splendeur!

A l'heure où le couchant n'est plus qu'une aura violette, une douce fraîcheur tombe du ciel, invitant à la Paix et au recueillement, après une journée d'Activité et de Joie; les grillons jouent leur concert, et une lumière rouge s'allume sur la plus haute pointe de la Montagne du Soir, noire sur fond de crépuscule.

Mystères d'Aéoliah...

Grillons frissonnants...

Brise fraîche...

Constellations rutilantes...

Tututs des grenouilles dans les ravins humides.

 

Premières leçons de chant des enfants éolis, tout petits êtres émerveillés devant un aussi splendide univers...

 

 

Les jeunes éolis grandissent vite, comme des oisillons. Tant qu'ils sont enfants, ils demeurent avec leurs parents, dormant d'abord avec eux, puis dans un petit lit avec un drap de coton brodé et une couverture en pétales de fleurs. Aurora et Nellio, enfants mais plus bébés, profitaient encore largement de la nuit pour s'échapper de la matière et de se retrouver dans le monde de l'esprit où l'on peut communiquer d'âme à âme directement, s'harmoniser complètement, ce dont ils retiraient toujours un grand Bonheur. Ils pouvaient aussi se promener un peu sur Aéoliah, explorer les environs, les rochers, les ruisseaux, que l'oeil de l'âme voit plus beaux encore. C'était donc cela, ces puzzles de couleurs qui les avaient tant intrigués avant leur naissance! Leur esprit désincarné savait maintenant imiter leur cerveau de chair et assembler ces perceptions confuses en images et paysages, parfois curieusement distordus mais reconnaissables. Dans leur bonheur insouciant ils avaient le sentiment d'importants ajustements s'accomplissant ainsi entre leurs corps, le concret et l'abstrait. Ils pouvaient se promener partout en esprit, mais la Montagne du soir, vue en esprit, flamboyait d'une aura puissante et fascinante: comment oser s'approcher du rayonnant Mystère?

Le jour les trouvait parfaitement à l'aise et intégrés dans leurs corps, participant joyeusement à la vie commune. Parmi les jeunes éolis, un ressemblait curieusement à Nellio: Algénio. Mais Algénio ne venait pas du monde des esprits: il avait déjà vécu sur une autre planète, plusieurs fois même. Cela fit un bon mystère pour Nellio et Aurora, mais Algénio ne gardait apparemment aucun souvenir de ces existences passées. Quelquefois Algénio recevait la visite d'Adénankar, un ancien éoli habitant les bois hors du village, avec son éoline que l'on ne voyait jamais. Ils s'en allaient alors à l'écart, tous les deux, et Algénio s'asseyait en position du lotus, les jambes croisées, la position préférée des éolis. Adénankar faisait de même derrière lui et étendait ses mains dans le dos d'Algénio, ou sur sa tête. Ils restaient ainsi un bon moment, immobiles. Quand ils revenaient, Algénio était rêveur et silencieux. Adénankar souriait alors aux autres enfants éolis. Il portait une tunique indigo, de longs cheveux brun clair ondulés, avec des reflets soleilleux. Une grande barbe de même donnait à son visage noble beaucoup de Douceur, et ses étranges yeux violets rayonnaient une Bonté parfois malicieuse.

 

Aurora, une fois appris de Miélora les gestes du coton, s'intéressa logiquement à la suite. De temps en temps Elora et Miélora se retrouvaient pour trier ensemble le coton, en l'assaisonnant d'histoires éolines à se rouler par terre de rire, en compagnie d'oiseaux qui se posaient là un moment. Quel spectacle ingénu, les éolines gazouillantes et leur coton, petits nuages pastel comme les robes, entourés de boules de plumes chatoyantes, frissonnantes sous la caresse. C'est qu'ils s'aiment, les oiseaux d'Aéoliah et les éolis! Très tendrement unis, ils passent ensemble de longs moments de chaude complicité.

Aurora vint s'asseoir à côté des deux éolines pendant que Nellio jardinait passionnément. Quand Aurora sut trier le coton, il fallut lui apporter les cardes, et elle s'exerça longuement, avec enthousiasme, assise entre sa mère et son amie. Elle aimait à prendre les touffes hirsutes et à en faire, de ses propres mains, de jolies mèches lustrées! A chaque touffe elle changeait de couleur, mais elle préférait de loin le mauve, un doux mauve pastel irisé d'indigo. Seuls deux plants de cette couleur poussaient au village. Heureusement d'autres, sauvages, fleurissaient un peu plus bas près du ruisseau, que d'habitude on ne récoltait pas. On en alla chercher spécialement pour Aurora un gros paquet tout chaud de soleil.

Aurora aperçut Antonnafachto emportant un sac de coton mauve cardé. Qu'allait-il en faire? Sautillante, elle le suivit dans un grand potiron, adossé au rocher, sous le buisson qui clôt la petite place du coton. Elle ne pu retenir un «Oh» d'admiration... Le long des murs courbes, jaune orangés de la grande pièce, les sacs s'empilaient soigneusement. Comme ils étaient faits de toile lâche, ils chatoyaient des multiples couleurs du coton visible au travers, rangé en arc-en-ciel, prêt à être filé; un tas plus petit rassemblait la récolte attendant d'être cardée. Sur un mur resté libre pendaient toute une série de cardes (ça ressemble à une brosse) et des noyaux de bobines.

Mais le plus beau... Ô merveille, au milieu de la pièce trônaient quatre ingénieux et harmonieux rouets éolis, tout de bois soigneusement poli et laqué, chacun d'une couleur différente, merveilleux et amicaux comme des manèges! Avec, par dessus tout, l'odeur du coton brut, (qui ressemble un peu à celle du bon foin) de fleurs séchées et de vieux potiron. Le grand rideau rose de la porte et les fenêtres (la cuticule translucide de la peau du potiron, grattée de l'intérieur en évitant de la percer) tamisaient la lumière et les sons extérieurs: il régnait ici un silence frais et délicieux, une pénombre tachetée de soleil. Aurora effleura timidement le montant d'un des rouets; elle le sentait comme prêt à dire bonjour. Du pas de la porte Antonnafachto l'observait en silence, avec son sourire complice et malicieux; ce blagueur impénitent avait comme tous les autres éolis un profond respect des moments privilégiés de poétique découverte et d'Emerveillement, aussi il se gardait bien de rompre le charme par quelque parole ou geste que ce fut. Il s'abstenait même de penser. Et puis, il avait participé à leur fabrication, de ces rouets. Antonnafachto est un habile menuisier, le saviez vous?

Aurora, éberluée, quitta doucement sa caverne d'Ali Baba. Puis, sautillante, elle rejoignit sa mère et Miélora, Antonnafachto lui emboîtant allègrement le pas. Reprenant du coton, elle resta un moment sans rien dire, puis demanda à Miélora de lui montrer les rouets. Antonnafachto eut un petit rire; Miélora, avec une poétique mimique de surprise, lui répondit volontiers. Ils y allèrent tous quatre, et pénétrèrent, recueillis, dans la douce fraîcheur de l'atelier. Les rouets éolis ne ressemblent pas du tout aux rouets terriens, bien qu'ils fonctionnent sur le même principe. Il faut s'y asseoir à deux, face à face, sur un plateau ovale subtilement équilibré, qui se balance poétiquement au rythme des gestes du travail. Le rouet proprement dit est au milieu; pendant que l'un des acteurs file, l'autre fait tourner la broche très rapidement en tirant une cordelette ingénieusement disposée. Et ça carbure, je vous le dis! En une journée de pluie tous les sacs se retrouvent en bobines. Car en principe on ne fait ce genre de travaux que quand on ne peut pas s'activer dehors. Devant l'insistance d'Aurora, on sortit néanmoins un des rouets sur la place, au soleil, pour qu'elle puisse apprendre. Il fallut de l'aide, car les rouets sont lourds. Comme il n'y en avait pas de violet, Aurora choisit le bleu.

Rayonnante, elle prit place avec Elora sur le plateau périlleux, et jusqu'à l'heure du repas s'entraîna joyeusement en chantant de ces chansons mignonnes apprises à la veillée. Miélora et Antonnafachto continuèrent à carder, sans plus rien dire car apprendre à filer demande de la concentration.

C'est Nellio qui fut surpris en rentrant de son champ, de trouver sa mignonne compagne rayonnante sur ce bel appareil!

Aurora devra patienter avant d'en savoir plus; mais c'est un des entraînements éolis que de savoir ainsi rediriger ses énergies.

 

Nellio de son côté s'intéressa aux plantes. Un jour il fallait aller chercher des graines poussant tout en bas du village, près du ruisseau. Tant qu'ils n'ont pas leurs ailes les jeunes éolis ne s'éloignent que prudemment: il n'y a pas vraiment de chemins hors des villages, puisque tout se fait par la voie des airs. Nellio, Aurora, Algénio, sa compagne Liouna, et deux grands éolis descendirent donc avec des sacs: on en profitait pour ramasser aussi le coton mauve d'Aurora.

Les jeunes éolis découvrirent le ruisseau avec leurs yeux de chair. De l'eau, ils connaissaient, puisqu'on s'en lave abondamment tous les jours; mais pas encore l'eau libre comme celle-ci, où poussent des plantes différentes, plus exubérantes, d'un vert plus profond, et où vit tout un monde d'insectes, de limaçons et d'escargots nacrés ou irisés. On arrivait au bord par une petite plage en mousse gorgée d'eau, grande comme deux mains de terriens. Cela suffisait aux éolis; ôtant leurs grandes robes, ils se plongèrent tout nus dans la délicieuse fraîcheur de l'onde limpide. Algénio avait gardé son chapeau, et il le laissait dériver. Aurora admirait les dessins spiraux d'un escargot, tout en se passant de l'eau sur son joli corps avec la main.

Puis ils allèrent chercher le coton, sauf Nellio qui se fit montrer ses graines par Alambo. C'est une plante aux feuilles épaisses dont la curieuse odeur terpénique avait intrigué Nellio.

«Que fait-on avec cette plante? Demanda t-il.

- C'est pour faire de la peinture.»

Nellio réfléchit.

«De la peinture verte?»

Alambo eut un gentil petit rire.

«Oh non! C'est seulement pour rendre certaines peintures plus fluides!»

Nellio pensa qu'il avait encore beaucoup de choses à apprendre.

«Gentille plante à la curieuse odeur! Permet moi de cueillir quelques-uns de tes fruits pour en prendre de la graine!»

Cela fut dit avec une telle sincérité que l'on ne se serait pas étonné d'entendre la plante répondre «Oui, volontiers!» en tendant ses branches en une gracieuse courbette.

Nellio entreprit de décortiquer un des fruits secs. Il alla pour en saisir un autre, mais Alambo lui dit qu'il était encore trop vert. Il en restait un à point mais un scarabée l'avait déjà entamé, aussi on le lui laissa.

«Ça ne fait rien, on reviendra» fit Alambo. Ils repartirent, tous frais, avec leurs sacs pleins. Ces graines devaient être semées un peu au-dessus du village, près de l'atelier d'Alambo, pour en transporter facilement la récolte, car Alambo et ses amis avaient à charge la délicate fabrication des peintures et des laques.

Quel sacré curieux que ce Nellio. Avec Aurora, il suivit Alambo.

La maison d'Alambo n'était pas en potiron, mais en une sorte de mortier coloré dont les éolis ont le secret. Elle s'appuyait contre un rocher rosé dont le sommet dépassait par dessus l'atelier du coton. Une maison assez surprenante pour nous terriens, jugez-en. C'était une grande demi-boule, avec la porte en coin, toute enlacée de volutes harmonieusement sculptées, entraînant les fenêtres courbes, s'épanouissant en feuilles soutenant d'autres boules plus petites avec des hublots arrondis. Toutes ces formes se fondaient les unes dans les autres sans raccords ni angles, avec un fini rustique mais doux, disparaissant dans les creux de la roche. Elle était rose, veinée d'arabesques orange et mauve, délicatement encadrée de feuillages et de mousse des rochers. Que voilà une bien grande maison pour un couple d'éolis!

Dans une petite cour presque fermée par un pan de roc, Landernako et Niouline, en compagnie d'Elzinia, la compagne d'Alambo, étaient absorbés dans une étrange besogne. Ils manipulaient des récipients en tube de bambou que Nellio avait déjà vu au repas pour les jus de fruits, mais plus grands, avec leurs couvercles ajustés à l'émeri. Landernako, à l'aide d'un long bâton, remuait le contenu liquide d'un de ces tubes calé dans un trou du sol. Elzinia et Niouline surveillaient, versant de temps en temps un peu de poudre vivement colorée d'un autre récipient.

Alambo retint Nellio et Aurora de la main: il ne fallait pas perturber la mystérieuse opération. Elzinia était absorbée. Enfin elle dit que c'était bon. Tous trois s'arrêtèrent alors et se tournèrent vers les nouveaux arrivants, qu'ils accueillirent joyeusement. Landernako et Niouline furent ravis de voir ces enfants éolis qui ne venaient pas souvent dans ce coin du village. En parlant ils raclèrent très soigneusement le bâton, non sans avoir montré le contenu du tube: c'était de la belle peinture bleue, avec une touche d'indigo, qui plut beaucoup à Aurora. Ils fermèrent promptement le couvercle et finirent d'essuyer le manche, n'y laissant aucune trace de peinture!

Alambo entraîna Nellio et Aurora dans la maison. En fait la chambre Alambo et Elzinia était au-dessus de la demi sphère, et dépourvue d'escalier pour y accéder: à quoi bon, quand on a des ailes? La grande boule était un atelier, comme celui du coton. Mais les étagères portaient une quantité de tubes en bambou de toutes tailles, certains bizarrement patinés, d'autres tachés de la couleur qu'ils contenaient. Toute une gamme de touillettes, brosses, spatules et autres outils harmonieusement disposés le long des murs courbes vous invitaient gaiement à la Création ou à l'Activité. Plus loin, des sacs s'empoussiéraient des pigments variés qu'ils recelaient. Une odeur forte et étrange flottait, de terpènes mais aussi d'autres essences inconnues chez nous. Le cerveau éoli n'enregistre que des sensations agréables, mais il sait parfaitement distinguer ce qui est bon à manger, ou ce qui est poétique, de ce qui ne l'est pas. Cette odeur n'indiquait pas un comestible, mais elle s'associait au mystérieux et sans doute passionnant travail de la peinture. Nellio la trouva donc aimable, sans la classer dans les parfums.

Sans mot dire, Alambo, d'un geste tranquille et lent, invita Nellio à regarder par la porte du fond de l'atelier, fermée par une pellicule translucide. Nellio fut déconcerté: cette porte donnait DANS le rocher. Il y avait là une petite grotte obscure, fraîche et humide, à l'odeur plus forte encore. Accoutumant son regard, il découvrit de grands récipients en noix de coco, emplis de liquides divers. La peinture, ce dit-il, c'est tout un monde!

 

 

 

Il serait fort long de raconter tout en détail la vie des nouveaux éolis, telle qu'elle se déroula heureuse et douce pendant les premières années de leur vie. Les éolis n'ont pas à proprement parler d'histoire; ils goûtent un bonheur perpétuel qui coule de source indéfiniment. Ils n'en sont jamais blasés. Cela s'explique facilement si on sait que les éolis suivent scrupuleusement ce qu'ils appellent les Lois Universelles de la Vie, et que tout dans leur existence a été prévu en accord avec ces Lois: leur cerveau, leur corps spirituel, leur corps physique, l'écologie même de leur planète qui fournit en abondance tout le nécessaire à la vie de chaque être. Ça n'en sont pas moins des êtres responsables et courageux, nous le verrons. Le mal sous toutes ses formes est totalement absent de leur monde et même de leur pensée; il ne peut strictement rien arriver de fâcheux sur leur planète, ni sur aucune autre qui suit ces lois simples et ineffables; à tel point que le mot «Bien» lui-même n'y est jamais employé! En fait le mal tel que nous l'expérimentons sur la Terre n'est apparu accidentellement que dans quelques îlots de la Création, îlots qui, à l'incommensurable échelle de temps de l'Univers, ne peuvent qu'être tous inéluctablement balayés par l'immense marée de volonté de Bien qui palpite partout ailleurs! Il sera scrupuleusement veillé par la suite à ce que les conditions qui ont permis son apparition ne se reproduisent jamais.

 

 

 

Tout se déroula donc idéalement pour les adolescents éolis. C'est là une période courte mais fort émouvante de leur vie. Ils y trouvent leur vocation parmi toutes les activités. On l'a vu, Aurora et Nellio ont connu tôt la leur; d'autres éolis la trouvent plus tard, certains ne s'orientent même jamais et restent à butiner d'un travail à l'autre selon leurs amis. Ce fut le cas d'Algénio, avec toutefois une préférence pour le grand air et la verdure, comme la plupart des éolis. Anthelme, lui, resta à étudier avec Adénankar, le temps qu'il ne passait pas dans les jardins et les ateliers avec sa compagne Elnadjine.

Aurora ne pu se mettre tout de suite au filage du coton comme elle aurait souhaité, car il s'agissait là d'un travail du temps de pluie, et les jeunes éolis par temps de pluie vont à l'école. En attendant elle réorienta son énergie dans la culture de... la patience, qui lui manquait un peu. Ah, c'est qu'elle s'y mit avec ardeur! Il faut dire qu'un jour, Adénankar était descendu de sa forêt, exprès, juste pour lui faire la remarque, avec la plus grande gentillesse, puis avait tourné les talons et s'en était reparti chez lui sans rien rajouter. Aurora, rouge comme une pivoine, était restée introuvable tout le reste de la journée. C'est ainsi, même pour ces êtres merveilleux, il y a toujours quelque chose à fignoler dans leur grand accord intérieur!

Le tout premier enseignement des éolis est l'Amour de toutes les formes de vie, et aussi l'Amour de leur planète, qu'ils traitent telle leur mère. Ainsi fait-on sur toutes les planètes sérieuses. Pendant les premières séances dans l'école potiron, les jeunes éoli admirent de nombreuses images d'oiseaux, d'insectes et de plantes d'autres régions d'Aéoliah, des éolis de couleur de peau différente qui les fascinent, on discute longuement de leurs moeurs parfois curieuses ou exotiques que nous ne pouvons rapporter toutes en détail ici. L'école ne fait que renchérir sur ce qu'ils vivent tous les autres jours: lors des cueillettes et des travaux où ils participent, on leur apprend à parler aux plantes, à les traiter avec Douceur, de même pour tous les animaux de rencontre. Et les jeunes éolis comprennent cela de leur naturel.

Plus tard on leur parle des différents règnes de la vie: minéraux, bactéries, cellules, végétaux, animaux, eolis, esprits des paysages, anges, et aussi comment fonctionnent leur corps, l'abstrait ou le concret.

Ce double enseignement, dans la vie quotidienne et dans le recueillement de l'école, est d'une très grande efficacité: la connaissance de la vie est à la fois inscrite dans le concret, les gestes et l'intuition immédiate, mais aussi parfaitement comprise dans le temple de l'intellect.

Mais avant d'en arriver à faire des savants de leurs enfants, les parents et les amis du village leur apprennent à lire et à écrire. La langue d'Aéoliah est universelle, et il ne viendrait à personne l'idée de sacrifier cet immense avantage pour la modifier ou y rajouter des particularismes quelconques. Une page de cette écriture simple et joliment calligraphiée est un régal pour l'oeil! Elle ressemble un peu à l'Hébreu, un peu au Hindi. Chaque son de la langue est toujours représenté par la même lettre. Les bases de la grammaire sont simples, sans exceptions, sans conjugaisons ni déclinaisons. Une fois les bases acquises, chacun peut à son rythme découvrir les nombreux modes spéciaux, les vibrations des différentes calligraphies, qui permettent une grande subtilité d'expression si besoin est, ainsi que les incroyablement nombreux styles de lettrines, signatures de chaque communauté éoline. Inexprimable n'est pas éoli! On écrit sur de jolis supports, tels des pétales de fleur lustrés, et chaque message est une petite oeuvre d'art ingénue, surtout quand c'est un enfant débutant qui l'a composée!

Tous les éolis apprennent à chanter et ils y arrivent tous. Tous également apprennent à peindre, même si ils ne continuent pas forcément, car c'est surtout un moyen de prendre conscience de la Poésie et des différentes vibrations du monde des sentiments, qui s'expriment dans les couleurs et les formes. La Beauté et la Poésie sont à la base même d'Aéoliah. En fait là aussi l'école ne fait que rendre conscient, formaliser un enseignement qui imprègne la vie de tous les jours: très tôt, dès qu'ils savent tenir un ustensile, leur mère apprend aux enfants à accomplir des gestes gracieux, aériens, à onduler, à danser. Beaucoup le font déjà spontanément, sans le faire exprès, car c'est là un des charmants effets de la beauté de l'âme, de l'attention tout entière dans la réalité et le bonheur. Et c'est vraiment joli, tous ces éolis en ballets dans leurs jardins! Même quand ils ne le recherchent pas spécialement, tous leurs gestes et leurs mimiques sont emplis de grâce, de gentillesse. A peine savent-ils parler qu'on leur enseigne aussi à ressentir si une ambiance ou une action est poétique, comique, tendre, dynamique... et à s'harmoniser avec.

Sur la fin, l'école donne des connaissances plus théoriques, le principal étant acquis. Un peu de géographie Aéolienne, de calcul, de menuiserie, d'astronomie, d'ésotérisme, d'épistémologie: Ils en ont de la chance ces éolis, d'étudier tout cela! Surtout qu'ils n'ont pas de pédanterie pour embrouiller ce qui est simple...

Nellio, aujourd'hui encore, se souvient avec émotion de cette période. C'était une des dernières séances d'école dans le grand potiron. Ils avaient regardé toutes les images des premiers rouleaux, et il n'en restait que quelques-uns plus théoriques. La pluie débuta le matin, assez drue cette fois-là, et avant même les premières gouttes voici les huit joyeux drilles seuls dans leur école. En effet les éolis apprennent aussi très tôt à se prendre en charge. Après une brève discussion, l'enthousiasme se porta sur un rouleau dont le nom Aéolien se traduirait bien pompeusement par «mathématiques» et plus joliment par «jeux de la logique». Algénio, maintenant fort, le dressa debout triomphalement, mais il fallu l'aider pour le mettre sur le porte-rouleaux. Le début leur parut facile: compter des bûchettes, additionner; ils l'avaient tous déjà fait en d'autres occasions. Algénio trouva le moyen de démontrer que deux et deux égale cinq, en fendant une bûchette en deux! Venait ensuite la logique, l'aristotélicienne faut-il préciser, car les éolis en utilisent couramment plusieurs autres, mais c'est tout de même avec celle-là qu'on fait les meilleures maths. Tantôt ils discutaient vivement autour du support de rouleau, tantôt le silence les trouvait chacun dans un coin avec des exercices. La vie éoline avec ses activités demande bien quelques rudiments de calcul. Petit à petit, au fil de la journée, ils passèrent en revue toutes les bases. Le lendemain matin les trouva aussi enthousiastes; mais petit à petit les choses se gâtèrent: le rouleau aux fleurettes bleues et à l'air innocent allait jusqu'aux intégrales. Aurora lâcha la première. Il n'est pas indispensable, au fond, de savoir toutes ces choses quand on vit dans une nature aimante et généreuse comme sur Aéoliah. Si les autres continuèrent ce fut donc par jeu, par pure curiosité intellectuelle. Nellio et Anthelme seuls tinrent à peu près le coup jusqu'au soir du second jour. Les discutions enjouées avaient fait place à un calme posé et réfléchi... Ils se retrouvèrent tous les deux d'autres soirs, avec une fleur lumière et le rouleau mathématique. Elnadjine, la compagne d'Anthelme, aux grands cheveux blonds en longues nappes floues, leur tenait compagnie en tricotant des chaussettes, tandis qu'Aurora allait s'entraîner au tissage. Ils vinrent à peu près à bout de ce rouleau, mais ce fut pour découvrir qu'il en existait des centaines d'autres à la suite! Ils ont des sacrés matheux, mine de rien, chez les éolis. Et ils ont tout le temps qu'ils veulent pour écrire des rouleaux, sur tous les thèmes possibles et imaginables. Il y en a des lyriques ou poétiques, pour allécher, et d'autres plus techniques, pour approfondir le sujet choisi. Grâce à ce système de rouleaux en libre-service, chaque éoli peut se faire une idée sur tous les domaines de la vie, et chacun a possibilité d'étudier ce qu'il veut, ou d'approfondir un point particulier qui l'intéresse, aussi loin que nécessaire, quand il en a envie.

Il resta de ces calmes soirées entre enfants éolis une douce et indéfectible amitié entre Nellio et Anthelme, qui perdure encore aujourd'hui.

Ils étudièrent ensemble le rouleau d'astronomie, plein de poétiques descriptions avec les calculs complémentaires pour ceux à qui ça plaisait. Ils apprirent ainsi la création d'Aéoliah, trois milliards d'années plus tôt. Suite à un flamboiement de supernovae, une petite région d'un nuage interstellaire se révéla particulièrement riche en oligo-éléments propices à la vie. Il s'y forma de nombreuses étoiles avec bien sûr des planètes comme Aéoliah; plusieurs furent élues par des groupes d'âmes pour y célébrer la vie dans des formes physiques. Sur Aéoliah les choses furent menées rondement et tout était épanoui et stabilisé en moins de cinq cents millions d'années, avec tout le nécessaire pour mener l'existence qu'ils désiraient, notamment quantité de plantes donnant de quoi manger, bâtir, s'habiller, peindre. Les premiers éolis fondateurs ont tous quitté Aéoliah depuis fort longtemps, mais la civilisation Aéolienne continue fidèle à elle-même, d'héritiers en héritiers, acheminant à chaque génération sa cargaison d'yeux émerveillés par les splendeurs de l'univers... Les plus lointaines chroniques éolines, issues d'un passé fabuleux fidèlement conservé par des milliers de générations de copistes, parlent d'un quasar rutilant dans le ciel Aéolien, avec ses jets et ses humeurs, mais il est aujourd'hui éteint. Ce devait être un formidable spectacle!

 

 

 

* * *

 

L'adolescence éoline se termine par deux événements importants. D'abord le vol. Les ailes des enfants éolis sont des petites broderies mignonnes mais inactives. Quand les éolis sont presque grands, elles se développent, les muscles s'affermissent. L'envie de voler, de rêve doré mais lointain, devient désir pressant. Cent fois par jour, on voit les jeunes éolis, par deux ou trois ou avec leurs parents, battre vivement l'air; à chaque fois ils mesurent le progrès accompli, ou s'aident en sautant, parmi cris de joie et fou rires. Les éolis sont fiers de voler, ils en éprouvent une grande joie, une enivrante sensation de Liberté. Elnadjine et Aurora, souvent ensemble, furent les premières à y arriver. Les six autres les suivirent bientôt, sauf Algénio qui hésita longuement à se confier à l'élément aérien.

Le vol des éolis est un prodige; ils le doivent à leur petite taille et à la forte densité de l'air d'Aéoliah, car leurs ailes sont plutôt petites et pas très aérodynamiques. C'est une des raisons pour laquelle leur corps a été créé si fin, si léger. Même ainsi ils ne pourraient pas voler bien loin s'ils ne trouvaient pas partout dans la nature de succulents fruits gorgés de sucres délicieux pour reprendre des forces. Les créateurs d'Aéoliah durent orienter l'évolution de la vie sur leur planète vers des corps légers et très solides. Un éoli, même inconscient, freiné par ses ailes, pourrait tomber de n'importe quelle hauteur sans se faire vraiment mal.

Au début, prudents, nos nouveaux éolis se contentèrent de voleter au-dessus du village, accompagnés d'amis. Mais dès que leurs forces furent suffisantes, ils tentèrent leur première sortie, bien sûr au ruisseau: les éolis adorent se baigner, et sur toutes les minuscules criques d'un ru de montagne il s'en trouve toujours d'occupées par deux ou trois éolis batifolant dans l'onde ou séchant leurs cheveux au soleil, leurs grandes robes accrochées à des feuilles. C'est même particulièrement agréable quand l'on travaille dehors, d'aller de temps à autres se rafraîchir ou se dépoussiérer, en compagnie de quelques amis! C'est ce que décidèrent ce matin-là nos huit nouveaux éolis. La dernière pluie était déjà ancienne, et la prochaine tardait un peu. Ils avaient passé un moment à creuser des trous pour des repiquages. La fraîcheur de l'onde fut donc parfaitement délicieuse.

L'endroit rêvé était sous un grand arbre à l'ombre un peu mystérieuse, tachetée de ronds de soleil. Là-dessous s'étendait, comme cela arrive souvent sur Aéoliah (et parfois sur Terre) une prairie de mousse, avec un genre de myosotis d'un doux bleu. Cet espace propice à courir, sauter et faire des galipettes comme à se nicher tendrement, rejoignait doucement le bord du ruisseau, une petite étendue d'eau limpide, au fond d'algues veloutées. Sur l'autre rive, au coeur de l'ombre, croissaient des sortes de roseaux d'un vert très foncé, au port plus bas et plus rond que nos roseaux terriens, formant un petit labyrinthe, surplombé par un grand buisson aux fleurs violettes. Sur la rive du côté de l'arbre, la mousse continuait, mais ardemment ensoleillée cette fois. Tout autour montait doucement une prairie d'herbes touffues et de buissons. Aucun signe du village, vu d'ici. Dans l'arbre nichaient une myriade de petits oiseaux très vifs, violets, aux chants aigus et légers, comme un tapis sonore. Plusieurs couples d'oiseaux d'eau blancs au roucoulement doux et prolongé nichaient sous les roseaux, dans de véritables tunnels de fraîche verdure moussue. L'eau hébergeait des limaçons, des insectes patineurs virevoltants et des sortes d'anémones orangées ou rouge sombre. Ce lieu charmant était encore plus beau qu'ailleurs, tout imprégné d'émouvante Poésie, d'Amour de la nature pure et belle. Les éolis, aussi travailleurs qu'ils fussent, aimaient à s'y retrouver de temps en temps entre deux activités. Sans le leur dire, les éolis du village s'étaient entendus tous ensemble pour laisser les nouveaux éolis profiter seuls de ce doux endroit, et c'était là un fort gentil cadeau.

Ce premier vol d'éolis libres laissa Elnadjine essoufflée et rieuse, ainsi qu'Anthelme. Près de l'eau, ils ôtèrent prestement leurs robes et les posèrent avec leurs chapeaux-fleurs sur la mousse, en une composition spontanée et ingénue. Anthelme et Elnadjine venant pour la première fois hésitèrent à toucher l'eau, qui leur paraissait vivante. Nellio, Aurora et Algénio y coururent. Ils s'ébattirent joyeusement, avec leurs si beaux rires plus cristallins que le chant du ruisseau. Elnadjine se laissa flotter sur le dos, avec ses ailes comme nageoires. Ses cheveux, plus clairs que sa peau hâlée, étaient tellement abondants qu'elle flottait dessus. Aurora nageait, Algénio et sa compagne Liouna jouaient avec les anémones. L'eau était très propre, délicieuse, on pouvait la boire à même le ruisseau et faire provision de fraîcheur. Algénio et Anthelme furent les premiers à en sortir; ils disparurent en exploration dans les roseaux. Leurs blancs occupants étaient bien plus gros qu'eux, avec de longs becs orange, un peu comme des canards. En voyant des éolis ils gloussèrent de contentement et allongèrent leur cou pour se faire caresser. Nellio garde de ces moments privilégiés un souvenir très doux et très précis, qu'il aime à évoquer encore aujourd'hui...

 

Un moment plus tard, calmes mais revivifiés, ils se regroupèrent, allongés ou assis en lotus, silencieux, sur la mousse au pied du grand arbre, parmi les taches de soleil, extraordinairement réceptifs à la souveraine Beauté de cette nature si douce, éperdument abandonnés à toutes les sensations enivrantes qu'elle leur prodiguait: le souvenir de la fraîcheur de l'eau sur leurs épaules, la tiédeur du soleil sur leurs bras et leurs jambes nues, le scintillement d'une goutte, le doux et enivrant soupir de leur respiration, le battement éperdu de leur coeur, la senteur résineuse de la lande, la musique des oiseaux, le glouglou du ruisseau, le chatoiement des fleurs et du ciel infiniment bleu à danser de joie! Les montagnes lointaines s'y estompaient en silhouettes mauves, comme souvent quand la pluie tarde.

Nellio admirait son corps, bienveillant chef-d'oeuvre des créateurs inconnus d'Aéoliah; il passait un doigt le long de son bras gauche, à la peau mate et veloutée, aux courbes gracieuses. Aurora était assise en lotus sur sa gauche, il la voyait de trois quarts arrière. Ses longs cheveux châtains, frémissant de violet dans une tache de soleil, tombaient jusque sur la mousse en nappe ondulante, cachant ses ailes et son dos. Elle s'est penchée, découvrant une fine épaule rose satinée. Nellio en a admiré le galbe, la finesse, ému. Elle l'a senti penser à elle, et s'est retournée à demi, mais son sourire est resté en suspens...

Certes, les éolis s'aiment tous d'un Amour spirituel dès leur plus jeune âge. Ils aiment à s'encourager l'un l'autre, à s'entraider à progresser, à enrichir mutuellement les vibrations de leurs âmes, ce qui leur vaut un inépuisable Bonheur. A la naissance et parfois bien avant, on peut savoir qui sera compagne ou compagnon de qui, et cela se réalise toujours. Mais, c'est là l'autre événement de leur adolescence, quand il leur pousse des ailes, pour les jeunes éolis tout enivrés de merveilleuses sensations, l'amour s'étend sur d'autres registres.

 

Tout simplement.

Et Aurora et Nellio, pour un regard, devinrent éperdument amoureux.

Au fil des jours, au fil des travaux ensemble et des bains de mousse et de Soleil.

Le sage Anthelme et la splendide Elnadjine nouèrent un amour profond. C'étaient des âmes nouvelles, qui ne s'étaient jamais rencontrées avant Aéoliah. Ils en avaient de la chance de vivre cela.

Algénio et Liouna furent aussi amoureux, mais Algénio, tout intimidé, mit longtemps à agir en conséquence. Liouna l'attendit gentiment...

Elsignor et Elsigna, petit à petit concrétisèrent une aspiration qui les habitait depuis l'éternité.

Les éolis sont naturellement très tendres, et cela depuis leur petite enfance. Déjà entre simples amis, et même entre inconnus, il leur arrive de se caresser les cheveux, les mains. Le corps éoli est très propre et parfumé, son abord doux et chaleureux. L'amour éoli est pur et poétique dans tous ses registres.

 

 

Les nouveaux amoureux revinrent souvent à ce coin de mousse, aujourd'hui disparu, emporté par l'érosion qui l'a recréé ailleurs. Mais c'est de cette plage-là que Nellio se rappelle dans les moindres détails. Il se rappelle la première fois qu'il caressa les longs cheveux d'Aurora, le coeur battant à tout rompre, les joues brûlantes, elle plus émue encore. Les éolis amoureux débutants sont souvent d'une grande timidité! Il ne savait montrer son sentiment, mais il savait qu'elle le captait, et qu'elle savait qu'il savait, etc. La télépathie amoureuse complique délicieusement les choses!

 

Les nouveaux couples éolis construisirent leurs maisons. Nellio et Aurora avaient déjà planté la graine qui devait donner un petit potiron rose, un peu en contrebas de la terrasse du coton, et ils repiquèrent des fleurs indigo pour qu'elles le recouvrent. Ils creusèrent l'intérieur du potiron en une chambre ronde comme un nid, avec un lit ovale couvert de pétales de fleurs. Cela suffit pour la plupart des éolis dont les besoins sont bien modestes. Nellio aidé d'Alambo le peintre passa un vernis sur le potiron pour qu'il résiste plus longtemps, et peignit aussi l'intérieur en rose.

Anthelme et Elnadjine récupérèrent une longue courge qui avait servi comme rangement pour l'école; elle sentait encore bon la peinture et les enfants. Elle était creusée de deux pièces, façonnées en suivant la forme extérieure. Celle du fond fut naturellement leur nid. Anthelme souhaitait avoir une pièce d'étude, ce fut donc celle de devant. De nombreux pétales avaient servi aux enfants pour s'exercer à écrire, et personne n'avait le coeur de les porter au compost: même les ratages étaient si mignons! Elnadjine en fit des rideaux, en harmonisant les différentes couleurs.

Elsignor et Elsigna bâtirent aussi un tout petit nid d'amour, mais ils n'en peignirent pas l'intérieur, aimant la couleur pêche et le grain de la chair du potiron.

Algénio et Liouna installèrent le leur près de leurs cultures. Ainsi ils pouvaient les entendre pousser la nuit.

Nellio mit tout son coeur à réaliser la peinture de l'intérieur de son potiron. Alambo lui apprit différentes techniques: réaliser un dégradé en raclant une brosse spéciale, projetant ainsi de fines gouttelettes sur le mur. Une sorte d'Aérographe... Aurora serait heureuse de voir les murs se fondre doucement du rose au violet, jusqu'au plafond indigo, sa couleur adorée. Il y mit des étoiles. Nellio prépara ainsi la surprise, mais c'est lui qui fut surpris, le moment venu d'emménager! Il était amoureux baba et vraiment très ému. Quel bonheur, mais aussi quel trac! Vint le jour où tout était fin prêt. Aurora avait achevé le dessus de lit, sa surprise à elle. (C'est très difficile, les surprises, quand on est relié l'un à l'autre par l'esprit!) La peinture était archi-sèche. Nellio n'avait plus d'excuse: il lui fallait maintenant aller chercher Aurora. Il hésita longuement, délicieusement paralysé, le coeur battant la chamade. Il contourna et retourna sur son chemin. Enfin il atteignit la place du coton où Aurora l'attendait avec sa mère Elora et d'autres éolis, triant et cardant un beau coton orangé comme la Joie. En fait Aurora, triturant la même mèche depuis trois jours, avait l'esprit bien loin de son ouvrage! Bredouillant à moitié, il parvint à l'appeler:

«Aurora?

- Oui? Fit-elle, avec une gentille fausse note.

- Eh bien euh...»

Les autres éolis firent comme si de rien n'était, mais ils écoutaient, ravis, une si émouvante conversation, sans en perdre une miette...

«C'est la maison, vois-tu, elle est euh... terminée.»

Aurora sauta joyeusement sur ses pieds, mais retomba sur son derrière tant elle tremblait.

«C'est très gentil... On va aller... Et j'ai aussi une surprise!»

Il fallu d'abord aller chercher le sac chez Elora, la mère d'Aurora. Puis, trottinant avec, ils s'approchèrent de leur nouvelle maison. Elora ne les suivit pas, ni personne. Ce grand moment était entièrement à eux. Ils se tinrent sur le seuil de leur maison, enivrés par la suave senteur des fleurs qui la recouvraient déjà. C'était la fin de l'après-midi. Aurora entra seule la première, avec le sac. Elle ne dit rien, ne s'exclama pas. Mais Nellio ressentit intérieurement sa joie et son émerveillement. Il l'entendit s'affairer. Elle ressorti, tenant comiquement le sac vide sur son épaule, radieuse, plus belle qu'il ne l'avait jamais vue. Entrant à son tour, il vit le dessus de lit mauve, avec une triskèle et des motifs d'une complexité inattendue. La chambre était restée physiquement identique, mais le bref regard d'Aurora avait tout changé, tout chargé de doux sentiments, tout transfiguré. Nellio resta également silencieux, mais Aurora sut elle aussi son émotion.

Mais le meilleur était encore à venir.

Le soir, chacun cramponnant la main de l'autre, ils se trouvèrent soudain incapables d'attendre la nuit tombée pour aller dormir dans leur nouvelle maison. Ils n'allèrent pas chanter au village parmi les ombres mauves de leurs amis. La lumière rouge de la montagne du soir palpitait complice dans les roses du Couchant, tandis qu'à l'Orient l'anneau commençait à se dessiner. Ils se tinrent sur le seuil un moment, admirant mutuellement leurs corps si beaux. Aurora avait sa robe mauve, ses longs cheveux châtains ondulaient en nappe de chaque côté, son visage simple et rond s'émerveillait, tout entouré de rayons mauves par les pétales de son chapeau, auréole en fleur. Un fort et délicieux parfum émanait d'elle, que Nellio n'avait encore jamais remarqué. Leurs deux coeurs battaient puissamment, à l'unisson.

Nellio était aussi en mauve, juste un peu plus rose, ses cheveux et sa barbiche de la même couleur que ceux de sa compagne, mais courts, formant juste un rouleau de chaque côté, un peu façon dix-septième siècle sur Terre. Ils se caressèrent les cheveux, pleins de gratitude pour les créateurs qui leur avaient fait don de ces corps doux et parfumés, peau mate et chaude sous le tissu rustique... Ce moment sacré, ils l'avaient beaucoup attendu, mais sans hâte. Maintenant, le désir de se rapprocher se faisait pressant, sans qu'ils ne comprennent encore pourquoi.

Quand la nuit avancée ne leur laissa plus voir que des silhouettes, ils entrèrent enfin dans leur maison rose et violette. Le matelas de leur lit, en bourre de coton, reposait à même le sol. Ils l'avaient fait en creux car ils s'étaient bien dit qu'en dormant ensemble il serait bon de se nicher un peu l'un contre l'autre... Ne se doutant absolument pas de ce qui les attendait! Leurs parents et leurs amis avaient été d'une discrétion absolue: Aurora et Nellio, comme tous les jeunes éolis, étaient totalement ignorants de ce qu'était l'Amour la nuit, aussi ils étaient totalement libres de découvrir eux-mêmes les jeux d'Amour qu'ils voudraient et de laisser parler leurs corps et leurs coeurs. Quel plus merveilleux cadeau! Une surprise fulgurante, un feu ardent qui les submergea soudain, une volupté éperdue qu'ils goûtèrent dans toute sa divine plénitude...

 

 

Les Jardins d'Aéoliah

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Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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