Naufragée Cosmique        Chapitre 20       

Chapitre 20

* Réparation *

Brigitte-Aurora se réveille, sans doute vers minuit. Sa chambrette est pleine d'une douce lumière bleue, entrant par la fenêtre. Un suave parfum inconnu l'accompagne, et, très loin, peut être un rêve, à peine audible, une étrange et belle musique.

Encore ensommeillée, elle se lève et se penche à sa fenêtre. Au lieu du paysage nocturne habituel, elle trouve une sorte de couloir ovale, aux murs parfaitement lisses et mats irradiant cette belle lumière. Au fond, une porte mauve ferme ce sas, avec, juste au-dessus, une demi-sphère également bleue pendant du plafond.

Sans réfléchir, Brigitte-Aurora enjambe le rebord de la fenêtre, prend pied dans l'étrange couloir, remarquant machinalement qu'elle marche à trois mètres au-dessus de sa pelouse. Sans un regard en arrière, elle arrive contre la porte du fond, qui refuse de s'ouvrir. Ce matériau oppose à sa main une souple résistance, comme un gros ballot de mousse, sans qu'elle n'en ressente le contact sur la peau.

Dans la plus totale sérénité, elle constate alors que la porte par où elle est entrée (sa fenêtre) s'est fermée silencieusement. De ce côté elle est beige.

Prisonnière dans cet étroit compartiment, elle reste ainsi sans aucune pensée ni sentiment, en vide mental parfait. En plus il règne ici un silence délicieux, inimaginable, elle ne s'entend même pas respirer.

Puis elle se réveille tout à fait et se demande ce que signifie cette étrange réclusion.

Le globe au-dessus de sa tête luit maintenant de blanc et les tympans de Brigitte-Aurora se tendent désagréablement. Sans doute une adaptation de pression atmosphérique, pense t-elle, ce qui explique son isolement dans ce couloir.

Cela dure un bon quart d'heure, sans que rien d'autre ne se passe. Elle s'est adossée à la moelleuse porte mauve, qui soudain s'efface sous elle.

La voici dans une seconde pièce circulaire, également bleue, meublée de quelques sièges et autres objets dont elle ne devine pas l'usage. Une troisième porte bleue continue plus loin, éclairée de derrière par un vif et chaud Soleil qui irradie dans la pièce. Sur les côtés deux autres portes attendent aussi, fermées.

Yanathor est là, qui lui sourit, toujours simple dans son survêtement bleu-indigo.

«Ah! Yanathor!...

- Bonsoir, Aurora. Comme tu vois, j'ai tenu ma promesse. Nous voici à nouveau réunis. Tu en doutais un peu, n'est-ce pas?

- C'est que... Soupire Brigitte.

- C'est normal, il y a tant de pièges et d'illusions sur cette Terre. Es-tu heureuse de revenir chez toi?

- Chez moi? Oh oui, bien sûr, je...

- Tiens, regarde: on a même prévu de quoi t'habiller. Enlève ce pull et regarde ça.»

Il saisit dans un des placards une tunique bleu indigo, coupée à la mode éoline, mais à la taille de Brigitte. «Oh! C'est joli! C'est pour moi? Il y a même le grand chapeau! Donne vite, Yanathor! Juste dommage que je sois blonde, sinon je serais tout à fait comme Aurora!

- Ah ah! Ce n'est pas le même visage! Mais tes amis qui sont venus te voir t'ont tout de même reconnue, même danse des gestes, même chant de la voix... Même regard... Mais cette fois tu ne broderas plus un grand coeur qui cache l'étoile de la Sagesse! J'y tiens, dès ce soir tu broderas toi-même sur cette tunique l'insigne d'Aéoliah, un coeur de chair posé sur une étoile de Lumière...

«Tout à l'heure, dans le sas, la sphère blanche au plafond t'a fait subir un traitement, comme de te faire revêtir une sorte de scaphandre invisible, car si l'air d'Aéoliah ressemble à celui de la Terre, il faut tout de même stopper les microbes, traduire les paroles et même les parfums, dont les supports chimiques sont différents...

- Ça y est, Yana, je suis prête, regarde.

- Impeccable, tu es superbe! Assieds-toi là, mets-toi en méditation: je te demande juste une chose. Sens-tu comme des présences autour de toi?

- Oui, on dirait... Comme c'est curieux! Ça fait plusieurs jours que je ressent ça… C'est comme si j'étais sur la tribune d'un amphithéâtre... Il y a plein de gens qui sont là, comme pour regarder ce que je vais faire... Il y a des célébrités et des gens humbles, des penseurs et des gamins des bidonvilles, des Blancs, des Noirs, des Arabes, des Hindous, des Chinois... Ils sont tous là, ensemble, paisiblement, ils me regardent, ils se préparent à prendre des notes, à enregistrer... C'est une allégorie, n'est-ce pas, mais que signifie t-elle?

- C'est parfait, tout est prêt. Ecoutes: pour le moment, ne pense pas à eux. Ils ne te voient pas vraiment, c'est, comme tu l'as dit, une allégorie, et non pas des personnes réelles dotées d'une conscience. Alors sois toi-même, vis ta vie de la façon dont tu voudras, sans aucune gêne émerveille-toi. Je vais ouvrir la porte qui mène dans le compartiment des éolis. Es-tu prête?»

Après une légère hésitation, Brigitte, confiante en Yanathor, fait:

«Oui.

- Bon, alors allons-y.»

Sans que Yanathor n'ait fait aucun geste, la porte bleue s'ouvre, sur une autre pièce également circulaire, mais plus petite. Brigitte-Aurora s'avance, éblouie par la chaude clarté qui règne en ce lieu.

Contrairement à ce qu'elle a vu jusqu'à présent dans les vaisseaux, cet endroit semble bâti de pierre. Il y a là un lit avec des draps qui sentent bon la toile. La lumière entre à flot par deux fenêtres en forme d'oeuf, qui encadrent une porte juste fermée par un rideau. Elle découvre de là le plus charmant des paysages, celui qu'Ozoard a composé de son imagination pour les éolis pendant le voyage, tout couvert de fleurs, tout embaumé, plein de roches et de si mignonnes petites maisons éolines. Sur la vaste pelouse de mousse, les éolis jouent ensemble, tout simplement, volettent, méditent près de la mare, ou s'embrassent dans les arbres. Ils ont invité une ribambelle d'oiseaux, des grenouilles et des canards, des chenilles et des limaces, et tout cela rit, chante, gazouille. Comme les éolis sont fondamentalement incapables de rester inactifs, certains travaillent déjà avec les oiseaux pour confectionner des nids, ou dans la mare avec les grenouilles pour monter des petits bateaux propulsés à la palme. D'autres ont prévu du coton, de la couture, de la menuiserie, et le joyeux tap-tap des gouges rythme la mélodie des chants.

L'apparition de Brigitte-Aurora à la fenêtre provoque une véritable ovation. En un rien de temps la foule des éolis converge vers elle. Yanathor ne l'a pas suivie, lui laissant entièrement ce moment à elle seule. La porte bleue s'est refermée. Brigitte-Aurora a posé une main sur le bord de la fenêtre, un peu désemparée. Ah! Si sur Terre on la voyait, ainsi accoutrée, en compagnie de ces minuscules créatures qui l'acclament par son nouveau nom: «Aurora! Aurora!» en formant un cercle dans la mousse, à quatre mètres de la porte!

Intimidée comme seule une éoline peut l'être, Brigitte-Aurora se sent immédiatement attirée, poussée par la merveilleuse sympathie qui émane de cette adorable petite foule. «Je ne vous avais pas imaginés si nombreux! Combien êtes-vous?» Puis elle franchit la porte, toute embarrassée de son immense chapeau qu'elle accroche dans le rideau et fait tomber par terre. «Oh!»

L'immense éclat de rire soulevé par cet incident, bien loin de la blesser, communique une intense et sereine énergie à Brigitte-Aurora, qui rit à son tour. Souriante elle s'assoit dans la douce mousse, et les éolis se resserrent davantage vers elle. Tout de suite elle en remarque un... Que rien ne distingue pourtant des autres, un discret, aux courts cheveux bruns, vêtu comme elle d'indigo.

Soudain la foule se tait, respectueuse des sentiments de ces deux qui se retrouvent après douze siècles de doutes et d'angoisse, séparés encore par cette bizarrerie: Elle est dans un corps immense que lui ne connaît pas, et elle n'a gardé apparemment aucun souvenir de son union passée avec lui. Et pourtant elle le reconnaît.

«Alors tu es... mon amoureux?

- Oui, mon grand Amour!»

Ce jeu de mot involontaire déclenche derechef les rires des éolis, qui se taisent bien vite, tant l'instant est riche et intense!

- Et tu t'appelles...

- Nellio...

- C'est beau... Un humble petit lutin qui danse et qui danse et qui s'active à des merveilles discrètes... Je ne t'ai jamais vu de mes yeux, et pourtant... Je te reconnais. Souvent je t'ai vu, dans mes rêves d'enfance... Perdue dans les étranges boîtes à dormir de la Terre, j'étais une petite fille heureuse, et pourtant il manquait quelque chose... Comme un portrait sans visage, un rosier sans fleur, un nid sans oiseaux... Alors je rêvais qu'un jour viendrait un prince charmant qui m'emmènerait ailleurs, dans un pays chaud et vrai, joyeux et coloré... Et nous y voici!

- Pas encore tout à fait, mon amour, ici c'est le vaisseau des Gardiens Cosmiques. Chez nous c'est... encore plus beau. Et on s'amuse bien plus, à tous les travaux.

- Veux-tu, ami Nellio... venir dans mes mains?

- Oh oui», fait-il joignant à tire d'aile le geste à la parole.

Brigitte-Aurora cale ses coudes et amène ses deux mains et leur précieux contenu à hauteur de son visage. Leurs yeux se croisent.

«Comment... Comment cela s'est-il passé? Je n'ai gardé aucun souvenir.

- C'est... Reprend Nellio, les yeux embués de larmes, c'était une erreur... Tu étais heureuse avec nous, mais tu as voulu aider, comme nous le faisions déjà, tu as voulu aider toi aussi les Terriens... Mais tu ne t'étais pas préparée, tu ne savais pas... Alors tu es tombée dans un piège, et tu es restée là-bas, prisonnière d'une âme dans le mal... Depuis douze siècles.

- Douze siècles? Fait Brigitte-Aurora, incrédule.

- Oui, douze siècles. Tout ce temps que je t'attend.

- Ah! Quelle fidélité! Je... Je...

- C'est que... Nous nous aimons depuis bien plus longtemps que cela encore. Depuis toujours. Je me souviens, bien avant que nous ayons pris forme d'éolis, nous vivions dans un monde de pur sentiment. Mais sans doute tu ne t'en souviens pas non plus. Ce corps que tu occupes maintenant ne garde que les souvenirs de ce qu'il a lui-même vu.

«Oui, tu es tombée dans le piège d'une âme dans le mal, elle t'a entraînée avec elle, et il a fallu que tu sois sa compagne pour finir de trancher tous tes liens avec elle.

- Sa compagne? Tu veux dire qu'il s'agissait de... Frédérique?»

Liouna répond: «Oui, c'est lui. Tout ce que tu as vécu avec lui dans cette vie faisait partie de ton chemin vers la libération. En fait tu t'en es bien sortie. C'est une grande joie, car ainsi tu peut revenir avec nous.»

Nellio reprend: «Bien sûr ce corps ne ressemble pas à celui que tu avais quand nous vivions ensemble, mais moi aussi je te reconnais... Ta façon de t'asseoir, ton regard, la musique de ta voix... Tout me parle d'Aurora que j'ai connue en éoline. Seule la forme a changé.

- Mais, ami Nellio, Comment... Comment allons-nous vivre ensemble? Tu es bien petit!

- Mais non, c'est toi qui est immense, ma petite mignonne.

- Ah!

- Ne t'inquiète pas de cela, Yanathor va tout arranger. C'est quelqu'un, Yanathor, tu sais.

- Et comment va t-il faire? Il va me rapetisser?

- Je... Il te le dira.

- Alors, vous m'invitez à venir vivre sur votre planète...

- Nous t'invitons à revenir sur TA planète.

- ...

- Tu n'as jamais été de la Terre. Ta présence sur cette sombre planète n'était qu'un accident. Tu es d'Aéoliah l'harmonieuse.

- Ah! Voilà donc pourquoi mon destin était si différent de celui des autres Terriens!

- Pas vraiment. Durant tout ce temps, tu as été soumise aux mêmes lois que les autres Terriens. D'où bien des limites qui ont dû te paraître injustes.

- Mais tout me destinait à une autre fin. Et moi-même je comprenais des choses qui sont inaccessibles aux autres humains...

- Rien n'est inaccessible à aucun être humain, pas même au plus mauvais. Ce n'est qu'une histoire de masque à enlever, ou de bavardage à interrompre. Dans ton cas, ça t'était seulement plus facile, puisque tu avais déjà eu cette connaissance autrefois. C'était ton seul avantage par rapport aux autres humains de la Terre. Mais tous doivent bien comprendre ceci: tout que tu as fait, fondamentalement ils peuvent le faire eux aussi» fait-il en pointant un doigt vers les présences que Brigitte avait déjà remarquées.

Nellio, s'envolant à nouveau, vient se nicher... Dans le cou de Brigitte-Aurora, où il passera désormais une bonne partie de son temps, cramponné à une mèche de cheveux. Elle hésite à bouger, de peur de lui faire du mal... Il ne risque pourtant rien. Pendant un long moment, ils restent ainsi, en silence...

Puis, voyant un autre éoli s'approcher tout près d'elle: «Toi, je te reconnais, tu étais l'autre soir dans mon sanctuaire.

- Exact. Mon nom est Anthelme, on était très amis. Voici Elnadjine, que tu as aussi connue, nous sommes tous des amis d'enfance.

- Ah! Des amis d'enfance... Je n'en ai aucun souvenir, et pourtant vous m'êtes comme familiers... Il faut dire que Elnadjine, avec ses cheveux, on la reconnaît facilement!

- Ooooh!

- Aaaah!

- Ooooh, encore des jeux d'Amour, excusez moi, je ne savais pas. Mais vous en avez beaucoup, alors, et ça démarre au quart de tour. Et alors, mon ami Nellio, lui, il a... des gentils petits cheveux!

- Aurora qui fait un jeu d'Amour! Regardez!

- Oyooo-oh! Oyooo-oh! Aurora aime Nellio!

- C'est reparti!»

Nellio ne répond rien, se contentant de contempler son aimée de toute la troublante intensité de ses grands yeux sombres. La foule des éolis, frissonnante, respecte le silence pour ces âmes depuis si longtemps séparées et qui se retrouvent enfin...

Les éolis d'habitude si prompts à s'émouvoir et à se le dire, ont devant les grandes joies une sorte de délicatesse: Ils ne font rien qui puisse altérer l'intensité pure et délicieuse de ces instants privilégiés...

 

 

 

Yanathor paraît, suivi de ses amis. «Voici Auranaïa, Orgon, Yerda, et Ellebon. Ce sont eux qui ont aidé à notre mission de réparation, pour qu'Aurora puisse retrouver sa planète.»

Brigitte-Aurora contemple Auranaïa, stupéfiée comme pour la première fois par son rayonnement si pur et si intense, son apparence immatérielle. Tous les six grands et les deux cents petits font une sorte de grande ronde joyeuse, puis Yanathor annonce:

«Départ pour Aéoliah! Etes-vous prêts?

- Oui! Oui!

- Brigitte-Aurora, que je t'explique: Le temps est ici suspendu, depuis le moment où tu es entrée dans notre vaisseau, jusqu'à celui où tu en ressortira sur Aéoliah, ou sur Terre, selon ton choix. Ainsi, dans le second cas, il n'y aura aucune perturbation dans ta vie terrienne. Nous sommes ici hors du temps universel.

- Les petits éolis! Venez tous, il va y avoir du beau spectacle!» Chante Auranaïa, de sa belle voix si pure. Insensiblement la lumière baisse. Tous se disposent sur la pelouse, assis en lotus, Yanathor plus près du centre, le regard levé vers le plafond dôme qui ressemble tant à un ciel. Les éolis se regroupent par affinités, faisant cercle autour de Brigitte-Aurora, Nellio toujours sur son épaule, et les autres Gardiens derrière.

Au grand étonnement des oiseaux, qui ne savent plus quoi pépier, la luminosité diminue, puis ce soleil artificiel disparaît tout à fait. C'est au tour des éolis de s'exclamer, lorsque leurs yeux accoutumés à l'obscurité découvrent le paysage nocturne, à travers le dôme. La petite maison de Brigitte, entre les arbres, et le village voisin, tout éclairé même à cette heure avancée de la nuit. Au ciel les constellations de la Terre lancent leur éternel et envoûtant appel au Bonheur. Un silence magique règne, ponctué par le cri d'une chouette.

Puis, comme à l'accoutumée sans que Yanathor ni personne d'autre n'ait fait le moindre geste apparent, la scène se déplace, ou plus exactement le vaisseau, mais on ne ressent pas la moindre accélération, exactement comme au cinéma. Les éolis frissonnent et murmurent, car rapidement la vue devient grandiose, sur toute la campagne environnante, villages illuminés, rivières argentées, routes jalonnées de lucioles jaunes et rouges. Un train de nuit, petite chenille lumineuse, fonce dans le noir.

Brigitte-Aurora frissonne d'émotion. Sa planète, si belle, si lourde d'Espoirs et de souffrances, dans sa difficile et incertaine grossesse d'un monde harmonieux et paisible. Tant d'âmes encore assoupies, tant de Bonheurs à construire, tant d'illusions à dissiper!

A chaque seconde la vue s'agrandit encore, comme le puissant vaisseau prend de l'altitude. Ce sont maintenant des villes, des réseaux de routes illuminées qui forment une splendide dentelle de lumière sur fond de velours noir, répondant aux constellations. La vue s'étend vers l'Europe, et bientôt l'Afrique, l'Union Soviétique, les Pays Nordiques, au fur et à mesure que le vaisseau découvre la rotondité de la Terre. Vers l'Arabie et le Sahara brillent de rouges torchères, et au grand nord ondulent et frémissent des nappes d'aurores violettes. Plus au sud, les feux de brousse de l'Afrique forment une résille rouge. Même si ces lumières, les éolis le savent, sont signes de destruction, de pollution, ils ne peuvent s'empêcher de s'exclamer, tant la vue est belle.

Brigitte, et sans doute aussi les éolis qui participent à l'étrange rituel, sent à nouveau derrière elle la présence de l'hémicycle attentif, qui contemple et évalue les dégâts, sans passion mais soigneusement. Il semble ne pas penser, ne pas éprouver d'autre sentiment que d'être plein de bonnes résolutions.

Soudain, au-dessus de l'Inde et de la Chine, l'horizon rosit, devient un arc de lumière majestueuse: le lever du Soleil éclate en quelque secondes d'un spectaculaire flamboiement de couleurs successives. Le vaisseau contourne maintenant la Terre, pour se placer du côté éclairé: l'Extrême-Orient, l'Australie, le Pacifique.

«Qu'elle est belle!

- Elle ressemble tant à Aéoliah!

- Mais les nuages font des tourbillons et des dentelles, au lieu d'un arc.

- Terre! S'exclame Brigitte-Aurora. Puissent tes habitants s'éveiller au vrai Bonheur!»

Le mouvement s'accélère encore, le disque de la Terre s'amenuise déjà, celui de la Lune l'accompagne. Puis, comme le vaisseau tourne pour prendre son cap, toutes les étoiles du ciel basculent ensemble. Le Soleil passe dans le champ, déjà il n'est plus éblouissant. Aucune planète du système solaire n'est plus visible, seulement les constellations qui semblent immobiles. Maintenant, tout ce que Brigitte-Aurora va voir est du domaine de l'inconnu...

Ce n'est qu'au bout d'une minute environ que les étoiles les plus proches s'écartent lentement de l'avant du vaisseau. Petit à petit, d'autres étoiles s'animent, les plus proches migrant vers les côtés.

Brigitte-Aurora ne peut s'empêcher de gémir devant ce prodigieux spectacle que bien peu d'humains avant elle ont eu le privilège de contempler. Les éolis eux aussi retiennent leur souffle, et même Yanathor et ses marins du cosmos ne détachent pas leurs yeux de la voûte céleste soudain animée, vivante! Déjà une étoile glisse vers l'arrière et disparaît. Une petite proche soudain luit et trace un rapide filet de lumière, tandis que d'autres plus brillantes mais plus lointaines dérivent lentement. Brigitte-Aurora, émue aux larmes, contemple enfin le ciel d'un autre point de vue que depuis de son berceau terrestre!

Le plafond-dôme ne leur retransmet pas que les images: chaque étoile a ses vibrations, parfois hermétiques aux sentiments humains, et tous les ressentent distinctement. Les étoiles habitées rayonnent beaucoup plus fort que les autres, de sentiments tantôt étranges tantôt plus familiers, mais, à de rares exceptions près dominées par une intense Félicité.

Bientôt c'est une pluie d'étoiles que le vaisseau traverse, de plus en plus vite. La lumière des étoiles s'intensifie et celle des nébuleuses devient visible. Brigitte-Aurora reconnaît distinctement l'amas des Pléiades, avec ses nuages bleus, qui glisse maintenant devant les braises et les émeraudes d'Orion. Comme ils remontent le bras galactique d'Orion, d'autres nébuleuses et amas défilent devant eux, en une colossale et profonde féerie animée, dont les plates photos des télescopes ne donnent qu'une bien piètre idée! Comme la vitesse augmente encore, les étoiles défilent si vite qu'on n'y distingue plus que les géantes et les grosses Wolf-Rayet du bras galactique, phares solennels perdus dans la neige rapide des millions d'étoiles ordinaires.

Ah quel fantastique paysage s'offre à leurs yeux! Mais surtout, à chaque oasis de vie, quel choc délicieux, quelle révélation unique, ou quelles retrouvailles familière! Quelle alternance époustouflante de sensations si différentes qui s'exaltent les unes les autres! Et surtout, dans le Cosmos immense, quel incroyable foisonnement de vie, quelle inimaginable et rassurante diversité! De temps à autres, une bouffée de grisaille malodorante, un trou de malheur les éclabousse l'espace d'un instant, quand ils croisent une de ces planètes où des âmes sont encore enfermées dans leur psychologie.

Cette neige cesse progressivement, comme ils quittent le plan galactique. La voie lactée, changeant de perspective, devient un ovale de lumière, puis un cercle, flamboyant d'ors (dans le bulbe) et de bleus (dans les bras) Alors tous s'exclament, tant cette vision est féerique! Tant de Soleils, tant de planètes, tant de vie, tangible, enthousiasmante, tenant ainsi dans cette image simple, mais si grandiose et si belle! L'un des bras s'allonge un peu plus en direction des Nuages de Magellan, petites galaxies satellites. La Galaxie d'Andromède, aux bras moins marqués, entre à son tour dans le champ de vision. Ce couple de galaxies est aussi accompagné d'une douzaine de galaxies moyennes ou naines à l'entour, villages de lumière et de vie répondant aux deux grandes joyeuses et claires cités cosmiques.

Les autres galaxies de l'arrière-plan brillent aussi, mais en plus petit; Bientôt Andromède et la Voie Lactée ne sont plus que deux îles parmi d'autres d'un plus vaste archipel; puis, le mouvement s'accélérant encore et encore, c'est une autre neige, de galaxies cette fois, qui défile dans le dôme du compartiment des éolis. Le flot de sentiments s'uniformise en une joie pure et sereine, qui, au-delà de toutes les fluctuations émotives, s'élève jusqu'à l'extase parfaite. Un profond roulement, un sourd charroi semble emplir l'espace: les déformations gravitationnelles que l'on traverse à une si énorme vélocité.

Puis l'incroyable mouvement ralentit. L'étonnante disparité de l'univers frappe particulièrement l'attention, à ce moment: les galaxies, presque totalement absentes de vastes régions, sont ailleurs par milliers, pelotonnées à se toucher, ou semées le long de grands voiles, en lâche réseau, en groupuscules. Celle d'Aéoliah est dans l'un de ces petits groupes, quelques spirales et une ribambelle de petites circulaires ou irrégulières orbitant toutes ensemble autour d'une géante sphérique. Laquelle est celle d'Aéoliah? A moins d'une longue habitude, il serait bien difficile de la reconnaître dans ces perspectives mouvantes. Disons qu'il s'agit d'une belle spirale, régulière, légèrement barrée, au bulbe important. Ce n'est que quand le mouvement du vaisseau la désignera que l'on pourra savoir.

En attendant, tous contemplent, muets, extatiques, cette fantastique vision des galaxies grossissant avec l'approche, scintillantes de supernovae comme des feux d'artifices, selon le temps fortement accéléré par le rapide mouvement du vaisseau. Même les nébuleuses des bras spiraux palpitent, et les planétaires explosent et se dissipent comme des bulles irisées, vertes, oranges, rouges, mauves, en une fabuleuse symphonie de couleurs...

Maintenant le mouvement se ralentit et sa direction désigne la galaxie Aéolienne, qui enfle et finit par occuper tout le champ de vision. Petit à petit, le vaisseau entre dans le plan galactique, et les différents bras font comme une série de barrières devant. Soudain, alors que tout paraît presque immobile, se ruent sur le vaisseau, à une prodigieuse vitesse, les étoiles individuelles, gerbes d'étincelles, souffle de feu... Des amas globulaires dérivent sur les côtés, scintillantes citadelles du cosmos.

Le vaisseau traverse les bras spiraux perpendiculairement, et chaque rencontre voit se redoubler l'averse insensée des étoiles, tandis que les nébuleuses roses ou mordorées entrouvrent leurs voiles diaphanes qui s'écartent à droite et à gauche, inconsistants comme des rêves. Ces lieux de gestation et de mort des étoiles vibrent pathétiquement, en compagnie toujours de toutes les variantes d'extase ou de jubilation de tous les habitants des innombrables planètes...

La pluie d'étoiles ralentit, devient paisible dans ce petit coin près du coeur galactique où fourmillent une myriade de Soleils jaunes, oranges, blancs. Se frayant un chemin dans cette foule innombrable, chaude et joyeuse malgré quelques trous gris, le vaisseau en désigne enfin une qui grossit, devient Soleil, tandis que les autres s'immobilisent dans le dessin familier des fantasques constellations éolines.

«Aéoliah! C'est Aéoliah!» S'exclament les éolis, heureux comme s'ils retrouvaient leur planète après des années d'absence, alors qu'ils ne l'ont quittée qu'à peine deux heures plus tôt.

Comme le rayonnement de l'astre s'enfle, devient gloire, joie, lumière, chaleur, un globe bleu défile de côté: une des grosses planètes extérieures du système Aéolien. Enfin émerge de ce flot de lumière un croissant: Aéoliah! Tandis que les éolis entonnent un doux chant d'Amour de leur planète, celle-ci grossit, dévoilant ses détails, l'anneau, les complexes systèmes nuageux, les subtiles variations de teintes des océans, et bien sûr toute la géographie des continents et des myriades d'îles: montagnes, fleuves, forêts, lacs innombrables, certains brillant au soleil comme des diamants enchâssés dans de l'émeraude.

Puis, dans une émouvante perspective, le vaisseau entame une longue glissade au dessus des vastes forêts humides du centre du septième continent, au dessus des entrelacs de fleuves dont le flot paisible change de sens selon le cycle des pluies. Bientôt l'horizon bleuit, puis le ciel. Les montagnes où vivent nos amis se lèvent devant, avec en avant-garde le pic rose à l'est du village qui, vu d'ici, est une impressionnante montagne.

Le vaisseau la survole, tandis que se déploient les vastes chaînes au sud, au nord. Enfin il s'immobilise dans le paysage que nous connaissons bien, au sud du village, laissant la vue libre vers le Nord, vers Irizdar et la Montagne du Soir.

Brigitte-Aurora, qui découvre cette splendide vision pour la première fois, ne trouve aucun mot pour décrire son émerveillement. C'est semblable à la Terre, et en même temps si différent. Le galbe des montagnes, l'élan des plis de terrain sont plus poétiques, plus vivants; les rochers, au lieu de simples entassement, construisent des châteaux fantaisistes, un peu rigolos. Les couleurs incomparablement plus pures, vibrent des verts vifs et lumineux de la végétation aux roses, ocres et mauves des roches, surmontées du bleu profond et émouvant du ciel immaculé... Mais Brigitte-Aurora est trop étonnée, trop enthousiasmée pour penser qu'elle pose pour la première fois ses yeux de Terrienne sur une autre planète, fascinée qu'elle est par la virginité provocante et sereine de ces immenses forêts, de ces croupes de collines vertes, des creux ombragés, des prairies festonnées, semées de petits arbres. Nulle part de route, de clôture, de remblais ne viennent troubler l'innocente Poésie des fantasques ondulations du terrain, de ces agrestes fantaisies d'arbres multicolores, de ces prairies couvertes d'arc-en-ciels floraux.

Le vaisseau a progressivement diminué son altitude jusqu'à quelques dizaines de mètres, et, stupéfiée, Brigitte-Aurora découvre, comme si le dôme n'existait pas, le formidable Silence vivant de cette planète, tout peuplé des seuls bruits harmonieux de la nature vibrante: légers craquements et chuintements des arbres se gorgeant de Soleil, mélodieux appels des myriades d'oiseaux qui peuplent les immenses forêts vierges... Que de tels lieux inimaginablement beaux et purs puissent exister, définitivement à l'abri de toute main destructrice, est un baume sur le coeur de Brigitte-Aurora...

Même l'air arrive dans ses narines, sur ses joues. Elle n'a jamais rien senti de si parfumé, de si vivifiant, si pétillant, si léger... Cet air incomparablement plus fluide que celui qu'elle connaît laisse dans ses poumons une inexprimable énergie sereine et joyeuse, de Liberté, de Santé...

«Oh mais quel prana» fait-elle, juste avant de s'apercevoir que tous ont les yeux fixés sur elle, communiant avec sa délicieuse surprise, avec l'énergie fluide et claire qui s'épand langoureusement dans son corps et dans son âme.

Que faire de plus, face à tant de splendeur, face à tant de vie simple et joyeuse, que de rester immobile, longuement, tournant la tête de droite et de gauche, une larme hésitant au bord de la paupière?? Et les Gardiens, et les éolis qui la regardent silencieusement, tout entiers avec elle, avec sa joie, avec son émerveillement! Et ce petit Nellio, toujours niché contre son cou, immobile!

L'émotion est si puissante, il faut vite un geste, quelque chose pour l'exprimer. Brigitte cours se réfugier dans les bras d'Auranaïa, mais là c'est encore plus fort, la sublime émanation de la fée galactique amplifie encore l'Emerveillement de Brigitte-Aurora, qui pleure longuement toute sa Joie. Yanathor vient la rejoindre, puis les autres éolis qui se juchent sur leurs épaules... C'est un moment d'émouvante tendresse, au-delà de ce que peuvent dire les mots, aussi nous ne chercherons pas à le raconter...

 

 

Yanathor finit par chuchoter, sans même couvrir les joyeux trilles des oiseaux: «Aurora a retrouvé sa planète.» Puis, encore un peu plus tard: «C'est aussi une grande joie pour nous.

- Ah, c'est surtout une merveille pour moi. Quelle Beauté! Dire que la Terre pourrait être aussi belle!

- Elle l'est déjà, quelque part.»

Petit à petit, les éolis reprennent leur joyeux entrain, voletant partout. Même le toc toc d'un outil s'y remet. Seuls les proches d'Aurora restent avec elle, et commencent à lui parler de leur vie sur la belle planète qu'ils contemplent par le dôme-fenêtre. Les Gardiens Cosmiques se retirent discrètement, juste Yanathor s'excuse que les images qu'ils voient soient du passé, mais il ne peut en être autrement car dans le compartiment le temps est arrêté.

«Oh, mais c'est un passé pas frais, regardez, il y a encore le grand mireilher.

- Un mireilher? Il pousse des Mireilles après cet arbre?

- Non, des mirettes. C'est un petit fruit rouge très bon, qui ressemble à vos merises, mais on n'en mange pas souvent car les mireilhers sont rares. Celui-ci est mort il y a plus de mille deux cents ans. Je m'en souviens, c'est un frisson d'Aéoliah qui l'a fait tomber.

- Ah!

- A cette époque tu étais déjà là en Aurora. Regarde! Te voilà!

- C'est... C'est moi?

- Oh oui, c'est bien toi. Regarde, tu fais un bisou à Nellio. Mais des bisous comme ça on s'en fait à tout le monde.

- Et comme ça?

- Ah non, pas comme ça. Là c'est juste entre amoureux.

- Et là, qu'est-ce que je porte? On dirait... Des quenouilles!

- Oui, des quenouilles. Plus exactement, ce sont des chutes de fils. Quand on assemble la trame sur le métier à tisser, les fils ne sont pas tous exactement de la même longueur, alors on coupe les plus longs. Et les chutes servent à des petites coutures, ou à faire des franges. On dit que ça finit en quenouille.

- Et là, oh quel gros potiron, mais... Il y a une porte! Ah! Ce sont vos maisons!

- Eh ben oui, ce sont nos maisons.

- Oh, que c'est chou!

- Non, pas un chou, un potiron. Mais pourquoi tu ris?

- Ah ah! J'avais compris, c'était pour dire que c'est très très mignon, qu'on en mangerait.

- Non, ces potirons-là ne se mangent pas, ils sont trop durs. En fait selon vos noms, ce seraient plutôt des calebasses.»

Yanathor reparaît, le temps de lancer à Brigitte-Aurora: «N'oublie pas, petite mignonne, que c'est ton scaphandre qui traduit, sinon tu ne comprendrais rien au langage éoli. Mais si vous faites des calembours, le résultat peut être assez imprévisible!

- Je n'ai vraiment pas l'impression de porter un scaphandre! Jamais au contraire je ne me suis sentie aussi libre, en contact aussi intime avec la nature! Comment peut-il traduire?

- Bah, c'est comme le reste. Il synthétise des sons, exactement comme il le fait pour les images. Pour le sens des mots, il est en communication avec le cerveau de notre vaisseau.

- Un ordinateur?

- Bien plus. Il est vivant.

- Ah! Ce doit être un truc bougrement compliqué. Tu m'expliquera ça, plus tard.

- Bien qu'il n'ait rien à voir ni avec votre informatique, ni avec vos circuits, vos électroniciens pourraient s'y retrouver facilement, si toutefois la science terrienne acceptait l'Esprit.»

Yanathor toujours souriant, s'éclipse et Elnadjine reprend: «Oh! Regarde! C'était... Je me rappelle, c'était tout à fait au début, on était des adolescents... Ooooh là làààà qu'est-ce qui nous a pris ce jour-là, on devenait tous amoureux!

- C'est au bord d'un ruisseau, une petite plage de mousse, on est tous nus pour le bain... Il y a Nellio, moi, et puis... Ah toi, Elnadjine, on te reconnais bien avec... Euh, hum.

- Et nous deux, Algénio et Liouna.

- Vous vous rappelez, mais pas moi. Et pourtant, une sorte de nostalgie m'envahit, à la vue de cette image...»

Les éolis respectent ce sentiment, par un long silence. Puis Elnadjine explique:

«Ce corps n'y était pas, il ne se souvient pas, mais ton âme l'a vécu.

- Oh, je ne vois toujours pas comment je pourrais vivre parmi vous sans être de votre taille! J'ai toujours peur de marcher sur l'un de vous!

- Pas de danger, on est avertis. Il n'y a jamais d'accident sur Aéoliah, vois-tu. Pour le corps, Yanathor t'expliquera. Mais il veut d'abord attendre trois jours, avant de te demander ce que tu comptes faire.

- Ah! Il faudra voir ça.

- Et là, regarde, Aurora, c'est le tissage.

- Oh, quel balaise de potiron, on n'en a pas des si gros sur Terre. Et dedans... Ah! Que c'est potiron! Tout un atelier de tissage! Eh! Ce que ça turbine, qu'est-ce que vous vous marrez!

- Regarde qui tient le peigne.

- Mais c'est... Ah! C'est encore moi. Mais c'est toute une organisation, chacun manie une pièce du métier. Je reconnais vous deux, là, aux lisses.

- Sélina et Sélinao. On y est toujours. Le tissage, c'est une danse joyeuse, au rythme de la navette. Toc-toc, toc-toc, toc-toc, toc-toc...

- Et quand c'est sur une autre planète, alors, c'est une navette spatiale?

- Ah? Ce calembour a dû être mal traduit, on ne voit pas de quoi il s'agit. Ah, si, la grosse fusée. Ah! Ah!

- Hey, même l'ordinachose du vaisseau de Yanathor n'arrive pas à traduire les plaisanteries. Il faut dire que c'est là un domaine essentiellement... spirituel!»

 

 

* * *

 

 

Il serait bien trop long (et parfois difficile) de raconter en détail tout ce que Brigitte-Aurora a vécu pendant ces trois jours hors du temps dans le vaisseau des Gardiens Cosmiques; ce fut trois longs et merveilleux jours d'intense Bonheur, de communion avec ses amis éolis, de réminiscences de lointains souvenirs, de douces émotions dont chacun gardera un souvenir atendri, comme des plus beaux instants de sa vie...

 

Ce fut aussi trois jours d'étude et de travail, car souvenons nous bien que le retour d'Aurora aurait pu se faire plus simplement, et surtout bien plus tôt: toute cette organisation était en fait pour la mission qu'elle avait choisi d'accomplir sans s'en rappeler, et qui exigeait bien quelques sacrifices.

Là aussi nous ne pouvons tout rapporter, ce serait également trop long, et de toute façon, les Chevaliers Cosmiques ne m'ont pas autorisé à tout divulguer dans ce livre! Nous ne rapporterons donc que quelques petits exemples des nombreux enseignements dispensés par les Gardiens Cosmiques à cette occasion. Ces précieux enseignements seront diffusés publiquement à l'intention des Terriens quand les temps en seront venus, bientôt pour certains, plus tard pour d'autres. (Note de l'auteur: Yanathor a tenu ses promesses: certains le sont déjà, lorsque je traduis ces livres en anglais, en 2021)

 

«Dis moi, Yanathor, nous avons volé bien plus vite que la lumière?

- Oui. Si on va plus vite que la lumière, Einstein n'a plus le temps de nous voir passer, alors il n'y a aucune objection à continuer. En fait notre vaisseau n'est nulle part dans l'espace, il en est aussi séparé qu'en est un rêve ou un de ces espaces vectoriels des mathématiques. Rien alors n'interdit de capter des images de n'importe quel point de l'espace ou du temps. C'est ce que nous faisons, de façon à donner le spectacle d'un voyage. Mais en fait, pour aller de la Terre à Aéoliah, nous ne sommes absolument pas obligés de traverser l'espace qui est entre les deux. C'est plus sûr, d'ailleurs, car il n'est guère possible d'y aller plus vite que vos fusées-escargot sans être certain de s'écraser sur des météorites ou des comètes à peine le voyage commencé. Nous vous montrons ce voyage, c'est parce qu'il est très beau, et aussi parce que les psychismes des gens des planètes ne sont pas faits pour vivre ainsi hors du temps et de l'espace. Je dis ça pour ceux qui sont derrière toi, Brigitte, et qui notent tout sur leurs calepins pour que les savants des siècles prochains puisent réaliser la Grande Unification: celle de la science physique et de la spiritualité. Déjà ils se rendent compte que la matière et l'espace-temps ne sont pas deux entités séparées et indépendantes, mais qu'ils sont l'expression d'une même nature unique fondamentale, et approche le moment où ils verront qu'ils ne sont que des manifestations de l'Esprit».

Yanathor commente ensuite le fonctionnement des vaisseaux cosmiques, que nous avons déjà vu aux chapitres précédents, où il l'a expliqué aux éolis: «Ces égrégores opérationnels dont sont faits nos vaisseaux ne sont pas notre création. C'est une chose qui existe naturellement, du simple fait qu'il y a des êtres conscients dans cet univers, car la réalité de la conscience peut être suffisamment forte pour prendre le pas sur la réalité de la matière. Nous n'avons fait que l'amplifier et l'apprivoiser, par la maîtrise de notre esprit, par la cohérences de nos comportements, par la pureté de nos pensées et de nos idéaux, qui rendent l'égrégore suffisamment fiable et puissant pour l'utiliser. Nos vaisseaux et toute notre Cité des Etoiles n'existent que parce que nous y pensons de manière cohérente! Ce phénomène se produit aussi sur la Terre, mais comme peu de personnes ont une maîtrise suffisante de leur esprit, et que peu ont un alignement correct avec le plan divin, alors il se manifeste de manière sauvage, incontrôlée, toujours élusive, parfois dangereuse. Cela donne ce que vous appelez les ovnis, les apparitions d'elfes, ou de la Vierge Marie, etc...

«Le contenu de ces manifestations se crée de la même façon que celui de vos rêves nocturnes, et il correspond à certains types de fantasmes, préoccupations ou archétypes de formes présents dans l'humanité. Ce phénomène tend à se manifester naturellement lorsque des personnes ont leur première ouverture spirituelle. Mais il cesse bien vite, car aussitôt votre mental s'empare de cet éveil naissant, comme nouveau matériau pour continuer son cirque intérieur, pour vous faire devenir des «spiritualistes» avec pleins de belles opinion spiritualistes, mais surtout pas éveillé. Quant à diriger ce phénomène, il faut un niveau de maîtrise de l'esprit qui correspond logiquement à celui où on dirige les rêves. Autant dire que vous avez encore du travail, et même les éolis n'en sont pas tous capables.

«Au risque de décevoir certains, ces phénomènes ovni et similaires ne sont que des projections, un cinéma, une sorte de réalité physique temporaire. Ce ne sont toutefois pas des hallucinations, c'est bien d'un phénomène physique réel dont il s'agit, qui interagit avec la réalité concrète, comme vous pouvez le constater avec les traces au sol, photos, échos radar, traces ou brûlures sur le corps des témoins... Quant aux images d'extraterrestres, Vierge Marie, elfes et autres, ils ne sont aussi que des manifestations temporaires de vos idées à leur sujet, mais pas des êtres conscients, pas des personnages réels. Même leurs messages ne sont que des projections d'idées déjà connues, ou à la rigueur émergeant dans la conscience collective.

«En ce qui concerne les vrais extraterrestres, des peuples vivant physiquement sur d'autres planètes, certains penseurs Terriens ont supposé qu'ils ne se manifestent pas sur Terre car ils obéiraient à un principe de non-ingérence. Ce n'est pas trop mal trouvé, mais la réalité exacte est qu'ils obéissent à un principe de non-action, et ils attendent logiquement que vous leur répondiez de même. Donc aucun contact sérieux ne pourra réellement se produire tant qu'une majorité de Terriens fantasmeront avec de violentes émotions sur les extraterrestres, ce qu'ils peuvent être et ce qu'ils pourraient apporter sur Terre. Le caractère élusif et frustrant des rares contacts ne fait que refléter le caractère élusif et volatile de votre sagesse. Actuellement, pour les peuples de l'espace, la Terre est un endroit désagréable à fréquenter, où ils n'ont aucun intérêt à venir. Ils n'ont même pas de «motif humanitaire» ou d'aide à apporter, car quoi qu'ils diraient ou feraient pour vous aider, cela serait immédiatement déformé et détourné à du n'importe quoi. Pire, dans l'aura de la Terre il devient difficile de contrôler les égrégores opérationnels des vaisseaux, et nous mêmes n'y allons qu'en secret, en prenant des précautions draconiennes.

«En clair, si vous voulez des contacts authentiques avec le reste de l'univers, il vous faudra d'abord contrôler vos pensées vagabondes et vos opinions fantaisistes sur le sujet. Et les incroyables projections et attentes des «pro-extraterrestres» nous gênent bien plus que l'hostilité primaire des «anti-extraterrestres». Et bien entendu, en plus de la non-action, un tel contact ne peut avoir lieu qu'en harmonie avec la vie, en cohérence avec la sagesse. Vos problèmes psychologiques, vos «impératifs économiques» et vos conflits à la noix n'intéressent absolument personne, et encore je reste poli.

«Bon, il faut tout de même tempérer un peu ce que je viens de dire. Il peut arriver que des entités réelles tentent de se manifester en utilisant ces phénomènes d'ovnis, de contacts, d'esprits de la nature. Tout comme dans vos rêves, certaines de ces apparitions peuvent être réelles, significatives, ou être d'authentiques prémonitions. Mais il n'en résultera rien de stable ni de constructif tant que votre esprit ne sera pas suffisamment stable dans sa sagesse. En attendant il vaut donc mieux ne pas trop vous préoccuper de ces choses. Par contre, depuis la nuit des temps de véritables êtres spirituels apparaissent couramment et régulièrement à des terriens d'évolution suffisante, mais ça c'est une chose intime qui se déroule en secret, qui ne laisse aucune trace historique ou archéologique.

«Sachez tout de même que, sur la Terre, vous êtes assez débrouillards pour un jour maîtriser vos esprits, domestiquer ces forces et construire des vaisseaux comme les nôtres, et alors un prestigieux destin vous attend. Mais tout cela bien sûr seulement si vous acceptez de vous affranchir du mal en vous.

- Sinon?

- Sinon, au cas où vous tenteriez de sortir de votre système solaire pour emporter le mal ailleurs, nous avons ordre de vous en empêcher par tous les moyens nécessaires. Votre contrat a des limites à ne pas dépasser. OK?

- Bon, j'ai bien fait de partir, plaisante Brigitte-Aurora.

- Ah ah! Ne t'inquiète pas, si de telles options extrêmes s'avéraient inévitables, tout a été prévu pour protéger les âmes qui en valent la peine. D'ailleurs il ne s'agirait pas de détruire physiquement la Terre, ni même les corps des Terriens fautifs: simplement on emmène leurs âmes. Plouf, d'un coup plus de direction. Les corps, réduit à la seule mécanique biologique, continueraient à s'agiter quelques jours, à coter les actions en bourse où à regarder la télé, mais bientôt ils mourraient, faute d'âme pour continuer à vivre. Il n'y aura pas de guerre cosmique: nous pouvons intervenir tout à fait proprement, mais de la manière la plus radicale et la plus imparable!

- Brrr!

- Bon, si on en arrivait là, on s'arrangerait tout de même pour assumer les conséquences. Tout irait bien pour les survivants, on pourrait même les aider à réorganiser l'économie, les télécoms, les écosystèmes, ou si il y a trop de casse les transporter sur d'autres planètes à leurs niveaux.

- Et, par exemple... Les déchets nucléaires? Vous pourriez les dématérialiser?

- Bonne question! Avouez que par votre entêtement irresponsable et votre haine de la vie, vous vous êtes mis dans de beaux draps, avec ces déchets indestructibles et indécelables par aucun sens de votre corps! Joli cadeau pour les générations futures, qui sont condamnées à entretenir des usines de la mort pendant dix millions d'années, sous peine de tous mourir de cancer à quarante ans! Bien pire, si ces déchets sont dispersés dans les écosystèmes (il y en a déjà bien trop) c'est la pullulation des maladies génétiques qui finira rapidement par rendre toute civilisation impossible. Des pays entiers inhabitables (comme l'Ukraine avec Tchernobyl, et bientôt peut être la France ou les USA) leurs habitants chassés de partout comme des pestiférés, neuf bébés sur dix atrocement malformés ou idiots, les survivants tous génétiquement suspects, traqués par l'eugénisme et l'euthanasie devenus impératifs de survie, avec tous les risques de déviation fachiste que cela implique... C'est sans doute, et de fort loin, le plus grave et le plus irréparable de tous les crimes contre l'humanité qui aient été commis jusqu'à présent. Hitler, Staline et même Mao sont fort loin derrière, avec leurs petits camps bricolés qui ne font plus de mal à personne à peine qu'ils sont fermés. Seule votre «science» génétique pourrait encore faire pire, mais là il est encore temps de réfléchir.

«Mais soit, nous voulons bien les anéantir, vos sacrés déchets, que vous vous êtes donné tant de mal à fabriquer, et qui ne vous ont strictement rien rapporté. Ainsi que toutes les autres saletés, même celles qui souillent le coeur de la Terre ou le sein de la Mer. Tout est même déjà prêt, mes collègues du Plan Sauvegarde Terre n'ont qu'un bouton à appuyer. Mais pour qu'ils acceptent de le faire, il faut impérativement que deux conditions soient remplies: La première que vous renonciez tous au nucléaire et à la pollution, dans tous les pays, officiellement, définitivement et SINCEREMENT, et que des lois mondiales efficaces soient édictées pour signifier cette interdiction, avec des moyens sérieux pour l'imposer au besoin. Aucune triche possible, car nous pouvons sonder toutes les pensées des chefs d'état ou inspecter en détail n'importe quelle usine sans nous lever de notre siège, ici dans le vaisseau. La seconde condition, c'est que vous nous le demandiez, bande de pignoufs! Officiellement et publiquement. Parce que nous, à la fin, on va finir par attraper des complexes existentiels, à force de vous entendre dire qu'on n'existe pas.»

Brigitte-Aurora sait que ces paroles ne s'adressent pas à elle, mais à l'assemblée invisible derrière elle, qui représente en fait les archétypes de l'Humanité. Costumes, turbans ou haillons sont tous là, symbolisant toutes les races, toutes les conceptions, tous les niveaux économiques. Les visages se lèvent, vaguement effarés.

«Vas-y mollo, Yanathor, il y en a déjà plein qui ne pensent plus qu'à la fin du monde.

- Eh, on le sait. Il ne faut pas qu'ils s'imaginent pouvoir fuir si facilement leurs responsabilités. Il n'y aura pas de fin du monde sans notre autorisation.

«Imagines, Brigitte, si ils cassent tout, l'horreur de vivre dans des usines souterraines, avec des masques à gaz et compagnie, ou encore traqués par la police génétique, incapables de faire des bébés sans l'assistance d'une administration souveraine et de machines complexes. Même si ils arrivent dans ces conditions à échapper aux risques de manipulation ou de dictature génétique, un contrôle si profond sur la vie ne peut avoir qu'un seul résultat: c'est l'évolution même de l'humanité qui sera bloquée pour des millions d'années! Quelle épouvantable catastrophe, quelle damnation, que de revivre indéfiniment les mêmes malheurs pendant une si longue durée de temps, sans espoir d'en échapper! Pourtant, si c'est la voie qu'ils choisissent, nous n'avons pas le droit de les en empêcher. Peut-être ainsi finiront-ils par apprendre à aimer et à respecter la vie... Mais ce n'est pas le moyen le plus agréable. Ils feraient mieux de VITE se mettre à l'écologie.

«Et de toute façon, même si toute vie sur Terre devenait impossible, ceux qui l'auraient détruite (par leurs actes ou par leur passivité complice) seraient toujours conscients, dans un plan ou dans un autre. Et ils auraient à répondre de leur comportement, de toute façon. Pas moyen d'y échapper. Pour commencer, personne ne voudra de tueurs de planètes dans aucun paradis. Il leur faudra tout recommencer à zéro.

 

- Et... Les prédateurs, les rapaces?

- Ah ça, c'est un peu plus compliqué. La solution de ces problèmes ne dépend pas que de vous, humains. Mais de toute façon les modes de vie agressifs, destructeurs ou parasitaires de certains animaux ont la même origine que le mal chez les humains, et attendent en gros des mêmes solutions. Les raisonnements du genre «les tigres doivent pouvoir manger eux aussi» ressortent de l'égocentrisme d'espèce, qui n'a pas plus sa place dans l'Harmonie Cosmique que l'égocentrisme individuel, de race ou de clan. Rappelez-vous tout de même que les animaux ont moins de libre-arbitre que les humains: c'est donc à vous d'agir. Eliminez déjà le mal en vous, et ce sera le premier pas pour les animaux. Tout pourra s'arranger ensuite, et la Terre devenir un paradis pour toutes les formes de vie harmonieuses et douces, comme cela est sur Aéoliah.

 

 

Changeant complètement de sujet, Yanathor désigne le ciel qui maintenant rougeoie au dessus d'eux, comme dans un four. «Le rayonnement cosmologique, remonté en fréquence. Regardez!

- Oh, mais c'est curieux, ça bouge... Comme un fond lointain, qui serait visible à travers la surface mouvante d'un liquide... Par endroit il est intensifié plusieurs fois...

- Le rayonnement cosmologique, le feu cosmique de la Création, à l'origine était partout identique, mais il arrive sur la Terre ainsi, tout brouillé par les champs gravitationnels des dizaines de galaxies qui se sont interposées sur le trajet. Bientôt vos astronomes accéderont à ces passionnantes reliques des débuts de cet univers. (Note de l'auteur: ceci a été écrit en 1989. Ce n'était pas une prophétie, mais une prédiction scientifique qui en 2021 est largement réalisée.)

«Mais j'ai d'autres images à vous montrer. Beaucoup moins jolies, malheureusement.»

Apparaît soudain un paysage terrien classique, de grande banlieue. Mais nulle part de verdure: Les arbres arborent toutes leurs feuilles brunes. Ce n'est pas de l'Automne, car elles sont restées solidement accrochées aux branches. Les maisons ont l'air intactes, mais sans vie. Des meubles, des vêtements décolorés par le temps sont abandonnés à même la rue. Etrange et cauchemardesque détail, tous les pneus des voitures ont éclaté, jonchant les trottoirs de lambeaux noirs. Le ciel est entièrement de ce jaune malsain des fortes canicules en ville; des pendeloques couleur échappement de diesel en descendent, mais elles s'évaporent bien avant de toucher le sol. Il règne une odeur de chiffons brûlés à faire vomir, plus un silence de mort. Tout témoigne de la vie passée, mais plus rien ne semble en subsister. Même le lit de la rivière est vide, exhibant des immondices et des ferrailles qui ne rouilleront jamais plus. Deux médaillons montrent l'un une pompe à essence, l'autre un paysan du tiers-monde boutant le feu à sa mère forêt.

Tous, interloqués, tournent leurs visages vers les Gardiens Cosmiques, en quête de l'explication de cette vision de cauchemar.

«L'effet de serre» Commente laconiquement Yanathor. (Note de l'auteur: ceci a été écrit en 1989. Ce n'était pas une prophétie, mais déjà des risques bien connus à cette époque, ainsi que leurs causes. Il n'y a donc aucune excuse à ce qui se passe aujourd'hui en 2021. La seule erreur était la divergence, mais je ne m'y fierais pas)

Un silence de tous, puis il reprend: «Les calculs des Terriens donnent des augmentations de température de deux ou trois degrés. En fait à un moment il diverge, par la vapeur d'eau, en quelques semaines. Rappelez-vous que, même sans les actions humaines, il n'a jamais fait aussi chaud sur la Terre, qui n'est plus qu'à quelques degrés de la divergence, comme cela est arrivé sur Vénus. Voilà ce que ça peut donner: 80°C à l'ombre. Sur toute la Terre il ne reste plus en vie que quelques archéobactéries. Pas passionnant comme incarnation.»

Une autre image remplace instantanément la première. Un village de campagne, des maisons dont il serait difficile de définir l'époque: avant la révolution industrielle, ou après le retour à la Nature? Malgré sa rusticité, ce paysage n'est pas très beau. Aucune Poésie, aucune imagination dans l'architecture ni dans l'aménagement. Des stratus bas traînent indéfiniment leur grisaille et des gens travaillent dans les champs, passent sur les routes. Ils n'ont pas l'air heureux. Ils sont affairés, ou inexpressifs. Les vibrations sont lourdes, sourdes. Il y a des vastes haies, des bois, mais pas de fleurs, peu d'oiseaux. Ils se terrent, terrorisés: un aigle passe, matraque au poing. A nouveau, les visages intrigués des éolis et de Brigitte se tournent vers Yanathor. Seuls les autres Gardiens gardent leur sérénité, absorbés dans une intense méditation. Plusieurs autres se sont discrètement joints à eux, sans doute ceux du Plan de Sauvegarde Terre.

«Bon, ce n'est pas une vision de catastrophe. C'est même très écologique: les espèces sont sauvegardées, les pollutions enrayées, les injustices économiques, la faim et la guerre abolies, la population mondiale stabilisée, les dictatures éliminées. Et pourtant c'est horrible. Ce monde gris, figé, immuable, pourrait s'éterniser ainsi pendant des millions d'années, sans joie autre que la saoûlerie, sans espoir ailleurs qu'au cinéma. A votre avis pourquoi?»

Un silence lui répond, bien qu'en fait tous le sachent. Leur sens du danger a prévenu les éolis de ne pas contempler ces images délétères, aussi ils ferment les yeux et méditent.

«C'est si... Se hasarde Brigitte, si on arrive à sauver l'humanité, en fait à la faire survivre, mais sans s'occuper de l'âme, de ce qui est profondément humain, du sens de l'existence...

- Exactement.

- Bon, ce problème se pose déjà, puisque les différents mouvements pour un monde meilleur s'ignorent les uns les autres, l'écologie, les végétariens, la défense des animaux, la spiritualité, le Nouvel Age, les communautés, l'aide au tiers et au quart monde, la Paix, etc... Tous ces mouvements s'activent chacun de leur côté, sans tenir compte des acquis des autres, et souvent ils se contredisent mutuellement... sans parler de la science, que tous ignorent ou méprisent d'une façon ou d'une autre.

«Et ainsi ils annulent mutuellement leur efficacité. Ce que vous voyez là n'a que peu de chance en fait de se réaliser tel quel, mais c'est là où on aboutirait si se prolongeait cet éclatement des bonnes volontés. En fait ce serait une catastrophe bien pire que la destruction de l'humanité. Et nous ne pourrions rien pour l'empêcher.

- Ben oui, poursuit véhémentement Brigitte, c'est à n'y rien comprendre, il y a des écolos, c'est bien d'être écolos, mais si il s'en trouve qui sont contre les végétariens, c'est à dire partisans de la souffrance et de l'exploitation des animaux, à quoi ça sert? Pourtant, ils seraient furieux de voir des végétariens travailler pour le nucléaire! Le même problème se pose en sens inverse chez les végétariens: beaucoup de végétariens ne sont végétariens que pour leur santé, pour eux-mêmes, ils n'ont aucun sens politique ni social, ils ne font rien pour que la Paix des animaux s'étende, et on pourrait dire pareil pour tous les autres mouvements: aider le tiers-monde en leur donnant nos vices, sans résoudre les problèmes de la viande et de la finance qui les écrasent, aider les clochards pour qu'ils continuent à végéter dans la crasse et les basses vibrations, sauver les espèces pour qu'elles continuent à s'entre-dévorer... Oh, Dieu, Quelle pagaille! Quelle incohérence! Comment arriver à autre chose qu'à plus de désordre encore?

- Notre déontologie des Gardiens Cosmiques ne nous permet pas d'entrer trop avant dans de telles discutions. Je peux tout de même dire qu'il faut être un peu indulgent, d'une certaine façon, car ces mouvements sont débutants. Mais tu fais bien de dire que cette situation est dangereuse, et qu'il vous faudra rapidement créer une conscience unitaire, une cohérence de tous ces mouvements éclatés qui se contredisent. Autrement, les Jardiniers des âmes de la Terre devront couper toute l'énergie qu'ils envoient à certains mouvements. Ils ont déjà du le faire à plusieurs reprises ces dix dernières années, comme avec les hippies ou avec l'autogestion. Entendez, vous autres, fait-il en haussant le ton à l'attention de l'hémicycle invisible, sinon, regardez ce qui va se produire: tel mouvement aujourd'hui idéaliste et sincère deviendra un parti politique de plus, puis de compromissions en «réalisme», il sera à son tour un obstacle au progrès de l'humanité, au lieu d'en être une locomotive. Et on pleure après quand on se retrouve avec des dictatures ou des inquisitions. Car malheureusement c'est toujours ainsi que les choses se sont passées: Une intuition généreuse devient une idée, puis une opinion, puis un dogme, et pour finir un système normatif, une oppression. (Note de l'auteur: effectivement l'énergie du Nouvel Age a du être déconnectée dès l'année suivante 1990, pour les motifs ci-dessus. En 2021, il n'en reste qu'une caricature vide, par exemple l'opposition aux compteurs Linky)

- Ben, commente Brigitte, c'est comme ça que le communisme est devenu le stalinisme. Sur le papier c'était une chouette idée populaire, basée sur la Solidarité, mais il n'a pas pu tenir ses promesses, faute de respect de la personne, faute de Sincérité, faute surtout de véritable esprit d'Entraide dans le peuple. De nos jours, le vin bio risque d'être le stalinisme de l'écologie. Il faut absolument hausser nos vibrations, devenir plus poètes, pour éviter une catastrophe comme celle que tu nous a montrée. Figure toi, je pourrais presque mettre des noms sur les personnages!

- Ah ah ah! Le vin bio, stalinisme de... Bonne parole historique, ça, Brigitte. A noter. Mais si l'humanité pouvait facilement choisir une autre voie que le marxisme, elle ne pourra en aucun cas éviter d'en passer par l'écologie, et encore moins d'éviter l'Entraide. Le choix est net: l'écologie ou la disparition. La survie est à ce prix.

«Mais pour avoir la vie en plus de la survie, il faudra encore davantage: faire de l'écologie SPI-RI-TU-ELLE. Et de l'Entraide. Donc acte. Bon, je présente les choses de manière volontiers dramatique, mais elles pourraient effectivement le devenir. Heureusement, si un mouvement perd son idéal et devient une administration, il s'en trouve toujours un autre pour reprendre le flambeau et le porter plus loin, pour allumer plus de coeurs.»

L'hémicycle invisible semble maintenant formé surtout de jeunes ou de gens âgés mais en bonne santé. Ce sont en grande majorité des occidentaux, mais ils ont laissé les meilleures places à quelques Africains, Hindous, Extrême-Orientaux, Sud Américains et Arabes, tous d'allure nette et sympathique. Ensemble ils acquiescent silencieusement, en jetant des regards effarés aux stratus de plomb qui défilent toujours mornement sur ce paysage triste, où vie égale biochimie.

 

«Bon, reprend Yanathor, assez de morfonderies pour aujourd'hui. On en verra d'autres, mais il ne faut pas encore parler ouvertement de tout aux Terriens. Nous n'avons vu que les lieux communs déjà connus.

- Mais ils ne nous écoutent pas consciemment.

- Non, effectivement, ce ne sont pas des personnes réelles. Mais ils représentent ce que les mystiques occidentaux appellent les archétypes ou le Logos planétaire. Il ne s'agit pas d'un personnage conscient de la façon dont vous l'entendez habituellement, mais c'est une force puissante qui existe, avec laquelle on peut communiquer, et qui a une grande influence sur l'état de l'humanité et sur son évolution en cours. Notamment les enfants, en se développant, se servent de cela comme ébauches pour bâtir leur psychisme, en particulier les parties qui ne dépendent pas des gènes, comme par exemple les centres nerveux de l'écriture, du raisonnement logique, du sens social. Tu vois à quel point son rôle est fondamental. Voilà ce que sont tous ces curieux personnages, et voilà pourquoi ils ne semblent pas avoir de sentiments ni d'idées personnelles, et qu'ils représentent forcément toutes les races et toutes les cultures. En ce moment nous sommes en communication avec eux, et ils enregistrent. Tout ce qu'ils vont enregistrer ressortira dans les générations futures, et déjà un peu dans celle-ci, sans que le mal ne puisse rien pour l'en empêcher.

 

«Mais voyons maintenant un avenir meilleur pour la Terre.»

Le triste paysage ne disparaît pas vraiment, mais le Soleil s'y lève soudain. C'est le même lieu physique, mais dans une autre contrée plus accueillante de la Carte du Tendre: Tout est beau, fleuri, joliment arrangé. De mignonnes maisonnettes rustiques rivalisent d'originalité et d'astuce pour intégrer capteurs solaires et vérandas, et leurs habitants s'activent joyeusement dans les champs, ou dansent le long des chemins. Haies et bocages s'incurvent gracieusement, harmonieusement comme dans un jardin japonais. Oiseaux et écureuils courent et volent partout, libres et joyeux.

Les éolis, jusqu'à présent silencieux, s'exclament gaiement, font des commentaires.

- Là c'est mieux, fait Brigitte.

- Cet avenir radieux est inclus dans les idées écologistes actuelles. Mais l'autre aussi. Il y a un choix à faire.

- Ça me rappelle un des fondateurs du mouvement écologiste, René Dumont, il avait fait une affiche électorale où on voyait un aiguillage menant d'un côté vers le chaos, par la pollution, et de l'autre vers le Bonheur, par l'écologie. Mais il y a d'autres aiguillages à sélectionner plus loin. Les deux images que tu nous a montré, Yanathor, c'est l'écologie spiritueuse et l'écologie spirituelle, entre lesquelles il faut choisir.

- Ah, encore une parole historique! Bravo, Brigitte, tu es en forme ce soir!» Commente Yanathor qui encourage Brigitte. Lui-même reste au-dessus du débat, sans descendre dans l'actualité des conflits terriens.

Cette scène de félicité verte est suivie d'une série d'autres. Sur l'une, il fait bon, les gens sont nus dans les jardins et les prairies. Tout le monde est joyeux, plaisante, goûte aux joies des pique-niques et des enthousiasmantes activités agrestes. Il y en a qui s'aiment à même l'herbe, sans autre discrétion que de se retirer dans un petit coin de verger moussu. La vision suivante est identique, mais la Poésie est la note dominante: On y est vêtu de longues et amples robes pastel, on danse gracieusement, attentif aux chants des oiseaux. Sur une troisième image, on est carrément en extase mystique, en robes blanches, dans le grand silence de la forêt où les chants d'oiseaux sont d'harmonieuses prières. Les éolis commentent joyeusement, et s'exclament à chaque nouvelle vue.

Une autre série montre d'abord un atelier, de fabrication d'ordinateurs ou autres appareils de haute technique encore à inventer. Mais cet atelier est joli, clair et fleuri, composé de petits espaces arrondis séparés par des patios ou des jardins. Les appareils eux-mêmes ont un style, une Harmonie, de jolies couleurs pastel, et les postes de travail sont propres et en ordre. Chacun vient y travailler quand il veut, selon ses autres occupations ou ses élans. Puis sans transition on se retrouve en pleine forêt vierge africaine, où des Noirs assemblent en chantant différentes sortes de paniers en rotin, des petits, des grands, des casiers à bouteilles, de solides palettes de manutention, des meubles, en s'aidant tantôt de gabarits tout prêts, tantôt de leur inspiration. Et ils s'amusent! Et ils font rire aussi les éolis! L'image suivante laisse voir les techniciens sur une sorte de podium, où ils exposent leur solution pour un article de rangement ou on ne sait quoi, avec plein d'arguments techniques passionnés, des astuces d'intelligence à ravir, dans les matériaux synthétiques les plus subtils. Puis un tamtam endiablé et des chants joyeux éclatent: les Noirs arrivent avec leur prototype en rotin encore plus astucieux, leurs chevelures invraisemblables, leurs masques bariolés et les peintures assorties, avec un aplomb superbe, riant et dansant avec tant d'entrain que les éolis se lèvent et les accompagnent!

Brigitte n'en peut plus de rire, et Yanathor aussi: «Ah ah! On est toujours sûrs de notre effet quand on montre ce truc-là! Vous voyez, des choix comme le niveau technologique, s'aimer corporellement ou spirituellement, ne sont au fond pas très importants, et l'humanité peut très bien s'accommoder de très fortes disparités dans ces choix, tant qu'ils respectent l'Harmonie cosmique. Ce qui est important, quoi que l'on choisisse, c'est de le vivre spirituellement. Amour corporel ou chasteté? Peu importe, vous êtes libres. Mais l'Amour corporel appelle la Poésie, sinon ce n'est que du porno. La chasteté appelle l'Amour et la Joie, sinon ce n'est que de la bigoterie, et c'est aussi répugnant que le porno. La Joie sans intelligence ou sans Poésie, ce n'est que de la vulgarité. La contemplation sans activité n'est qu'une fuite. L'activité sans but harmonieux est aussi une fuite, mais en avant. Technique ou pas technique? Là aussi vous êtes libres. Vous n'êtes même pas obligés de tous suivre le même chemin: tant que votre vie à tous reste en communion avec la nature, la présence ou l'absence de tel ou tel moyen technique chez les uns ou chez les autres n'a pas tant d'importance. Ce qu'il importe se savoir, c'est que la technique sans le respect de la Nature, c'est la pollution, et l'écologie sans le respect des êtres vivants INDIVIDUELS ce n'est que la loi de la jungle.»

 

De longs silences suivent chaque série de vision. Nellio demande, rêveur: «Un monde où les âmes sont interdites, comment est-ce possible? On est des âmes, on ne peut pas nous empêcher d'exister.

- Oh, ce sont des choses très étranges, qui pour moi sont déjà lointaines... Pour les Terriens, on est des corps, des amas d'organes et de matière... Tout ce qu'on a, c'est un numéro, un compte en banque...

- Un quoi?

- Ah! Comment t'expliquer? C'est un compte... Je ne vois pas comment dire... Ah si! C'est un compte pour compter tout ce qui appartient... Non, ce que les autres humains reconnaissent que ça appartient... Non zut! L'égocentre est reconnu par la loi, mais les âmes, il y a une terrible religion appelée athéisme qui dit qu'elles n'existent pas, et ils font tout pour ne pas que leur lumière soit visible.

- Quelles étranges maladies.

- On a du mal à le concevoir.

- Nous, avant d'entendre parler de ces choses, on croyait que c'étaient des blagues, ou des légendes, qu'on nous racontait pour qu'on travaille bien à l'école, pour qu'on suive bien les Lois Universelles.

- Les gens sont d'autant plus riches que leur âme est plus belle. C'est logique.

- On n'est riche que de la seule beauté de notre âme. Je ne vois pas ce que faire un gros tas de choses matérielles peut y changer.»

Un long moment ils se regardent silencieusement. Oui, Brigitte-Aurora, petite Terrienne méconnue de ses semblables, n'est riche que de son âme... Et pourtant l'incroyable Bonheur qui est pour elle dorénavant, aucune richesse financière n'aurait jamais pu le lui acheter.

 

«Dis nous, gentille Aurora, es-tu heureuse de quitter la Terre pour notre belle planète?

- Oh oui, bien sûr, mais... J'y laisse un peu de mon coeur, que j'avais donné aux autres Terriens. Voyez-vous, la Terre pourrait être si belle, avec plus de cinq milliards de coeurs qui l'habitent... J'avais tout donné, tout sacrifié, pour rapprocher le jour où il en sera ainsi... Je m'étais mise de toute mon âme à cette tâche... J'y suis restée attachée, en somme... Il y avait des choses en cours, les dessins, ma petite maison, Peyreblanque... Que vont penser mes amis, si ils ne me voient plus revenir?

- Veux-tu rester, maintenant? Plaisante Yanathor.

- Oh non, mais cela me préoccupe.

- Ne t'inquiète pas, on y a pensé. On a des solutions, à l'intention de quelqu'un qui en fera bon usage.

«Une maison? Un terrain? Ce sont de lieux de vie, en tant que tels ils sont immédiatement à ceux qui les aiment et qui y vivent. La maison, le champ et l'humain sont liés comme l'homme, la femme et l'enfant dans la famille, ce n'est pas un contrat juridique, mais une situation de la vie dans laquelle personne n'a le droit de s'immiscer, dont personne ne peut disposer. Il n'y a pas d'autre Loi.

«Hey, jusqu'à présent, l'humanité n'a guère avancé qu'à coups de pieds au derrière: guerres, famines, épidémies, qu'elle a elle même provoquées. Bon, de vos jours ça va mieux, il y a un peu plus de bonne volonté, mais avouez que ce n'est pas encore ça. Il y a encore besoin d'arranger certaines choses, et c'est justement notre boulot, à nous les Gardiens Cosmiques: rétablir l'Ordre... cosmique. Les moyens et les autorisations nécessaires nous ont été confiés, pour nous en servir. Et jusqu'à présent on n'a eu que des félicitations de la part des Hautes Autorités Universelles. Alors, on continue.»

Ce jugement paraît un peu sévère à Brigitte, mais elle se rend compte qu'il ne s'adresse pas à elle personnellement, mais, encore une fois, à l'étrange assemblée allégorique qui, derrière elle, se tait, réfléchit, prend des notes sur des calepins imaginaires. Même si personne n'entend réellement les paroles de Yanathor, même si très probablement elles indisposeraient les auditeurs réels, un jour, dans quelques années ou décennies, elles ressortiront, en actes. Les enfants à naître en seront imprégnés dès le début de leur vie.

«La seule chose que nous ne pouvons pas faire, c'est intervenir ouvertement sur la Terre, puisque c'est l'expérience que vous avez voulu vivre. Nous ne le ferons que si vous le demandez vous-mêmes, tous, en votre âme et conscience. Ah, Brigitte, toi tu es d'accord.

- Oh oui, mais en quoi consiste l'Ordre cosmique?»

Instantanément et totalement rasséréné, il lui met une gentille tape dans le dos: «C'est que tout le monde soit heureux, pardi.» Puis, lyrique:

«L'Ordre cosmique, c'est quand les âmes font ce pour quoi elles ont été créées: s'émerveiller de la Beauté de la Création, s'enivrer de leur propre beauté, unique et irremplaçable. C'est quand les âmes, au lieu de s'enrouler dans les égocentrismes, s'ouvrent les unes aux autres, communiant entres elles et avec la Source de Vie universelle, échangeant les plus belles vibrations, les idées les plus constructives. C'est quand elles suivent les harmonieuses lois universelles d'Amour et d'Entraide, qui leur apportent la Paix et le Bonheur en retour. C'est quand enfin elles créent à leur tour encore plus de merveille...»

Yanathor pourrait continuer ainsi à décrire l'Ordre cosmique... Mais il préfère se taire: comment faire tenir en mots ce qui est si simple? Le silence parle mieux à l'âme...

 

 

Comme Yanathor l'a dit lui-même, les quelques visualisations précédentes sur les avenirs possibles pour la Terre ne sont que des lieux communs, que la plupart des Terriens éveillés connaissent déjà. Simple mise en train. Le travail sérieux, nous ne pouvons pas le rapporter, car le contrat des Terriens stipule expressément qu'ils sont maîtres de leur destin: Nous devons le bâtir nous-mêmes, à l'aide de la surprenante imagination créatrice que nous avons reçue en partage. Même les visualisations des Gardiens Cosmiques (plusieurs centaines, pendant les trois jours) respectent cette règle et concernent des choix prévisibles dans un avenir proche, mais dont la nécessité n'a pas encore émergé dans la conscience d'un nombre suffisant d'entre nous. Ce sont là de sages règles que l'auteur de ces lignes n'ira pas enfreindre.

Disons tout de même qu'ils concernent la politique, avec notamment un processus (Ô combien progressif) de diminution du pouvoir des états au profit d'instances internationales ou locales, et aussi un recul des «Big Brother», une poussée de démocratisation. Mais, pour ne pas dégénérer vers un «meilleur des mondes» laxiste à la Huxley, qui serait sans doute pire, cela exige une volonté de Bien de plus en plus poussée, un respect de certaines valeurs fondamentales de la personne et de la nature, qui impliquera de nouvelles lois parfois fort contraignantes. (Note de l'auteur: ceci a été écrit en 1989. C'était cette fois une vraie prévision, obtenue par connaissance spirituelle, et qui est effectivement en cours de réalisation en 2021. Vous comprenez pourquoi aucun éditeur n'a jamais voulu de mon livre, et que je doive le publier sur Internet ou à compte d'auteur, lol)

L'économie est également concernée, avec une préparation de nouveaux types de relations sans le trop fameux «échange» conflictuel, au niveau de petits groupes amicaux, de voisins. Brigitte reconnaît aisément ce qu'elle avait tenté d'expliquer au groupe à Peyreblanque, et que les éolis vivent depuis toujours avec la plus grande simplicité et la plus totale absence de problèmes. A ce propos, elle posa à Anthelme la question:

«Mais vous n'avez des relations qu'à petite échelle, entre villages voisins, alors que sur Terre nous devrons en avoir à l'échelle mondiale. Ce qui réussit si bien chez vous peut-il se transposer chez nous?

- Mais bien sûr! La meilleure preuve en est, ma petite Aurora, c'est que nous avons nous aussi des relations économiques à l'échelle planétaire.

- Ah?

- Oui, parfaitement. Le fer. Qui provient chez nous du squelette de certains animaux marins.

- Ah! Alors vous avez des échanges au niveau international.

- Ô déléguée des Terriens, es-tu bouchée à l'émeri? Non nous n'avons pas d'échanges au niveau international sur Aéoliah! Pas du tout! Primo parce que nous n'avons pas cette maladie que vous appelez «pays» ni ces béquilles que vous appelez «gouvernements». Alors nous sommes naturellement mondiaux. Nous sommes tous les fils et les filles d'Aéoliah et du Soleil! Il y a chez nous des variations de Poésie selon les endroits, plaine ou montagne, île ou forêt, rivière ou dune, et cela se traduit par des parfums et des couleurs de peau différentes, toutes plus violemment érotiques les unes que les autres, mais jamais par ces croûtes que vous appelez états. Secundo, ce ne sont pas des échanges, mais des cadeaux, des gentillesses. Les éolis des îles collectent amoureusement le fer, et l'expédient à dos d'oiseau jusque dans les contrées les plus reculées d'Aéoliah, et même jusqu'aux bases que nous avons aux pôles, âpre pays des vents et des grands cerfs sauvages, des puissants aurochs et des volcans, qui ressemble à votre Canada.

- Ah?

- Oui, je ne te dis pas la fête quand nous arrivons à monter sur les bois d'un grand cerf, et qu'il court impétueusement à travers la forêt d'Automne (Car aux pôles d'Aéoliah, et là seulement, il y a des saisons) On n'y habite pas, mais beaucoup d'éolis font le voyage au moins une fois dans leur vie, c'est pour ça qu'on y entretient des bases. Mais là-bas il faut bien s'habiller, car le climat y est froid. Il y a même quelques glaciers. Les pôles sont occupés par des îles volcaniques, comme votre Islande, mais bien plus grandes.

- Mais, dis moi, Anthelme, si vous vous débrouillez si bien en économie, c'est aussi pour des histoires d'agriculture. Chaque village peut se suffire à lui-même, donc en fait les échan... les communications avec les autres ne sont pas vitaux. Si il y a des problèmes, on peut toujours se débrouiller en autarcie.

- Là encore, je vois les conditionnements qui limitent la pensée des Terriens et les empêchent de comprendre ce qu'est vraiment l'économie. C'est vrai que les circulations de denrées entre nos villages ne sont pas vitales; et pourtant elles ont lieu tous les jours: graines, tissus, outils, objets décoratifs, peintures, passent leur temps à se promener d'un village à l'autre, parfois d'un continent à l'autre, au plus grand mépris du rendement. Les ouvriers eux-mêmes bougent beaucoup. Certains habitent dans un village mais offrent leurs travaux à d'autres villages ou îles: peinture, menuiserie, vannerie. D'autres sont comme ce que vous appelez les compagnons: ils vivent en groupes, éolis et éolines de toutes races mêlées, qui se déplacent au gré des travaux. C'est le cas en particulier des compagnons charpentiers qui fabriquent des plates-formes arboricoles comme celle d'Adénankar, avec des pièces de bois que plusieurs Terriens ensemble ne sauraient soulever. C'est aussi le cas des mineurs qui savent tailler les roches les plus dures pour faire des maisons ou des abris. Quand un village ou un centre de sagesse fait appel à eux, il doit juste s'assurer qu'il y aura assez de nourriture et tout ce qu'il faut pour tout le monde, sinon il se fait aider par les villages voisins.

«Quant à ce que vous appelez l'autarcie, je ne vois vraiment pas ce qu'elle apporte. C'est un truc de Terriens pour ne pas dépendre de gens avec qui on est en conflit, ou qu'on n'aime pas. Mais ça n'aide en rien à résoudre ce conflit. C'est précisément ce que vous appelez se défiler. Bon, ce n'est pas à proprement parler un péché, mais c'est tout de même un manquement par rapport à nos devoirs envers la vie. Dans toute société, on dépend les uns des autres. Mais il n'y a absolument pas à craindre cette dépendance, tant que les gens font passer les lois universelles d'Entraide avant cette illusion égotique que vous appelez «intérêt personnel». Et on est tellement plus heureux ainsi! Et tout est tellement plus simple!

«La base de notre économie, qui assure sa pérennité et sa réussite, c'est que chacun aime à faire ce qui est nécessaire pour le Bien et le Bonheur de tous, et le fait de sa propre initiative, sous sa propre responsabilité. Ainsi tout ce qu'il y a à faire est toujours fait quand et où il le faut. La différence fondamentale d'avec votre système, c'est que notre motivation est simple, sans conditions, et reliée directement aux nécessités réelles. Alors que dans votre système, chacun agit seulement pour l'argent qu'il va en retirer, indépendamment de l'utilité de ce qu'il fait. La porte est alors ouverte à toutes les absurdités: le nécessaire manque (faim dans le monde, analphabétisme...) tandis que les ressources et le travail qui pourraient être consacré à résoudre ces problèmes sont dévoyés à de l'inutile (finance, foutbole, chômage) voire à du nuisible (armement), sans que ni les personnes, ni même vos gouvernements, ne puissent rien y changer. On s'est d'ailleurs longtemps demandé, chez nous, ce que c'étaient donc que ces gouvernements, qui, bien qu'ils se mêlent toujours de tout, semblent incapables de vraiment diriger ou changer les choses. Chez nous, tout marche toujours très bien sans chef. Et si parfois on en a besoin d'un, alors ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe.

 

«Mais il y a d'autres raisons à notre réussite, qui ne sont pas d'ordre économiques, mais écologiques, car tu le sais, un des principes fondamentaux de l'économie est qu'elle est une partie de l'écologie, et qu'elle ne peut en aucun cas en transgresser les lois, sous peine de punitions parfois subtiles et difficiles à comprendre, mais toujours imparables et très douloureuses. Il a fallu que Yanathor nous explique cela, car pour nous c'est tellement simple et évident, comme de respirer, que nous n'aurions pas pensé à t'en parler.

«La première règle économico-écologique est que chaque portion de sol d'Aéoliah ne porte pas plus d'habitants qu'elle peut en nourrir. Elle en porte même nettement moins, dix ou cent fois moins. Ainsi chacun peut participer directement à la satisfaction de ses propres besoins, les pieds nus sur sa Terre nourricière, dans un cadre paisible, vivant et poétique, au lieu de vivre en l'air, coupé de la nature, comme dans vos incroyables villes. (Là aussi, on se demande quel plaisir vous trouvez à vous entasser ainsi dans une telle promiscuité, empilés les uns sur les autres, chacun à supporter le bruit de tous). De ne pas occuper toute la nature nous laisse aussi la liberté de nous rassembler, de recevoir des visiteurs, etc... Mais la principale raison c'est que nous ne sommes pas seuls sur Aéoliah, il y a tout simplement d'autres espèces, les oiseaux, et la nature vierge elle-même, qui ont tout autant que nous le droit d'exister et de s'exprimer dans des lieux à eux. Et aussi cela permet de conserver de larges zones de silence et de pure Poésie, où l'on peut méditer et communier sans aucune gêne ni interférence!

«Et nous n'avons jamais été contaminés par votre bizarre idéologie de l'expansion. Nous pouvons réguler notre population, l'augmenter ou la diminuer en fonction des lieux et des ressources, et vous aussi pouvez en faire autant depuis peu, avec la contraception, même encore imparfaite. C'est une grande chance, réjouissez vous en donc, au lieu de confier la gestion de votre population à toutes sortes de malades politiques, malades religieux ou malades sexuels.

 

«Seconde règle: pour des raisons spirituelles évidentes, tous les éolis cultivent la terre. Les seules exceptions sont les centres comme Irizdar (il y en a plus d'un million sur toute Aéoliah) mais là aussi chaque centre est soutenu par un réseau de villages voisins. Par exemple à Irizdar, il y a habituellement entre dix et trente mille éolis et éolines, mais guère plus de mille permanents, qui n'y séjournent que la moitié du temps, alternant avec la culture ou d'autres travaux manuels dans les villages voisins. Les éolis comme Ozoard et Orzeilla qui ne cultivent presque jamais ne sont que quelques dizaines à Irizdar.

- Les faux-bourdons, en quelque sorte.

- Oui, c'est un peu ça, mais on les traite plus gentiment, tout de même. Tout comme les faux-bourdons de vos abeilles, ils ont un rôle irremplaçable, de ménestrels, de gardiens de la conscience collective, d'enseignants, de focalisateurs des énergies, qu'ils doivent remplir à plein temps, d'où la dispense qu'on leur accorde de grand coeur. Mais des parasites qui se font balayer leur chambre ou laver leur linge par des serviteurs, ça n'existe absolument nulle part sur Aéoliah, ni sur aucune autre planète harmonieuse. Quiconque en serait réduit à une telle déchéance sur Aéoliah mourrait rapidement de vieillesse.

«Ainsi, pour une école comme Irizdar, il faut bien compter un million d'éolis dans les villages du Bonheur répartis dans les forêts devant les falaises d'Irizdar. Irizdar, ce n'est pas un clan séparé des autres éolis. Irizdar, c'est NOUS tous. C'est nous quand nous y allons étudier, et c'est aussi nous quand il faut nourrir nos amis qui vont y étudier. Voilà.

 

«La carence d'une seule de ces deux règles fondamentales peut poser de graves problèmes, et dérégler le subtil équilibre des circuits économiques. Cela peut aboutir à ces sortes de cancers de la société que sont les concentrations de personnes (villes) ou de pouvoir (gouvernements, armées, trusts capitalistes, castes religieuses ou de technocrates...) qui, une fois enclenchés, tendent à grandir indéfiniment et à sécréter une existence de plus en plus éloignée de la Beauté et de l'Harmonie, perdant de plus en plus le contact avec la nature et la vie. Il vous faudra beaucoup de volonté pour guérir de ça, au stade où vous en êtes maintenant.

 

«La troisième règle économique et écologique fondamentale que nous appliquons sur Aéoliah est celle du retour des oligo-éléments.

- De quoi?

Comme tu le sais, la vie n'est possible que si elle a de l'eau, du Soleil, mais aussi toute une variété d'éléments chimiques rares, appelés oligo-éléments. Les éolis (et les humains) les trouvent dans les plantes, qui les puisent à leur tour dans le sol. Si le sol a épuisé ses oligos, plus de plantes, plus de vie. Tu as vu ça hier, sur les photos de Yanathor, une ancienne base militaire en pleine Amazonie, où le sol est maintenant aussi pelé et stérile qu'au Sahara, malgré les averses quotidiennes et le soleil, malgré la jungle luxuriante tout autour. Vous avez réussi à créer le contraire d'une oasis de vie: une anti-oasis de mort en plein milieu de votre nature la plus riche! C'est malin!

- C'est surtout très surprenant! Pourquoi ne pousse-t-il même plus un brin d'herbe à cet endroit, en pleine jungle équatoriale, et ce depuis des années?

- Parce que ce sol ne contient pas d'oligo-éléments. Disparus, balayés, dissous par les averses qui tombent là tous les jours depuis des millions d'années. Les seuls oligos de la jungle sont dans les plantes elles-mêmes. Les racines ne descendent pas dans les profondeurs de sable stérile, mais remontent vers la couche de feuilles mortes qui sont digérées en quelques jours. C'est un cycle extra-court, sans réserves, et si on l'ouvre, alors c'est la mort de la jungle et le désert. C'est pour cela que toute tentative de soi-disant «mise en valeur agricole» de la jungle est imparablement vouée à l'échec. Le seul fait d'exporter du bois, ou même du caoutchouc, détruit irréversiblement le capital de vie. Bon, c'est là un cas extrême, mais qui pourrait se produire aussi dans vos puissantes terres nourricières d'Europe, d'Amérique du Nord ou de Chine si vous continuez vos méthodes agricoles fantaisistes. Déjà en Europe la qualité des aliments diminue, les terres s'épuisent, la vie microbienne y a presque disparu; certaines terres ne donnent plus de récoltes que bourrées d'engrais, et y faire du bio est de plus en plus difficile.

«Les sols tendent toujours à s'épuiser en oligos, du fait des pluies qui les entraînent vers les océans. De l'autre côté, l'érosion dégage des roches-mères plus profondes qui en contiennent, mais c'est là un processus lent. Heureusement, sur Terre, du fait des tempêtes, vos océans écument, et un peu de cette écume riche en oligos, emportée par les pluies, va fertiliser les terres à nouveau. Chez nous où il n'y a pas de tempêtes, c'est le Souffle de l'Océan qui se charge d'ensemencer les terres en oligos: il a ainsi un rôle vital. Tout pourrait s'équilibrer donc, mais voilà, vous commettez avec le plus total aveuglement des erreurs très graves dont vous ne soupçonnez même pas les effroyables conséquences. Car vous signez votre arrêt de mort en EXPORTANT VOS OLIGO-ELEMENTS!

- Comment cela?

- Mais simplement: Vous ouvrez le cycle naturel, au lieu de restituer les oligo-éléments au sol, vous les envoyez balader ailleurs. Regardez ce que vous faites: vous brûlez ou jetez vos déchets de cuisine, ou vous les mélangez avec du plastique, des métaux, des produits chimiques, etc. Vous rejetez vos excréments dans les rivières (directement ou par ces épouvantables générateurs de basses vibrations que vous appelez fosses, égouts, etc.) Tout va à l'océan, ou dans les décharges empoisonnées, au lieu de revenir à la terre, emportant inexorablement les précieux oligo-éléments et la fertilité de votre agriculture avec! Mettez-vous bien ça dans la tête: à table, un biftèque, c'est dix enfants du tiers-monde qui ne mangent pas. Après la table, un coup de chasse d'eau, c'est dix de vos propres enfants qui un jour ne mangeront plus! C'est horrible, c'est abominable, et pourtant c'est ce qui vous attend si vous continuez à détruire votre plus précieux capital: la vie de votre sol. Et à cela il n'y a aucun remède.

«Vous frustrez la terre même de vos corps morts, que vous enfermez dans d'atroces boîtes étanches, où ils émettent les plus épouvantables vibrations qui soient! Vous conservez vos pourritures aussi précieusement que votre argent! Ne savez-vous pas que les corps humains et animaux accumulent leur vie durant des quantités d'oligos parfois très importantes, pour être sûrs d'en avoir toujours en réserve? Et que ces oligos-là, tout comme les autres, doivent retourner dans le cycle?

«Quand une âme abandonne son corps, pourquoi s'y attacher? Mettez-vous vos vieilles godasses dans des coffres-forts, dans des expositions où les générations futures viendront les révérer? Non, alors pour les corps, c'est pareil: au compost, ou, si vous préférez le feu, mettez les cendres au jardin, et adieu! Et qu'on n'en parle plus! Et par ici les bons légumes.

«C'est ainsi: que ce soient les corps, les excréments, les épluchures et les déchets agricoles, TOUT doit retourner à la vie générale de la Terre! TOUS les oligos doivent être recyclés! TOUT doit pouvoir fermenter aisément et redevenir un humus sain et fertile! RIEN ne doit être mélangé à d'autres produits: pensez qu'un sac plastique dure des années, qu'une seule saleté de pile au mercure suffit à empoisonner deux tonnes de terre!

«Si vous continuez à dilapider ainsi les ressources de votre planète, bientôt les seules mines qui vous resteront seront vos décharges et vos cimetières. Bèrk Bèrk Bèrk!!»

Brigitte ne se sent pas navrée de se faire enguirlander de la sorte: elle ne sert que d'intermédiaire. Surtout qu'Anthelme n'y met absolument aucune haine, pas le moindre soupçon de mépris. Elle sait que la situation de la Terre est grave. Même si des progrès commencent à pointer timidement à l'horizon, aucun repos évolutif ne peut être accordé aux Terriens. Le vingt et unième siècle sera celui de l'écologie, comme le vingtième aura été celui de la technique. Mais cette vision est encore trop simple, et ce n'est pas pour rien que les premières images de Yanathor présentaient un choix pour le respect de l'esprit au sein même de l'écologie! Le vingt et unième siècle sera spirituel ou ne serait pas.

Brigitte se rend compte à quel point la vision officielle du monde est loin de la réalité, et surtout que cette vision officielle n'a absolument aucune prise sur cette réalité.

Et tous ces technocrates ignares qui n'ont que le mot «réalisme» à la bouche...

 

 

 

 

D'autres séquences de Yanathor sont scientifiques et techniques. Nous pouvons évoquer certaines d'entre elles.

La vie des galaxies, en accéléré. Formidable tourbillon mouvant, palpitant, scintillant d'étoiles géantes éphémères, bouillonnant de nébuleuses flamboyantes! Quels mots terriens peuvent décrire un si bouleversant spectacle que le rut des mondes, flamboyant de lumières et d'éclats! Mais une galaxie n'est pas immobile. Celle d'Aéoliah tourne autour d'une elliptique géante, en compagnie de plusieurs autres spirales, en un ballet cosmique irréel et sauvage. Et elles se rencontrent, se heurtent, se tordent, et leur tourbillon s'exalte; elles éjectent des bras d'étoiles, allument des fournaises où naissent par milliards des mondes et des Espoirs de vie. Trois d'entre elles se sont même englouties dans la géante centrale, allumant à chaque fois la fulgurance rose du quasar et de ses deux puissants jets indigo. Cette inoubliable séquence dura environ vingt minutes pendant lesquelles personne ne pipa mot, subjugué par la formidable vibration des mondes en création...

Non moins pathétique, une autre séquence montre, également en accéléré, l'affrontement des continents, ou plus exactement la poussée titanesque des plaques océaniques d'Aéoliah qui perpétuellement s'enfoncent sous les continents. Ces derniers, sous les terribles forces qui les enserre de toutes parts, se replient sur eux-mêmes, formant ces immenses cordillères montagneuses qui longent presque toutes les côtes sur Aéoliah. Mais l'érosion perpétuellement rejette des matériaux à la mer, qui, repoussés le long des côtes, reforment de nouvelles chaînes. Une séquence plus rapprochée montre des bancs de roches se pliant, avec un son étrange à mi-chemin entre un sourd gémissement et un âpre grincement, pathétique comme le ahanement d'une lutte. Puis, le pli devenant trop instable, il s'écroule entièrement et parcours plus de quinze kilomètres en cinq minutes réelles.

«Les montagnes qui dansent! Les montagnes qui dansent!» S'exclament joyeusement les éolis, qu'une aussi effroyable catastrophe semble exciter énormément. Leurs chroniques en rapportent de nombreuses, tout à fait normales dans la vie tectonique de la planète. Il y en a aussi régulièrement sur Terre, mais peu y ont assisté, car il ne s'en produit toute de même que tous les dix à vingt mille ans. Le sens du danger des éolis les prévient bien des siècles avant qu'elles ne se produisent, de même pour les animaux et les arbres. Aussi quand les montagnes se mettent à danser, c'est sur des déserts que les titanesques flots de roches mouvantes déferlent. Parfois, dans la phénoménale avalanche, des îlots de roches restent intacts, et on raconte l'histoire d'un groupe d'éolis qui tenta ce terrifiant voyage, plus de trois kilomètres sur la croupe ondulante d'une montagne à la dérive, roulant en tanguant comme un navire, entourés de ténèbres et de foudres, dans le tonnerre géologique que l'on imagine! Cela les fit beaucoup rigoler... Après!

 

«Mais, Yanathor, comment est-il possible de reconstituer ces scènes du passé? S'enquiert Brigitte.

- Tu le sais. Regarde l'écoulement du temps d'un point de vue relativiste. Dans l'espace temps, il n'y a ni passé ni futur; tous les événements sont visibles en même temps, comme dans un immense paysage. Bien sûr, ce paysage est orienté, comme un fleuve, du passé vers l'avenir, grâce à la loi de cause à effet. Si tu le regardes dans son ensemble, d'un point de vue relativiste, alors tu peut voir par exemple la vie entière d'une personne, existant simultanément, en un seul instant de ta conscience à toi, alors que de son point de vue ordinaire la personne s'y trouve en un point unique qui se déplace au cours du temps. Notre vaisseau n'est connecté à aucun lieu particulier de l'espace, et il n'est non plus connecté à aucune époque particulière. Tu comprends qu'il est facile, dans ces conditions, de regarder le passé. Nous n'avons même pas pris la peine d'enregistrer ces images sur un film, et la lumière qui a impressionné vos rétines a été réellement captée dans l'espace, il y a dix milliards d'années. Nous pourrions aussi bien résoudre tout à fait objectivement n'importe laquelle de vos affaires judiciaires avec un petit coup de scope d'un de nos vaisseaux, et même connaître exactement les pensées et intentions des protagonistes.

- Ah! Mais pourquoi ne le faites-vous pas?

- Eh bien primo, parce que vous ne nous l'avez jamais demandé, secundo parce que les Terriens ont un travail particulier à faire: le passé ne leur est accessible qu'à travers un sens personnel, incontrôlable par les autres personnes: la mémoire individuelle. Ce qui, pour les âmes dévoyées offre la possibilité apparente de mentir, de falsifier les événements. Ce terrible piège dans lequel tant d'entre vous se précipitent sans aucun souci des conséquences, cette épreuve, doit être vécue par vous comme un apprentissage de la Sincérité, envers les autres bien sûr, mais aussi et surtout de la Sincérité envers soi-même, qui est d'une importance que bien trop peu d'entre vous soupçonnent.

- La plupart des Terriens sont sincères avec eux-mêmes, tout de même.

- Dans la mesure où ils ont maîtrisé leur psychologie. Si l'intention y est pour la plupart, le résultat n'est réellement présent de manière fiable que chez une petite minorité, ceux qui ont pratiqué sérieusement l'éveil spirituel. Et n'oublie pas une chose. L'Humanité est une grande famille. Actuellement, les âmes que vous aidez à se réaliser avec votre secourisme des âmes, et celles que nous aidons nous mêmes, s'échappent pour la plupart définitivement de la Terre. Mais ce n'est pas une situation normale pour une famille que de lui retirer ses enfants. Un jour viendra pour la Terre une période d'éveil plus rapide, et alors les âmes déjà réalisées feront bien d'y rester et d'en prendre la direction.

- J'aimerais bien voir ça, reprend Brigitte.

- Malheureusement, la probabilité de le voir de ton vivant est encore tristement faible, si les choses continuent comme elles vont. Peut-être, dans un avenir somme toute assez proche, la vision du passé sera t-elle donnée à l'humanité, quand sera résolue l'épreuve dont j'ai parlé, ou plus tôt encore si il s'instaure un gouvernement mondial de sages, conformément au plan.

- Il y a bien sur Terre des personnes qui disent avoir des visions extrasensorielles du passé, ou de leurs vies antérieures.

- Oui, cela peut arriver. Mais pour la quasi-totalité des récits qui ont été publiés, leurs auteurs, même si ils étaient réellement capable de capter quelque chose de vrai, seraient bien incapables de le discriminer de tout ce que leur imagination a brodé sur le sujet, à partir de leurs désirs inconscients. Tu n'as qu'à faire, par exemple, une collection de toutes les vies de Jésus racontées à toutes les sauces par une ribambelles de pseudo-voyants de toutes sortes, je te dis que tu en aura vite la nausée.

- Et l'avenir alors?

- Ah! L'avenir! A la différence du passé, qui est une relique immuable, l'avenir est soumis à notre libre arbitre. Théoriquement, avec nos vaisseaux, on pourrait aller le voir en utilisant le même procédé que pour le passé, mais le libre arbitre des êtres conscients fait qu'il n'est pas entièrement déterminé. Ça marche comme pour les états quantiques d'une particule: il y en a en quelque sorte plusieurs superposés, présents simultanément, chacun plus ou moins probable, par exemple une particule subatomique qui serait à la fois à 95 pour 100 un kaon, et 5 pour 100 un méson. Mais lors d'une interaction avec une autre particule, de l'information est échangée et l'un des deux états devient seul réel, avec la probabilité indiquée, sans que l'on puisse prédire lequel. Pour l'avenir, on a similairement plusieurs avenirs possibles, superposés, sauf que ce sont les esprits des êtres conscients qui interagissent sur le monde, par leurs choix de libre-arbitre et leurs actions concrètes, et qui vont faire se réaliser un avenir plutôt qu'un autre.

«On pourrait effectivement voyager dans l'avenir avec des vaisseaux comme le nôtre, mais dans ces conditions cela expose à plusieurs dangers. En effet, si une personne connaît son avenir, ou plutôt croit le connaître car ce n'est qu'une possibilité, cela va orienter ses choix, alors que sa voie était peut-être ailleurs, dans un autre avenir moins probable mais plus intéressant pour elle. C'est d'ailleurs un procédé de manipulation bien connu sur Terre, pour lequel on n'a même pas besoin de réellement connaître l'avenir.

«Mais le danger le plus effroyable et dont personne ne se doute encore sur Terre, c'est qu'une personne qui arriverait à voyager dans l'avenir, physiquement ou même en astral, et à y échanger la moindre bribe d'information, le figerait d'avance dans une de ses possibilités, ce qui serait une incroyable violation de la liberté fondamentale de toutes les autres personnes concernées, obligées de suivre un destin fixé d'avance, et sur lequel elles n'auraient plus aucune prise! Voilà qui intéresserait nombre de dictateurs, mais qu'ils ne s'y amusent pas, car on ne peut même pas prévoir ce que figer ainsi l'avenir peut produire comme situation dans le présent. Nous avons vu une fois une planète beaucoup plus avancée que la Terre, mais avec encore du mal, où des dictateurs ont utilisé des vaisseaux comme les nôtres, malgré nos mises en garde, pour déjouer un retour à la démocratie en figeant le futur. Ils y ont parfaitement réussi, mais, sans aucun contrôle des conséquences, ils se sont retrouvés dans une situation de citoyens tout à fait quelconques, parmi ceux qui ont le plus souffert de la dictature rétablie. Et il leur a fallu supporter ça pendant les onze mille ans qu'ils avaient programmé, dans le désespoir le plus total, car ils savaient très bien que quoi qu'ils tentent, même le suicide, ils ne pourraient rien y changer! Pire encore, leur évolution est aussi restée bloquée tout ce temps, faute de libre-arbitre, et quand ils l'ont retrouvé, ils n'avaient toujours rien compris et ils ont immédiatement tenté de recommencer la même chose! Mais là nous avons dû les en empêcher car le retard de cette planète commençait à se répercuter sur d'autres.

«Donc explorer l'avenir nous est interdit et c'est aussi bien comme ça. C'est comme quand vous regardez un film: vous n'aimez pas qu'on vous raconte la suite. Tout de même, il nous est parfois donné l'autorisation à nous Gardiens, de sonder l'avenir pour révéler à des êtres qui en ont besoin des informations qui les concernent. La Source de vie elle-même prévient parfois les mortels d'événement imminents, des accidents, ou ce sens du danger qu'ont les éolis. Sur Terre cela arrive tout autant, mais c'est une de ces réalités non acceptées, refoulées, dont on ne soupçonne pas l'importance quotidienne, surtout pas en lisant les comptes-rendus des matches de foutbole dans vos journaux. Et beaucoup d'entre vous regrettent secrètement quelque part de ne pas avoir écouté un jour une voix intérieure, ou de ne pas avoir tenu compte d'un pressentiment...

«Mais, comme je te l'ai dit tout à l'heure, passé, présent et avenir existent simultanément, au delà du temps, dans cette énergie inimaginable que les chrétiens appellent Dieu, les indiens Grand Esprit, les bouddhistes sagesse, et les éolis Source Universelle de toute Vie. Et qu'est ce qui produit le libre-arbitre dans chacun des êtres vivants? La parcelle de Divinité qui est dans chaque conscience. Pour parler comme un Chrétien, ou comme ta Mère-Grand, Dieu seul peut créer, et c'est Lui qui parle en vous quand vous vous exprimez réellement en tant qu'individu selon les magnifiques lois qu'Il a instaurées. Donc, pour l'avenir, comme le dit votre dicton terrien, Dieu seul sait...

«...Ou, si vous préférez, pour connaître l'avenir, il faut être dans la pensée de Dieu.

«Ou encore, être en communion avec cette énergie universelle qui s'exprime dans le libre arbitre des êtres conscients, et qui par ce biais continue de créer l'univers. C'est là l'unique bonne façon de connaître l'avenir, et qui permet d'accéder, non pas à des probabilités, mais à ce qui est vraiment utile pour la personne concernée, à ce qui est vraiment son chemin, et que l'on peut lui indiquer en toute confiance, sans risque d'attenter à sa liberté ni de perturber son évolution. Sur Terre, vous avez des voyants qui disent voir votre avenir. Beaucoup ne sont que de dangereux escrocs, et parmi ceux qui sont réellement capables de voir quelque chose, certains ne font que capter les probabilités, voire votre opinion personnelle sur votre avenir. Peu d'entre eux sont vraiment capables de vous guider sur votre chemin de vie, et pour cela il faut qu'ils soient eux-mêmes en communion avec la Source Universelle de vie, avec le projet de l'univers, avec ce qu'il y a de plus élevé en nous. En tout cas c'est ce que nous faisons, nous les Gardiens, dans les rares cas où nous sommes autorisés à dévoiler son avenir à quelqu'un.

«Et pour le présent, donc, un peu plus d'Humilité: chacun de nous ne sommes que des canaux, des récepteurs, uniques certes, mais nous ne sommes vraiment nous mêmes que quand nous exprimons les dons qu'Il nous a donnés, l'énergie qu'Il nous envoie. Tout le reste n'est qu'illusion et agitation.

(Note de l'auteur: j'ai exprimé plus tard ces vues sur le temps d'une manière plus claire et plus scientifique, dans mon livre «Epistémologie générale», en particulier au chapitre IV-3)

 

 

 

* * *

 

 

 

Entre deux séquences de projection, Brigitte-Aurora se fond tellement avec les éolis qu'elle se sent vraiment l'une d'eux. Seule sa taille l'en différencie, mais la voilà qui retrouve les mêmes gestes, les mêmes démarches, les mêmes mimiques. Si aucun souvenir ne lui revient, elle éprouve, plus particulièrement avec ses anciens amis, une connivence extrême, une facilité de compréhension mutuelle qui frise la télépathie.

Et ils rient! Et ils s'amusent! Un seul regret: ne pas avoir de travail pour s'amuser davantage. Heureusement il y a les séances de Yanathor. Il faut dire qu'ils s'y entraînaient depuis plusieurs mois déjà.

Bien que Brigitte-Aurora ne retrouve pas ses souvenirs, elle se sent vraiment une éoline, parmi ses amis qu'elle vient de retrouver. Toujours avec son Nellio sur son épaule, elle donne un coup de main pour les petits travaux que les éolis ont emmenés. Mais, les trois jours passant insensiblement, elle (et eux) commencent à trouver fade cette vie sans racines. Il leur faut sentir sous leurs pieds nus la chaleur de la terre mère, la caresse de la mousse, plonger leurs mains dans le terreau odorant où s'enfonce voluptueusement la graine, respirer la brise embaumée des sous-bois, entendre des oiseaux qu'ils n'ont jamais vus, rencontrer des inconnus aux étranges préoccupations, voler aussi loin qu'ils en ont envie sous le ciel lumineux, si loin mais il y a toujours un «plus loin» où ils n'iront jamais car l'univers est bien trop vaste pour le visiter dans toute son immensité, dans toute son infinie variété...

 

Les dernières heures arrivant, Yanathor leur propose une petite visite du vaisseau. «Vous ne pourrez pas tout voir, car en fait nous ne matérialisons qu'une petite partie de nos installations. La vie que nous menons réellement vous serait difficilement compréhensible, inaccessible à vos sens. En particulier nous ne pouvons montrer notre «ordinateur» car il est dans l'astral. Dommage pour les Terriens, mais il est un peu tôt pour leur révéler de telles techniques, qui sont pourtant à leur portée. Il faut de la Sagesse, avant de pouvoir utiliser une machine qui possède l'étrange pouvoir de se connecter directement dans le cerveau humain, à distance, d'y lire les pensées et d'y créer des images et des sons aussi intenses que la réalité...»

Ils se rassemblent tous devant la seconde porte, celle qui donne vers l'intérieur du vaisseau. Elle s'ouvre enfin. Mais saisis, ils n'osent avancer. D'ailleurs Yanathor les retient.

Alors que la coupole de leur compartiment leur montre le ciel rieur d'Aéoliah, la vue donne ici dans l'espace. C'est d'une immensité prodigieuse, incommensurable, avec les étoiles de l'univers tout autour, en haut, en bas. Sur des kilomètres, ou des dizaines de kilomètres peut-être, on ne sait car il n'y a aucun repère de distance, s'égrène une merveilleuse harmonie de dômes, de sphères ou d'autres formes arrondies, multicolores, grands comme des dirigeables ou comme des collines, mais ils semblent petits avec l'éloignement. Certains pourraient loger des dizaines de milliers d'habitants. La plupart flottent immobiles, sans liens matériels, seuls ou en groupes harmonisés par leurs couleurs. D'autres orbitent lentement les uns autour des autres. Ils semblent communiquer entre eux par des sortes d'auras lumineuses ou d'influx colorés, immobiles ou palpitants, parfois animés de lents tourbillons. Quelques sphères blanches beaucoup plus volumineuses, alignées en une sorte d'épine dorsale, abritent probablement des centres vitaux de la Cité des Etoiles.

De cette immensité émane une vibration étrange, subtile, violette, rapide et éthérée, qu'ils ne pourraient soutenir longtemps. Tout autour, à l'extérieur, c'est le vide de l'espace, tout rutilant d'étoiles. Un immense disque bleu ciel luit, parsemé de quelques ovales outremer: «C'est Uhluhlorah. Notre vaisseau est en orbite autour de cette planète, mais c'est bien pour vous faire plaisir qu'on dit qu'il est à un endroit, car, vous le savez bien maintenant, il n'est pas véritablement dans un lieu de l'espace.»

Cette vision disparaît soudain, pour une autre: un immense espace sphérique, blanc et clair, où flottent des points ou des petites boules de lumière colorées. Des effluves éblouissantes comme des éclairs fulgurent rapidement de l'une à l'autre, en une vibration puissante d'activité intense, de pureté, de Force Créatrice.

«Notre temple central. Vous le voyez ici comme en astral, car en fait les vibrations sont si puissantes que les corps physiques en seraient détruits. D'ailleurs ce n'est pas un bâtiment creux, mais un volume plein, comme une petite planète. Nous-mêmes n'y allons qu'en astral. Nous y recevons les énergies spécialement envoyées par la Source de vie, pour en faire notre égrégore opérationnel. C'est un travail très prenant, qui n'est accessible qu'à des êtres ayant pratiqué un entraînement spécial. Même vos sens spirituels ne vous permettraient pas de le comprendre entièrement.»

Avant que les éolis ne se soient mis à commenter quoi que ce soit, cette image laisse à son tour place à une dernière. Mais si belle...

Imaginez-vous plongeant soudain dans le calice d'un de ces volubilis à l'indigo insoutenable... Auranaïa les attendait là, toujours souriante de son sourire énigmatique, indigo sur fond d'étoiles magenta et violettes... Derrière elle s'étend un appartement à la fois intime et irréel... Tout en tentures, en voiles, translucides ou lumineux comme si le Soleil les éclairait par derrière, et tous de ce violet radioactif...

Les éolis et Brigitte-Aurora avancent avec une exquise lenteur, découvrant un monde de rêve, de féerie, une population de pavillons floraux, de pétales opalescents, de feuilles irisées, dans tous les tons du bleu pâle au violet-pourpre fluorescent, harmonieusement disposés, reposants, simples.

«Bienvenue dans le palais de l'Auraliah.» Ainsi les accueille t-elle. Et c'en est bien la pure vibration, féerique, féminine, à un degré de puissance presque insoutenable. Et c'est seulement à ce moment que les éolis s'aperçoivent que Boronnée et Lioureline sont chacun sur une des épaules d'Auranaïa.

Emerveillés, ils se promènent parmi les alcôves et les passages, entre les stalactites de toile immatérielle et les mezzanines de verre teinté. Ils ne sont pas seuls, d'autres Gardiennes et Gardiens Cosmiques sont là, assis ou méditatifs, sans doute pour se recharger de cette bénéfique et si belle ambiance.

Les fleurs pourpres qui ornent certains murs sont-elles vivantes? C'est à se le demander, car elles ondulent doucement, tendent des mains de rêve vers celui qui s'avance, pour le gratifier d'une caresse totalement immatérielle mais ô combien émouvante...

Auranaïa flotte dans cet univers bleu, d'un bouquet d'arums mauves à un fauteuil de nacre purpurine. Elle n'a pas besoin de marcher, Auranaïa. Elle est la fée cosmique, la reine de ce palais de rêve. De rêve il l'est vraiment, car leurs pieds ne touchent pas le sol; ils ne font nul bruit, ne rencontrant qu'une souple résistance, immatérielle, où ils ne rebondissent même pas.

Et par dessus tout cela, il règne un parfum... Même les violettes ne peuvent s'y comparer.

Même Yanathor ne dit plus rien, il sourit, s'attendrit sur les éolis qui volettent de-ci de là.

 

Et que trouvent-ils, dans le palais d'Auranaïa? Des enfants! Ils sont là, dans une petite chambre ovoïde, claire comme en plein soleil, toute tapissée de fleurs, sur un sol de sable mauve pailleté de mica doré. Ils sont le plus riche trésor, les plus merveilleux joyaux de la Cité des Etoiles: des petits enfants, oui, des enfants de la Terre, jouant ensemble comme tous les enfants de l'univers: un garçon et une fillette de l'Inde, encore tout maigres, une petite Sud-Américaine de sept ans aux yeux immenses comme si elle retrouvait la vue après des années de ténèbres, un garçon Noir et un autre Blanc, une jeune Arabe, et trois bébés aux yeux éblouis... Tous des orphelins, discrètement recueillis par les fées cosmiques, alors qu'ils étaient abandonnés de tous dans des pays de misère ou de guerre, et leur disparition parmi bien d'autres n'aura pas attiré beaucoup d'attention...

Emerveillés, ils contemplent ces petits éolis, pas surpris du tout de voir surgir ces étranges bonhommes-oiseaux. Leurs nurses sourient silencieusement, heureuses de montrer leurs trésors. L'Auraliah, c'est aussi dans le rêve des enfants...

 

 

 

 

 

 

Naufragée Cosmique        Chapitre 20       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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