Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 19       

Chapitre 19

Resumé, jusqu'à nos jours.

Patiemment, les habitants de l'île de Lioureline avaient attendu que se libèrent définitivement les tensions souterraines des fondements océaniques.

Et ce jour était venu.

Le troisième volcan avait tonné plusieurs fois, édifiant enfin la troisième et dernière partie de l'île, plus grande que la premières, groupe de collines rocheuses séparées par deux canyons de mer étroits et recourbés. La plus haute de ces collines faisait un pendant au cône du second volcan, moins élevée, mais plus volumineuse. Des panaches de fumerolles dureraient bien encore un siècle ou deux. Ça avait été la dernière éruption, et, dans une apothéose, elle avait saupoudré toute l'île de cendre jaune, très fertile, permettant à l'herbe de verdir déjà les nouvelles collines rocheuses.

Sur la planète Terre, l'Amérique indienne, à son apogée, voyait arriver les voiles blanches de ceux que, tragique méprise, ils prirent pour leurs guides; le Japon mûrissait sa tradition. L'Europe se réveillait du Moyen Age, toute courbaturée; le Tibet entrait dans son âge d'or, l'Inde et la Chine continuaient leurs civilisations millénaires... Et les étoiles scintillaient toujours, dispensant à tous les coeurs qui le voulaient bien leur éternel message de Paix, de Joie et d'Amour...

Depuis des siècles, les éolis de l'île sentaient se préciser l'échéance. Depuis des siècles ils méditaient à leurs futurs villages. Il leur fallait attendre que ce frisson d'Aéoliah fut passé, ainsi que les dernières éruptions, pour pouvoir construire leurs grandes maisons et leurs temples en toute sécurité.

Quelle impatience! Ils étaient plus de trois mille maintenant, attirés par des amis ou posés là par des oiseaux. Parfois les jeunes couples éolis montent sur des oiseaux de passage, sans savoir où ils vont, et l'arrivée est toujours une divine surprise...

Ils avaient fondé plusieurs villages, notamment celui de la lagune, celui du petit lac, un autre à l'Ouest de l'île... Mais ils n'avaient pu créer que de petites maisons individuelles, en bambou ou en fibre de coco, la production de mortier étant insuffisante pour tant de maisons à la fois. Plusieurs ateliers avaient aussi été installés dans des grottes de lave.

Le rôle de Lioureline était maintenant différent. Elle avait donné la note au départ; les anciens la connaissaient, la montraient au cours de leurs voyages; les nouveaux venus s'y mettaient rapidement. Ils pouvaient se débrouiller tous sans la fondatrice, elle n'était plus indispensable, surtout que les éolis sont capables de retransmettre une vibration avec une grande finesse et une fidélité à l'épreuve du temps. Alors Lioureline s'était quelque peu retirée, avec ses proches amis, en haut de la montagne sacrée (le second volcan) et ils avaient fondé là un amour de petit village... féerique, intime et grandiose à la fois, à l'ombre verte des grands arbres. Le rêve de Lioureline...

Lioureline et Boronnée avaient terminé leur travail de fondateurs, et ils s'adonnaient maintenant à la seconde partie de leur plan: être les magiciens, les sources de l'énergie. Depuis leur village secret, niché au coeur du vallon, tout au fond de la forêt sacrée, au sommet du second volcan, émanait un puissant et délicieux effluve bleu clair, parfumé, féerique, le coeur de l'égrégore de leur île...

Vous n'auriez pas reconnu la montagne sacrée: Le désert de graviers roses s'était mué en une épaisse forêt, verdoyante, vivante et fraîche, aux arbres déjà grandioses. Avec le couvert était venue l'humidité, et avec elle l'humus, les champignons, l'herbe, les fraises, la mousse...

Le vallon de Lioureline et Boronnée, tout en haut du volcan, était devenu une adorable prairie en creux, ouverte à l'Est, toute entourée de grandioses fûts et de frondaisons. Quelle vibration fraîche, vivifiante, et solennelle à la fois! Une trouée des arbres, astucieusement disposée à l'Est, permettait de contempler le lever du Soleil entre quelques branches dessinées à l'encre de chine. A l'aurore les premiers rayons inondaient d'or la clairière sacrée, au moment où se déroulait (depuis plusieurs siècles déjà) la cérémonie de la lumière... Ô grandiose fête, mariant l'éveil des oiseaux et la naissance du jour, symphonie de voix aériennes et pures, réverbérées par les frondaisons comme dans une cathédrale vivante, chants émerveillés dont on vient se délecter comme d'une chose rare qu'il ne faut pas déranger...

 

 

 

Depuis plusieurs jours, les éolis se préparaient. Leur sens du danger les incitait à éviter certains endroits, notamment le bord de l'eau. C'est qu'ils voulaient y assister, être prévenus, si cela se produisait pendant leur sommeil! Et il fallait héberger tous les amis des îles voisines venus eux aussi assister au spectaculaire événement.

La veille, les grands oiseaux s'étaient rassemblés, avaient apporté encore quelques invités. Puis, le soir, après un bruyant conciliabule, ils étaient tous partis brusquement.

Nos amis avaient passé la nuit tous ensemble, sur une des places de rassemblement, pas loin d'une pagode à sorties astrales. De là ils pouvaient être informés par les voyageurs de l'esprit qui s'y relayaient continuellement. D'innombrables tentes avaient poussé alentour, pour les invités.

Dès le matin, une tension s'installa: les coeurs battaient, les paroles devenaient graves et rares. Les voyageurs de l'astral revinrent tous brusquement. Les oiseaux chanteurs se turent, et quittèrent les arbres. Malgré l'envie pressante de s'envoler eux aussi, les éolis voulaient sentir vivre et frémir leur île, pour la dernière fois peut-être.

Ce fut très bref: dans un indescriptible grondement souterrain, les roches vibrèrent comme sous la charge d'un colossal marteau-pilon. Les arbres gémirent et oscillèrent, des branches se brisèrent. Les éolis, subjugués par la formidable étreinte de la Terre, soupirèrent, s'exclamèrent.

Puis ils se tournèrent vers la mer: des vagues se ruaient dans les calanques, avec des gerbes d'écume et un fracas étrange (pour cette planète) qui mit plusieurs minutes à s'éteindre. La tension retomba; les oiseaux se remirent à chanter. Longuement, les éolis firent encore silence, méditant sur les profondes et pathétiques vibrations de la Terre vivante, s'en délectant, en gravant les moindres frissons dans leur mémoire. Ce n'est que longtemps après, qu'ils se remirent à parler et à rire, commentant l'événement, excités et joyeux!

Il n'y eut que quelques discrètes répliques, la nuit suivante. Le socle profond de leur île s'était fendu net, d'un bloc, sous l'implacable cisaillement de la faille transformante qui passait un peu au Nord-ouest. Maintenant le jeu de cette faille pourrait se faire plus discrètement, en tout cas sans risque pour les constructions éolines.

Les frissons d'Aéoliah ne font pas beaucoup de dégâts à la nature vierge, à moins d'être extrêmement violents, ce qui est rare sur cette planète. Mais celui-ci aurait tout de même pu abîmer des constructions un peu importantes, notamment les temples en projet près du second lac ou sur la montagne. C'est pourquoi on s'était abstenu d'en construire. Mais le problème ne se posant maintenant plus, ils étaient désormais libres de lancer les vastes coupoles, les minarets de dentelles, les merveilleux palais des mille et une nuits, tout chamarrés de bleus et de mauves... L'île serait tout entière un palais des fées!

De l'océan, par contre, pouvaient toujours arriver des vagues. Pour cette raison les éolis ne bâtissent rien trop près du bord. De toute façon la Beauté et la Poésie privilégiée des bords de l'eau en font des lieux sacrés, ce qui en exclut formellement toute construction banale. Jamais les éolis ne touchent aux roches et aux plages... Mais ils s'y baignent, tout comme nous, avec délectation, tout nus, avec toute la poésie de leurs rires clochettes ou de leurs chants.

Le village le plus proche de l'eau était celui de la lagune. Les vagues avaient déferlé par dessus le lido, protégé par ses forêts de bambous. L'eau de la lagune, brune de sédiments, était montée jusqu'aux premiers jardins; elle ne retrouva son niveau initial que deux jours plus tard.

Même si le frisson d'Aéoliah n'avait pas vraiment fait de dégâts, les éolis savent que tout a quand même une fin: l'érosion finit par emporter les montagnes, et les îles elles-mêmes disparaissent. La plupart sombrent effectivement au bout de dix à vingt millions d'années, englouties dans les fosses océaniques où aboutissent tous les mouvements tectoniques... Même si Aéoliah est une planète de durée, quand la Terre est une planète de cycles, rien n'y est non plus éternel. L'île de Lioureline finira comme les autres, ses montagnes s'enfonceront sous l'eau, elle deviendra un atoll, puis elle sera absorbée dans une fosse, passera sous un continent où son calcaire ressortira sans doute par la cheminée d'un volcan, et ainsi retournera à l'océan pour nourrir d'autres coraux, sur d'autres îles. Plus tard encore, le Soleil d'Aéoliah s'éteindra, et la planète ne sera plus qu'une boule obscure et glacée où les derniers volcans luiront seuls, pendant quelques milliards d'années encore...

Que seront les éolis devenus, à une si lointaine échéance? Dispersés dans les mondes de l'esprit, ils connaîtront d'autres Bonheurs plus vastes, à moins qu'ils ne choisissent de renaître encore sur d'autres planètes, et même dans d'autres univers naissants, ensemençant partout la merveille qu'ils ont su créer sur leur monde idyllique...

De toute façon, aucun éoli n'attendra de si lointaines échéances pour quitter Aéoliah, et, si l'île avait déjà connu plusieurs dizaines de naissances, elle avait aussi déjà vu aussi plusieurs départs, sous les grands ombrages de la forêt sacrée, au fond d'un vallon mystérieux. D'un commun accord, personne ne va jamais là, sauf pour ça.

Les premiers candidats au départ avaient amené avec eux un peu de «terre des morts» recueillie dans une autre forêt, ensemençant ainsi le vallon avec les bactéries spéciales nécessaires en ce lieu.

Certains départs sont intimes et discrets; d'autres sont une émouvante cérémonie: l'île entière fait silence, en méditation. Escortés d'une solennelle procession de leurs derniers amis, joyeuse ou un peu nostalgique, les couples aspirant aux mondes incorporels se rendent dans la forêt sacrée; certains, pour partir plus facilement, n'ont rien mangé depuis plusieurs jours, ce qui leur donne un teint rougeâtre. Après un dernier regard, un dernier baiser à leurs amis, c'est seuls qu'ils s'engagent sous la sylve sacrée, à petits pas méditatifs, ou soudain pressés par leur ardente aspiration. Ils se rendent au vallon des morts, qui est, rappelons nous, un des anciens cratères au sommet de la montagne, un creux fermé de toutes parts. Ayant trouvé un lieu idoine, ils méditent jusqu'au soir, goûtant une dernière fois les douces sensation de leurs merveilleux corps dans cette nature si belle, attirant sur eux les anges protecteurs chargés des départs... Au crépuscule, ils déblayent une couche sous les feuilles mortes, s'allongent à même l'humus, tout nus, et tirent par dessus eux d'autres feuilles jusqu'à ce qu'on ne voie plus rien. Frissonnant dans leur litière humide, enlacés pour toujours, ils s'endorment ainsi, quittant définitivement leur corps pour, libres et radieux, s'élever vers l'espace, ajouter leur lumière à l'anneau planétaire, puis s'en aller, quitter Aéoliah, pour un corps de bébé déjà prêt sur une autre planète encore plus belle, ou pour un paradis de l'esprit, ou pour d'autres mondes encore, trop abstraits ou trop étranges pour que l'on puisse en dire grand-chose...

Les corps ainsi abandonnés reviennent rapidement à la vie générale de la Terre, et toute trace disparaît en quelques semaines.

La première fois, seuls deux ou trois éolis remarquèrent une faible aura lumineuse autour de la montagne sacrée, la nuit suivant le départ. Elle s'intensifia ensuite un peu plus à chaque fois, et devint visible à tous, mais davantage concentrée au-dessus du vallon des morts, comme si une lumière bleu pâle éclairait le ciel de là, sa source restant invisible d'en bas...

De tout ce qui touche les départs, les éolis ne parlent guère entre eux, pas plus que des autres mystères de la vie. Ils savent que, réunis pour un temps dans ce merveilleux jeu d'Aéoliah, chacun d'entre eux continuera un jour son chemin vers l'Infini, connaîtra un autre Bonheur plus vaste, plus beau, et d'autres amis pour le partager, à moins qu'il ne fasse qu'en retrouver d'anciens... Un jour, aboutissement d'un long mûrissement ou soudaine aspiration, ils auront envie de partir...

Mais de toute façon cela ne serait pas avant tant d'années...

 

Sur Terre aussi, amis lecteurs, il existe des méthodes pour, au moment de la mort, transférer notre conscience vers un plan de pure lumière. Cela peut marcher même si l'on a un mauvais karma. Par contre, à la différence des éolis, qui décident volontairement de leur mort, cela nous pose plusieurs graves problèmes d'abréger notre existence, qui est déjà bien trop courte...

 

Au fur et à mesure qu'ils prennent de l'âge, le rayonnement des éolis, d'enfantin devient plus grave, plus profond. La seconde partie de leur vie les voit bâtir de nouveaux corps subtils, se préparer à leur monde futur, et d'autres choses dont je ne puis parler. Certains mondes ont même des antennes sur Aéoliah, des sortes d'écoles, pour préparer leurs aspirants. (A ma connaissance, il n'existe rien d'équivalent sur Terre, ou alors c'est très secret) (...ou très fumiste: c'est précisément ce que prétendent faire les sectes à suicides collectifs. Une école authentique ne vous demandera jamais d'abréger votre existence humaine, qui est bien trop précieuse) Quand les éolis se sentent prêts, ils quittent petit à petit leurs anciens compagnons de village; ils se retirent avec quelques amis, à moins que ces derniers ne les aient précédés ou suivis. Puis a lieu l'émouvante cérémonie du départ...

Mais cela ne serait pas avant tant d'années, pour nos jeunes amis du village d'Adénankar, qu'ils n'y pensaient guère.

Ils avaient tout leur doux Bonheur à vivre avant.

 

 

L'île nouvelle de Lioureline avait beaucoup changé.

Dans la première partie, les arbres avaient bien sûr poussé, et pris leur taille définitive. Les jardins également s'étaient développés, jusqu'au quart environ de ce qu'on avait prévu. Tout était installé, et le résultat était d'une beauté stupéfiante. La vie s'était beaucoup diversifiée, tant en nombre d'espèces qu'en styles, ambiances et vibrations. Des canards blancs s'étaient installés dans le second lac, fleurs animées parmi les nymphéas blancs ou bleus...

En fait cette première partie, tout comme la troisième, serait une zone tranquille, de doux villages paisibles nichés dans de ravissants petits coins. Le véritable centre de l'île serait la seconde partie, avec le grand cône volcanique couvert de sa forêt sacrée, tout entourée de grands villages, notamment ceux de la lagune, centre d'accueil et d'activités, et celui du second lac, plus consacré aux Jardiniers des âmes. En effet Boronnée et Lioureline avaient depuis longtemps transféré toutes leurs activités sur leur île.

Toutes les pentes du second volcan étaient réservées à la profonde méditation, et à son sommet se tiendraient les temples et l'école où enseigneraient Boronnée et quelques amis de sa lignée spirituelle, tandis que Lioureline officierait, distribuant à tous sa merveilleuse joie... Après avoir bâti un paradis concret, Lioureline, sur les conseils de son Jardinier des âmes de compagnon, consacrerait sa douce et féerique énergie féminine à aider d'autres éolis nouveaux incarnés, pour qu'ils bâtissent un paradis en leur coeur... En particulier Lioureline et ses amis, les Jardiniers des âmes et tous les éolis de l'île envisageaient très sérieusement, dès cette époque, d'accepter dans leurs villages des naissances d'êtres venant de planètes où sévit le mal, entre autres de la Terre. C'est aujourd'hui chose faite, et il y en a plus de soixante! Ce qui n'a pas été sans difficultés, et certains ont bien failli rejoindre le vallon sacré des départs avant l'heure... Mais tout a pu être arrangé, et les bénéficiaires jouissent maintenant du même Bonheur que tous les autres éolis!

Au pied du cône de la montagne sacrée, des pentes plus douces rejoignent la mer, et finissent sur d'adorables plages. La forêt descend jusque là, pleine de cocotiers et d'arbres fleuris, comme les merveilleux rivages du Pacifique sud, mais avec des plages roses!

Cette basse forêt est bordée de villages, notamment celui de la lagune et celui du second lac, vastes dispersions de maisons entre des temples et des ateliers, nichées parmi les jardins et de frais buissons aux mystérieuses profondeurs, ombragés de quelques grands arbres... Côté lagune, l'ambiance est un peu pinède et chêne liège, côté du second lac, c'est plus vert intense, prairies aux ondulations sensuelles, constellée de myriades de marguerites, avec en arrière-plan la verdure florissante des grands arbres, la forêt aux mystérieuses profondeurs...

Dans la forêt elle-même, quelques minuscules villages se nichent dans de merveilleuses petites clairières, où ils goûtent à un silence miraculeux, à l'incomparable fraîcheur et à la vitalité tranquille des sous-bois.

Le nord de l'île était encore inhabité et peu couvert à l'époque du grand frisson, à cause des éruptions toujours possibles. On y rencontrait d'abord une petite plaine sableuse couverte de forêts, ou en attente de l'être, finissant sur d'adorables plages. Un peu plus loin des collines montaient vers le troisième volcan, groupe de plusieurs petites montagnes entourant deux merveilleuses baies à l'eau idéalement transparente. Le terrain était ici varié, avec de belles falaises ocre, des roches échancrées, des pinacles, des pentes sableuses... O, que de beaux petits villages à installer! Que de doux petits Bonheurs à filer!

 

 

 

* * *

 

xxx Qu'est devenue l'île de Lioureline aujourd'hui, encore cinq siècles plus tard?

Oh, qu'elle est belle... Joyau de verdure dans son écrin océanique! Petit paradis délicat et parfumé dans une immensité bleue!

Plus de dix sept mille habitants l'ont rejointe. Si vous êtes intéressés, amis lecteurs, dépêchez-vous: il reste encore un peu de place, mais plus pour très longtemps.

Elle est maintenant entièrement couverte de verdure exubérance, de végétation florissante, semée de fleurs merveilleuses... et du joyeux sourire de ses habitants.

Les volcans ne s'étaient plus manifestés que par quelques fumerolles, ou par d'épisodiques remue-ménages dans l'océan, vers l'Est, que les éolis venaient regarder du haut de leurs collines.

Dans toute la partie nord, maintenant à l'abri des éruptions, pousse une forêt de petits arbres, agrippés aux falaises, dans les fissures... Entre les arbustes et les roches aux formes étranges, se nichent d'adorables petites prairies fleuries, où courent et volent d'innombrables oiseaux. Tour à tour ils chantent ensemble, ou ils respectent le Grand Silence de la nature. Comme partout poussent ici une variété surprenante d'arbres, de buissons, de fleurs et d'herbes, habitées par une myriade d'insectes, mais pas de grillons.

Les éolis n'ont pas vraiment bâti là de villages, mais plutôt des groupes de maisons, des cercles d'amis, répartis au hasard des creux de roches, entre des jardins ou autour d'un atelier... Les maisons se nichent discrètement aux lisières, derrière des buissons, ne se signalant que par les petits rires frais des éolis et des éolines, ou par le chant de quelque pipeau. Les groupes de maisons sont suffisamment éloignés les uns des autres pour ménager entre eux des espaces où l'on peut méditer avec les seuls sons de la nature... La plupart de ces maisons sont des boules, comme certaines cases africaines, faites en fibre de coco, ou d'autres matières similaires, de couleurs claires et variées, résistante à la pluie et ne tournant pas au gris avec le temps. Elles sont quasiment invisibles dans la belle nature, et pourtant, c'est là que les éolis sont les plus nombreux. Ils pourraient l'être encore trois fois plus sans troubler le moins du monde la douce poésie de ces roches fantasques tachetées de lichens, de ces falaises plongeant leurs pieds dans une eau infiniment limpide, au fond de corail inimaginablement bleu, constellé de fleurs roses ou dorées...

Tout à fait au fond d'une des deux longues baies, l'ancienne cheminée volcanique, submergée, bée en un gouffre profond à l'indigo mystérieux. Par moments, l'eau se veine de volutes opalescentes de millions d'animalcules en suspension. Ou bien des remous indiquent la présence de grands poissons ou d'autres mystérieux habitants des profondeurs marines.

Il n'y a pas, dans cette partie de l'île, de grandes constructions, sauf quelques pagodes, sur les sommets, réservées à la contemplation, ou simplement pour faire joli. Même les ateliers sont discrets, ou petits.

Une quelconque sonde spatiale terrienne, si elle pouvait arriver en orbite autour d'Aéoliah, n'y trouverait pas trace de vie intelligente... Selon les critères de notre civilisation «moderne»!

xxx Pourtant l'île de Lioureline n'est qu'un de ces innombrables paradis, comme il en existe des centaines de milliers, éparpillés sous les tropiques, îles idylliques des merveilleux et profonds océans Aéoliens...

Le sud de l'île, que nous avons connu en premier, ressemble au Nord, mais en plus doux, plus plat, plus résineux. Il est également un lieu où une douce vie s'écoule, tranquille, dans quelques gros villages éparpillés entre les roches ou nichés dans les grottes de lave...

Là poussent une variété surprenante d'herbes et de plantes, de petits arbres et quelques majestueux pins parasol. Le calme immense qui y règne n'est animé que par quelques oiseaux, et l'on peut entendre le doux chuintement des arbres résineux au soleil, ou le craquement des herbes sèches qui laissent éclater leurs graines. Pourtant ce silence est tout peuplé de fraîches présences, celle visible des éolis, et d'autres invisibles, mais bleues et féeriques...

 

Quand les éolis et les éolines participent aux cérémonies, ou vont sur la montagne sacrée, ils s'habillent de grandes robes flottantes, souvent ornées de longs rubans de coton flou, dans toutes les harmonies de bleu, de mauve ou de violet, comme les maisons, en une vibration légère, élevée, spirituelle, féerique... Mais comme on est sous les tropiques, il fait bon, et les habitants du Nord comme du Sud ne portent habituellement que de grandes jupes, ou paréos en fils de coton flou non tissé. Et d'aller ainsi, les petits seins au soleil, avec des colliers de grosses perles blanches et des tresses dans les cheveux...

Au fur et à mesure que l'on s'approche de la montagne sacrée, la vibration est plus intense, plus féerique, plus profonde...

Xxx Tout autour, de merveilleuses plages de sable rose ou doré s'ornent de maisons suspendues dans les cocotiers, cachées parmi d'énormes grappes de fleurs où bourdonnent d'innombrables colibris chamarrés...

Dans la lagune, avec ses forêts de bambous, ses fleurs aquatiques, ses dédales d'ajoncs, surgit parfois une pagode mauve, sur fond de montagne verte, sous un ciel immensément bleu... Autour de la lagune, ou plus au Nord, s'étendent de tendres villages aux petites maisons bleues ou violettes, nichées entre des buissons, à l'ombre de pins parasols aux harmonieux branchages...

Dans le second lac, avec ses merveilleuses petites îles reliées entre elles par des ponts délicats, ses canards, ses fleurs, et son eau merveilleusement limpide, toujours quelques éolis se baignent parmi les rires joyeux, et d'autres se sèchent, leurs grandes robes étendues sur le rocher...

Et autour du second lac, une grande prairie, doux et frais val de velours vert, semé d'une myriade de fleurs, parsemé de pagodes, semble indiquer le chemin d'un vaste dôme bleu, niché à la lisière de la forêt aux profondeurs ombreuses. Tout autour, sous les premiers buissons, nichent de merveilleuses petites maisons bleues...

Petit à petit, vous entrez dans la forêt sacrée.

C'est d'abord un bois joli, où résonnent les appels d'oiseaux de toutes sortes, tous plus gais ou mélodieux les uns que les autres... Les arbres sont épars et relativement petits, mêlés de buissons de toutes tailles et délicieusement verts, ombrageant un réseau de fraîches clairières d'herbes ou de jardins éolis. Des maisons ont poussé par petits groupes, ou par grappes suspendues, joyeux hameaux du bonheur où résonnent les rires des éolis ou des éolines occupés dans leurs jardins.

Il n'y a une étonnante variété de vies ici, et chaque dessous de buisson recèle des mousses, des plantules ou des insectes différents, notamment des sortes de fourmis que les éolis aiment bien. Pensons que pour un éoli une petite fourmi lui remplit la main! D'autres présences, invisibles celles-là, rayonnent une intense aura bleu foncé ou turquoise, d'une gravité qui contraste curieusement avec l'insouciance et la gaieté des éolis.

Plus loin, sur les premières douces pentes, au pied de l'ancien volcan, la forêt sacrée devient une superbe futaie aux fraîches et mystérieuses profondeurs intensément vertes, avec de merveilleuses petites clairières entre les buissons. Encore des petits villages, mais des villages du silence cette fois, où l'on ne parle pas, où l'on chante seulement, où toute la journée des musiciens se relaient à la flûte où à la harpe... Et toujours d'invisibles présences, de plus en plus fortes, comme on approche du coeur du mystère...

Dans la forêt sacrée, il y a... Oh! Que c'est poétique! Ah, que c'est touchant! Quel dommage que je ne puisse tout vous dire, amis lecteurs! Oh là là là là!

Plus haut, la forêt est pleine et entière, inhabitée, du moins par les éolis, sauf peut-être quelques plates-formes tout en haut des arbres, réservées aux ermites. Là s'élèvent à une hauteur prodigieuse les vastes fûts de plusieurs siècles... Il n'y a plus aucun buisson, le sol pentu est seulement couvert de mousse épaisse, parsemée de petites fleurs ou de champignons. Les feuilles mortes, qui tombent en permanence des arbres toujours verts, ne brunissent pas, elles se dessèchent seulement; ainsi le sous-bois est-il toujours vert. De toute façon la mousse recouvre rapidement les feuilles, et après la pluie le sol forestier est d'un beau vert tendre semé de fleurs...

Les hautes frondaisons tamisent la lumière en ombres mystérieuses, parfois traversées de raies de soleil doré, sur fond vert mordoré. De la canopée descendent d'innombrables gazouillis et chants, douce symphonie estompée par la distance et l'écho, plus une lente mais permanente pluie de pétales de fleurs multicolores, délicieusement parfumés...

Mais plus que le parfum subtil et délicieux de la mousse, de l'humus et des fleurs, flotte ici une vibration de plus en plus intense et émouvante au fur et à mesure que l'on s'approche du rayonnant Mystère...

Tout à fait au sommet de l'île, la forêt devient impénétrable, pleine d'énormes lianes, de buissons compacts, comme si elle voulait décourager les simples curieux. Au sommet des plus grands arbres, quelques plates-formes ont vue sur toute l'île, et vers les horizons océaniques infinis... Il y a toujours des veilleurs là, de jour comme de nuit, qui méditent et rêvent à leur délicieuse île paradisiaque. Quelques autres îles sont visibles au loin, notamment la motte violette de l'île aux géodes, et l'île aux bananes bleues.

Enfin, au coeur du merveilleux vallon de Lioureline, une douce prairie voit chaque jour d'émouvantes cérémonies, célébrations de la vie universelle et abondante, magie des danses et du chant, de la joie et de l'émoi, symphonie de couleurs et de gestes aériens...

Tout autour de la prairie en creux, au pied des grands arbres, dans d'intimes charmilles, se niche le plus merveilleux village bleu des Jardiniers des âmes et de leurs élèves, coeur magique de l'île, plus une douzaine de temples harmonieux, consacrés à la vie universelle, à la forêt, au Bonheur, à la Poésie, aux étoiles... Doux et puissant rayonnement qui rejaillit sur toute l'île, sur l'océan, jusqu'aux cieux... Les éolis des villages, par petits groupes, viennent tour à tour séjourner là, dans le coeur aimant et sacré de leur île, assurer le service des temples et les chants du lever du Soleil, et c'est pour eux de merveilleux moments de Bonheur dont ils attendent le retour avec impatience...

De la forêt sacrée, on ne parle pas: c'est un Mystère, et ce mot «Mystère» de son véritable sens désigne ce qui doit vibrer seulement dans l'intimité du coeur et de l'âme...

 

Oh oui, elle est belle leur île...

Féerique? Merveilleuse? Comment faire autrement que de répéter toujours ces mêmes mots? C'est tellement féerique, tellement merveilleux...

 

Déjà des visiteurs passent, un jour ou un an, et ils transmettent à tous les continents éolis la bonne nouvelle: il y a une île idyllique de plus sur Aéoliah.

Parmi ces visiteurs, Algénio et Liouna, Anthelme et son inséparable Elnadjine sont revenus plusieurs fois. Liouna et Anthelme ont assisté, émerveillés, à toutes les étapes de la création de l'île, à la croissance des forêts, à l'arrivée successive et l'harmonisation des différentes espèces d'oiseaux, de plantes, d'insectes, de poissons... Chaque nouveau venu tentait sa chance, et finissait par trouver une place au soleil parmi les autres, parfois inattendue. Quelques-uns parmi les premiers avaient dû repartir, leur rôle achevé. Mais rassurez-vous, il ne manque pas d'îles nouvelles pour eux sur Aéoliah, puisque que de tout temps plusieurs centaines sont toujours en cours de création.

Nos amis sont revenus plusieurs fois, admirer les merveilleuses harmonisations. Et puis Anthelme adore trouver des tas de petites bêtes inconnues dans la nature. Sa passion de l'écologie est moins ardente, mais plus profonde.

Adénankar et Milarêva étaient venus aussi visiter Boronnée et Lioureline. C'est qu'avec les incarnations d'anciens Terriens, ils ont eu beaucoup de choses à se dire. Boronnée fut assez désorienté, au début, par certaines réactions paradoxales de ses protégés. L'expérience d'Adénankar fut précieuse. A l'inverse, Boronnée savait mieux communiquer l'Enthousiasme et la joie, aussi, une fois passées les plus grosses difficultés, ses élèves s'émancipaient plus vite. Mais l'essentiel de la collaboration des deux Jardiniers des âmes s'était déroulée par l'entremise de Milarêva, qui, légère comme une idée, se joue des distances et du vaste océan.

Anthelme assure même l'avoir vue sur l'île, quand Liouna, au même moment, lui parlait au village... Erreur de date, ou... Ils n'ont jamais pu être sûrs, l'affaire s'était jouée à quelques minutes près, il leur aurait fallu des montres pour savoir l'heure exacte.

Et puis Milarêva s'était laissée mettre des fils une fois, mais pas deux.

Etrange Milarêva, créature toute de blancheur, par moments gentille éoline, silencieuse et si modeste, agréable confidente, et d'autres fois puissance mystique et sacrée, lumière intouchable...

 

Nellio n'était jamais revenu sur l'île. Il préfère rester dans cette sorte d'engourdissement, où le temps passe plus vite.

Plus vite pour lui, car au village, sur l'île, pour nos amis, il en est arrivé, des choses, mais il faudrait pour tout raconter, pour tout décrire, des centaines de livres comme celui-ci.

 

Adénankar et ses secouristes regardent le ciel, en pensant à la Terre... Ils sont inquiets et pleins d'Espoir à la fois. La Terre est de plus en plus sur le fil du couteau, prête à basculer, vers le Bonheur ou vers les ténèbres. Et le fil du couteau est de plus en plus fin... Et pourtant l'humanité terrienne continue toujours son chemin ambigu sans se décider... Jusqu'où les Terriens supporteront-ils cette tension sans cesse croissante? De quel côté l'équilibre finira-t-il par se rompre? Cela passera-t-il par une rupture brutale, ou par un glissement progressif du point d'équilibre des forces? Tous les Terriens seront-ils entraînés d'un bloc, ou certains échoueront-ils?

Ce sont là autant de mystères, qui préoccupent nos amis, depuis plusieurs siècles déjà. Ils ont assisté à l'éveil de la civilisation matérialiste «moderne», et de son système économique immoral, puis à son implacable prise d'hégémonie sur la planète entière, son incroyable génocide des cultures, des vibrations, des paysages et des esprits de lieux... Grave situation, qui fait lourdement froncer les sourcils aux Gardiens Cosmiques...

Ils ont assisté à l'expansion des techniques, qui donne à ces humains des pouvoirs toujours plus effroyables... La morale, malgré elle aussi quelques progrès, n'avait pas pu suivre ce rythme infernal: le rapport pouvoir sur moralité prenait des valeurs toujours plus dangereuses. Les Terriens s'étaient eux-mêmes condamnés à relever le défi, à accroître leur moralité où à mourir sous leurs propres coups. Qu'y peuvent les Jardiniers des âmes?

Alors Adénankar et ses amis ont continué leur patient travail, sauvant miette par miette ce qu'ils pouvaient sauver. Plus de deux centaines d'anciens Terriens, libérés du poids de leurs défauts, dégagés des limites qu'ils s'étaient eux-même imposées, ont pu renaître dans les villages voisins de nos amis, ou parfois sur d'autres planètes idylliques, et d'autres sont en préparation. Les Jardiniers des âmes peuvent être contents.

Si un jour l'humanité se décide elle aussi à faire de sa planète un paradis de splendeur, à mettre sa puissance croissante au service de la vie, alors il est fort probable que, sur Aéoliah, certains éolis prennent le chemin d'une profonde forêt, pour y laisser leurs corps et retourner sur leur ancienne planète...

Et ce jour-là, enfin, nous serons reconnaissants pour ceux qui savent.

 

 

Et Aurora?

Ils n'ont toujours aucune nouvelle d'elle. Seule Milarêva dit de temps à autres que tout va au mieux, mais sans donner aucune précision ni aucune date.

 

Et c'est là le sujet du second livre, «Naufragée Cosmique».

 

 

 

 

 

 

Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 19       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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