Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 10       

Chapitre 10

* Anthelme à Irizdar *

Pour échapper quelque peu au goût amer qui flottait sur le village les temps qui suivirent l'accident d'Aurora, Anthelme décida d'aller à Irizdar. Il invita Nellio, ce qu'Adénankar approuva. Il n'eut pas besoin d'inviter Algénio et Liouna, ni bien sûr Elnadjine. Tous les cinq se rendirent donc à Irizdar.

Ils avaient rendez-vous à l'aube, sur la plate-forme d'Adénankar. Ils y arrivèrent à l'heure où le silence cristallin annonce l'aurore. Tout d'abord, dans l'obscurité, ils ne virent que le contour de la maison arboricole. Ils s'y posèrent. Adénankar était déjà assis au milieu de la mousse, et Milarêva, un peu en retrait, se reconnaissait aisément à sa silhouette claire, comme légèrement lumineuse, et à l'ineffable parfum d'Amour que l'on ressent toujours en sa présence. Sauf Nellio, ils la voyaient pour la première fois, aussi leurs petits coeurs se mirent à battre, et leurs visages à rougir d'une délicieuse timidité. Elle s'éclipsa au bout de quelques secondes.

Dans le plus profond silence, sans même une salutation, ils s'installèrent ensemble pour la méditation de l'aube. Seul l'écho nocturne du torrent, tout juste audible, montait du fond de son lit de brume. L'anneau planétaire à cette heure avait retrouvé toute sa splendeur.

A peine quelques minutes passées, le premier oiseau donna le signal, plus haut vers le village. Les bois d'Adénankar suivirent avec un peu de retard, sans doute parce qu'ils donnent au Nord.

L'aube, chez Adénankar, était aussi belle, mais différente, donc plus belle encore qu'au village. Chaque communauté d'oiseaux s'éveillait à son tour, et la mélodie tournait autour des éolis, avec une lente majesté. Un timbre entendu là-bas se retrouvait d'un autre côté, avant d'être couvert par un autre, en une partition subtilement complexe, magistralement orchestrée par le hasard et la Providence... Le ciel rosissait parmi les entrelacs de rameaux noirs ou violets. Les feuillages en haut de la colline flamboyèrent soudain; encore un peu et un rayon d'or jaillit, explorant horizontalement les sous-bois, puis disparaissant pour transformer les cimes des arbres en lumineux vitraux vert tendre.

Quelle Paix grandiose, dans cet écrin de fraîcheur! Tout ce qu'il fallait pour la méditation du Jardinier des âmes. Une fois la splendeur du jour établie, les colombes qui nichaient dans le même arbre se mirent à roucouler tendrement, en une vivante image de Paradis, que dis-je, elles étaient le Paradis.

Nos amis s'aperçurent alors que la plate-forme d'Adénankar avait été agrandie, non pas en surface, mais en hauteur, ce qui revenait au même car sa forme générale était restée un cône la pointe en bas. Elle était faite de bûches savamment coincées dans les diverses enfourchures, et, avec le temps, définitivement scellées en place par la croissance du tronc. C'était une construction assez élaborée, malgré sa rusticité. Un vernis protégeait les parties sensibles, formant des pellicules qui guidaient l'eau de pluie aux endroits critiques, laissant au sec le fondement de la plate-forme. Dans les parties basses du cône, des espaces entre les bois formaient des galeries, dont l'une abritait une maison, ainsi discrètement séparée du reste. L'ancien dessus d'argile de la plate-forme avait été remplacé par une salle qui pouvait abriter une réunion de vingt ou trente éolis. Une vaste réserve de fruits et champignons secs attendait de pied ferme les plus grosses troupes de visiteurs inopinés. Enfin, l'ensemble était recouvert par le nouveau chapeau d'argile, plein de jardins. Ce chapeau, comme l'ancien, avait été maçonné en argile (sans doute par les colombes) pour le rendre imperméable et permettre d'y cultiver la mousse et les fleurettes. L'argile était séparée du bois par des colonnettes en brindilles. Cet espace permettait de détecter les fuites, tout en préservant le bois du contact de l'argile humide. Les colonnettes, elles, étaient condamnées à pourrir rapidement, mais on pouvait les changer aisément. C'était toute une technique! C'était surtout un travail énorme, porter toute cette terre, et même de lourdes pierres. Qui avait pu faire cela? Pas les oies, car elles auraient inévitablement empêtré leurs cordes dans les branches.

La nouvelle plate-forme ressemblait donc à la précédente, mais avec une grande place moussue au centre, et, sur le tour, des fleurs et des plantes grasses. Les maisons-boule avec les curieuses grilles ressemblant à du fer forgé (en fait une sorte d'osier), qui avaient tant intrigué Anthelme et Nellio, étaient toujours là, sur une branche latérale, mais ils devaient maintenant regarder vers le bas pour les voir. Adénankar recevait sans doute sur sa grande plate-forme ses amis d'Irizdar, ou d'autres Jardiniers des âmes. Mais il n'y avait présentement que lui et Milarêva.

Il était maintenant temps de partir. Les colombes frémissaient. Adénankar les appela: comme tous les animaux, elles comprennent toujours quelques mots essentiels. Il leur en fallait une chacun, Adénankar restant là. Les nouveaux éolis mirent un moment à se sentir à l'aise sur leur dos étroit et ondulant; elles durent marcher en rond sur la mousse pour les accoutumer. Puis elles s'envolèrent, les éolis bien cramponnés aux tiges des plumes, et elles s'en furent par une trouée de ciel entre les cimes.

Dix colombes et cinq éolis s'élevèrent majestueusement dans l'air pur du matin, taches blanches qui disparurent dans l'azur immaculé, vers le Nord, vers Irizdar.

Le trajet n'était pas direct: il fallait contourner un haut et vaste plateau aux impressionnantes falaises. Irizdar étant un peu plus élevé que le village, les colombes durent conserver leur altitude au-dessus d'une profonde vallée, se retrouvant ainsi à voler très haut au-dessus du sol. Les nouveaux éolis se sentirent vite en confiance sur les colombes qui, en vol, remuaient moins qu'en marchant. Elles faisaient attention, de toute façon, et puis les éolis ont des ailes, eux aussi. Bien qu'ils soient incapables de voler si loin, ils peuvent tout de même se rattraper en cas de chute, ce qui de toute façon n'arrive jamais.

Le seul bruit, hors le chuintement feutré de l'air dans les ailes, était le sourd mugissement du torrent qui dévalait la pente loin en dessous d'eux, en s'enflant de nombreux affluents. Il avait taillé une profonde gorge dans des roches brunes, où il roulait en écumant. Parfois, les éolis croisaient d'autres oiseaux qui s'appelaient ou chantaient en volant. Ils admiraient, émus, le formidable paysage de roches roses ou jaunes et de forêts d'émeraude; ils s'en enivraient et, sans le savoir car il ne l'auraient pas imaginé autrement, appréciaient la pureté, la virginité de cette nature grandiose, splendide pour elle-même, jamais cadastrée, libre, sauvage, à jamais vierge de toute spéculation, de tout «aménagement»! Vue de cette hauteur, la forêt était un tapis vert presque immobile sous eux, épousant les formes élancées des contreforts du plateau, et toute constellée d'arbres en fleurs. Tout au fond de la profonde vallée, le torrent rejoignait une grande rivière formant des boucles et des plages. Sur l'une d'entre elles, ils virent tout de même une boule rouge, minuscule dans ce grandiose paysage mais bien trop grande pour être de fabrication éoline. Du reste il ne devait pas y avoir de village dans cette profonde vallée.

Une colossale falaise jaune barrait maintenant la route devant eux, une vaste mesa de grès descendant en dents de scie vers la droite. Les colombes visaient une de ces échancrures, qui se rapprochait insensiblement. Sur la gauche la falaise était couronnée de forêts d'où une cascade se jetait dans le vide pour s'y dissoudre en écume, sans toucher le fond. Au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient, leur mouvement d'une lenteur majestueuse redevenait perceptible. Ils longeaient maintenant la falaise vers l'échancrure. Vue de près, la perspective verticale de la masse rocheuse était vertigineuse.

Ils ressentirent alors, plus vivement que jamais, la pathétique et formidable vie des roches, qui s'étale sur de si fabuleuses durées de temps. Chacune des fines raies horizontales de l'immense falaise avait été une plage, ou pendant des milliers d'années des êtres aujourd'hui disparus avaient vécu, joué, s'étaient aimés, puis étaient repartis vers l'Infini... Ces fines strates, il y en avait des dizaines de milliers, légèrement inclinées maintenant; il suffisait d'un peu d'imagination pour accélérer ce lent mouvement et y voir les énormes et si lourds empilements de grès catapultés à de prodigieuses hauteurs par les formidables poussées des tréfonds de leur planète. Ces monts colossaux vibraient d'une lente et puissante pulsation, énergie fantastique mais pathétique par sa lenteur, par son poids de souvenirs disparus, de Bonheurs achevés et aujourd'hui oubliés.

Enfin ils atteignirent le petit col et s'y posèrent. Pas sur le col lui-même, plein d'arbres et d'étranges lianes pendantes, mais sur une petite roche en forme de champignon, à peine plus haut. Les éolis et les colombes, à force d'y traîner leurs chaussettes depuis des millions d'années, en avaient arasé le sommet à plat.

Après un bref repos, les colombes permutèrent leurs passagers, et l'on repartit. A peine dégagé du petit col, la vue s'étendait, au-delà d'une autre vallée moins large, vers le plateau et les falaises rougeâtres d'Irizdar. Aucun détail n'en était visible d'ici, sauf les fenêtres noires et des taches de verdure. Sur leur droite les deux vallées se rejoignaient en s'élargissant et la vue s'y perdait dans de lointaines perspectives bleues et des successions de monts arrondis.

Une fois franchie la seconde vallée, profondément verte et sans trace de rivière, ils survolèrent le plateau d'Irizdar presque en rase-mottes, suivant les ondulations de douces collines, par de jolis vallons, frisant parfois la cime des arbres. Le paysage, de grandiose était devenu intime et charmant. Les arbres ne portaient pas de fleurs, se contentant d'une palette de verts reposante et variée. De frais ruisseaux glougloutaient sous les arbres, des tribus d'oiseaux babillaient, et, par moments, des chants ou des rires nous chuchotaient que l'on survolait un des innombrables villages du Bonheur, invisible dans son écrin de verdure.

De temps à autres des plates-formes arboricoles émergeaient des frondaisons, couvertes de mousse, de tentes ou de maisons de feuilles; ou bien nos amis survolaient des prés constellés de potirons roses, exactement comme dans leur propre village, ou encore une mare s'ornait de nymphéas, de ponts inutiles ou de pagodes flottantes. Si les éolis étaient plutôt discrets, les oiseaux, eux, offraient des symphonies variées de chants qu'ils traversaient tour à tour; parfois c'étaient de véritables nuages de papillons ou d'autres insectes bruissant de leurs ailes chamarrées. Quel émouvant voyage pour les jeunes éolis, qui pensaient à toutes ces merveilles, à tous ces amis à jamais inconnus, coulant là aussi un Bonheur paisible et immuable...

 

Enfin, après une dernière butte, le terrain descendit doucement en une longue prairie ondulée, et ils virent Irizdar, de près cette fois.

C'était une vue merveilleuse. Imaginez une longue falaise irrégulière de roches rougeâtres aux vastes lobes arrondis, aux formes bizarres, pleine de porches d'ombre emplis d'arbres et débordant de lianes pendantes, couronnée de tours et de clochetons roses délicatement sculptés, couverts de verdure. Le contraste rose-vert vibrait intensément, mais de ces formes vivantes et douces émanait une Harmonie bien plus poétique que grandiose.

Les colombes visaient un point au pied de la falaise où brillait une étoile d'or, et enfin elles se posèrent devant l'entrée principale d'Irizdar, simple porte dans le roc, sous un vaste surplomb. Ce porche au pied de la falaise (curieusement c'était le seul à ce niveau) était petit comparativement aux autres, mais un humain aurait tout de même pu y pénétrer debout. Il était entouré de volutes et d'entrelacs complètement asymétriques, curieusement sculptés à même la roche, plaqués de feuilles d'or brillant au Soleil. C'était une des rares constructions éolines ne recherchant pas la discrétion. Par endroit, quelques lambeaux de dorure étaient tombés à même le sol, sans que personne n'ait pensé à les prendre. La falaise formait ici un surplomb abritant de la pluie, aussi il ne poussait rien dessous. Dans le petit parvis de sable ocre, perpétuellement des éolis et des colombes se posaient ou repartaient, effaçant chacun les traces des précédents. Nos amis firent de même, comme tous les autres. Les colombes, après les avoir salués du bec et s'être fait abondamment caresser, s'égayèrent dans différentes directions.

 

Les nouveaux éolis eurent un vertige: pour la première fois de leur vie, ils étaient seuls, loin de leurs amis habituels, de leur maison, de leurs parents, en un lieu inconnu, où ils n'avaient même pas de jardins. Dans quoi s'étaient-ils donc lancés? Ils étaient là, sur la vaste plage de sable rougeâtre devant le porche mystérieux et obscur, hésitant un peu sur la conduite à tenir, quand ils réalisèrent que ce couple qui s'avançait vers eux n'était autre qu'Ozoard et Orzeilla, qui les attendaient, tout simplement. Pourtant personne ne les ait prévenus. Ces Jardiniers des âmes sont vraiment attentionnés. Sans cela, il y aurait eu de quoi chercher Ozoard pendant des semaines dans l'incroyable dédale de grottes et de villages.

Quelles joyeuses retrouvailles! Une ombre planait pourtant, mais ils n'y firent soigneusement aucune allusion. Chacun savait que les autres savaient, et donc chacun se taisait. Anthelme ne put s'empêcher de complimenter Orzeilla de sa si belle voix, ce qui la fit (et la fait toujours) rougir, et en plus zézayer! Elle leur renvoya la balle en filant entre ses doigts les si beaux cheveux d'Elnadjine, qui rougit encore plus.

Enfin ils s'avancèrent dans l'ombre du porche. Il émanait de là un léger courant d'air vivifiant, embaumant un subtil mais profond parfum. «Les mousses-lumière» précisa Ozoard. Cet air était léger, agréable, très pur, et son étrange senteur, comme un souvenir d'encens dans une vieille église, était vraiment propice à la méditation.

Dès les premiers pas dans la galerie il apparut évident qu'elle était artificielle, de section régulière en forme de silhouette éoline. Qui avait bien pu accomplir un si formidable travail, tailler ainsi des centaines de mètres cubes de cette roche dure? Eh oui, même Ozoard n'en savait rien! Mais ces larges dimensions se révélèrent bien utiles: il fallait attendre l'accoutumance des yeux, et, de ci de là des groupes d'éolis attendaient en cercles. Le plus pratique était de marcher doucement, ce qu'ils firent, sur un sentier profondément marqué dans le roc au fil des millénaires.

Au fur et à mesure que l'on s'avançait plus profond dans l'obscurité, les murs se tapissaient petit à petit de discrets points lumineux, comme des braises sous la cendre: Les mousses lumière! Nos amis commencèrent à s'exclamer, à montrer abondamment du doigt, tandis qu'Ozoard faisait le connaisseur! Mais il fallait attendre d'arriver dans la première caverne pour apprécier pleinement le somptueux spectacle.

C'était une salle naturelle, de dimensions moyennes pour un humain, mais immense pour les éolis. Le sol était légèrement en cuvette, avec de ci de là de curieux champignons de pierre; le plafond formait un dôme allongé, d'où descendaient quelques longues aiguilles de stalactites. Toutes les formes étaient émoussées et arrondies par l'épaisseur considérable de la mousse. La salle n'avait pas à proprement parler de murs, mais la vue se perdait dans plusieurs directions différentes, entre de larges piliers ou des bombements du plafond. Le spectacle des oeuvres souterraines de la nature est déjà suffisamment prodigieux pour rendre les jeunes éolis béats d'admiration; mais il faut préciser que pas un seul centimètre carré de roche n'était visible: l'hypogée était entièrement tapissée d'un somptueux velours lumineux, rose comme une braise incandescente, et les parties les plus lointaines chatoyaient d'ors, de mauves, de pourpres. C'était d'une splendeur à couper le souffle! Et par dessus tout, les mousses absorbaient tous les sons, de sorte qu'il régnait une Paix et un Silence impalpable comme l'air des hautes montagnes, avec le parfum délicieux et léger des mousses, qui rappellerait un peu le plus subtil encens!

Bien que des chemins serpentassent un peu partout dans les galeries, il était plus commode d'y voler. Nos amis étaient presque seuls maintenant, dans un réseau de couloirs et de salles, parfois simplement séparées par des forêts d'énormes piliers. En fait presque tout ce niveau de la montagne était creux, sans doute une strate de roche plus soluble avait-elle été emportée pendant que le reste tenait bon.

Mis à part les mousses lumineuses, ce niveau d'Irizdar ressemblait tout à fait à une grotte de Dordogne que l'on appelle le Grand Roc, elle aussi accessible aux visiteurs par un tunnel et ornées de splendides concrétions. Les galeries d'Irizdar ne sont pas en fait de dimensions très supérieures, et c'est en raison de la petite taille des éolis qu'elle sont pour eux immenses, comme une série de vastes cathédrales.

Il aurait fallu en effet des jours pour explorer tout le réseau, aussi ils avançaient au hasard... Mais était-ce vraiment au hasard, avec Ozoard? Parfois un puits ou une fissure obscurs béaient au plafond, inexplorés. On se gardait bien d'aller y voir, pour en garder le mystère.

Ils aboutirent à une salle plus grande, au sol en forme d'entonnoir avec un ou deux vagues gradins. Au fond béait un gouffre, en forme de losange très aplati, lumineux comme le gueulard d'un four incandescent. Un souffle tiède, à l'âpre senteur de silex, émanait là des profondeurs mystérieuses... Les nouveaux éolis, vivement intrigués, survolèrent le fascinant puits de lumière, tentant d'y voir le plus profond possible, mais il n'était pas rectiligne.

Cette fois Ozoard et Orzeilla prirent la tête du petit groupe, dans des galeries plus humides, avec, par endroit, de l'eau suintant le long des murs et des stalactites, laissant des traînées sombres dans la mousse: elle ne pousse pas dans l'eau. Les concrétions devinrent bientôt nombreuses et vivantes, et les nouveaux éolis purent admirer toutes les plus invraisemblables contorsions auxquelles se livrent ici les stalactites: chaque séjournant d'Irizdar tenait à avoir la sienne, et ils rivalisaient d'imagination pour la modeler des plus curieuses façons. Souvent drôles, toujours fort belles, parfois émouvantes, elles témoignent depuis des millénaires de l'ingéniosité poétique du merveilleux petit peuple éoli.

Toutes ces galeries semblaient ne pas avoir d'autre usage que d'être les galeries d'Irizdar; pourtant Orzeilla et Ozoard en connaissaient les moindres recoins. En fait le labyrinthe lumineux était tellement vaste que les éolis, si nombreux fussent ils, n'avaient réussi à n'en occuper qu'une petite partie. Le reste, ils s'y promenaient, admiratifs, où y méditaient par petits groupes, comme ils en rencontrèrent par-ci par-là.

Un certain effort dans leurs ailes leur indiqua qu'ils montaient; de fait ils se retrouvèrent soudain au-dessus d'un immense puits qui, Orzeilla l'expliqua, recoupait le niveau inférieur d'où ils venaient. Plusieurs niveaux s'étageaient ainsi jusqu'au sommet de la montagne. Les génies des roches avait fait là un fabuleux travail...

 

Enfin ils aboutirent dans une salle plus discrètement éclairée de violet, toute bruissante d'une profonde et merveilleuse musique... Mais belle, qu'ils n'en avaient jamais entendue de pareille! Ozoard les fit se poser, pour éviter les bruits d'ailes. Frémissant d'impatience, ils s'approchèrent entre des groupes d'éolis assis ou allongés, leur chapeau sur le nez, ce qui pour tous les éolis d'Aéoliah signifie: «chut je médite».

Prenant place à leur tour, nos amis se regardèrent, bouche bée... La musique cosmique! D'une orgue, de choeurs et d'une immense harpe montaient droit à l'âme les accords sublimes d'une profonde Harmonie, à la fois grandiose, lyrique et émouvante... Un lent et ample mouvement, un rythme discret mais envoûtant, un subtil crescendo mélodique étreignaient les coeurs, résonnant jusque dans les immensités infinies du Cosmos, où tant de merveilles sont possibles... Puis le mode changeant soudain, comme un vaste retournement, et un doux frisson montait le long du dos, ou une larme perlait...

(Le titre «Quasars» du «Golden Voyage (volume 1)» de Bearn et Dexter donne une idée de la subtilité des mélodies entremêlées de la musique des éolis...)

Des forêts de cordes bruissaient ensemble en un sublime mantra dont on n'aurait pu définir le ton, avec des chapelets de notelettes indéfiniment répétées, ou d'aériens arpèges... Les mélodies s'envolaient, batifolant dans les recoins de la vaste voûte, en cascades, en constellations cristallines, ou retombant en émouvants glissandos des médiums. Les chants étaient d'une splendeur incroyable; les voix individuelles des centaines de choristes se fondaient entre elles pour former des voix d'éolis ou d'éolines idéaux, touchant directement aux cordes les plus sensibles du coeur éoli...

Oui, comme l'avait promis Ozoard, cette musique profondément bouleversante portait vraiment l'esprit au-delà du monde ordinaire, vers les plus hautes sphères, vers des merveilles plus belles encore! L'air d'Irizdar, plus subtil, plus éthéré, plus transparent, nourrissait l'âme! En entendant des plus sublimes Harmonies et des choeurs cosmiques, la grotte de lumière n'avait plus de murailles, et son merveilleux ciel de velours mauve constellé d'étoiles de braise s'étendait à l'infini... On était en plein Cosmos, parmi les étoiles, dans un des mystérieux vaisseaux des Gardiens de la vie... Quel lieu plus approprié pour résonner sur Aéoliah que la féerique cathédrale souterraine aux murs irisés? Ils restèrent des heures à écouter, chaque nouvelle coloration musicale les emportant plus loin encore.

Dès qu'un musicien ou un chanteur s'arrêtait, un autre le relayait aussitôt, en une improvisation éternelle, qui déployait ses arpèges sans une seule interruption depuis des millénaires, depuis le début d'Irizdar. Pour une improvisation, les éolis étaient remarquablement cohérents, comme toujours. Parfois, ils changeaient subitement de ton sans aucune concertation, et même ainsi aucun ne se laissait surprendre. Résultat d'années d'études de l'Harmonie et des vibrations... Selon l'inspiration, c'était calme et doux, tendre et émouvant, grandiose et lyrique, sidéral ou ineffable.

Longuement ils goûtèrent, émerveillés, aux subtiles résonances, aux tentures sonores, aux paysages aériens vibrant de chants d'étoiles; ils s'emplirent de la subtile mais puissante énergie qui vibrait dans la grotte entière. Plus que jamais leur venait l'élan d'admirer le Cosmos, de goûter à la vie plus profondément, plus intensément, de louer ardemment la Source Universelle de vie qui leur prodiguait ces merveilles...

 

Anthelme, curieux comme toujours, ne put résister à la tentation d'explorer la vaste caverne magique, et découvrit qu'elle recelait plusieurs harpes et orgues. En fait, les différent jeux, au lieu d'être regroupés en un seul buffet, étaient répartis sur tous les murs, jusqu'au plafond ogival.

Les harpes étaient gigantesques, tendues sur des concrétions formant table d'harmonie. Pour obtenir les notes les plus graves, les éolis avaient dû utiliser de grandes cordes, comme pour nos instruments Terriens, ce qui les rendait immenses pour eux. Elles étaient aussi beaucoup plus espacées: chaque corde avait de multiples emplacements, où des éolis prenaient place, assis en lotus, pour y jouer. Aucun éoli n'aurait été assez grand pour jouer sur toutes les cordes à la fois! Aussi utiliser ces instruments gigantesques était, là encore, une affaire d'équipe... Les cordes, sonnant comme le bronze au timbre lumineux et chaud, semblaient d'argent ou de platine, pas tant pour la beauté que pour en éviter l'oxydation dans ces cavernes humides. Anthelme se demanda bien où et comment elles avaient pu être fabriquées, et en quel métal. Pas en fer, il aurait rouillé en quelques jours. Et pas sur Aéoliah: Ozoard disait donc vrai, il fallait bien qu'elles aient été amenées de quelque autre planète, avec des industries et d'autres choses extraordinaires et mystérieuses, et ces histoires de vaisseaux cosmiques n'étaient pas une plaisanterie! Les tables d'harmonie des instruments étaient en calcite translucide, apparemment guidées lors de leur formation, exprès pour cet usage. Les éolis jouaient tantôt avec des maillets, des balais, ou encore des archets; parfois même ils utilisaient ce dernier accessoire directement sur une stalactite qui rendait alors un son riche et émouvant, d'autant plus que les concrétions elle-mêmes étaient accordées dans cette salle! Certains archets étaient gigantesques et devaient être manipulés à quatre ou plus; que l'on imagine alors le degré de coordination, de précision et de doigté des musiciens éolis, car il est déjà bien difficile de jouer du violon seul!

Les orgues intéressèrent vivement Anthelme, qui se demandait bien d'où provenait le puissant souffle d'air qui les faisait vivre. Mais leur tuyau d'amenée d'air était invisible, taillé dans le roc. Elles étaient construites sur les mêmes principes que nos classiques orgues de cathédrales, de mêmes vastes dimensions (encore l'histoire des notes graves) et de sonorité comparable. Mais les tuyaux, au lieu d'être en métal (rare sur Aéoliah), avaient été creusés dans la paroi rocheuse. On ne voyait que la commande des soupapes et les embouchures, avec un siège et un musicien pour chaque soupape. Les buffets et les tubes prenaient parfois la forme en méduse si caractéristique des concrétions. Les éolis jouaient de cet instrument d'une manière à la fois grandiose et lyrique, mais aussi délicate et aérienne, surtout dans l'extrême aigu qui va chez eux bien plus haut encore que nos oreilles peuvent entendre. Les graves étaient plutôt jouées en lentes pulsations, qui, mine de rien, avaient tôt fait d'éveiller les énergies, ou de vous transporter vers les hauteurs spirituelles, surtout quand les plus gros tubes emplissaient la salle de leur tonnerre!

La musique éoline est, comme la nôtre, basée sur l'octave divisée en six, puis douze, puis vingt-quatre intervalles, tempérés ou en gammes, selon plusieurs systèmes différents, adaptés à une variété d'instruments rudimentaires comme le pipeau ou complexes comme l'orgue ou la harpe. Sur cette dernière, d'ingénieux registres et clés permettent de changer de ton rapidement, en plein jeu, sans avoir à ré-accorder l'instrument. Seulement, pour un éoli, les plus grosses clés avaient la taille qu'a pour nous un levier d'aiguillage de chemin de fer! La musique éoline a de nombreux modes différents, exprimant chacun une vibration, une ambiance ou un état d'âme particulier, tout comme la musique des Indes où chaque raga (mode) ne se joue qu'à un certain moment de la journée, ou pour certaines circonstances précises. Il en va de même des modes éolis, qui conviennent aussi à différents paysages sentimentaux, à des personnalités variées...

Les choeurs, eux, perchaient sur des balcons, répartis par sexes et par tessitures. Ils chantaient à coeur perdu, passionnément, avec tout leur corps, comme font les êtres qui vivent vraiment. Ils ne disaient pas de paroles, mais plutôt de ce que nous appellerions des voix d'anges, des voyelles tenus indéfiniment, chaque choriste reprenant son souffle à tour de rôle. Et c'était beau, émouvant au-delà de toute expression...

Cette cathédrale naturelle était occupée en permanence par des éolines ou des éolis venus méditer et rêver, imaginer et s'enthousiasmer au rythme sublime de la Musique des Sphères. La nuit ils étaient plus nombreux encore, car, rappelez-vous, les éolis ne dorment pas tout le temps comme nous. Mais comme pour nous la nuit est tout de même le meilleur moment pour rêver. Les éolis arrivant ou repartant à tout moment le faisaient toujours dans le plus grand silence, à petits pas feutrés, pour ne pas troubler l'attention des autres.

Anthelme examina de près la mousse-lumière; ses couleurs semblaient changer selon la musique, ou parfois même scintiller comme les étoiles... Vu de près, la lumière émanait d'une multitude de petits globes gros d'un millimètre environ, entourés de petites feuilles pelucheuses, sur un fond d'anciennes mousses mortes. Là aussi une forte épaisseur s'était accumulée au fil des siècles, sauf au plafond qui devait être régulièrement dégagé pour ne pas étouffer la riche résonance de ce volume. Des zones plus sombres témoignaient d'un tel travail récent, qui devait se faire par roulement. La mousse était tout un monde de beauté: chaque globe avait sa propre couleur, et pulsait lentement à son rythme. Quand les globes de même couleur arrivaient à battre ensemble, les murs palpitaient alors d'arcs-en-ciel mouvants!

Quel merveilleux et fantastique spectacle que ces grottes de lumière! Quoi d'étonnant à ce qu'un tel lieu ait été choisi pour une école de Sagesse, pour un centre de méditation! Les éolis qui y étudiaient remerciaient chaque jour les génies des roches et la Source de vie Universelle de leur avoir donné un si bel écrin pour les joyaux de leur Sagesse.

 

Anthelme le premier rompit le charme; Ils réussirent à quitter la salle aux harpes, non sans avoir reculé plusieurs fois, retenus toujours par une variation plus merveilleuse encore. Ils cheminèrent à pied le long d'une galerie plus étroite où glougloutait un filet d'eau, admirant la beauté des gours où l'onde si pure semblait invisible, quand elle ne reflétait pas la féerie étoilée du plafond comme un tranquille miroir de rêve.

Mais ils se rendirent compte qu'ils avaient faim. Ils n'avaient pas mangé de la journée et maintenant on devait être vers la fin de l'après-midi. Ozoard et Orzeilla les guidèrent alors dans un dédale de galeries et de salles montantes, plus petites et moins éclairées, peuplées d'une myriade de concrétions sculptées, représentant des éolis ou des éolines radieux et émouvants, qui, pour la plupart, les avaient quittés depuis longtemps. Certaines de ces concrétions étaient même en voie d'être recouvertes par d'autres plus récentes, ne se laissaient plus apercevoir que par des lucarnes, sereins visages d'êtres totalement réalisés, se préparant lentement à devenir d'étranges et poignants fossiles, témoins de milliers d'évolutions achevées jusqu'à la perfection...

 

Dans les parties hautes d'Irizdar, les mousses-lumière ne couvraient plus les murs entiers, mais seulement des plaques qui, avec le temps, devenaient d'étranges globes et autres boursouflures arrondies et rebondies. Le reste des murs était couvert de concrétions, ou bien montrait des strates par milliers au fur et à mesure que l'on montait; la même formidable et pathétique sensation de la vie des roches leur revint à cette vision: remontant ainsi les galeries ils remontaient également le temps, un temps incommensurable, habité d'une quantité infinie d'éolis et d'éolines aujourd'hui partis au-delà de tout ce qu'ils pouvaient concevoir de la Création.

 

Enfin ils débouchèrent dans un de ces vastes porches des hauts de la falaise d'Irizdar, tout empli d'arbres. Ils ne purent admirer la splendeur de cette étrange végétation qui semblait suspendue en l'air, car le jour déclinait en un flamboiement d'ors et de roses, comme s'ils n'étaient pas vraiment sortis des grottes.

Il y avait là un curieux village, tout d'argile ocre rouge vernissée, suspendu à une hauteur vertigineuse par tout un réseau de cordes sur lesquelles grimpaient voluptueusement de délirants volubilis. On n'avait pris aucune précaution contre la pluie qui n'y entrait jamais. Les fleurs-lumière venaient de s'allumer pour éclairer le plus charmant des spectacles: imaginez des sortes de Kremlins mous et dansants, encastrés les uns dans les autres, tout couverts d'entrelacs psychédéliques, incrustés de cristaux dorés ou roses, de paillettes de mica luisantes... On pouvait se réunir sur des plateaux ronds, en une sorte d'osier, de différentes nuances disposées en cercles concentriques, orangés, paille, ou vieux rose. C'était vraiment la cité des djinns des Milles et unes Nuits. Assis en cercle sur un de ces tapis suspendus, un groupe d'éolis et d'éolines chantaient, accompagnés d'une simple flûte de bambou, comme toujours de taille démesurée pour les petits éolis.

Les fleurs-lumière ici pendaient des arbres, comme des lampadaires; elles brillaient des mêmes couleurs que les grottes, roses et oranges, sur le fond de ciel bleu nuit derrière eux, tout scintillant d'étoiles auxquelles répondaient, loin au dessous, une myriade de lumières des villages des vallons d'Irizdar. De l'intérieur de la grotte filtrait une palpitante fluorescence mauve... Même pour un éoli ce spectacle était merveilleux, il était inimaginable pour un Terrien.

Ils se posèrent sur le plateau des musiciens, dans un silence feutré pour ne pas troubler leur douce et calme communion. Mais ces derniers s'arrêtèrent d'eux-mêmes, pour sourire en bienvenue, une étoile d'or dans le regard. C'étaient sans doute des élèves de l'école, habillés à la mode d'Irizdar, d'une étoffe un peu rugueuse, un pli horizontal au cou, et l'insigne joliment brodé. Seuls les permanents en avaient un en or, métal tout de même rare même sur Aéoliah.

Ozoard et Orzeilla eurent une courte discussion à voix basse. Leur fonction dans l'école d'Irizdar n'était ni d'enseigner, ni d'administrer; cette fonction n'existe dans aucune école terrienne: Elle consistait à inopinément faire de grands discours enflammés dans les amphis, à apparaître à chacun de temps à autres pour parler de trucs mystérieux ou de planètes pas possibles, à être introuvable quand une question brûlait les lèvres, à rapporter les inévitables potins, amener des graines de fruits inconnus, organiser des farces, à tout savoir sur Irizdar mais ne pas avoir le droit de tout dire, bref à piquer les curiosités, énergétiser les élèves, entretenir la flamme de la vocation. Et ils s'y prenaient bien, les nouveaux éolis en savaient quelque chose! En bonne pédagogie, c'était là le rôle le plus important et il était impossible de faire le cancre à Irizdar. C'est des subtils, les Jardiniers des âmes.

De toute façon tous les élèves venaient quand ils voulaient, quand ils avaient quelque chose à apprendre, et ils repartaient strictement quand ils le voulaient. Si certains s'acharnaient à tout découvrir rapidement, d'autres y mettaient des siècles. D'autres encore n'y venaient que pour un cours particulier, pour une matière choisie ou un séminaire, voire même simplement pour nourrir leur âme de cette ambiance raffinée. Il n'y avait ni classes, ni groupes, ni emploi du temps prédéfini, mais un vaste libre-service de cours les plus divers, sauf pour l'école des Jardiniers des âmes mais c'est là une autre histoire. Les élèves, entièrement responsables, organisaient eux-mêmes leur parcours, chacun selon sa méthode, et il y en avait pour tous les styles: des amphithéâtres pour les grandes communions collectives avec le Savoir, des petites salles pour cours personnels ou équipes, de vastes bibliothèques en libre-service et des recoins ensoleillés dans les hauts, où chacun pouvait venir siroter tranquillement son rouleau. Les professeurs de Sagesse étaient vite de bons amis; leur seule autorité était de veiller à ce que les connaissances des élèves soient suffisamment complètes et équilibrées dans la matière qu'ils avaient choisie. Pour cela chacun pouvait les consulter et au besoin se faire guider dans le complexe dédale des enseignements riches et variés d'Irizdar.

De toute façon cela ne valait que pour l'enseignement théorique. En fait la pratique de l'évolution de l'esprit prend bien plus de temps, et demande un suivi plus personnel par les Jardiniers des âmes. Mais cela n'est pas visible dans l'école. Chacun étudie un peu, repart, travaille, vit sa vie, puis, quand il se heurte à une difficulté, ou veut aller plus loin, il fait un petit séjour à Irizdar, et reprend ensuite sa vie quotidienne avec de nouveaux exercices.

Irizdar n'est que le point focal d'une activité qui concerne en fait tous les éolis, et tous y viennent un jour ou l'autre, surtout quand ils entrent dans la seconde partie de leur vie.

 

Ozoard présenta les jeunes éolis. Les musiciens leur firent le compliment: C'est qu'il n'est pas si courant de voir de si jeunes éolis à Irizdar. Puis Orzeilla guida nos amis vers une autre place suspendue, sous la première, couverte de feuilles, où les attendait un gros tas d'appétissantes prunes oblongues à demi sèches, des sortes de glands comestibles, et d'autres fruits tous plus parfumés les uns que les autres. Les éolis sont loin d'être gourmands, mais ils prennent un sain et pur plaisir à la satisfaction des besoins de leur corps. Or ils n'avaient pas mangé de la journée et beaucoup volé. Ils avaient donc grand besoin de se gaver de délicieux jus sucré, ce qu'ils firent avec une délectation joyeuse et appliquée.

Les joueurs de pipeau avaient repris leurs chants, de plus en plus doux au fur et à mesure que le soir s'avançait. Nos amis s'assirent aussi; aucune parole ne fut échangée. Pour dire quoi? Il suffisait de goûter ensemble à cette ambiance paisible, poétique et si chaude...

Les entrelacs fous qui couraient sur les murs semblaient animés, par quelque astuce d'optique, et ils dansaient inlassablement autour des maisons rondes, sautant de fenêtre en fenêtre...

Nos amis finirent par avoir sommeil. Ozoard leur dit de prendre les maisons qu'ils voudraient, sauf la sienne: il y en avait beaucoup de libres. Les flûtistes eurent un dernier sourire...

L'intérieur des maisons était d'un agréable pastel vert frais, contrastant étrangement avec l'orange ocre extérieur. Dans ces mignonnes maisons d'hôte attendaient des lits simples. On n'en changeait pas forcément les draps pour chaque nouveau visiteur: vu l'absence de maladies, la propreté et le parfum naturels du corps éoli, l'hygiène n'a pas besoin d'être aussi stricte que chez nous. Et puis c'est fascinant de s'endormir ainsi dans le parfum d'éolis ou d'éolines inconnus, au son d'une suave musique de flûte... Plus tard dans la nuit un des couples de musiciens, voulant se coucher, trouva Nellio endormi dans son lit. Tant pis, ils allèrent dans un autre. Ainsi les éolis, sur leur planète accueillante, voyagent léger et sans soucis: pourquoi tout emporter alors que tout ce dont on peut avoir besoin se trouve toujours sur place?

 

Le lendemain ils se levèrent alors que l'aube resplendissait déjà. Le porche naturel donnant vers le Sud-est, on pouvait admirer le lever du Soleil au-dessus d'un lointain massif de montagnes habituellement bleues, mais d'un violet profond à cette heure. Le village d'Ozoard était relativement silencieux: il n'y habitait qu'une seule tribu d'oiseaux et quelques autres nids de couples solitaires. Les chants étaient donc moins fournis qu'au village, mais particulièrement mélodieux... En sourdine, un bruissement féerique de myriades d'oiseaux de la forêt montait jusqu'ici, fond sonore discret mais si beau... Certains nids d'oiseaux étaient en argile, accrochés au plafond, et les éolis les avaient décorés eux aussi de ces étranges entrelacs qui couvraient également une partie des parois. D'autres maisons étaient taillées dans la roche, dont celle d'Ozoard et Orzeilla, au vaste portail entouré d'extravagantes sculptures rougeâtres, où l'on accédait par une longue passerelle en cordes. Sans doute recelait-elle quelques salles et galeries secrètes... En tout cas personne d'autre que ses habitants n'y avait jamais pénétré, et il était fort difficile de dire si les étranges rumeurs qui courraient sur cette habitation étaient fondées ou non. Chacun savait à Irizdar qu'Ozoard était tout à fait capable, par exemple, d'entrer et de ressortir dix fois par jour d'une galerie en cul de sac, simplement pour donner à penser qu'il y avait là quelque mystère excitant. Mais on arrivait vite à comprendre que Ozoard et Orzeilla étaient, sous leurs apparences baroques, des êtres d'un haut niveau d'évolution, des anciens d'Aéoliah, détenteurs d'authentiques secrets initiatiques et de quelques pouvoirs très particuliers, bien qu'ils soient par contre d'une discrétion exemplaire sur ces sujets.

En dessous du village suspendu, plus bas sur les roches, un immense nid tapissé de duvet attendait ses occupants, absents pour le moment: les deux belles oies blanches d'Ozoard et Orzeilla, qui répondent aux noms d'Uderline et Zerneline.

La paroi extérieure des falaises apparaissait, vue de près, percée de minuscules fenêtres éolines, de dix à vingt centimètres de diamètre, éclairant un fantastique réseau de salles et de couloirs taillés dans le dur calcaire au prix d'un immémorial labeur.

Pour se laver, point de rosée. Ils s'enfoncèrent dans le porche, débouché d'une vaste galerie pénétrant plus avant dans la montagne, jusqu'à ce que les mousses-lumière prennent le relais de la lueur du Soleil. Toutes ces parois en étaient couvertes de constructions diverses, de niches et de plates-formes, résultat de millénaires de travail. Pour se laver, ils trouvèrent, dans une petite salle en dièdre aux parois oranges et blanches, une goulotte suintant d'une fissure dans un petit gour blanc comme neige; on pouvait y puiser à l'aide d'une grande louche pour alimenter une vingtaine de petits bassins de calcite... Mais oui. Une bonde en liège permettait même de les vider. C'était un lieu agréable, et même joli car l'eau était pétrifiante et formait des fleurs de cristaux étincelants. A cette heure il était très fréquenté, en une joyeuse animation. Ozoard savait que ses visiteurs devaient continuer à vivre selon leurs habitudes, même pour un bref séjour, et devaient donc pouvoir se laver quand ils voulaient, avec de l'eau fraîche, ce qui leur fait tant de bien. Ici ils le faisaient tous ensemble: les éolis et les éolines n'ont ni fausses pudeurs ni complexes.

Après le délicieux et vivifiant bain du matin, l'estomac réclamait son tour de soins. Ozoard et Orzeilla avaient disparu, mais nos amis connaissaient maintenant le chemin. Un gros oiseau qu'ils ne connaissaient pas déposa sur la terrasse aux fruits une sorte de melon et s'en retourna aussitôt. Ah ils avaient bien l'air de se la couler douce, à Irizdar, si haut au-dessus des jardins. C'est ce qu'on aurait pu croire, mais en réalité élèves et professeurs descendaient souvent ensemble dans les frais vallons au bas des grottes pour y cultiver eux aussi. Un éoli ne touchant jamais la terre, c'était impensable. Ozoard descendait moins souvent, car son rôle très particulier le sollicitait en permanence. Mais il cultivait dans le porche même, en dessous du village suspendu, à côté du nid de ses oies blanches, une sorte d'étrange fleur inconnue au parfum unique. Personne n'avait jamais pu lui faire dire où il l'avait dénichée, ni même son nom, ce qui obligeait tout le monde à dire «la fleur d'Ozoard». C'est qu'on le sentait bien capable d'avoir provoqué lui-même une mutation, créant ainsi son espèce, à exemplaire unique bien entendu.

Ozoard reparut, seul, un peu après manger. Ozoard et Orzeilla donnaient toujours l'impression d'avoir des tas de rendez-vous, mais ils étaient toujours parfaitement détendus et jamais pressés. Ozoard emmena les jeunes éolis dans une vaste visite guidée de l'école et de ses annexes. Anthelme ne redemanda jamais plus où étaient stockés les rouleaux! Il y en avait des centaines de milliers, soigneusement répertoriés et classés dans de gigantesques galeries: libre-service pour modèles courants, épaisses archives poussiéreuses à souhait, rouleaux rares ou précieux à dérouler sur place... Un astucieux système d'anneaux colorés sur leur housse permettait de lire leur numéro et d'autres informations sans avoir à les remuer. Les rouleaux ne se rangeaient pas perpendiculairement au mur, mais en épi, ainsi les précieux anneaux étaient toujours visibles, et on pouvait plus facilement les sortir dans les étroits passages. Il y en avait de petit ou de grand diamètre, selon leur contenu, mais tous avaient la même longueur pour passer sur tous les supports. Cette norme, établie par les tout premiers éolis, était valable sur toute Aéoliah, valant environ 12.7 cm, soit la taille moyenne d'un éoli, sans le chapeau.

Parfois un rouleau manquait, et dans son alvéole capitonnée était glissé un pétale de fleur. Anthelme, curieux, en déroula un, pendant qu'Ozoard lui souriait en coin: tout simplement l'éoline qui avait emprunté le rouleau, avait écrit dessus son nom et l'endroit où elle l'avait emmené, pour que l'on puisse aisément le retrouver.

Ils entrèrent dans une salle circulaire aux murs tapissés de diagrammes et d'écritures, avec, pendant du plafond, un dôme de mousse-lumière, tellement ventru qu'il allait bientôt toucher par terre. Une cinquantaine d'éolis, et d'autres entrant ou sortant en permanence, étaient absorbés dans la lecture de tous ces signes. C'était simplement les listes des rouleaux; Ils étaient rangés selon un système de référence unique, mais plusieurs listes ordonnées de différentes manières permettaient à chacun de s'y retrouver selon sa propre méthode pour organiser son travail. Il y avait même, plus bas dans les grottes, une sorte d'urne pour tirer des numéros de rouleaux au hasard... Tout à fait sérieusement, car les éolis le savent parfaitement, le hasard fait toujours merveilleusement bien les choses! En effet, quand on est en Harmonie avec la Source de Vie Universelle, elle vous comble de toutes ses grâces... Et les élèves qui utilisaient l'urne faisaient souvent grâce à elle de merveilleuses découvertes. Le principe de ce tirage au sort était fort simple, à base de billes et de plateau tournant, mais il y avait un petit truc, pas du tout «magique» mais qui facilitait beaucoup l'expression du bon hasard au détriment du hasard statistique. Mais Ozoard, Adénankar et toute leur équipe se garderont bien de nous confier ce petit secret, tant que chez nous se trouveront des gens susceptibles de mal l'utiliser...

Anthelme, lui, savait ce qu'il voulait. Pas besoin de hasard... Plus tard, peut-être?

 

Nous les Terriens habitués à former des multitudes anonymes et inexpressives, serions bien surpris de n'entendre nulle part à Irizdar de brouhaha. Même dans la salle aux listes régnait un silence de chapelle, à peine troublé par les chuchotements d'un groupe, de temps à autres. Dans les couloirs circulait tout un monde affairé, portant des rouleaux, de grands pétales ou des chemises, arborant l'éternel sourire des éolis, et toute leur charmante attention avec. Jamais chez les éolis de cette fausse politesse qui vous fait dire à longueur de journée des «merci» ou des «excusez-moi» à des inconnus à qui l'on ne pense même pas. Chez les éolis, dans les couloirs d'Irizdar, vous croisez une éoline splendide, ou un éoli, trimballant une grande feuille violette, et elle/il vous plante son regard le plus troublant dans les yeux, et elle/il s'arrête juste devant vous, avec son parfum enivrant, et elle/il se retourne quand vous passez. Elle/il a simplement trouvé votre aura belle, et a eu un pur bonheur à la regarder, à l'apprécier. Que faire de mieux que d'en être heureux vous aussi? Si l'éoli(ne) inconnu(e) avait été vraiment amoureux(se), elle/il n'aurait pas du tout agi ainsi, au contraire elle/il aurait été très intimidé(e): L'amour est un Mystère!

Les éolis, dans ces rencontres impromptues, éprouvent plutôt un sentiment auquel notre évolution Terrienne encore inachevée ne nous permet d'accéder qu'après un assez long mûrissement. Chez nous, la rencontre d'une belle ou gentille personne ouvre trop souvent encore la porte à la drague, à la séduction, au désir de possession, ou à d'autres expériences décevantes. Un sourire, un simple regard même, peuvent être interprétés comme une proposition ou un accord vers ces attitudes, et c'est bien triste car les gestes naturels et si bons de la Bienveillance se retrouvent chargés d'ambiguïté, au point que la plupart des gens préfèrent les éviter, voire même s'en défendent comme d'une agression.

Les éolis, eux, maîtrisent très bien cela, en se jouant. Comment? Pas par quelque extraordinaire talent; simplement ils ne désirent pas pour eux. L'éoli donne spontanément, là où nous avons encore trop souvent le réflexe archaïque de prendre pour nous, de ne penser qu'à notre propre plaisir. Entre éolis, entre personnes dégagées de tels conditionnements, on est pleinement libre de goûter le pur plaisir d'admirer une belle créature, une belle âme, et d'être heureux pour elle, gratuitement, sans craindre d'être mal perçu; on peut également se laisser admirer soi-même sans aucun risque, et en être très vivement heureux! Les éolis peuvent librement manifester ce plaisir, le partager, le recevoir, seuls ou en groupe. Les éolis sont entre eux comme nous entre enfants qui se font des câlins, c'est tout naturel et c'est si bon. Quand des éolis inconnus se rencontrent ou que des amis se retrouvent, ils font le geste de fraternisation, bras en ovale, ou ils s'embrassent; un éoli, ou une éoline aussi bien, qui admire vos cheveux se mettra à les caresser... Pour les éolis, qui sont si fidèles en amour, ou pour nous Terriens quand nous vivons sérieusement en couple, les rencontres imprévues ne mèneront pas au sexe, mais elles portent des promesses d'amitiés toutes aussi belles... Et pour ceux d'entre nous Terriens dont le coeur est vacant, un sourire, un regard aux douces énergies, sont la porte ouverte à un nouveau bonheur, coeur, corps et âmes unis... Et c'est merveilleux. Quelle stupidité que d'avoir terni les plus beaux moments de notre vie avec ces histoires malpropres de possession, de pouvoir ou de drague.

De toute façon ils sont tous beaux, les éolis.

De cette beauté naturelle du corps qui exprime si ingénument la beauté de leur âme.

Quand, trop souvent, chez nous la beauté du corps n'est qu'un leurre qui nous laisse sans défiance devant les plus horribles difformités de l'âme ou du coeur.

Et puis, savez-vous, la tendresse leur est indispensable. Sans elle, ils mourraient. Et nous-mêmes Terriens vieillissons prématurément. Alors hein...

 

Sans aller forcément jusqu'à ces démonstrations extrêmes, quand un éoli ou une éoline en croise un autre dans un couloir d'Irizdar, il sait que c'est aussi une éoline ou un éoli en train de marcher gaiement dans un exaltant couloir d'Irizdar, quelle aventure, cela mérite bien au moins un clin d'oeil complice! Il n'y a rien de caché ou de secret, rien de ce que nous appelons à tort «personnel» ou «nos affaires». Ils sont complices, ensemble, tous les deux dans la même action, le même jeu, de commettre la même folie de vivre, et ça les fait sourire! Et même se marrer! Évidemment, l'autre a sa vie, ses amis, ses projets, inconnus mais sûrement passionnants. Quelle chance si on se retrouve dans la même équipe de jardin!

Jamais non plus de nonchalance: pour les éolis, même nos cadres dynamiques auraient l'air de roupiller. Ils sont contents, les éolis, enthousiastes, ils arpentent joyeusement les couloirs, à grandes enjambées! Oh, que ce rouleau est appétissant! Oh, vite le lire!

Dans la langue éoline, il n'y a pas de mots différents pour le jeu et le travail, pas plus que d'opposition artificielle entre le travail manuel ou le travail intellectuel, pas davantage qu'on ne sépare l'activité de subsistance «utile» de la création artistique «inutile». Tout cela n'est que de l'«activité». Mais il y a des centaines d'activités! Et beaucoup de mots pour en parler...

Chez les éolis il n'y a pas non plus de différence entre «l'expression personnelle» ou «travailler pour la communauté», ni entre faire une chose de notre propre initiative, ou une qui nous a été demandée. On prend aussi bien son plaisir à aider la collectivité, qu'à suivre nos penchants personnels.

Ça en simplifie, des choses, je vous le garantis.

 

Ozoard pilotait les nouveaux éolis dans le dédale de galeries et de grottes, tantôt éclairées par des mousses roses, tantôt par des rais de jour bleuté tombant d'un immense plafond, tantôt par les vitraux de feuillages verts tendre d'une fenêtre dans le rocher. La luminosité était faible mais assez égale; il le fallait pour éviter d'avoir sans arrêt à accoutumer la vision en se déplaçant. Seules les couleurs variaient, en d'agréables contrastes. Les vraies fenêtres, celles que les éolis avaient eux-même taillées dans le roc, éclairaient surtout les salles de lecture, nécessitant la pleine lumière. Les couloirs passaient alors derrière, ne recevant qu'un peu de jour. Par endroits également, montant de quelque gouffre, leur parvenait le son émouvant de la grande salle de l'orgue, a moins qu'il n'en existât plusieurs autres plus petites, dédiées à des styles particuliers.

Ils virent un des amphithéâtres, vide car on ne les utilisait pas tout le temps. C'était une salle, plus bas dans les grottes, abondamment couverte de mousse-lumière, au sol plat de sable sec. Un stalagmite en forme de champignon avait été promu au rôle de chaire. La stalactite correspondante avait été déviée, pour éviter à l'orateur d'être constamment arrosé. En attendant un usage plus collectif de ce lieu, des petits groupes débattaient passionnément, de ci, de là.

Souvent dans les galeries étaient sculptées ou rapportées en argile des loggias, des balcons arrondis, des maisons-boule éclairées de l'intérieur. C'étaient des sortes d'expositions, dans tous les domaines de la vie: maquettes de nids, de terrasses arboricoles, de machinettes éolines, des cartes, des peintures somptueuses sur tous les sujets concrets ou spirituels, des maquettes multiples représentant les différentes phases d'une construction, avec toutes les pièces exactes à l'échelle, ou grandeur nature, démontables et remontables.

On y trouvait de tout: des globes d'Aéoliah, des peintures de paysages d'autres planètes et des choses étranges que l'on y rencontre, comme des véhicules mécaniques ou des machines à calculer, et aussi des peintures que nous pourrions qualifier d'abstraites... Rien à voir bien sûr avec les gribouillages que sont en réalité la plupart des tableaux ainsi nommés sur Terre. Rappelons-nous que le but (clairement exprimé) des (véritables) fondateurs de l'art abstrait Terriens était de retransmettre des vibrations, et ce sans le secours à une représentation «réaliste». Il n'y a donc forcément rien à «comprendre», mais seulement à ressentir dans une (véritable) oeuvre abstraite, qui est ainsi la forme de peinture la plus pure. Imaginez une salle des grottes d'Irizdar, où l'on accède par en dessous grâce à un puits. Le plafond est en forme de dôme translucide, éclairé de l'extérieur pour paraître luminescent comme un ciel, et entièrement peint de différentes harmonies de couleurs, avec des motifs, volutes, larges dégradés, taches, arabesques, réseaux géométriques... Bien sûr cela ne représente rien de concret, mais évoque par contre tout à fait ce que sur Terre nous appelons des vibrations, de diverses natures. Ces vibrations émanent des êtres et des choses selon l'humeur, l'état d'âme, l'heure, le lieu... Les éolis ont pour les désigner tout un vocabulaire précis et objectif, basé sur les vibrations des sons, puisque comme les couleurs, les sons ont aussi chacun une vibration. Quand cela était possible, les noms et les sons correspondants étaient inscrits sur les murs de chaque salle, ou encore elles étaient parfumées de diverses essences de fleurs. Ces peintures étaient donc bien des oeuvres fort utiles (et souvent fort belles) exprimant des choses abstraites, dépourvues d'apparence concrète, mais existant dans les domaines de l'esprit et des sentiments.

C'était tellement énorme à tout visiter, qu'ils préférèrent ne pas s'y lancer... L'école d'Irizdar avait un côté véritablement encyclopédique, une incroyable accumulation des créations et des archives de millions d'éolis sur plus encore d'années. Bien sûr les sujets indispensables à la vie des éolis y étaient abondamment et précisément enseignés, panorama des techniques, spiritualité, agriculture, écologie. Mais des matières «inutiles» comme les mathématiques, la logique, la musique ou la calembourdologie y étaient exposées avec le même sérieux, ainsi que le fonctionnement des corps concrets ou subtils des éolis, les interminables listes de plantes et d'animaux, les centaines de planètes amies aux civilisations parfois si déroutantes, l'évolution de l'univers, la vie des roches, et d'autres choses encore, incompréhensibles à nous Terriens. C'est que les éolis, comme tous les êtres un tant soit peu éveillés, sont curieux de tout. Consacrer du temps à juste connaître l'univers, sans arrière pensée utilitaire, c'est aussi cela, la vie!

Un peu partout il y avait des salles d'eau comme celle de chez Ozoard, à la faveur d'un suintement, dans le bol d'un gros stalagmite, et les éolis appréciaient de pouvoir se laver à toute heure, ce qui n'était pas toujours si facile dans les villages.

On trouvait aussi de petites salles d'étude, souvent occupées, celles-là, par une équipe, avec ou sans professeur. Ces derniers ne se reconnaissaient d'ailleurs pas des élèves. Autour d'un porte-rouleaux, d'un tableau de fine calcite blanche ou d'une table, quelque éoli chevelu et barbu à souhait expliquait, ou on essayait ensemble de comprendre un point particulier. Ailleurs au contraire on s'appliquait silencieusement à des écritures ou à des exercices.

Les étudiants peintres ou calligraphes consacraient une partie de leur séjour à recopier des rouleaux, assurant ainsi la pérennité de la vaste bibliothèque d'Irizdar. Ils virent une de ces salles de peinture, isolée dans un recoin ensoleillé et tranquille, où une douzaine d'éolis s'affairaient patiemment sur de très longues tables à rouleau, passionnant et minutieux travail. Ils pouvaient même recopier fidèlement les images sans les avoir vues, grâce à un système de codage descriptif, similaire à celui des thangkas tibétaines, grâce aussi à leur perception précise et objective des vibrations.

Mais curieusement la plupart des étudiants paraissaient passer leur temps à déambuler en devisant joyeusement dans les couloirs, par petits groupes ou chargés de feuilles et d'écritoires. En fait la vie à Irizdar était une sorte de fête, de happening permanent. La plupart des étudiants n'y venaient que pour quelques jours qui étaient l'occasion de revoir des amis, ou de faire connaissance. Souvent des groupes d'amis s'y donnaient des rendez-vous spirituels ou intellectuels; des compagnons de travail venaient ensemble pour se perfectionner; certains même ne faisaient qu'y suivre une compagne ou des amis étudiants sans en être eux-même.

De tout temps, sur notre Terre, escholiers et étudiants ont organisé chahuts et manifs. Ces deux mots n'avaient bien sûr aucun sens sur Aéoliah, mais, de fait, ces coutumes doivent ressortir de quelque besoin profond et universel, car, de temps à autres, une sorte d'effervescence imprévisible gagnait tout ou partie d'Irizdar, et l'on y voyait alors grands Sages et jeunes élèves jouer comme des enfants à cache-cache derrière les stalagmites, ou faire d'énormes improvisations musicales de pure joie tous ensemble. (On aura bien sûr compris que ni les chahuts ni les farces éolines ne dérogent jamais à la Poésie) Les éolis de la montagne, pressentant les bons moments, rappliquaient alors dans les grottes, et assistaient, assis en lotus, aux pires fou-rires sans jamais se départir de leurs mines extatiques, ce qui bien entendu redoublait encore l'allégresse. Nellio et Algénio auraient bien aimé voir ça, mais ils n'en eurent pas l'occasion pendant un si court séjour.

Evidement pour que leur belle école ne dégénère pas en un phénoménal désordre, il fallait que les éolis aient chacun un sens particulièrement aigu de la responsabilité personnelle et de l'Entraide. Personne ne les obligeait à venir; ils le faisaient par plaisir, par passion, par désir de servir. C'était LEUR école, ou encore, cette école appartenait à la Joie, à la vie. Qui chez nous aurait idée de dire «notre administration», à propos de l'un de ces monstres froids dont trop souvent le contrôle nous échappe totalement, dont le simple citoyen n'a guère plus à attendre qu'une indifférence polie, quand il ne se fait pas tout bonnement marcher dessus par ces géants qui poursuivent aveuglément leur chemin...

Chacun a Irizdar avait donc à coeur que tout s'y passe pour le mieux. Et tout allait fort bien. Les détails d'organisation se réglaient selon leur nature par des notes, des réunions, des plans, des modes d'emploi. Les cours se déroulaient à la perfection, entre deux rigolades ou fêtes. Cette douceur de vivre n'empêchait nullement la rigueur dans le travail: Si les éolis avaient décidé de faire un cours ensemble à telle heure, le cours avait bien lieu à l'heure dite, avec tous ses participants, même sans «organisateurs». Les enseignants tant que les élèves avaient aussi très à coeur l'entretient des lieux, qui se faisait toujours à temps. L'idée d'avoir pour cela des sortes de serviteurs ou d'employés était fondamentalement étrangère à la mentalité des éolis, et ils auraient eu horreur de se sentir assistés dans ces humbles détails de la vie quotidienne. Il n'y avait non plus aucune ségrégation entre élèves et enseignants; là encore une telle idée aurait paru folle aux éolis. Tout au plus les résidents étaient mieux logés, ce qui est compréhensible. De toute évidence également, entre leurs jardins, l'entretient et autres à côtés, les éolis ne passaient qu'une partie de leur temps à effectivement étudier ou enseigner. Pas rentable, diraient nos costumes-cravates. Mais qui aurait eu l'idée de passer tout son temps le nez dans des écritures, au fond d'une grotte sans soleil? C'était pour les éolis aussi incroyable que pour nous, si nous passions nos journées enfermés dans des boîtes en béton.

Les grottes n'étaient que le lieu propice à l'étude et à la communion avec l'Univers. Il n'y poussait évidement rien à manger. Aussi les villages des vallons d'Irizdar servaient de support à l'école. Ce n'était nullement une charge pour eux: il y habitait cent fois plus de monde que dans toute l'école. Quand les oiseaux d'Irizdar prélevaient dans les récoltes pour porter dans les hauts villages des grottes, cela ne se voyait même pas. Il aurait fallu compter pour s'en apercevoir, mais jamais l'étrange idée de compter sa récolte ne serait venue à un paysan éoli.

Et encore que l'école aurait été une lourde charge, cela aurait été quand même acceptable, puisqu'elle est utile à la vie...

Et de toute façon c'était LEUR école à TOUS. Quand un éoli d'en bas voyait un oiseau prélever de la nourriture pour la porter en haut, dans l'école, il en était heureux, car il savait que ses amis étaient en train d'y étudier, et que lui aussi irait un jour. Il n'y avait pas un clan d'école et un clan de cultivateurs, mais une seule vie éoline.

Tout en leur parlant, Ozoard (qui en savait long sur les effervescences) les avait petit à petit menés dans des parties moyennes, déjà visitées la veille, mais dans une autre direction. Il régnait dans ces grottes désertes et bleutées un calme palpable et impressionnant. A un détour de galerie un panneau les invita à se poser à pied, et à continuer ainsi dans le plus grand silence. A chaque pas un chapeau posé sur un poteau fiché en terre indiquait un lieu de profonde méditation. Il y avait même un avertissement télépathique, gentil mais impérieux, à l'intention des distraits. C'était très sérieux, et il n'était plus question de piper un seul mot.

Le coeur battant, ils débouchèrent dans une salle basse, au sol concave. Le plafond en était très bas, convexe et ventru, semblant suivre les ressauts du sol à faible hauteur, s'en rapprochant vers le fond sans former vraiment de murs: comme souvent à Irizdar, la vue se perdait dans une forêt de colonnes baignées d'indigo nocturne, alors que la salle était elle d'un violet saturé, avec une étrange senteur de violette cosmique. Le léger parfum des mousses s'accordait aux couleurs...

Tout au centre, un petit dôme en forme de pouf formait une sorte d'autel, avec des motifs sur les bords. Juste à côté une silhouette assise en lotus était concentrée dans une intense méditation: elle n'eut aucune réaction à leur présence. Autour, en cercles concentriques plus ou moins garnis, des formes allongées, emmitouflées de couvertures, chapeaux sur le nez, semblaient dormir. Ozoard tourna vers eux un sourire triomphal: Ils avaient tous reconnu... la «salle d'attente». Ces éolis allongés étaient en léthargie, en voyage astral de longue durée.

Silencieusement (car il est dangereux de réveiller quelqu'un en astral) ils entrèrent, terriblement impressionnés, dans le cercle derrière Ozoard. Même le sol était couvert de mousse fluorescente, ils marchaient sur un tapis de lumière violette, et, plus encore que dans la salle de musique, ils sentirent que les murs n'existaient pas, qu'ils flottaient dans l'univers infini, sans limites. Alors qu'ils avaient des millions de tonnes de roches au-dessus de leurs têtes...

Ozoard leur montra des places. Ils s'allongèrent, et virent le plafond couvert de spirales et d'entrelacs tourbillonnant avec la lente pulsation des mousses lumineuses. Avec une telle berceuse hypnotique, et dans le puissant et exaltant égrégore qui régnait ici, ils n'eurent aucun mal à quitter leurs corps, même Nellio et Algénio. Une fois dans l'astral, ils pouvaient à nouveau communiquer entre eux sans déranger personne. Ozoard prenait dans le monde de l'esprit l'apparence d'une étoile scintillante rouge vif, avec des éclats blancs ou bleu foncé. Cette aura était belle malgré ce surprenant contraste. Présentement il irradiait de rapides pulsations rouges, avec des étincelles vertes et bleues. Contrairement à toute attente, il... descendit. A travers le sol, vers le bas. Les nouveaux éolis, un peu interloqués, hésitèrent d'abord à le suivre. Leur corps astral, immatériel, n'avait bien sûr aucune difficulté à traverser les roches. Seul un préjugé pouvait l'arrêter, mais les éolis en étaient bien sûr exemptés. Ce fut donc un jeu que de se glisser à travers les épaisses dalles de calcaire.

Mais ce fut aussi un choc. Une puissante et poignante émotion les saisit aussitôt, à l'évocation de ces immensités de temps figées dans les strates superposées, à la sensation du pathétique et prodigieux destin des roches, de leur vie si lente et si puissante...

Ozoard savait où il allait, vers un endroit où les strates s'incurvaient pour former une sorte de cratère, qu'elles avaient fini par recouvrir: un ancien atoll corallien, complètement enfoui dans la roche, fossilisé d'un bloc, puis emporté à des centaines de kilomètres à l'intérieur du continent et projeté à plus de quinze cent mètres d'altitude. Il était invisible depuis la surface, mais en astral il suffisait d'accorder sa sensibilité aux formes des strates pour le percevoir. Nos amis étaient suffoqués. C'était comme si l'intérieur de la montagne avait été une bulle préservée d'un passé fantastiquement lointain, des dizaines de millions d'années... Mais Ozoard devait avoir quelque chose de plus époustouflant encore à montrer, car son aura s'était mise à pétiller franchement. L'ancien lagon, bien sûr, fourmillait de fossiles, racines pétrifiées ou extraordinaires coquilles des étranges animaux des mers d'Aéoliah, mais de plus près encore, ils virent, imprimées dans le fin calcaire du lagon, des traces... Si émouvantes, des pieds menus d'une éoline, qui avait vécu et aimé à cette fabuleuse époque. Pathétique réminiscence...

Sidérés, qu'ils étaient, les nouveaux éolis. Ozoard pouvait toujours être sûr du résultat, quand il montrait ça. Il était un peu cabotin, Ozoard. Par télépathie, il leur montra l'avenir d'Irizdar. Certes les grottes pourraient continuer pendant des milliers d'années à recevoir l'école, mais, ils le savaient, l'érosion grignotait petit à petit les parties les plus hautes, tandis que la montagne se soulevait lentement en basculant vers les basses vallées. Déjà les plus anciennes stalactites penchaient. Petit à petit l'espace utilisable diminuerait, les émanations gazeuses de l'ancien volcan iraient en s'amenuisant, et un jour, il faudrait déménager l'école. Mais ce ne serait pas avant un ou deux millions d'années...

Ozoard les emmena à nouveau, cette fois vers la salle du gouffre, descendant aux parties inférieures, qui les avait tant intrigué. Au fond de son entonnoir, ce dernier béait toujours, avec son ouverture en forme de losange allongé, ardente comme le gueulard d'un four de fonderie. Ils s'y glissèrent, non sans une certaine émotion. Il eut été dangereux de le faire avec leurs corps physiques, et même en astral la sonnerie d'alarme retentissait dans leur conscience. Mais en astral il n'y a rien à craindre de quoi que ce soit de matériel.

Les mousses lumière n'avaient pas conquis les parties basses des grottes d'Irizdar, et on veillait à ce qu'elles ne le fassent pas, car elles y auraient épuisé les gaz nutritifs avant qu'ils n'arrivent dans les parties habitables. Les parties basses d'Irizdar contrastaient singulièrement avec les parties moyennes ou hautes. Les roches y étaient de schiste sombre, et tout était totalement obscur, dans un réseau de galeries de deux ou trois mètres de section, souvent accidentées. Des spéléologues Terriens les auraient considérées comme assez difficiles. En plus elles étaient parcourues de courants d'air assez bruyants ou de cours d'eau: les éolis auraient eu du mal à voler à l'oreille comme les chauves-souris. On ne pouvait guère aller là qu'en astral. Ce réseau drainait tous les suintements de la montagne d'Irizdar, ainsi que les ruisseaux du plateau qui venaient se perdre au pied de la falaise. Il les rassemblait dans un torrent souterrain qui roulait en tonnant le long d'un interminable tube de schiste noir, pour ressortir sept kilomètres plus loin et mille mètres plus bas... de l'autre côté de la montagne d'Irizdar, au-delà encore de la vallée, après avoir franchi le synclinal dans un immense siphon. Il fallait venir à Irizdar pour voir une chose pareille. Une autre galerie aspirait l'air depuis une lucarne au pied de la falaise, également de l'autre côté de la montagne d'Irizdar. Plus haut qu'Irizdar, vers l'Ouest, s'empilaient d'autres montagnes similaires, avec aussi des grottes vertigineuses, mais cela suffisait d'un Irizdar. Là-haut on n'y allait qu'en retraite ou en ermite. C'était le domaine des éolis de la montagne.

Ils revinrent au début du tube de schiste, qui était fréquemment interrompu de seuils, de cascades, voire de siphons. Son exploration par des spéléologues Terriens aurait été impossible. Quel contraste avec la douceur des étages supérieurs... Mais on était ici dans le domaine propre des génies des roches. Les éolis n'avaient aucune utilité à s'y rendre physiquement et n'y allaient qu'en astral. L'un des siphons du torrent souterrain était particulièrement impressionnant. Il débutait dans une grande salle circulaire, au fond en entonnoir. La rivière y arrivait par la tangente, dans une sorte de glissière mugissante. L'eau, curieusement, montait rapidement, noyant successivement les gros blocs luisants qui encombraient la salle. Puis elle baissait bien plus vite encore, n'en finissant pas de descendre dans le puits qui faisait suite à l'entonnoir, jusqu'à ce qu'il s'y forme un tourbillon aspirant l'air de la salle dans un puissant fracas. La descente se terminait par un terrible coup de bélier ébranlant les roches et projetant de l'écume jusqu'au plafond, et l'eau recommençait à monter, reproduisant le cycle, indéfiniment.

Il y avait vraiment de quoi avoir peur, et quand Ozoard les entraîna plus bas encore, ils évitèrent la gueule hurlante et écumante du maelström, avec ses murailles d'eau qui semblaient rigides. Ils le contournèrent à travers les roches. En dessous le torrent débouchait dans une courte section de galerie, fermée par un second siphon. Là réémergeait à gros bouillons l'air aspiré par le tourbillon. Mais Ozoard avait encore quelque chose à leur montrer. Il leur désignait une lucarne dans le plafond, d'environ quarante centimètres de diamètre, où l'air comprimé dans la caverne s'engouffrait en ronflant. Il lui fallait bien ressortir quelque part. Ils suivirent la petite galerie, qui se montra étonnamment régulière et de diamètre constant, suivant un trajet légèrement incurvé et ascendant. Parfois elle recoupait des salles obscures, mais toujours une autre lucarne aspirante indiquait que l'étrange tube continuait, toujours de même diamètre, toujours montant. Bientôt un son déjà entendu les intrigua. Le tube aboutissait... Oh merveille, dans la salle de musique, où il fournissait tout simplement l'air de l'orgue! Médusés les nouveaux éolis contemplaient ce chef-d'oeuvre d'astuce qui arrivait à capter la force brute du torrent, sans rien enlever de ses vibrations puissantes et sauvages, tout cela pour animer la délicate et sublime vie musicale de leur école!

Si le tourbillon, les galeries et les siphons étaient, eux, l'oeuvre des génies des roches et des eaux, le tube, lui, était de toute évidence, artificiel, creusé de main éoline, ce qui représentait un formidable labeur dans des conditions invraisemblables. Les éolis pouvaient bien sûr guider efficacement leur travail en astral, mais le creusement lui-même n'en était aucunement facilité. Ce n'était pas le seul travail d'Hercule à Irizdar, puisqu'il y avait aussi la longue galerie d'entrée. Or rappelez-vous le Plan pour Aéoliah exclut l'emploi de moyens techniques, (machines, explosifs...) bien que les éolis en connaissent l'existence. Pourtant seuls ces moyens semblent rendre possible de tels exploits. C'était l'unique explication plausible: des habitants de planètes amies seraient venus aider au creusement des galeries, avec leurs machines. D'ailleurs il en venait, parfois, et Ozoard confirma que si le grand porche d'entrée est à leur taille, c'est bien pour permettre à des humains la visite des grottes.

Mais Ozoard expliqua aussi qu'il y avait bien eu un «truc» pour rendre ces travaux colossaux possibles avec des moyens rudimentaires. Mais les éolis fondateurs d'Irizdar, totalement inconnus et depuis longtemps partis, n'avaient légué ce secret que écrit sur des tables de quartzite, actuellement stockées quelque part à Irizdar. Inutile de chercher: ces galeries avaient été scellées, et entourés d'un égrégore protecteur. Le secret ne ressortirait que si un jour de tels aménagements étaient à nouveau nécessaires, à Irizdar ou dans quelque nouvelle école. Ces décisions n'étaient prises qu'en accord avec les anges gardiens d'Aéoliah et les gardiens du Plan. Le temps venu, les éolis qui vivront à cette époque sauront où chercher; ils pourront briser les sceaux et faire ce qu'il y aura à faire.

La dernière merveille qu'ils virent en visitant les fonds d'Irizdar en astral, fut une sorte de filon, d'intrusion volcanique, dans les tréfonds de la montagne, qui était suivi par certaines galeries. De là sourdait, depuis des temps immémoriaux, le précieux gaz qui donnait vie et lumière aux grottes, sans lequel il eut été bien moins intéressant d'y faire une école. D'où venait le gaz lui-même? De plus bas, plus profond, sous la montagne du Soir, de l'ancienne chambre à magma de ce puissant massif volcanique. Mais il ne fallait pas aller par là. Il y avait là, en ce lieu magique, un étrange pacte entre les puissantes forces vitales des tréfonds de la planète et celles qui aspirent le plus à l'Infini, et dont témoignait la lueur rouge magique à son sommet. Plus tard, dans la seconde partie de leur vie, les jeunes éolis sauraient...

(Il serait bien sûr complètement erroné de voir dans les forces souterraines d'Aéoliah des forces maléfiques. Ce sont des forces très puissantes, qui pour cette raison peuvent être dangereuses si on s'en approche sans précaution, mais elles sont tout autant dévouée à la vie que les forces poétiques de la surface ou que les forces spirituelles du Cosmos)

 

Quand nos amis revinrent à la vie physique, dans la salle violette, ils étaient courbaturés mentalement, comme si le voyage dans le monde des roches les avait éprouvés. Ozoard avait disparu. Le méditant près de l'autel avait été relevé par un autre, sans qu'ils s'en aperçussent. Les autres formes allongées étaient elles restées d'une immobilité qui nous aurait paru inquiétante, et qui de fait impressionna les jeunes éolis. Il y en avait même avec un peu de mousse lumière dessus! Anthelme faillit se mettre à parler à haute voix, mais l'avertissement mental fusa aussitôt dans son esprit: Gare aux distraits!

Ils sortirent de la salle violette, aussi silencieusement qu'ils y étaient entrés, prenant en sens inverse la galerie qui y menait. Mais ils durent bientôt reconnaître qu'ils étaient perdus. On ne pouvait s'aventurer dans les grottes d'Irizdar sans guide! Ils cherchèrent un moment, mais il n'y avait personne ici et toutes les galeries se ressemblaient. Ce fut Algénio qui les tira d'embarras. Une ruse de Terrien, pardi. Il suffisait de suivre le courant d'air, imperceptible, mais qui se signalait par la forme des massifs de mousse dans les passages étroits. Il conduisait forcément vers une sortie. Algénio ne fut pas peu fier d'aider les éolis grâce à son passé terrien. Mais il préféra ne pas montrer ce sentiment, pensant qu'il pourrait blesser.

Ils rejoignirent bientôt des régions plus habitées et les galeries montantes qui conduisent vers les hauts, où il ne fut pas difficile de demander le village d'Ozoard. Il y arrivèrent à nouveau à la tombée de la nuit, ce qui fait que le lendemain ils furent heureux de retrouver le Soleil qu'ils n'avaient pas vu de ces deux journées. Irizdar, ils y reviendraient un jour, ils en appréciaient la Beauté et les trésors de Sagesse, mais en attendant rien ne valait le grand air, les fleurs et la nature!

Uderline et Zerneline, les deux oies d'Ozoard et Orzeilla, les attendaient. L'une prendrait trois éolis, et l'autre deux. Contrairement aux colombes, qui étaient petites et devaient se relayer pour porter un éoli sur ce trajet, les oies, habituées aux longs vols intercontinentaux, pouvaient porter trois éolis sans aucun problème. Nellio embarqua donc avec Elnadjine et Liouna. Il était temps qu'il rentre: loin de son transmutateur, il commençait à devenir taciturne.

Les oies allaient beaucoup plus vite et sans contourner la grande mesa de grès jaune: Elles passèrent par dessus. Au ras des arbres, ils débouchèrent brusquement sur l'immense vide où la cascade s'élançait avec une lenteur majestueuse. Nos éolis se cramponnèrent aux plumes, de tous leurs doigts et de tous leurs orteils.

Ils retrouvèrent leur cher village et leurs amis, avec l'impression de les avoir quitté quinze jours plus tôt. Beaucoup dans le village n'étaient encore jamais allés à Irizdar, aussi ils en auraient des choses à raconter!

Mais ils entrevirent aussi avec compassion Nellio s'en aller directement à sa pyramide, où il valait mieux le laisser seul. Sans doute la discrète Milarêva l'y attendait.

 

 

 

 

 

 

Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 10       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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