Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 8       

Chapitre 8

* Les mystères des rouleaux *

Anthelme avait cette fois attendu pour recevoir ce rouleau. Les rouleaux mathématiques venaient facilement, mais ceux-là...

 

C'était à la fin de l'après-midi. Il y avait Elnadjine; ils étaient assis devant leur nouvelle maison-courge. Ils avaient dû la refaire, car, on s'en doute, les maisons-courge ne durent pas plus de quelques années. Ils en avaient profité pour la changer de place: leur nouvelle courge, orange velouté, piquetée de rouge comme un abricot, ils en avaient semé la graine, puis l'avaient orientée tant qu'elle était petite, pour qu'elle s'allonge sous un buisson très compact aux minuscules feuilles odorantes, vers le bas du village, un peu à l'écart du centre. Côté entrée, c'était un grand champ de fraisiers, où passait un des chemins du village, où deux oies pouvaient atterrir à l'aise sans trop piétiner. Ils avaient comme la première fois fait deux pièces, une salle d'étude orange pastel avec le support de rouleaux, et une chambre bleu ciel. Plus une seconde porte ovale, donnant vers l'intérieur du buisson, dans une minuscule clairière de mousse touffue et laineuse où il faisait bon se retrouver assis en rond. Poétique étrangeté, il existe plusieurs variétés de chlorophylle sur Aéoliah, et si, pour des raisons spirituelles le vert dominait, cette mousse-là était mauve.

Nellio et Aurora s'étaient eux aussi refait une maison donnant dans cette même clairière, petit puits de verdure colorée, délicatement bouclée et délicieusement fraîche, avec un petit tunnel d'accès à travers le buisson. C'était un lieu tellement intime et ils étaient tellement amis qu'ils s'aimaient parfois dans la petite clairière moussue. Algénio et Liouna projetaient aussi de se réinstaller près d'eux.

Ce soir-là, il y avait Anthelme, Elnadjine, Nellio et Aurora, et puis Tzilnia-Linia qui revenait du champ avec une besace remplie de petites baies au parfum enivrant, pour les porter au repas du soir. Tzilnia-Linia était vraiment très jolie, avec son visage très rond et ses courtes mèches de cheveux noirs en tire-bouchon qui se promènent toujours sur son front ou sur sa nuque. Posant son sac, elle leur sourit gentiment, et ils rirent ensemble sans s'être rien dit. C'était l'heure où la chaleur du jour commence à baisser, tandis que les grillons préparent leur concert du soir. A cette heure, les éolis, d'ordinaire si actifs, se contentent parfois de seulement goûter à la douceur de vivre. Un couple d'oiseaux jaunes avait fait son nid, totalement invisible, dans le buisson; ils pépiaient doucement, à peine audibles.

Tzilnia-Linia était maintenant bouche bée, puis elle partit dans un sourire-rire heureux et frais, avec ses grand yeux noisette brillants. Anthelme se tourna vers Nellio pour savoir quelle blague il lui avait faite, mais il avait son grand air innocent. Elnadjine se mit à rire aussi, Aurora et Liouna souriaient à part dans leur méditation, assises dos à dos dans un renfoncement du buisson. Tzilnia-Linia ouvrit à nouveau sa petite bouche pour faire «Oh», Anthelme regarda derechef Nellio, mais cette fois Tzilnia-Linia montrait le ciel: Deux superbes oies blanches tournaient dans l'azur, encore trop haut pour qu'on puisse les entendre voler. Elnadjine posa sa main sur l'épaule d'Anthelme, pressentant un fameux moment.

 

Quel majestueux spectacle que ces deux grandes oies lumineuses descendant doucement en vastes cercles! Même Aurora et Liouna s'étaient levées pour voir ces oies toutes blanches, sauf le bord des ailes, les pattes et le bec d'un délicat rose nacré. La vie Aéolienne, qui n'a à craindre aucune sorte de prédateur, n'a pas à être discrète, aussi chaque créature est libre de se parer des plus somptueuses couleurs, selon son envie.

L'une des oies portait deux silhouettes, l'autre des rouleaux. Elles semblaient un peu hésiter sur l'endroit où se poser, comme parfois quand la personne qu'elles cherchent a récemment déménagé. Enfin, après un dernier passage au-dessus d'eux, elles arrivèrent droit dans le champ, devant la maison-longue-courge. La place y était suffisante, mais courte, les obligeant à battre fortement de leurs ailes pour freiner avant de toucher le sol. Le vent fit voler les chapeaux et battre les robes. Enfin elles replièrent lentement, méthodiquement leur plumage et se couchèrent pour permettre à leurs occupants de descendre.

Et quels occupants! C'étaient un éoli et une éoline qui paraissaient petits, bien qu'ils ne l'étaient pas. Lui avait un visage rond et des cheveux très noirs descendant juste dans le cou, étalés sur le côté un peu comme les anciennes parures égyptiennes, finement ondulés, un peu à l'Africaine, mais il ne portait ni barbe ni moustache, comme souvent les éolis aux cheveux noirs. Ce qui ne l'empêchait d'ailleurs pas d'être tout à fait viril. Il était vêtu d'une grande robe rouge vif, couleur relativement rare chez les éolis, et il semblait encore plus fin que les autres. Elle, comme éternellement souriante, avait le visage un peu plus triangulaire et portait de fins cheveux blonds, longs et flous. Sa robe était blanche et pure, ce qui n'est pas non plus très courant. Son style aussi en était différent: des manches moins larges, pas d'échancrure au cou mais un pli horizontal juste sous le menton. Leur insigne, l'étoile à quatre branches avec un coeur, que portent absolument tous les éolis d'Aéoliah, n'était pas brodé: l'étoile était d'or brillant et le coeur en onyx vermillon, joliment galbé et poli, fixé sur la robe par un petit lacet. Les jeunes éolis étaient déjà passablement intrigués devant ce spectacle peu usuel. Sûr que ces deux-là ne venaient pas d'un quelconque village.

 

Les arrivants s'avancèrent en souriant vers le petit groupe muet. Ils firent tous ensemble le geste universel de fraternisation des éolis: bras tendus, chacun prend dans sa main droite le coude gauche de l'autre, formant un cercle, les yeux dans les yeux, s'admirant l'âme l'un de l'autre. Enfin ils dirent leurs noms: lui c'était Ozoard et elle Orzeilla. Ozoard s'adressa très cérémonieusement à Anthelme, d'une voix haut perchée:

«Nous t'apportons un rouleau que tu as demandé, de la part d'Adénankar.»

Ils approchèrent de la seconde oie, qui attendait patiemment devant les appétissantes petites fraises. Elle n'y toucherait pourtant pas, car sa charmante petite âme savait qu'elles étaient de plantation éoline. Sur son dos, attendaient des rouleaux, un rose qu'Anthelme avait demandé, et cinq autres, violets, qui touchaient à la profonde Sagesse. Anthelme se sentit soudain frémir de désir: il aurait voulu les lire tous, mais il ne le demanda pas. La première oie portait sur son dos des couvertures en pétales séchés, doublées de coton rose, afin d'y dormir pendant les longues étapes nocturnes: un véritable tapis volant, aménagé comme une caravane de luxe, et incomparablement plus vivant que ceux des Milles et une Nuits! Dites, c'est vraiment gentil, une oie.

 

Anthelme et Nellio demandèrent en même temps: «D'où venez vous?

- Nous venons de... Irizdar.

- ...

- Vous ne connaissez point Irizdar, les grottes d'Irizdar?» Fit Ozoard, feignant comiquement un grand étonnement.

Les nouveaux éolis firent cercle, attentifs. Ils avaient certes entendu parler de grottes, mais ils ignoraient que des éolis puissent y vivre. Ozoard eut un petit rire.

«A Irizdar il y a des grottes de lumière, très sèches où nous rangeons les rouleaux, et aussi une école de Sagesse, mais cela il est difficile d'en parler.» Il en aurait pourtant eu envie, d'en parler, Ozoard, car il devenait volubile. Orzeilla reprit, en penchant mignonnement la tête de côté, d'une voix très suave et un peu chuchotante, au timbre curieux et émouvant:

«C'est très beau, les grottes de lumière. Une mousse lumineuse rose ou orangée tapisse les parois; elle purifie l'air et en absorbe l'humidité, aussi les rouleaux peuvent se garder très longtemps.»

Puis, ils se reprirent chacun la suite l'un de l'autre, très rapidement, comme s'ils n'avaient eu qu'une seule pensée:

«C'est très beau: la mousse fait une lumière rose irisée d'orange, de rouge ou de mauve.

- Il n'y fait pas si clair que le jour, mais on y voit tout de même assez bien.

- Là ou il n'y a pas de mousse, il y a des stalactites ou des stalagmites, qui apportent l'eau.

- Et en mettant du gras sur la stalactite, par endroits, on peut diriger l'écoulement de l'eau et ainsi la sculpter.

- Comme ça Orzeilla en a commencé une il y a six mille ans; en y revenant tous les six mois elle l'aura fini dans cinq mille environ. (Rires de l'intéressée) Il fait déjà plusieurs boucles, et d'autres éolis sculptent aussi des arabesques, et même les entrelacent, c'est très joli.» (La tête d'un spéléologue terrien qui trouverait des stalactites entrelacées!)

«On peut aussi sculpter le stalagmite, mais c'est plus difficile. On y fait des gours, des tubes où la goutte vient chanter: ça fait de la musique, et même des orgues à gouttes.

- Si on la laisse pousser la mousse devient très épaisse; il faut la retirer de temps en temps.

- La mousse épaisse absorbe tous les bruits: il fait un silence incroyable dans nos grottes, c'est super pour y méditer.

- Ça c'est l'insigne des éolis d'Irizdar, en or et en onyx.»

Les nouveaux éolis étaient sidérés. Puis ils se mirent à poser des questions, tous à la fois, et tout d'abord ce qu'étaient des stalactites, des stalagmites et des gours (Vous le savez, ami lecteur, sauf peut être pour les gours, qui sont de jolies vasques d'eau surhaussées dans des murs de concrétions, ruisselantes sur tout le tour).

Il fallut libérer les oies du matériel et des rouleaux qu'elles portaient, que l'on posa dans la salle de travail d'Anthelme, pendant que les oies s'envolaient librement. Avec tout ça, on arriva peu discrètement en retard au repas du soir! Ozoard et Orzeilla eurent droit à un accueil de vedettes, car en vérité, mis à part les nouveaux éolis, tout le monde les connaissait bien, et depuis belle lurette. On n'allait pas s'ennuyer avec ces deux-là.

 

Et on ne s'ennuya pas! On rigola ferme et on chanta jusque fort tard, l'anneau était déjà presque entièrement dans l'ombre de la planète. Ozoard et Orzeilla étaient un peu comme des troubadours, qui allaient de village en village, tout en gardant une résidence aux grottes d'Irizdar. Ils avaient amenés avec eux leurs instruments de musique. Les instruments éolis sont toujours grands, par rapport à eux, sinon leurs sons seraient trop aigus et inaudibles. Bâtis sur les mêmes principes que les nôtres, leurs formes différent un peu. Ainsi Ozoard avait apporté une sorte de violon, taillé d'une seule pièce dans une grande feuille sèche coriace. De son naturel cette feuille avait bien eu trente centimètres, mais le luthier n'avait conservé que dix centimètres de pétiole, pour le manche, et seulement les six premiers centimètres de la feuille proprement dite pour la table de résonance en forme de coeur élancé, joliment nervurée. Orzeilla jouait d'une sorte de harpe, montée comme un cymbalum, au son féerique, mais bien trop lourde pour transporter à dos d'oie. Heureusement il y en avait une au village, dans un abri près de la place, que l'on amena diligemment, à grand renfort de «han» et de «hisse»: les éolis adorent faire le mille-pattes pour porter ensemble des gros machins! Pour ce faire la harpe avait des manches tout autour. Ozoard et Orzeilla jouaient divinement bien, et Orzeilla se distinguait par sa voix merveilleusement suave, ample, profonde et un peu chuintante qui faisait chavirer les coeurs. Alors que les éolis chantent souvent en choeurs, Orzeilla faisait seule la mélodie, et le village des répons, comme souvent quand une voix particulièrement belle est disponible. La musique Aéolienne est plus complexe que celle de l'Europe, un peu comme la musique hindoue.

Au fur et à mesure que la soirée s'écoulait, l'entrain du début faisait petit à petit place à une tendre complicité. Se coucher tard ou se lever la nuit fait partie de la vie des éolis; mais rappelez-vous bien, amis lecteurs, que nous ne sommes pas des éolis et que nous avons besoin de dormir profondément du soir jusqu'à tôt le matin, sans faire trop d'exceptions.

 

Le lendemain de cette mémorable soirée, Anthelme et Elnadjine se levèrent à leur habitude, pour admirer le lever du Soleil et s'enivrer de la merveilleuse cérémonie aurorale des oiseaux, depuis le rocher qui surplombait leur clairière mauve. Puis ils récoltèrent de la rosée pour y faire trempette, en compagnie de Nellio et Aurora, dans la petite clairière de mousse laineuse. Chacun a sa bassine; on se lave d'abord le visage, puis tout nu, on se passe l'eau fraîche sur tout le corps; sur fond mauve la peau paraît délicieusement dorée. Entre éolis, c'est rigolo, on s'asperge mutuellement, on est insouciant et c'est si bon de vivre!

Elnadjine, enthousiaste du jour nouveau, fila aux potirons-réserve pour ramener un couteau et une sorte d'ananas éoli (fruit au délicieux goût d'ananas, mais plus doux, avec l'aspect et la taille d'un kiwi), Aurora s'en alla chercher des feuilles (il ne fallait pas répandre de jus sucré sur leur précieuse mousse mauve) pendant que Nellio et Anthelme se dirigeaient vers les champs pour cueillir des fraises et des murlines, une délicieuse baie inconnue sur Terre, bleue comme une prune et grosse comme un pois chiche. Quelques unes suffisaient pour leurs minuscules estomacs.

S'en revenant quelques minutes plus tard, ils trouvèrent comme à l'accoutumée Algénio et Liouna, mais en traversant l'étroit tunnel de verdure sous leur buisson, ils entendirent d'abord la voix haut perchée d'Ozoard et celle émouvante d'Orzeilla. Chic!

Ils formèrent une gentille petite assemblée, tous les huit, et la clairière de mousse mauve était juste suffisante pour les accueillir. Ozoard avait déjà embrayé la discussion à fond de train, il n'y avait plus qu'à lui poser une question de temps en temps, et encore, pour le tenir en route. Sur Irizdar, il était intarissable. Nellio demanda, sur le ton de celui qui pose une belle colle:

«Comment la mousse-lumière peut-elle vivre, si elle ne voit jamais le soleil?»

Ozoard le regarda en souriant, un moment, ce qui fit rire les autres. Puis il expliqua:

«Les mousses-lumière ne sont pas de véritables plantes vertes. Elles sont une survivance des végétaux les plus anciens d'Aéoliah, avant l'époque de la chlorophylle. Elles sont apparues au fond des océans bien avant l'oxygène de l'air. A cette époque elle tiraient leur énergie physique d'émanations volcaniques, qui ont toujours été abondantes à certains endroits des océans, là où se séparent les plaques tectoniques. Les mousses-lumière ont appris à briller dès cette époque, en symbiose avec certains petits animaux qui pouvaient ainsi y voir dans les profondeurs de l'océan. Il a été soigneusement veillé à ce qu'elles ne disparaissent pas, et il y en a toujours de cultivées quelque part sur Aéoliah, dans des centres spéciaux. Celles d'Irizdar y sont depuis des millions d'années, et elles vivent d'émanations de méthane et d'éthylène qui sourdent au plus profond des grottes, en provenance du très ancien volcan que vous appelez la Montagne du Soir.»

Ozoard, qui ne nous attendait pas, continuait:

«Les grottes d'Irizdar sont un labyrinthe avec en gros trois niveaux.

«Dans les parties les plus profondes, très en dessous du plateau d'Irizdar, la mousse ne pousse pas car il n'y a trop d'eau. C'est tout noir et chaud. Il existe des entrées dans ce niveau, mais dans une autre vallée, bien plus bas et fort loin, de l'autre côté des montagnes d'Irizdar, par où rentre l'air, aspiré par la chaleur. C'est aussi dans ces profondeurs que le gaz chaud sourd d'un réseau de fissures, et qu'il se dilue dans l'air aspiré. Tout cela est très bien disposé: en effet, le gaz trop concentré aurait risqué d'exploser. L'appel d'air provoqué par le gaz chaud ventile régulièrement en air tiède et sain les grottes supérieures, habitées. On ne va pas souvent dans ces parties profondes et obscures où rôde le mystère...

«Le niveau intermédiaire est le plus spectaculaire; l'eau y est suffisante, sans excès, donc la mousse s'épanouit, et il y fait très clair, surtout près des puits d'où jaillit l'air chargé venant des profondeurs. Il y a de grandes salles fort joliment colorées et décorées de stalactites sculptées, de stalagmites-maisons pleins de colonnettes et de fenêtres éclairées, et des petits ruisseaux avec des magnifiques gours. C'est à ce niveau que se trouve l'entrée principale, bien plus grande que votre potiron-filature, tellement qu'on y entre en volant. Elle donne sur le grand plateau d'Irizdar, poétique paysage de douces collines couvertes de forêts, parsemées d'étangs, avec de nombreux champs et villages. Dans le niveau intermédiaire des grottes se trouvent les salles de méditation ou de cérémonie, l'école de musique avec ses orgues et ses harpes géantes, de nombreuses galeries décorées et aussi les salles d'attente.

- Salle d'attente? Qu'est ce que c'est?

- C'est un endroit où l'on peut laisser son corps et partir en voyage dans les mondes de l'esprit, pour de longues durées. Le corps éoli peut ainsi se mettre en léthargie pendant des dizaines de jours, tandis que l'âme explore ou travaille dans un autre plan. La salle d'attente est idéalement tiède et humide pour cela. La mousse lumière couvre même le sol, il suffit de s'allonger sur un lit de lumière...

- On peut faire un truc pareil?

- Avec un peu d'entraînement, oui.

«Le troisième niveau, les parties hautes des grottes d'Irizdar sont les plus compliquées; elles sont partiellement remplies de piliers et de stalagmites aux formes les plus bizarres, sculptées par la nature ou par de lointains ancêtres. Les mousses y brillent moins car l'air qui arrive là a été séché et épuisé par les mousses des étages inférieurs. Mais c'est parfait pour la conservation des rouleaux. C'est donc là qu'a été établie l'Ecole de Sagesse d'Irizdar. Toute la montagne d'Irizdar est un vaste rocher couvert de nids de verdure. Les maisons éolines sont taillées dans le calcaire, perchées bien plus haut que les arbres. Ces rochers sont parcourus par les galeries du troisième niveau, éclairées par les mousses et aussi par de nombreuses fenêtres. Dans des porches ouvrant en plein à-pic, des villages entiers s'agglutinent parmi les lianes pendantes pleines de merveilleuses fleurs: ce sont les éolis de l'école qui habitent là, les élèves et les Jardiniers des âmes.

- La roche ça doit durer plus longtemps que le potiron.

- Ah ça oui. Plus à l'intérieur de la montagne il y a des galeries sculptées en étagères pour les rouleaux. Et, plus au fond, d'autres choses encore, très importantes.»

De temps en temps Orzeilla, avec un petit sourire malicieux, tendait un morceau de fruit à son compagnon, sinon Ozoard n'aurait rien mangé. Quel parleur cet Ozoard.

«Et les Jardiniers des âmes, qu'y font-ils? Les âmes c'est pas dans les grottes qu'on les trouve d'habitude.»

Cette remarque fort pertinente parut désarçonner Ozoard, qui finit par répondre: «Eh bien... la grande école des Jardiniers des âmes est en fait dans le monde de l'esprit; ils n'ont que quelques maîtres et élèves à Irizdar, qui sont donc les correspondants à Irizdar de leur grande école dans le monde de l'esprit. Aussi cette petite école de Jardiniers s'est associée à la grande école de sagesse d'Irizdar, pour profiter de son égrégore. Ou encore elle offre une option pour l'école de Sagesse d'Irizdar, qui elle a des milliers d'élèves. Car, vous vous en doutez les deux ont beaucoup en commun. C'est très utile, vous savez, les écoles, car à un moment de sa vie ou à un autre on a besoin d'étudier les nouvelles connaissances, pour y former notre compréhension.»

- Et les insignes?

- Ah les insignes! De l'or et de l'onyx!

- De l'or? D'où vient-il?

- Du plus profond des grottes, là où il fait toujours noir, il y a un filon. On n'y touche pas, on prend seulement ce que la rivière souterraine d'Irizdar dégage, par l'érosion. Sinon il n'y en aurait plus en quelques milliers d'années!

- Et l'onyx?

- Ah ça l'onyx, c'est une autre histoire. Ce sont les éolis de la montagne qui l'apportent. Ils doivent sûrement le trouver quelque part «là-haut».

Ce disant Ozoard eu un petit geste pas très solennel vers «là-haut»: la Montagne du Soir et tous ses bizarres secrets auxquels on ne les convie pas!

«Quel boulot pour le tailler, l'onyx! C'est duuur!»

Ces explications avaient largement mené jusqu'à la fin du repas. Les éolis ne sont pas du tout du genre à traîner à table, aussi on rangea, pour s'en aller au jardin, le meilleur moment pour jardiner étant comme chacun sait tôt le matin.

Ozoard et Orzeilla étaient fort demandés dans le village, et les nouveaux éolis ne pouvaient pas se les garder pour eux, même si ils étaient venus exprès. Mais on ne les fit pas jardiner, non, seulement jouer de la musique et chanter de leurs belles voix pour accompagner le travail.

Anthelme et ses amis purent les entendre un moment depuis leurs champs habituels; puis ils disparurent totalement du village peu de temps avant le repas de midi et ne réapparurent qu'en début de ethylsoirée, comme la veille. Puis, parlant à droite et à gauche, ils arrivèrent près de la longue courge d'Anthelme, comme par hasard en même temps que lui et ses amis.

Ils se retrouvèrent donc dans la cour de jolie mousse mauve, et attendirent un peu avant de reprendre leur conversation là où ils l'avaient laissée. Les oiseaux jaunes pépiaient comme la veille, dans le buisson si épais qu'on ne les y voyait qu'à leur envol. Comme les éolis, ils s'étaient aménagé un tunnel de verdure, mais dans les hauteurs du buisson. Quelquefois les nids des oiseaux sont si bien faits qu'on les confondrait avec des maisons éolines! Le feuillage de ce buisson était particulièrement dense, et il absorbait les sons, aussi c'est en sourdine qu'on entendait une éoline d'une maison voisine chanter une douce mélodie, avec de temps en temps la voix grave de son compagnon qui commentait on ne sait quoi.

Ozoard reprit petit à petit la parole.

«Les Jardiniers des âmes doivent apprendre beaucoup de choses sur les corps spirituels des êtres, leurs énergies, leurs sentiments, leur esprit, et même sur les corps matériels, qui sont sans doute les plus compliqués. Ils ont le privilège de connaître intuitivement certains Mystères de l'âme et de la Source de vie Universelle, mais il est difficile de parler de cela. Ils passent bien des années à apprendre, et bien plus encore à former petit à petit leur être sous la direction de leurs maîtres. Et les Jardiniers des âmes d'Irizdar se servent souvent de la salle d'attente, pour aller à leur grande école des Jardiniers des âmes, dans le monde de l'esprit, et pour d'autres choses dont je ne doit pas encore vous parler!»

Ces derniers mots excitèrent plutôt la curiosité des nouveaux éolis, qui avaient appris (voir le chapitre précédent) que bien des choses extraordinaires pouvaient se dérouler dans leur propre village sans qu'ils n'en aient la moindre idée. Liouna se prenait souvent à rêver à l'évocation des Jardiniers des âmes, surtout depuis qu'Adénankar lui avait révélé qu'elle avait été à la même école que lui. Qu'il existât une telle école à portée de vol de son village l'émut soudain profondément, sans qu'elle ne comprenne encore bien pourquoi. Elle n'avait retrouvé aucun souvenir de son passé, peut-être n'en retrouverait-elle jamais, mais ce n'était pas grave car elle en avait gardé une très puissante intuition: il lui suffirait d'alimenter son esprit, déjà formé, avec quelques concepts de base pour redécouvrir tout ce qu'elle savait profondément. Pour le moment, Adénankar pouvait s'occuper d'elle tout seul, et il lui avait même déjà donné quelques bases, qu'elle avait assimilées en quelques semaines, au lieu des années habituellement nécessaires.

 

Anthelme voulut savoir ce qui se passait dans les parties profondes des grottes d'Irizdar.

«Dans les profondeurs d'Aéoliah ont lieu d'étonantes activités. Juste sous la surface du sol les matières organiques mortes sont recyclées en humus. Plus bas ont lieu les transformations et le recyclage des minéraux, la circulation des eaux souterraines pour les sources, ou, beaucoup plus profond dans le sol, des eaux fortement minéralisées qui régularisent les frissons d'Aéoliah et forment certains filons métalliques. Encore plus profond se trouvent les chambres magmatiques des volcans. Notre belle planète Aéoliah nous a fait cadeau des grottes comme celles d'Irizdar, des filons d'or, et de bien d'autres merveilles.

Mais les esprits des profondeurs et de la Terre donnent une vie poétique à tous ces processus qui autrement ne seraient que pure mécanique. Ils font circuler les énergies de la vie dans les roches et leur donnent présence et mystère! En surface, ils ont des domaines de forêt rien qu'à eux, surtout dans les creux humides, là où les éolis n'habitent pas.»

Anthelme et Nellio se rappelèrent les inexplicables rires graves qu'ils avaient entendus dans la forêt sans fleurs, près du torrent, quand ils s'étaient perdus en allant chez Adénankar. Effectivement de tels endroits ne donnent pas envie d'y habiter!

«Les esprits des profondeurs s'activent aussi pour le plan d'Aéoliah, mais d'une manière effrayante. Il faut les laisser dans leurs domaines. C'est pour cela que nous n'allons pas souvent dans les fonds d'Irizdar, même si on peut y voler à l'oreille dans l'obscurité, ou encore s'habiller avec des tuniques en mousse-lumière. De toute façon c'est dangereux, et assez impressionnant.»

Encore une invraisemblance soigneusement emballée: Voler à l'oreille. Les éolis ont un sonar comme celui des chauves-souris. Mais ils savent donc tout faire, ces éolis! Je sens pointer le complexe chez certains lecteurs, aussi j'indique ici un truc pour vous consoler. Nous humains de la Terre, avons aussi un sonar, pas si performant que celui des chauves-souris ou des dauphins, mais tout de même utilisable dans certaines situations. Le plus fort c'est que personne ne le sait! Etrange humanité, qui côtoie tous les jours le fantastique sans le voir. Allez donc en montagne, dans un endroit plein d'échos différents: avec un peu d'attention on peut reconnaître la direction de l'écho produit par chaque pan de montagne ou de roche, sa distance (par le temps écoulé), et, yeux fermés, se faire ainsi une image mentale tridimensionnelle des lieux. Le voilà le sonar! Ce n'est pas plus compliqué que ça. Une fois il m'a bien aidé, lors d'une randonnée de montagne où la brume nous avait surpris... Avec de l'entraînement, on peut même voir dans la rue, et c'est ainsi que font certains aveugles. Mais revenons à nos éolis.

«Et l'école de musique? Demanda Nellio.

- C'est aussi, comme on veut, une option de l'école de Sagesse, ou une école indépendante, car il n'est pas tant nécessaire d'étudier la profonde Sagesse pour faire de la musique que pour faire Jardinier des âmes. L'école de musique est installée dans les parties hautes d'Irizdar, là où la lumière naturelle remplace celle des mousses; ils ont aussi des balcons de verdure et de fleurs haut perchés, tout en haut des falaises d'Irizdar; mais les plus gros instruments sont dans de grandes salles des parties moyennes, spécialement aménagées avec des orgues, et beaucoup d'autres choses.

«Car voyez-vous, la musique que nous faisons habituellement dans les villages a sa place dans la nature, parmi les fleurs et les forêts, près des ruisseaux ou des rochers. Et, selon les heures du jour et nos états d'âmes, vibrations chaleureuses du soleil ou Douceur du crépuscule, nous chantons ou jouons différent modes (Ozoard voulait parler de ce que les hindous appellent les ragas, mais bien sûr ceux des éolis sont différents). Pour ces musiques de la nature et de la gaieté, des instruments de la nature conviennent: flûtes en bois, voix, violons...

«Mais il y a d'autres genres de musique que les villages connaissent moins et qui se jouent pour les étoiles, ou pour l'admiration de la Source Universelle de vie; ces musiques peuvent se jouer en dehors de la nature, en dehors de l'heure, dans le plus grand silence, dans la transparence directe avec le Cosmos. Sur certaines planètes amies (Je suis allé sur une) qui savent construire des appareils électriques, ils font des instruments où les sons les plus harmonieux sont entièrement fabriqués par des machines à calculer (Ozoard veut parler de synthétiseurs numériques. Du temps que j'ai écrit ce livre, il y avait peu de musique de ce genre, mais il y en a beaucoup plus aujourd'hui, et même plusieurs styles, comme par exemple le space ambient). Sur Aéoliah nous avons de merveilleuses grottes où les musiques de l'Infini peuvent résonner dans le plus pur silence de l'âme, avec des instruments comme les orgues ou les harpes géantes, qui arrivent à produire les sons cosmiques ou célestes les plus purs. Comme ils sont très grands, on peut aussi y produire les sons les plus graves.

- (Nellio) Mais les musiques de l'âme et celles de la nature, ce n'est pas la même chose?

- (Ozoard) Ça dépend. Si l'on veut, la musique de l'âme peut vibrer dans la nature, ou direct dans l'Infini. C'est la même chose, mais ça vit dans des modes complètement différents, avec des timbres et des sons différents. C'est pourquoi on ne peut les écouter de la même façon.

- (Anthelme) Décidément il nous faudra aller à Irizdar.

- (Ozoard) Quand vous en ressentirez l'élan profond en votre âme, vous irez. En attendant...

- (Aurora) En tout cas j'aimerais bien entendre les musiques d'ailleurs.

- (Elnadjine) Celles que nous faisons ici au village expriment tout à fait la beauté de notre nature. Et c'est vrai que le matin ou le soir ont chacun leur musique, et que l'on aime les écouter à ce moment. Il ne me serait pas venu à l'idée de décaler les heures!

- (Liouna) Dis nous Ozoard, comment as tu fait pour aller sur une autre planète? Tu as laissé ton corps dans une salle d'attente?

- (Ozoard) J'ai fait cela des fois. Mais sur cette planète amie j'y suis allé avec mon corps.»

Les jeunes éolis écarquillent les yeux à cette déclaration!

(Aurora) «Comment, avec ton corps? Mais ce n'est pas possible: comment pourrais-tu parcourir de telles distances? Même les oies ne peuvent pas voler si haut: il n'y a pas d'air!». (Les éolis connaissent les dimensions incommensurables de l'univers physique, pour les avoir apprises à leur école élémentaire; aussi la déclaration d'Ozoard pique vivement leur curiosité.)

«Oh non, pas toute cette distance: on prend des raccourcis, en quelque sorte. On y va dans des vaisseaux cosmiques.»

Ces derniers mots excitèrent encore plus nos jeunes éolis, qui firent cercle autour du parleur. Ils n'avaient entendu mentionner les vaisseaux cosmiques et la flotte galactique que lors de la lecture du rouleau sur la formation des mondes, sans aucune explication. Pour nous terriens, ces mots font surgir de nombreuses images dans notre esprit (toutes absolument fausses d'ailleurs) mais pour les nouveaux éolis le mystère était total. Qu'est-ce qu'un vaisseau cosmique? A quoi cela ressemble t-il? Qui sont les Gardiens Cosmiques? A quoi pouvaient-ils bien consacrer leur vie? Sûrement pas qu'à promener Ozoard, en tout cas. Ni à cultiver des fraises. N'oubliez pas, ami lecteur, que le mot «Cosmos» se rapporte essentiellement à l'Ordre de l'Univers, et seulement subsidiairement au vide glacial de l'espace interplanétaire! Pour un éoli, ce mot n'évoque nulle image de science-fiction ni de guerre interstellaire; pour un éoli, le Cosmos, ce sont les Lois de la vie, son But ineffable et Sa Volonté supérieure! Les nouveaux éolis savaient cela, et soupçonnaient dans cette histoire de vaisseaux cosmiques tout un monde passionnant d'activités spirituelles inconnues, dont ils ressentaient la plus haute importance... cosmique!

Ozoard fut couvert de questions! Mais sa réponse ne fut guère compréhensible: «Attendez, attendez! Oh là là! Ah! Un vaisseau cosmique, c'est une sorte d'égrégore, qui peut à volonté passer du monde matériel au monde du rêve, et vice versa. Dans le monde matériel il prend la forme d'une maison, comme un énorme potiron, capable de retenir l'air. Il y en a qui sont grands comme un village entier. Puis il passe dans le monde de l'esprit, et il peut alors réapparaître en n'importe quel autre endroit de notre monde matériel, sans aucun trajet intermédiaire. C'est très pratique pour visiter les autres univers ou les autres mondes de notre univers. Et les Gardiens Cosmiques vivent dans ces vaisseaux...

- (Algénio) On peut aller dans les mondes de l'esprit avec son corps?

- (Ozoard) Pas tout à fait tel quel, mais n'oubliez pas que notre univers est aussi un monde de l'esprit parmi d'autres, créé par la Pensée de la Source Universelle de Vie. Et il ne diffère pas fondamentalement des autres mondes de l'esprit: il en est un plan parmi une infinité d'autres, juste plus rigide et plus persistant que nos rêves. Je veut dire par là qu'il continue d'exister même quand on ne pense pas à lui, ce qui est une propriété tout de même étonnante quand on y réfléchit bien. Il y en a de bien plus raides encore, où vont les âmes très fortement atteintes par le mal, par exemple celles qui ont échoué dans leur évolution terrienne.

- (Liouna) Je me demandais pourquoi le monde corporel était différent des mondes de l'esprit. En fait, dans son essence, il ne l'est pas.

- (Anthelme) Oh là là! En tout cas Nellio si tu vas dans ma pensée n'oublie pas de retirer tes chaussettes pleines de terre.

- (Liouna) Que font les Gardiens Cosmiques?

- (Ozoard) Ce sont des sortes de Jardiniers des âmes, mais ils utilisent d'autres méthodes. Ils sont les Gardiens de la Vie, chargés de la protéger. Ils travaillent en parallèle avec les Jardiniers des âmes comme ceux d'Irizdar, parfois même ils s'entraident. Leur but est le même de toute façon: rendre toutes les âmes heureuses. Pour Aéoliah, leur seul travail notable fut de dévier les météorites dangereuses, lors de la formation et quelquefois encore de nos jours. Ils interviennent aussi dans le plan matériel, à l'aide de leurs puissants vaisseaux cosmiques, ce qui demande plus encore de Sagesse que de travailler dans la pensée comme ceux d'Irizdar. Mais je ne peut en dire plus car...

- (Les autres, en choeur) Nous ne sommes pas encore prêts pour ces choses!

- (Ozoard) Euh si, mais... pas tout le plaisir à la fois!»

Orzeilla fit malicieusement diversion: «Tiens mon chéri goûte ces murlines. C'est l'heure de manger, on parlera des vaisseaux une autre fois»

Passons sur les explications qu'Ozoard dut fournir aux nouveaux éolis sur beaucoup d'autres sujets: tout ce qu'il leur apprit pendant ces deux jours tiendrait en fait dans un gros livre. Nous aurons l'occasion d'en voir des parties de temps en temps, au fur et à mesure du déroulement de cette histoire, surtout vers la fin. Ce furent deux jours et deux nuits de discutions passionnées, entrecoupées de jardin et tout de même d'un peu de sommeil, sauf le second après-midi où Ozoard et Orzeilla disparurent comme le premier, on ne sait où.

Nellio remarqua que, quand ils réapparurent, ils avaient sur eux, faible mais reconnaissable, le parfum aérien et incomparable des grosses fleurs mauves qui poussent uniquement sur l'arbre d'Adénankar. Ozoard n'était pas venu là que pour leur raconter des belles histoires. Il avait bien réussi à piquer leur curiosité, en tout cas! Et si c'était là le but de sa visite?...

Anthelme fit remarquer que Liouna était sur le chemin d'Irizdar, où elle aurait certainement beaucoup à faire. Elle lui répondit que de toute façon, lui aussi, à force de demander des rouleaux, avait fini par se faire remarquer de leurs gardiens. C'est sans doute ce qui leur valait cette incroyable visite, qui semblait déjà d'un autre monde!

 

Le troisième matin, ils trouvèrent en se levant les deux oies blanches et roses qui attendaient, dans le champ de fraises, devant la longue courge d'Anthelme. Elles ne disaient rien, elles ne bougeaient pas, juste elles attendaient. Quelques fraises avaient disparu, mais bon, on les leur laissait de bon coeur. Ozoard et Orzeilla arrivèrent pour la troisième fois au moment de déjeuner avec eux, mais ce fut comme on s'en doute pour leur dire au revoir. Contrairement aux deux premiers jours, ils mangèrent tous ensemble sans rien dire, dans un silence complice, appréciant simplement leurs présences mutuelles, tout entiers au merveilleux parfum des fruits dont ils se délectaient, dans leur petite cour de mousse mauve, encore fraîche de nuit.

Les fleurs d'Aéoliah exhalent leurs fragrances à différents moments de la journée: parfums de la nuit, subtils et légers, insaisissables ou sans origine discernable, les plus beaux peut-être; parfums du matin, frais et vivifiants; ceux de la journée, capiteux et chauds, ou résineux; ceux du soir, suaves et doux, et même ceux de la pluie, que l'on retrouve toujours avec plaisir. Dans leur petite cour, il flottait toujours une senteur fraîche et agréable qui ne provenait d'aucune plante particulière, parfum du sol humide et des feuillages abrités, gorgés de sève à peine séparée de l'air par une si tendre pellicule.

Juste à la fin du déjeuner, ils entendirent les deux oies ouvrir leurs ailes et lisser leurs plumes pour l'envol. Ozoard et Orzeilla se levèrent alors sans un mot, et firent à nouveau le geste de fraternisation éoli, pour le départ. Les nouveaux éolis, surtout Anthelme, ressentirent un manque de ce départ, pas vraiment de la tristesse, sentiment inconnu des éolis, mais un vide dans leur âme...

Juste Ozoard demanda: «Et le rouleau? Il t'a plu?»

Anthelme réalisa alors qu'il ne l'avait même pas déballé, pris qu'il était dans les passionnantes discutions d'Ozoard: il reposait dans sa salle d'étude, avec les autres qu'on y avait abrités. Pourtant il l'avait attendu, ce rouleau!

Le temps de recharger les autres rouleaux violets, et les étonnants visiteurs se juchèrent sur leurs oies, faisant de joyeux au revoir.

Il était l'heure d'aller s'activer aux champs. Les joyeux éolis se remirent bientôt au travail, mais ils étaient encore un peu à Irizdar...

 

 

 

 

 

 

Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 8       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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