Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 1       

Chapitre 1

* Prélude *

(Musique recommandée: :Iasos, Elixir, «Procession on the horizon» Révérence à toute forme de vie, passionnément.)

 

Uhluhlorah, la planète des glaces. Sur une petite lune qui n'a même pas de nom, se dresse un étrange monument. Le soleil de ce système n'y luit guère plus que notre pleine Lune, si loin et si froid que sa pâle lumière ne dégèle même pas le méthane. Dans le ciel noir d'encre, parmi les étoiles étrangement fixes, Uhluhlorah flotte immobile, vaste globe lisse d'un beau bleu céruléen tacheté d'outremer, toujours au dessus de la même colline grise figée dans une pathétique éternité. Rien n'a bougé ici depuis deux milliards d'années: le paysage est usé, tout en pentes douces, en arrondis, parsemé de cratères de toutes tailles, gris et émoussés, sauf quelques-uns qui arborent une auréole ou des rayons d'un blanc jaunâtre. Le sol ressemble à celui d'un névé, légèrement granuleux, avec des blocs ici ou là. Vu de près il révèle pourtant une beauté étrange en un lieu si reculé: perles scintillant au lointain soleil, étoiles irisées ou reflet bleu d'Uhluhlorah. La roche, ici, c'est de la glace, qui, à cette température, semble une quelconque pierre crayeuse, parsemée de minuscules gouttes luisantes dues aux micrométéorites.

Aucune vie possible sur ce monde mort, immobile, sans air, exposé au froid inimaginable de l'espace. Le sol même du satellite sans nom est figé pour l'éternité. Les seuls mouvements sont la répétition immuable des jours tous identiques, au même rythme que les quartiers d'Uhluhlorah, planète géante des limbes de ce grand système solaire. Et pourtant, en plein coeur de cette immensité à jamais interdite aux vivants, se dresse, énigmatique comme un Sphinx, le monument. Du ciel on distingue, avec un peu d'attention, une immense étoile jaune à quatre branches, courant sur plus de dix kilomètres de plaine, et toute écornée de cratères. Elle est là depuis si longtemps que son teint est maintenant plombé. Au centre s'étend une aire rougeâtre, en forme de coeur. Le monument proprement dit est une petite pyramide, juste à la pointe du coeur, jaunâtre, émoussée. Elle semble très ancienne aussi, autant que le glacial paysage. Rien a priori n'indique le sens de cette insolite présence en plein cosmos.

Au pied de la pyramide, des traces de chenillettes, des déblais semblent tout frais. Ou presque: vu la lenteur de l'érosion, ces travaux pourraient dater de millions d'années. Sur le flanc de la pyramide, une ouverture ronde a été scellée de glace claire. Tout ici est fait de la seule roche disponible: la glace, qui n'y fond jamais. Avec le temps la poussière du cosmos la fait tourner au gris. Les mystérieux bâtisseurs se sont servis de ce matériau, comme s'ils ne tenaient pas à en amener d'étrangers.

 

L'ouverture scellée donne sur une galerie qui s'enfonce raide, en spirale, dans les entrailles de la lune sans nom. Profondément enfouie dans la glace, bien à l'abri des rayonnements cosmiques, exactement sous l'apex de la pyramide, nous attend une crypte. Elle est en forme de petit pain rond, d'une dizaine de mètres environ de diamètre. Là nous découvrons un étrange spectacle... Pourrait-on appeler cela une machine? Pourtant cela a été pensé, conçu et bâti dans quelque mystérieuse intention. C'est d'une beauté émouvante, tout en sphères et ellipsoïdes imbriqués, d'un vert lumineux et profond comme un vitrail. Il y en a d'autres le long des murs, plus petits, reliés entre eux par des tubes, des vaisseaux, des trompes ou d'infimes fils d'argent. Quelques-uns s'avancent dans d'étroites galeries, s'enfonçant encore davantage vers d'autres installations inconnues, vers le coeur mystérieux de la petite planète. Tout semble fait d'or vert, d'émeraude translucide ou de végétation tendre, illuminé de l'intérieur comme un gemme. Les formes, loin du rationalisme de nos produits industriels, ressemblent plutôt à des organes vivants, des cellules, à quelque improbable orchestre de cuivres surréaliste ou encore à ces curieux alambics anciens des moines distillateurs de fleurs. Pas de mécanisme ni d'énergie électrique comme dans nos créations terrestres; tout est sans mouvement, sans finalité apparente. Et pourtant l'hypogée toute entière irradie une phosphorescence à la fois immobile et passionnément palpitante, d'un vert ineffable, profondeurs d'un océan merveilleux, émeraude impossible, fraîcheur d'un printemps indicible, oxygène infiniment bienfaisant et pur... Ah, si nous pouvions nous trouver dans cette crypte, nous serions bouleversés au plus profond de notre être par l'intensité vivifiante de cette étrange radiation, de cette puissante et bienfaisante vibration! Oui, c'est cela: Ces assemblages incompréhensibles vibrent, c'est bien une machinerie, mais encore inconcevable pour nous terriens: elle oeuvre avec les énergies de la vie, elle les attire amoureusement, les capte, les concentre, et, frémissante, les transmute à Dieu sait quelle fin! Ce qui en émane est plus que de la lumière: c'est de la vie, concentrée, sereine, rafraîchissante, purificatrice. C'est un appareillage bienveillant, conçu non par des techniciens, mais par des amoureux, par des poètes!

A quelle fin et par qui a t-il été installé ici, sur ce monde désolé et infiniment glacial? Même si la lumière de la crypte oscille entre la fraîcheur délicieusement vivifiante de la source sous les feuilles et la chaleur intensément colorée des vitraux, le thermomètre, lui, marque implacablement et immuablement moins deux cent trente deux degrés dans la crypte totalement vide d'air. Un fin givre de méthane en témoigne sur les murs pâles. Magnifique, mais totalement inhabitable!

 

L'intérieur du bulbe central est une succession d'ovoïdes et de tores imbriqués défiant les Moëbius et autres Klein, vibrant de couleurs pastel variées, tissés de fils ténus, de tubules. D'infimes organes recèlent une complexité dépassant de fort loin notre technologie. Au coeur du bulbe, là où les vibrations sont les plus vives et les plus entrelacées, se trouve une chambre, comme une géode tapissée d'efflorescences et d'antennes d'un vert très doux, tamisé. Et, tout à fait au centre... grand comme un nid d'oiseau, un berceau! Un berceau en osier très fin, enfroufrouté de tissu rose brodé de fleurs naïves. Et, dans le berceau, une créature de rêve: elle a forme humaine, c'est même de toute évidence une femme, mais grande comme notre main!

Sa tête est plus grande, en proportion, que la nôtre, comme celle d'une petite fille; mais c'est bien une femme adulte. Son visage rond et régulier respire la Douceur; ses épaules sont à peine plus larges que la tête, et les hanches plus fines encore; les bras nus si menus semblent translucides. Sa beauté fascine, mais plus encore une Bonté et une Poésie émouvantes émanent de cette forme étendue, comme endormie. La régularité, l'Harmonie de ses traits, la douce et claire vibration qui en émanent signent l'être parfait, libre du moindre défaut tant de l'esprit que du corps, l'Innocence absolue, sans aucune sorte de lien avec le mal, avec pourtant un je ne sais quoi de simple et sérieux comme un enfant faisant le Bien, qui nous la rend plus proche de l'humain que de l'ange.

Elle est allongée, son ingénu visage rond sur le côté, ses petits seins marquant à peine le tissu de sa longue robe indigo un peu bouffante; elle porte sur le coeur, brodé, le même insigne que dehors sur la plaine: une étoile à quatre branches dorée avec un coeur rose. Ses cheveux châtains ondulent en nappe sur ses côtés et ses mains minuscules sont croisées sur son ventre. Presque cachées par les cheveux, des ailes, mais oui, quelle merveille! Cette petite femme de paradis, pas plus grande qu'une bergeronnette, a des ailes de papillon, roses, irisées d'indigo!

Elle ne sourit pas. Elle est très pâle; elle n'a pas l'air triste; sur son monde merveilleux on ne connaît certainement pas la tristesse. Pourtant une larme scintille, pâle perle de glace hyaline sous un de ses grands yeux fermés. Ici aussi il fait moins deux cent trente degrés. Est-elle morte? Non, mais son âme est de toute évidence loin de ce corps gelé depuis peut être des milliers d'années. Les merveilleux appareils de la crypte sont là pour le maintenir en état, dans le froid propice, dans l'espoir de le ramener un jour à la vie. Mais ils ne peuvent rien de plus pour rappeler son âme.

 

De quel drame inconcevable la belle inconnue a t-elle été la victime, ici ou là-bas? Qu'a t-il pu arriver de si étrangement fatal que son monde idéal et parfait n'ai pu l'en mettre à l'abri?

 

 

 

 

 

 

Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 1       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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