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Naufragée Cosmique

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Chapitre 12

Décrochez le wagon-frein!

Cette année 1985 fut pour Brigitte, comme pour beaucoup d'autres, une année de dure mise à l'épreuve. Il faut bien avoir présent à l'esprit, qu'à ce point de son parcours, elle n'avait eu aucun contact avec Adénankar, et que Yanathor ne l'observait que fort discrètement. Donc Brigitte, en toute ignorance de sa véritable identité, évoluait seule sur Terre. Brigitte a éprouvé les mêmes difficultés que nous, et, si elle a progressé plus vite, ce ne peut être parce que son parcours aurait été plus facile. L'unique exception était le groupe de prière de Liouna, dont l'influence avait été perçue par les gens de Peyreblanque.

Ne nous étonnons donc pas de trouver Brigitte incorporée comme les autres dans un aussi vaste lot. Trop de scories, trop de paroles inutiles encombrent les mouvements pour un monde meilleur. C'est peut-être pour cela que le sentier de l'éveil est étroit. L'effort constant qu'il faut soutenir pour y progresser décourage les simples curieux, les amateurs de puissance, sélectionnent ceux-là seuls qui cherchent sincèrement la vérité, à l'exclusion de tout autre mobile. Il n'y a rien d'autre à trouver là. Il n'y a pas de pétrole. N'arrivent en ces contrées que ceux qui apprennent à s'orienter vers la Vérité, ceux qui travaillent vraiment sur leur personnalité, éliminant les pesants préjugés et les émotions négatives. Il serait injuste et fort dangereux pour tout le monde que l'on puisse avancer sur le chemin de la réalisation de soi, ou avoir accès à certaines expériences, avec des motivations impures.

Pour Brigitte comme pour les autres, le test est des plus simples, et pourrait se résumer par une seule question: «Veux-tu vraiment vivre la véritable vie à chaque instant?» Oui, bien sûr, mais il s'agit de le faire en la présence de Frédérique. C'est un test en situation, et c'est par ses actes et ses sentiments qu'elle doit répondre. Y compris dans des situations beaucoup plus embarrassantes qu'un gentil stage de yoga…

En fait dès cette époque l'affaire était déjà gagnée au niveau de son âme, mais pas encore réalisée au niveau conscient. Brigitte, au plus profond d'elle-même, a senti (depuis le début d'ailleurs à en croire ses rêves) la nullité de son compagnon, mais elle n'a pas encore effectivement accepté ce fait. De cette dissociation naît cette sensation de fausseté, de saleté cachée, et par dessus tout une tristesse insidieuse, poisse, atroce.

 

Que voulez-vous, les éolis ont beau être doux, gentils, prévenants, ils restent essentiellement libres, donc toujours quelque part indomptables. Et la particulièrement discrète et timide Aurora ne fait pas du tout exception à la règle, même incarnée en Brigitte. On peut la flouer un temps, mais pas indéfiniment. Et puis elle a sa Sagesse, ses critères. Autrement dit ça commence discrètement mais sûrement à chauffer pour Frédérique.

Les discutions entre eux ont haussé le ton: Brigitte ne désespère pas encore d'amender son compagnon, et lui se débat de plus en plus pour la garder en son pouvoir. Il n'a pas encore épuisé son arsenal de sophismes, auto-justifications et autres distorsions de la pensée, mais chaque arme nouvelle qu'il sort, par ce simple fait le trahit davantage. Elle fait effet un temps, puis Brigitte la démonte et ce faisant découvre un peu plus la noirceur de Frédérique, et... lui trouve encore des excuses!

Il faut dire que Frédérique est très habile à jouer du sentiment. Jamais il ne se montre en colère. A l'entendre, c'est toujours Brigitte qui l'agresse, se fâche, le boude, lui doit des excuses et va se raccommoder avec lui. Toujours elle qui doit infléchir sa trajectoire. Lui est maître des sourires désarmants, des gaietés factices, des grands airs d'innocent persécuté, des grands pardons magnanimes. Surtout il est expert en réconciliations sur l'oreiller: pris dans le désir on oublie tout, on n'en parle plus, on ne résout rien et on laisse tous les problèmes dans l'ombre, prêts à ressortir en plus gros encore. Quel jeu plus cruel que la fausse estime, le faux amour, ou pire encore, le FAUX PARDON!

Frédérique prend Brigitte au dépourvu, la déroute, bouleverse ses sentiments. Un jour, très tendre, il discute avec elle et se met d'accord sur une décision, mais le lendemain, il fait comme si c'en était une autre, et roule des yeux terribles! Il lui pardonne solennellement quelque chose, mais les reproches ressortent à nouveau deux semaines plus tard! Il sait bien que Brigitte attend de lui une certaine Sagesse, une certaine cohérence, une forme de Fidélité au niveau des idées. Aussi il fait semblant de lui offrir cela, puis l'en frustre. C'est ainsi qu'il se venge de sa Sincérité, de sa Droiture...

Brigitte, âme encore faible et vacillante sur ses choix de vie, doit apprendre à garder le cap malgré révolte et chagrin...

 

De ses voyages, Frédérique revient toujours un peu plus bronzé, avec un parfum de papaye ou de mangue, ou quelque étrange bibelot exotique comme cadeau: encens de maharadjah, corail ou nacre rare, photos de l'espace, insignes de mystérieuses fraternités ésotériques... Son appétit de vivre, pour factice qu'il soit, est si chaud, si attirant!

Pour Frédérique, tout est simple: c'est celui qui est en colère qui a tort. Il n'a pas le sens de la Justice pour l'abasourdir ni pour l'indigner, lui. Aussi il peut faire le serein, le maître de lui, le maître tout court, bien servi par son dynamisme attirant. Et cela marche: devant ce sourire, Brigitte fond, cède, perd sa confiance en elle, culpabilise. Frédérique a ainsi sur elle un pouvoir terrible, et nous nous serions bien passé d'exhiber toutes ces choses pénibles si malheureusement il n'existait pas beaucoup d'autres personnages de cet acabit, que vous serez tôt ou tard amenés à rencontrer, amis lecteurs. Et cela sans forcément fréquenter le même milieu spiritualiste, puisqu'en fait il y en a partout.

Malgré cette ambiance schizophrène, conflictuelle, compacte, Brigitte s'exerce à rayonner et à rester en conscience élevée. Dire qu'elle y arrive serait exagéré: il faut déjà un bon degré de maturité pour rester positif, souriant et serein dans le feu de la persécution ou dans la glace de l'adversité. Pourtant Brigitte inspire Compassion, dans sa façon de vivre cette situation ambiguë. Elle ne se complaît ni dans la rage, ni dans l'abattement, et surtout pas dans le renoncement à soi. Elle tente de garder sa dignité, de rester droite. Elle tombe encore et encore dans la colère, la désespérance, le doute, mais elle se relève toujours. Oh, il lui suffirait de se taire et de continuer sa petite vie tranquille avec Frédérique! Pourquoi s'évertuer à chercher cette faille, entre son discours et ses gestes, d'où souffle ce vide glacial? Montant de quelle sinistre cave? Alors qu'il suffirait de l'écouter sans poser de questions... Ne plus rien voir... Ne plus rien sentir... Ne surtout pas réfléchir. Malgré la tentation et une tristesse pire encore que celle qu'elle a déjà connue, elle se raidit et se redresse encore et encore: Oui! Elle veut l'Harmonie entre les êtres et la Beauté et la Vérité.

 

Eh oui, les débutants dans les disciplines de l'Esprit vont souvent apprendre à méditer dans des gentils stages fleuris, où tout est mâché d'avance, les difficultés aplanies, les problèmes soigneusement éludés, en particulier les histoires de relations personnelles au sein du groupe des stagiaires. Cela est très bon pour les débuts, mais à un moment donné il faut devenir responsable et fort, prendre les problèmes de front, et les résoudre.

Présenté de cette façon, ce qui se passe en Brigitte paraît simple. Mais tous ceux à qui cette épreuve a été présentée n'y ont pas réussi, loin de là, et ils ont souvent abandonné avant même d'avoir vraiment souffert. Tel qui prétendait renoncer à l'égoïsme pour vivre en communauté, ou arrêter de fumer, ou vivre de manière écologique, se retrouve tôt ou tard au pied du mur. Et s'aperçoit que finalement il est fort désagréable de renoncer à ses vices... Quand on n'en a pas vraiment envie.

L'attitude humble, normale en cas d'échec est de... le reconnaître. De l'admettre, surtout vis-à-vis de soi-même. Puis chercher à savoir pourquoi on n'a pas réussi, et rassembler les ingrédients d'une nouvelle tentative plus éclairée, mieux préparée. Mais il y a aussi l'attitude coupable, orgueilleuse, destructrice, qui consiste à dire après coup que non non non, finalement ce n'est pas cela que l'on avait voulu, que c'était impossible, qu'on est libre de faire ce qu'on veut, et autres dérobades. C'est à des petites phrases de ce genre que l'on reconnaît quelqu'un qui a été refoulé au seuil d'une des étapes de sa vie.

La clef des plus grandes réalisations de l'esprit est simplement là: Vouloir réellement.

Vouloir et agir en conséquence. Sincèrement. Totalement.

On peut toujours vouloir parce que c'est la mode, parce que ça fait bonne impression, parce que le copain le fait aussi, parce qu'on se sent plus puissant, plus important... Toutes ces démarches sont vouées à l'échec. Il faut vouloir simplement parce que c'est ÇA la vraie vie!

Que deviennent les personnes qui échouent? Rien n'est définitif. Elles ont besoin d'une longue période de mûrissement. Attendre simplement d'être plus prêt. Dans le secret de leur âme, elles se préparent à repasser le test. Rappelez-vous l'histoire de la tortue laborieuse arrivée avant le lièvre trop sûr de lui. L'Esprit est par excellence un domaine où toute tentative de comparaison, de classement, est essentiellement illusoire.

Et ceux qui ont réussi? Là c'est plus intéressant. Ils vont recevoir en partage les moyens de progresser et de vraiment vivre intérieurement ce à quoi ils aspirent. Les outils pour se construire. Si le résultat ne dépend plus que d'eux, et en particulier ne peut plus être détruit par l'adversité, tout n'est pas encore gagné pour autant. Il leur faudra travailler pour se construire, et peut être passer d'autres épreuves, pour voir si ça tient. Le sentier de la réalisation de soi est en fait un test permanent. Pas moyen d'avancer à l'esbroufe, au faire-semblant. Tout mensonge, tout échafaudage artificiel est condamné à s'étaler par terre du simple fait d'avoir été bâti.

A propos de tests et d'épreuves, il faut bien faire attention à ne pas tomber dans le culte de la souffrance. Certains affirment que la souffrance serait indispensable pour évoluer. Ce culte de l'épreuve, de la rédemption, du sacrifice douloureux, ce culte est effrayant, et il est fort dangereux de s'approcher de ses adeptes. On peut par contre se donner quelques bonnes lignes de conduite face aux épreuves que la vie nous impose de toute façon. Tout d'abord, il ne sert à rien de tenter d'éluder certaines situations embarrassantes, quand elles trouvent uniquement leur source dans nos défauts de personnalité. Seule l'élimination de nos défauts de relations ou de comportement peut nous permettre de nous débarrasser réellement de cette sorte d'ennuis, qui sinon nous poursuivent où que l'on aille et se répètent indéfiniment. Il est aussi certain que la pratique assidue du Bien, une aspiration pure et un travail sur soi sincère nous mettent à l'abri de beaucoup de drames, alors qu'on est assuré de s'attirer tôt ou tard de terribles châtiments si l'on n'en fait qu'à sa tête et que l'on passe outre les avertissements reçus.

 

En fait, l'attitude juste la plus importante face à la souffrance et aux épreuves, est souvent désignée sous le nom trompeur de «acceptation de la souffrance». Là encore il ne s'agit ni d'une forme de masochisme, ni de justifier la souffrance, comme pourrait le suggérer cette traduction maladroite d'un important concept Bouddhiste. Disons que, face à une épreuve inéluctable, notre attitude mentale ne peut pas modifier le fait lui-même, tandis que le refus ou la révolte ne font qu'augmenter notre souffrance, sans aucun bénéfice. Par contre si nous visualisons que cet obstacle ou cette souffrance, apparemment d'origine extérieure, prend sa source en définitive uniquement dans nos propres fautes et imperfections, alors nous pouvons nous servir servir de cette situation comme motivation puissante pour renforcer notre travail intérieur, notre discipline. Tout comme un judoka qui se sert de l'élan de son adversaire pour le faire tomber, on peut récupérer l'énergie puissante et destructrice de la souffrance, pour continuer malgré tout à vivre debout, à avancer, à travailler sur soi avec une énergie renouvelée, à se construire, à progresser. Alors il est souvent possible de sortir grandi d'une douleur, d'en tirer des leçons bénéfiques, de mieux comprendre nos fautes, et même d'atténuer l'intensité de cette douleur. D'étranges et bouleversantes transmutations peuvent en découler. Quoi donc de plus merveilleux, que cette technique qui nous permet d'avancer sans qu'aucune adversité ni aucun obstacle ne puisse plus jamais nous en empêcher?

On peut espérer, il faut le souhaiter en tout cas, et c'est tout à fait possible, que l'évolution terrestre puisse se poursuivre sans souffrance. Irait-elle moins vite? Pas sûr. Il est même logique qu'elle soit plus rapide ainsi, puisque nos souffrances viennent justement de ce que nous y faisons obstacle. En tout cas, cette suppression de la souffrance ne peut concerner que les seuls humains: elle doit aussi englober tous les êtres conscients, les animaux, les plantes, les pierres, les paysages... La seule condition pour arriver à supprimer toute souffrance, est d'accepter de vivre en Harmonie avec les lois universelles d'Amour, d'Entraide, de Beauté, de Poésie... Et ce choix repose essentiellement sur nos épaules, à nous humains conscients, avec toute notre intelligence et toutes nos connaissances qui font que nous seuls en sommes capables. Si un quelconque Créateur ou autorité cosmique a toléré l'existence de la souffrance, il ne peut y avoir qu'une seule raison: c'est que c'est nous qui la créons et c'est nous seuls qui pouvons l'arrêter. Alors inutile d'attendre que Dieu, les extraterrestres ou je ne sais qui d'autre viennent résoudre ce problème pour nous: la solution du mal et de la souffrance est entre nos seules mains, et dans les mains de personne d'autre. Il faut choisir, se lever, se mettre au travail.

 

Il est fort difficile de discuter avec Frédérique. C'est une savonnette. Brigitte en fait souvent l'expérience, quand, en jouant sur le sens des mots, il lui «démontre» que ce qu'elle a voulu dire est exactement le contraire de ce qu'elle a dit. (Ce procédé malhonnête s'appelle la logomachie) Démontrer? Ce mot n'a aucun sens avec Frédérique. Démontrer, cela veut dire s'assurer de la véracité d'une chose à l'aide de raisonnements logiques exacts reposant sur d'autres faits déjà établis. Or chez Frédérique il n'y a pas de vérité, pas de raisonnement, pas de logique, et même les faits sont flous et changeants. Il n'y a que des opinions qui s'affirment, s'affrontent, l'emportent ou sont éliminées au seul gré de ses rapports de force imaginaires, ce qu'il appelle «sa dialectique», essentiellement conflictuelle celle là. Ce qui hier était «faux» car non reconnu, peut devenir «vrai» plus tard, quand la majorité le pensera. Frédérique dit explicitement «est faux» ou «est vrai», alors que nous dirions «considéré comme». Pour lui, la Terre s'est mise à tourner autour du Soleil suite à l'affaire de Galilée. Alors maintenant, elle peut bien devenir creuse, et ses continents se soulever ou s'enfoncer tout seuls en une inconcevable gigue, au gré de ses lectures romanesques sur les civilisations disparues.

Quand pour la énième fois Brigitte le reprend sur cette «dialectique» spéciale, après lui avoir expliqué en détail tout Aristote et sa logique, Frédérique se replie, théâtral: «Oh mais Brigitte, tu ne peut pas comprendre, c'est MA VERITE!»

Cisaillée la Brigitte. Assise, sans voix. Il se prend donc pour Dieu, ce Frédérique, pour avoir ainsi sa vérité personnelle? La Vérité n'est-elle pas par essence, par définition, ce qui appartient à tous? Ce qui dans l'immense labyrinthe des faits et des témoignages, des idées et des perceptions est le seul repère valable? Où va t-on si chacun se met à changer les lois de l'univers à sa guise? Plus rien n'a de sens, tous s'évapore. La connaissance spirituelle est souvent paradoxale, mais tout de même pas à ce point!!

 

Soudain Brigitte réalise que Frédérique, comme tant d'autres personnes de mauvaise foi, déforme le langage selon la méthode de la novlangue.

Mis à part ça, il est très libéral, le Frédérique. Les autres sont bien libres d'avoir «leur vérité» si ça leur chante, tant que cela ne dérange pas ses intérêts du moment. Ça ne lui coûte pas cher d'être «tolérant», lui: Il n'a aucune valeur à défendre.

Il insiste:

«C'est ta pensée qui crée l'univers, tout ce que tu vois c'est toi qui l'a imaginé et qui le projette et qui...»

Mais Brigitte n'écoute maintenant plus, filant à la cuisine où une casserole sur le feu l'appelle opportunément. Elle bout. Qui? La casserole? Brigitte? Tout le monde bout. Ah ce Frédérique lui sort maintenant la même théorie stupide que le petit prof véreux de la fac, fâcheusement appelée «idéalisme» pour la plus grande confusion des foules ignorantes, comme on se souvient.

 

Comme il faut se garder de tout jugement simplificateur! Oui, nous sommes dans un monde matériel, mais notre vie n'est pas gouvernée par les lois de la matière (ou du moins elle ne le serait pas, si nous étions tous réalisés...)

Brigitte se demande si on ne peut pas aller un peu plus loin. Entre l'esprit et la matière, n'y en aurait-il pas un de trop? Supposons que l'univers matériel lui-même soit une émanation de l'esprit, une forme d'esprit au même titre que notre conscience individuelle. (Mais tout de même pas issue de notre conscience personnelle! Il y aurait bien trop d'incohérences à cela). Au lieu d'avoir la matière séparée de l'esprit et les deux communicant on ne sait comment, on a un continuum où les deux sont interdépendants, puisque de même nature fondamentale. Alors tout devient possible, et même naturel, sans rajouter aucune autre hypothèse ad-hoc: survie de la conscience après la mort, influence de l'âme sur le corps, voyage astral, phénomènes parapsychologiques de toutes sortes... Ainsi la sensibilité à l'Esprit serait une propriété naturelle et intrinsèque de la «matière»! (Les développement détaillés ici sont devenus le coeur de la troisième partie de mon livre «Epistémologie Générale»).

 

Arrivée à ce stade de ses réflexions, Brigitte repense à cet instant de sur-conscience qu'elle a vécue étant jeune, quand cette marmite tombant d'un vertigineux immeuble avait failli la tuer. Dans son souvenir, la scène est restée gravée avec un luxe de détails, comme un film au ralenti. En particulier aucune des personnes qui pourtant marchaient autour d'elle n'avait eu le temps de bouger pendant que elle entendait l'avertissement, arrêtait d'avancer, puis assistait à l'éclatement à ses pieds du mortel projectile de fonte. Regardant droit devant elle, elle ne l'avait même pas vu passer, ce qui est normal vu la vitesse où il tombait. C'est donc bien avec ses yeux qu'elle avait vu la scène, mais elle s'était enregistrée dans son souvenir bien plus vite qu'il est habituellement possible: elle n'avait eu aucune pensée pendant ce temps, pas même esquissé une hésitation ou un étonnement. Ce ne pouvait donc pas être son cerveau matériel qui était conscient à ce moment là, et elle était donc bien sortie du temps physiologique. (Les développement détaillés ici ont été déplacés vers la cinquième partie de mon livre «Epistémologie Générale»).

Et si...

«Aaaah je tirerais bien un coup ce soir!»

 

Brigitte, stupéfaite, ahurie, sans voix, fixe Frédérique venant d'entrer, qui, sans un mot de prévenance, sans un bonjour, coupe ses réflexions métaphysiques de si triviale façon. Non content d'être polarisé sur le sexe, il faut en plus qu'il en parle aussi antipoétiquement que possible!

Brigitte met un moment à retrouver la vision de la petite chambre aux murs jaunâtres, les meubles dépareillés, les piles de cartons débordant de papiers, les slips qui pendouillent à un fil, et enfin le personnage qui vient d'y entrer. Il commence à la dégoûter, elle comprend enfin qu'il lui rogne les ailes avec ses basses pensées mêmes pas intellectuelles. Comment parler avec lui de l'esprit ou de la super-conscience? Ce n'est d'ailleurs pas en soi son attirance pour la sexualité qui la gêne mais cette façon grossière qu'il a d'en parler, d'y coller dessus de basses vibrations, ce manque de respect pour son corps. En fait cette anti-poésie qu'il manifeste de plus en plus depuis quelques temps a plus radicalement contribué à la prise de conscience de Brigitte que toutes ses justifications intellectuelles vaseuses.

«Je ne peut pas ce soir, j'ai mes règles, biaise t-elle, non sans trembler du mensonge.

- Comment, mais déjà la semaine dernière tu...»

Oh la gaffe! Brigitte voit le visage de Frédérique se crisper de fureur, son menton se contracter comme autrefois celui de Regnald, ses poings se serrer. Ses yeux brillent d'une joie vengeresse: depuis le temps que Brigitte l'humiliait par ses pathétiques efforts pour rester digne et irréprochable, que par sa Sincérité, son dévouement et son intégrité elle le forçait dans son personnage de gourou de bazar, toute la rancune accumulée trouve enfin un prétexte pour exploser! Lui qui ment aussi naturellement que vous et moi respirons, le voici pour cette peccadille qui monte sur ses grands chevaux:

«Comment, un aussi grave mensonge, qui ruine toute la confiance de notre couple! (A sens unique, la confiance) Quel égoïsme, de me refuser un peu de tendresse, (En a t-il jamais donné?) pour ton petit confort, toi qui te prends pour une sainte, qui prétend tout savoir, avoir une haute spiritualité (Brigitte n'a jamais rien prétendu, elle se croyait élève de Frédérique) Tu voudrais régir cette maison à la baguette (Alors qu'elle avait toujours fait selon les désirs de Frédérique) et ne t'occuper que de ton petit confort (Qu'elle avait toujours sacrifié à Frédérique, il n'y avait qu'à regarder la chambre) Tu te prends donc pour un ange, ne sens-tu pas tes ailes pousser?»

Malgré son cœur battant la chamade, Brigitte ne peut éviter de sourire à cette dernière insulte. Pour vraiment comprendre pourquoi, ami lecteur, placez-vous en relaxation physique complète, et pensez à un de vos membres: même si vous n'en ressentez rien (pas de chaleur, de mouvement ni de contact), vous pouvez toujours sentir parfaitement sa présence. Mais qu'est-ce que Brigitte ressent de cette façon, en plus que ses membres de chair? Des ailes, bien sûr. Invisible, mais sensible: elle peut les bouger, et elle est gênée si quelqu'un s'approche d'elle par derrière sans faire attention. Elle a même les omoplates légèrement saillantes.

Le lecteur comprendra que ce sont tout simplement ses ailes éolines. Une chose qu'elle ne pouvait pas savoir à ce moment. Inutile de dire qu'elle n'a strictement jamais confié cela à personne, ni parents ni amis. Et qu'elle ne pense pas plus qu'elle est un ange pour cela. Mais Frédérique se demande vraiment pourquoi elle sourit...

Ça n'arrange pas les choses. Sa colère théâtrale arrive à en déclencher une vraie, son visage devient écarlate et les gestes menaçants qu'elle ne lui avait jamais vu finissent d'effrayer Brigitte.

 

Passons sur la soirée qui suit, peu racontable. On ne sera pas surpris de trouver, le lendemain tôt, Brigitte sur la route, descendant à pas rapide vers la vallée, sur cette petite départementale qu'elle n'avait parcourue qu'une seule fois, en montant à Peyreblanque pour y rencontrer Frédérique.

La pluie ruisselle sur le ciré qu'elle a jeté à la hâte par dessus son sac à dos. «Je vais faire un tour» avait-elle lancé à Frédérique, en rassemblant fébrilement son maigre bagage.

Elle est triste, bien plus qu'en colère, de toutes les vilenies qu'il lui a dites, et que nous ne répéterons pas. Elle est désillusionnée. Enfin. Mais que cela est dur de découvrir un être bas quand on croyait voir un sage! Brigitte marche d'un pas leste et décidé, ressassant les minables paroles de Frédérique. Tant se fâcher pour si peu! C'est de sa faute, de toute façon, si il l'avait respectée comme une personne, au lieu de seulement se servir de son corps...

Au fur et a mesure qu'elle avance, cet colère se dissipe. Et elle finit enfin par se rendre compte que c'est le Printemps! Elle était tellement accaparée par Frédérique qu'elle ne ressentait même plus le rythme des saisons! Depuis combien de temps n'avait-elle pas écouté un oiseau? Contemplé les étoiles? Senti la caresse du vent? Ah! Avec lui elle était bien pire qu'en prison!

La route traverse un paysage de roches brunes, couvertes de lichens jaunes et vert pâle. Des chênes verts maigrichons y entrelacent leurs racines et leurs branchages. Les rameaux frémissent sous la caresse de la pluie, et s'ébrouent dans l'herbe et les feuilles mortes. Les oiseaux chantent partout, de cette joie tranquille et diligente qu'ils ont même par temps gris. Gris? Même si le ciel l'est, la douce pluie de printemps semble rayonner une sorte de tiédeur à l'âme, une quiétude que même les rares voitures ne troublent pas. Le vert tendre et chaud des jeunes feuilles est bien plus vif sous la pluie que terni par le dur soleil d'été. Brigitte est bien à l'abri sous son bon imperméable, tout juste hume t-elle l'odeur de ses cheveux un peu mouillés. Un peu plus loin, dans un replat de prairies, des vaches meuglent, signalant une ferme dont les toits dépassent d'une croupe herbue.

Que la Terre est belle, même sous son humble voile de nuages! Comment imaginer qu'il s'y cache tant de bassesse! Est-il possible que ces gens ordinaires, qui vaquent à leurs occupations pastorales aient aussi de tels problèmes de relations? On a l'impression que non. Quelques coups de marteaux arrivent de la ferme, bien que d'ici on ne voie personne. Un peu plus loin, une raide et sombre pente forestière part à l'assaut des stratus. Une chaude odeur de foin arrive par bouffées, parmi les senteurs d'humus et de terre mouillée. Voici le chemin d'entrée de la ferme, plein de flaques d'eau et de tuiles pilées, avec une boîte aux lettres naïvement peintes en bleu et une huche à pain pour le boulanger ambulant.

 

Finalement un homme âgé qu'elle ne connaît pas prend Brigitte en stop. Il habite plus haut dans la vallée. Elle lui dit qu'elle est du côté de Peyreblanque, mais se garde bien de préciser pourquoi elle descend!

«Peyreblanque? Mais c'est une secte, non?»

Ça y est, ça recommence. Brigitte écoute et répond par monosyllabes.

«Ben ce que j'ai entendu c'est qu'ils ont une sorte de religion, là, et qu'ils sont en train de construire un temple pour adorer le Soleil, selon le rite des anciens égyptiens. C'est pitié, parce que les enfants y vont pas à l'école, ils sont pas instruits, vous comprenez? D'ailleurs à ce qu'on dit ils crèvent la faim, ils mangent rien, leurs parents leur interdisent tout, la viande, les bonbons, les glaces, et même la télévision! On les a vus au village qui faisaient l'aumône!»

Incroyable! Qui peut bien s'amuser à déformer ainsi la réalité, à inventer ces noires histoires dans le seul but de flétrir ce qu'il ne connaît pas? Brigitte dément formellement, décrit la réalité de Peyreblanque, ou du moins l'extérieur de cette réalité, car comment parler de la vie intérieure...? L'homme, qui n'a pas l'air méchant, n'en rajoute plus, mais ne fait pas pour autant machine arrière. Est-il convaincu? Dubitatif? Intéressé? Prudent? Peut-être éprouve t-il lui aussi les affres de ne savoir à qui se fier... Il fait gentiment au revoir à Brigitte en la déposant en ville, au bout de la rue où commence la grande route.

 

Seule dans la petite ville, Brigitte est soudain stupéfaite... Après deux ans sans descendre de sa montagne, tout l'assaille et l'agresse en bloc: Grisaille, odeurs de voitures, bruit infernal, couleurs criardes, désordre incohérent, visages fermés et indifférents... Ses yeux redevenus neufs reçoivent de plein fouet la vision de toutes ces dis-réalités accumulées. Elle déambule sur le trottoir, se retenant de dire bonjour à tous les passants comme on le fait encore partout à la campagne, se demandant si elle va se réveiller de ce mauvais rêve... Plus que de l'écoeurement, elle éprouve une sensation d'étrangeté, comme si elle était entrée dans un de ces affreux livres de science-fiction où des auteurs malades projettent inlassablement leurs fantasmes de mondes désaxés. Ahurie, qu'elle est: comment ces gens ont-il pu, de leurs propres mains, volontairement, se créer un cadre de vie aussi laid, aussi brouillon et discordant? Elle passe devant une boucherie, se pinçant le nez pour ne pas sentir l'épouvantable odeur des poules mortes qui tournent dans un petit four transparent, juste sur le trottoir. Incroyable!

Tout de même, elle a pris une fameuse avance avec son travail sur les vibrations. Quel tristesse que tout s'écroule si stupidement à cause de Frédérique.

Tout de même, la Terre, quel Bazar! Ici on ment, là on s'empeste, là-bas on se déçoit... ...Estimons-nous encore heureux que dans ce coin on ne reçoive pas d'obus.

Nous n'allons pas raconter en détail l'errance de Brigitte pendant ces trois mois d'absence. Elle n'est pas allée à Peyreblanque, car malheureusement, il faut bien le dire, les insinuations continuelles de Frédérique, ressassées plus de dix mille fois en deux ans, ont fini par détruire sa confiance en ce lieu. Elle n'y pense plus. Disons qu'elle a, entre autres, visité quatre communautés ou fermes dont elle avait entendu parler à Peyreblanque ou par Frédérique, comme étant des lieux spirituels et intéressants.

 

La première, elle y est restée trois jours. Elle a participé à la vaisselle ou à la cuisine, mais à rien d'autre. Elle n'a rien fait que de promener sa tristesse dans les restanques voisines. Pourquoi si peu d'activité? Parce que les habitants de ce lieu ne fichaient rien, mais alors rien du tout, si ce n'est que de temps à autres faire imprimer des brochures sur leurs vastes projets à venir. Il y en avait une pile chez Frédérique. Tout de même, le saboteur (car il y en a toujours un à poste dans toutes les communautés où l'on ne fait pas un réel travail sur les personnalités) finit par demander à Brigitte quel était le sens de sa présence ici, histoire de commencer à la mettre mal à l'aise. Elle répondit qu'elle se le demandait aussi et vingt minutes plus tard elle redescendait le raboteux chemin taillé à même le schiste, toujours sous une fine pluie printanière.

 

La seconde visite fut bien plus agréable, dans une petite ferme biologique en plaine. Pendant quelques temps, elle partagea la vie de ces gens simples et tranquilles, un jeune couple de Hollandais venu s'installer plus au Sud. Le soir, ils parlaient de maintes choses, et Brigitte sentit en eux l'Appel de l'Esprit, la Flamme, la soif de connaissance. Mais quelle misère matérielle! Quelle petite maison, où elle devait dormir dans la salle à manger! Elle ne pouvait décemment se faire héberger et nourrir gratis plus longtemps, même en aidant.

De toute façon, elle n'avait guère le coeur à rester au contact d'un couple: Malgré son dégoût pour Frédérique, elle ressentait maintenant, de par leur relation interrompue, un immense vide, une tristesse profonde qui en arrivait à envahir toute sa conscience de grises nuées. Son besoin de se confier était immense: elle s'ouvrit aux Hollandais, qui compatirent tendrement. L'homme expliqua que lors des ébats amoureux un lien organique subtil s'établit dans le couple, qu'il est dangereux de rompre. Les gens qui pratiquent le vagabondage sexuel peuvent bien «faire l'amour» tant qu'ils veulent mais ils se mutilent ainsi du doux sentiment d'aimer, et ils ne peuvent jamais vraiment entrer dans l'intimité des personnes convoitées.

 

La troisième visite de Brigitte fut pour une grande communauté assez connue, et même fort à la mode dans certains milieux du Niou-èydge (C'est comme ça qu'on dit Nouvel Age chez les snobs). Elle s'attendait à trouver des gens rayonnants de joie et de Sagesse, ils étaient plutôt tristes et froids, aux vues étroites, et ils se mirent aussitôt à la taquiner sur sa pratique végétarienne, dont ils se réclamaient pourtant eux mêmes. A les entendre, Frédérique était «quelqu'un d'évolué» et la mésaventure de Brigitte «son karma». De toute façon les visiteurs devaient «s'assumer», c'est-à-dire payer quatre cents francs par jour, même tarif pour tout le monde, riche ou déshérité. Aussi Brigitte qui avait juste raflé un peu de monnaie dans la caisse du ménage, fut astreinte à faire toute la vaisselle le soir de son arrivée. Dans ces conditions elle redescendit le lendemain, mais cette fois pour la raison inverse: ici ils étaient trop riches.

Certains lecteurs s'étonneront qu'il y ait toujours des communautés, alors que la mode en est passée depuis longtemps. C'est que l'idéal est lui toujours vivant, et, malgré l'opprobre lancée sur les communautés des années 70, il y a toujours par ci, par là, des petits groupes de gens qui font des tentatives. Bien sûr les excès de certaines communautés soixante-huitardes sont franchement dépassés. En général ces lieux abritent deux ou trois couples seulement, ou prennent la forme de villages, généralement sur des bases spirituelles ou agricoles. C'est que la vie en groupe correspond à un besoin profond et incontournable de l'être humain. Dans l'avenir, la grande majorité des gens vivront en groupes, et tous devront en être capables. Mais aucune tentative de communauté sans règle ni autorité ne pourra réussir et durer tant que seront éludés les problèmes de relation entre personnes, problèmes tous liés à l'égocentrisme et à l'ignorance des Lois Universelles.

 

Toujours marchant le long de routes vides de sens, il semblait à Brigitte qu'elle buvait la lie de la vie, qu'elle était arrivée au fond. Chaque carrefour qui ne menait nulle part lui rappelait cruellement qu'elle ne savait plus quoi faire de son existence. A quoi bon maintenant des mains, des yeux, une pensée? Il ne pleuvait plus, mais le ciel était encore gris, la température douce. Soudain Brigitte se rendit compte que sa tristesse n'était plus noire révolte, mais d'un gris uni, comme le ciel. Toute trace de colère l'avait quittée, il ne restait plus que le doux chagrin des êtres purs et innocents, qui regardent le mal sans se fâcher, sans rentrer dans son jeu.

Cheminant sur le bas-côté herbu d'une route de campagne, elle se mit en méditation et se visualisa parfaitement pure, peinée par le mal, mais ne rentrant pas dans son attraction, ni par révolte, ni par fatalisme. Elle se visualisa pleurant doucement, comme sur l'épaule d'un ami infiniment patient, qui ne lui demanderai même pas pourquoi elle pleure. Soudain elle sentit comme si on lui déchargeait les épaules de cette tristesse. Sa surprise dissipa le charme, mais... Elle avait bien ressenti, l'espace d'un instant, une douce chaleur, une subtile présence couleur pêche... La tristesse ne revenait maintenant que si elle pensait à sa cause.

Tout le reste du trajet, elle refit cet exercice, oubliant même de tendre le pouce aux voitures qui la doublaient.

D'autant plus qu'elle était arrivée à cette autre ferme biologique qui recevait des stagiaires. Là on l'accepta, et elle se mit à repiquer les choux du domaine. C'était un dur labeur, elle avait peine à suivre le rythme, mais apparemment sa présence était bien ressentie par ses hôtes, et elle resta donc jusqu'à la fin des travaux. Elle se sentit heureuse aux tâches maraîchères, même si en fait elle n'eut guère de contacts profonds avec les fermiers, qui étaient des agriculteurs tout à fait traditionnels, bedonnants et grisonnants sous le béret, rroulant les rr et rreconvertis à la biauu... Elle dormait dans le fenil sans murs, juste sous les charpentes pleines de nids d'hirondelles, tout en haut du grand tas de foin odorant: Qu'est-ce qu'elle était bien! Chaque matin, dans l'air encore frais et les tintements des grands bidons de lait, Auguste venait et piquait une botte de paille de sa fourche, la montait sur son épaule d'un puissant coup de reins, et partait vers l'étable non sans avoir crié à Brigitte: «Oòòòh! Oòòòh! Debout la citadine! Lou Souleil il va bientôt se coucher!» Un matin ils eurent la surprise de dénicher sous la paille un blaireau, qui resta hagard, aussi étonné qu'eux, puis détala sans demander son reste. Auguste et sa famille n'étaient pas végétariens, ils buvaient même du vin, selon leurs anciennes habitudes qu'ils n'avaient pas remises en cause. Mais jamais ils ne firent la moindre remarque à Brigitte qui refusait la viande pour la Paix des animaux. Ils qualifièrent même son engagement d'admirable, et Emma, la femme d'Auguste, se plia en quatre pour lui faire une cuisine qui lui convienne. Ils ne portèrent non plus aucun jugement sur sa mésaventure avec Frédérique. Ils qualifièrent juste ce dernier d'incorrect, ce qui dans la bouche de ces paysans en disait plus long que bien des discours. Pour finir, Auguste remercia Brigitte gentiment, et lui tendit une liasse de billets pour salaire. Stupéfaite, émue, Brigitte qui n'attendait pas du tout cela, ne sut comment refuser; elle accepta uniquement pour ne pas choquer Auguste. Et se promit bien que cet argent-là, Frédérique ne le verrait jamais.

 

Finalement Brigitte est revenue chez Frédérique, tristement, comme font les amoureux qui se sont fâchés. Par espoir, pour y croire encore, pour retrouver un peu de chaleur dans tout ce gris... Pour lui donner une chance. Pour ne pas le quitter sur un coup de tête. Pour être sûre que ce n'est pas elle-même qui a mal agi... Et pour de bêtes papiers qu'elle avait oubliés chez lui.

Et coucou, voici la surprise. Qui trouve t-elle chez Frédérique? Mais sa femme suivante, bien sûr. C'est qu'il va vite en besogne, lui. Une petite blonde, prénommée Martine, assez jolie bien qu'un peu corpulente. Avachie dans un immense fauteuil d'osier, elle ne semble pas voir Brigitte, malgré les présentations de Frédérique. Il a son air très détaché, comme dans une situation tout à fait naturelle, parfaitement normale...

N'arrivant pas à croire ce qui lui arrive, Brigitte fait le tour de la maison. C'est vite fait, d'ailleurs. Tiens, une machine à laver. Toute neuve. Pour Martine, ça valait le coup, pas pour Brigitte. Sans doute Martine n'est pas écologiste. Oh et puis même une télévision! Déjà qu'avec les affaires de Frédérique les petites pièces étaient pleines, avec en plus les poufs énormes, les cartons entiers de tissages et autres macramés de Martine, c'est devenu un véritable souk, assez joli d'ailleurs.

Frédérique va et vient à diverses occupations, lançant de temps à autres un regard malicieux vers Brigitte. Heureusement, ils n'ont pas touché au petit coin d'étagère qui, seul dans tout ce fourbi, servait à ses affaires personnelles.

Martine se réveille enfin, et tourne vers Brigitte un front buté et une moue autoritaire qui contrastent bizarrement avec sa chevelure sensuelle et son chandail hippie filé main. Sans aucun préambule, elle s'y met: «Ecoute Brigitte, on t'a mis ici ton courrier et tes trucs, là, tes affaires personnelles; Moi tu comprends, j'ai pas envie de vivre dans l'agressivité, de me gâcher la vie avec tes problèmes et tes histoires, mais le temps que tu trouves un autre logement, tu pourras dormir dans le salon ici. Nous tu comprends, avec Frédérique on vit une relation spirituelle super chouette, très profonde, avec plein de super vibrations, alors on veut pas de mensonges et de blocages». Brigitte, ayant dépassé le stade d'être surprise, constate que Frédérique a fini par rencontrer une femme de son acabit, et sans plus attendre elle se met à ranger ses affaires, bien qu'en fait elle ne sache absolument pas ou aller. Même sa tristesse est passée en arrière-plan. Elle n'a plus (enfin) qu'une seule pensée: fuir ce lieu le plus rapidement possible.

Tiens, revoici les photos compromettantes qu'elle avait trouvées en haut de l'armoire. Histoire de rigoler elle les lance à Martine, qui les rejette dédaigneusement: «Qu'est-ce que ça prouve?» Il est vrai que Martine non plus ne doit pas en être à sa première super-relation pleine de supers-vibrations.

Parmi le courrier de Brigitte, une petite enveloppe bordée de noir... HORREUR! La Mère Grand! Partie sans qu'elle ne lui ait dit au revoir, sans qu'elle ne l'ait remercié des meilleurs moments de sa vie vécus dans sa jolie petite maison! Quelle honte!

Une lettre de ses parents explique comment ça c'est passé: sans prévenir la Grand-mère s'était éteinte, en finissant de balayer sa chambre où personne ne rentrait jamais, sa chambre sanctuaire toujours impeccablement en ordre. Sentant la fin venir, elle avait tout laissé propre, tout lavé, tout rangé, ne laissant la dernière serpillière qu'à regret, et elle s'était enfin allongée sur son grand lit couvert de dentelles, puis avait doucement abandonné son corps, souriant aux anges qui venaient la chercher, et le merveilleux sourire était resté sur le visage sans vie. Du moins c'est ce que Brigitte déduit des explications de ses parents, nettement moins poétiques.

Brigitte a envie de pleurer, pour son manque de reconnaissance, mais elle aurait horreur de se laisser aller en présence de cette détestable Martine. Néanmoins une larme la trahit. Martine, qui avait dû voir le faire-part en prenant le courrier, se doute de quoi il retourne, et avec la plus totale insensibilité, tout à fait à côté de la plaque, se met à pontifier: «Tu sais Brigitte, je compatis avec ta souffrance, mais tu dois apprendre que la mort n'est qu'une étape normale dans la vie, un passage dans une dimension spirituelle où nous sommes enfin libérés de la matière. C'est notre égoïsme qui nous fait souffrir de perdre un être aimé et qui...»

Brigitte n'écoute plus, d'ailleurs d'entendre tous ces discours pseudo-spirituels ainsi retournés à mauvais escient commence à lui donner envie de vomir. Cette Martine est sans doute aussi dangereuse que cet E... qui mettait la zizanie chez les écolos, avec son perfide langage plein d'interprétations psychologiques, de spiritualisme ronflant et de supers-vibrations pour mieux berner et entortiller les gens sans méfiance.

«...D'ailleurs le végétarisme est une illusion, car quand on tue un animal, on le fait évoluer, et d'ailleurs c'est une initiation spirituelle quand on doit porter à l'abattoir un animal qui n'est plus rentable et que...»

Qu'est-ce que je disais, pense Brigitte. Elle va bientôt démontrer que Dieu est le diable et vice-versa. Big Brother à la sauce spiritualiste, revu et corrigé, mis à la dernière mode de l'époque. Ah ils en briseront des âmes et des idéaux, ces deux-là! Brigitte regrette qu'il n'y ai pas une sorte de police spirituelle qui arrête ces deux dangereux malfaiteurs de l'esprit, bien trop malins pour se laisser prendre en défaut par les stupides lois matérialistes.

Encore du courrier de ses parents, qui s'inquiètent de n'avoir aucune réponse, même après l'enterrement. Evidement, elle n'était pas là. Le dépouillement du courrier est long, à cause des monceaux de publicités qu'il faut mettre à part, pour le recyclage du papier. A-aaah? Un notaire? Mais qu'est-ce qu'il veut?

Brigitte, un peu inquiète, ouvre prudemment l'enveloppe officielle, comme si elle allait lui péter entre les mains. Une simple convocation, pour la succession de la Mère Grand, sans détails. Etrange! Elle n'est pas héritière directe. Que lui a t-elle légué? Ses pots de fleurs? Ses lapins?

Martine vient ostensiblement fumer une cigarette dans la pièce où se trouve Brigitte, et commence à ce propos une diatribe sur la liberté, celle bien sûr qui commence là où s'arrête celle des autres. Brigitte ne sait comment s'en dépêtrer, même en ouvrant grand la fenêtre sur la fraîcheur subtilement parfumée de pluie, et curieusement c'est Frédérique qui intercède en sa faveur: «La fais pas chier, va! Tu vois bien qu'elle fout l'camp!»

L'espace d'un instant, Brigitte a une vision d'une sorte de diablotin. Elle l'a déjà vu, mais quand? Il rit, la nargue, puis s'enfuit avec une pirouette, l'air de dire: «Je te laisse maintenant.»

Elle sort enfin, en essuyant une larme, non pas pour elle-même, mais de pitié pour ces deux tristes individus.

Martine la poursuit de ses rodomontades jusque dans la rue, mais, réalisant soudain que des voisins les regardent, elle redevient toute souriante, fait un au-revoir enjoué et re-rentre chez Frédérique.

Juste en sortant du village Brigitte tombe pile sur la maîtresse d'école. La honte: Que dire pour expliquer son départ? Rien: tout le monde au village savait très bien comment cela finirait. La maîtresse, sans oser rien dire de précis, bafouille quelques mots de consolation, maladroits mais touchants. Solidarité de tous les braves gens face au mal et à la bêtise, au delà de toutes les différences de niveau spirituel, d'idéologie ou d'opinion...

 

 

Naufragée Cosmique

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Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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