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Les Jardins d'Aéoliah

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Chapitre 12

Venue avec l'aurore

C'était dans un petit coin de la Terre, il y a plus de mille ans, une de ces civilisations éphémères et éternelles de l'Asie du Sud-est: Une ville avec des temples, des palais et des réserves de grains, mais presque sans habitants fixes. La plupart des humains de cette région vivaient près des rizières, dans de petites maisons de bambous et de paille de riz, accrochées sur les pentes de vastes collines couronnées de forêts luxuriantes. La vie s'y écoulait paisiblement, entre les travaux des champs et ceux des maisons, entre les fêtes et les voyages à la ville.

Quelque part, dans une vallée reculée, un hameau, quelques paillotes dispersées sur une centaine de mètres. Ici on ne cultivait pas le riz, mais des légumineuses, qui ne nécessitent pas de terrasses inondées. Autour de ce hameau, une clairière, sorte de replat sur le flanc de la montagne, aussi intensément verte que la vivante forêt, couverte qu'elle était de jardins plantés de précieuses fèves, et d'autres légumes. Les habitants du hameau les échangeaient contre le riz. Ils n'étaient pas chimiste pour découvrir que, se faisant, ils équilibraient leur ration d'acides aminés, mais ils savaient, par tradition, qu'il fallait manger ainsi, comme toutes les civilisations anciennes qui harmonisent toujours céréales et légumineuses, blé et lentilles, maïs et haricots, riz et soja, couscous et pois chiche.

Du fond de la vallée montait perpétuellement le souffle grave de la rivière. C'était ici la trame du silence, ponctuée de chants d'oiseaux. Un peu plus haut dans la montagne, dans un vallon, résonnait toujours, même la nuit, une curieuse musique de tubes de bambous frappés, sur plusieurs notes. Oh ce n'étaient pas des sons bien puissants, un bavardage suffisait à les couvrir, mais dans ce calme virginal, ils en prenaient une présence de tous les instants. Les femmes chantaient souvent, et aussi les hommes au moment de dire les prières. Autrement on se parlait peu, juste pour le travail, ou parfois le soir dans les maisons.

Ces maisons étaient très sobres. Le grand dénuement de cette époque n'offrait aucun matériau coloré comme déjà en Europe. Les couleurs omniprésentes étaient le vert intense des jardins et de la forêt, le gris-brun du chaume ou des murs de bois et de bambous, et la glèbe rougeâtre des chemins. On trouvait tout de même des vêtements teints et des fleurs, cultivées avec une certaine vénération. Aussi, malgré cette sobriété, les abords et l'intérieur des maisons étaient harmonieux, propres et jolis, totalement vierges de tous ces objets clinquants et disparates qui ne manqueraient pas de s'y accumuler aujourd'hui. Même le chemin principal était joliment arrangé de cailloux clairs, pour éviter la boue fréquente sous ce climat pluvieux.

En dehors des odeurs de fumée et de cuisine, Les fleurs étaient le seul parfum. Aussi, les habitants savaient, bien avant de se lever, rien qu'aux senteurs de la nature, si l'herbe était pleine de rosée ou non, s'il pleuvrait avant le soir, si le vent montait de la vallée ou chevauchait les montagnes...

 

Dans une de ces maisons, la plus retirée du hameau, sous un grand arbre près de la lisière de la forêt, entourée d'une jolie haie, une petite fille venait de naître.

Sa mère, peu de temps avant sa naissance, avait fait un rêve, ce qui fut considéré comme un signe. Son enfant arrivait du ciel, sur fond d'aurore et d'étoiles. Les anciens dirent que cette fille était un don du ciel, que c'était sans doute une belle âme ou la réincarnation d'un sage. Mais ils auraient été tous bien étonnés si ils avaient connu la signification exacte de ce rêve. Quoi qu'il en fut, ses parents nommèrent leur fille d'un nom aujourd'hui oublié, mais qui dans leur langue signifiait «venue avec l'aurore». Appelons là tout simplement Aurore.

Comme tous les bébés du monde, Aurore commença sa vie à dormir et à téter. Mais elle se montra vite pleurnicheuse. Sa mère, non dépourvue d'intuition, remarqua qu'elle ne pleurait que dans la maison. Elle s'organisa pour la sortir le plus souvent possible et l'amener avec elle aux jardins. Aurore, au soleil, avec juste une ombrelle, ouvrait grands ses jolis yeux noirs, et contemplait inlassablement le paysage intensément vert. Différents légumes et variétés de fèves poussaient là en Paix; un peu plus loin bruissait la forêt luxuriante, masse de couleur, de fraîcheur et de vie. Au fond de la vallée, le torrent nichait dans un écrin d'émeraude, avec quelques taches blanches d'écume sous la lisière vert d'ombre de la forêt. Plus loin encore, la vue s'étendait dans la vallée, en une succession de turquoises, jusqu'aux lointaines montagnes bleues. Dans tout ce vert, l'ocre de la terre en paraissait rouge et la paille bien jaune. Le Soleil irradiait toute sa chaude gaieté, mais pendant la pluie la verdure vibrait aussi, autrement, en une douce intimité, en une succession de verts frais et d'ombres mystérieuses. Le ciel gris laissait alors pendre des écharpes de nuage qui passaient doucement en caressant les montagnes, et les maisons devenaient d'un gris coloré et chaleureux.

Dès qu'elle sut marcher, Aurore passa son temps à gambader dans les jardins, s'intéressant vivement aux haies fleuries qui en délimitaient les différentes parties. Elle chercha précocement à imiter sa mère dans les gestes du jardin, mais au début il fallut l'en empêcher car cette enfant si jeune était encore maladroite. Elle s'y mit pourtant, se montrant vite douée. Elle n'apprit à parler que tard et lentement, se montrant facilement taciturne avec de soudains et inexplicables accès de bouderie. Après quelques avances vers les enfants de son âge, elle s'en désintéressa; il faut dire qu'il y en avait que deux dans ce si petit hameau. Aurore ne semblait heureuse que dans la verdure des jardins parmi les chants des oiseaux. Cette région avait le bonheur d'en avoir quelques espèces au chant agréable. Ils venaient dans le jardin, picorer ou se faire admirer. Aurore tentait de s'en approcher, vivement désappointée quand ils s'envolaient. Mais elle parvenait parfois à les caresser, ce qui étonna ses parents.

Les anciens et ses parents se confortèrent vite dans l'opinion qu'Aurore était un peu spéciale. Ces gens n'étaient pas méchants; ils ne conçurent aucun sentiment négatif envers elle; toutefois ils renoncèrent à la comprendre et à communiquer. Mais savaient-ils seulement communiquer entre eux, en dehors des codes familiers et des situations prévisibles dans leur conception du monde, harmonieuse mais somme toute fort étroite?

Aurore fut une petite enfant calme et agréable, serviable et active. Elle se mit à coudre aussi très tôt, y prenant un plaisir inlassable et semblant là aussi curieusement douée, au point qu'elle en remontra rapidement à des adultes. Seule ombre au tableau, elle piquait parfois des colères quand elle n'arrivait pas à concrétiser de ses mains encore malhabiles ce que son esprit agile avait projeté.

Parfois au jardin, elle se levait et se tournait vers le vallon, au-dessus du hameau, d'où provenait la curieuse musique des bambous. Elle écoutait, puis elle se baissait à nouveau vers son travail. Pendant la pluie, on restait dans les maisons, et elle s'installait avec sa couture près de la fenêtre donnant vers le vallon. De temps en temps elle regardait au-dehors, puis reprenait son ouvrage. Les seuls sons étaient alors la pluie sur les chaumes du toit, quelques grésillements du feu, avec, en arrière-plan, toute diffuse en un étrange écho aérien, la mystérieuse musique des bambous. Parfois ses parents prononçaient une ou deux phrases ou son petit frère au berceau appelait. Les journées s'écoulaient ainsi dans une grande tranquillité, une simplicité biblique. Ce silence même était tout leur doux bonheur... Les narines d'Aurore, selon les mouvements de l'air, percevaient tantôt l'agréable odeur d'humus humide et de feuilles mouillées, tantôt le parfum de la soupe de riz, de fèves et de légumes qui cuisait lentement. Elle contemplait aussi les entrelacs de bambous des murs de leur maison. C'était une sorte de tissage, suffisamment serré pour être étanche à la pluie. Comme elle admirait la patience des bâtisseurs! La nuit, quand la pluie cessait après avoir gonflé les eaux, Aurore, le nez sous ses couvertures, écoutait l'ample et grave mugissement montant de la vallée se mêler au souffle plus aigu des cascades dans le vallon. Avec toujours, en sourdine, la musique des bambous... O sons qui formez la trame de nos vies, vous connaissez l'art sacré de bercer nos coeurs et de peupler nos souvenirs d'émouvantes et profondes vibrations! Magie: Une musique, une harmonie, et ce qui n'était qu'une image fixe soudain vit, frémit et s'émeut!

Quand elle fut une enfant capable de se promener seule autour du hameau, une de ses premières expéditions fut vers le vallon à musique. Il fallait suivre le chemin couvert de pierres qui traversait le hameau et les jardins vers le haut, vers le ruisseau où ils prenaient de l'eau. Elle connaissait parfaitement bien ce trajet, puisqu'elle le parcourait quotidiennement pour laver du linge ou remplir une cruche.

Aurore aimait beaucoup se rendre au point d'eau, poétique vasque entre des pierres, couverte d'un dôme de verdure, vitrail au soleil, mystère sous la pluie. Une petite source cascadait d'un rocher, pour la cruche, et la vasque accueillait le ruisseau pour le linge. Un peu en amont il y avait le bain des hommes et en aval celui des femmes.

Aurore avait choisi un moment sans bains, car il n'aurait pas fait bon être surprise à proximité du bain des hommes. Or le chemin du vallon passait là. Elle ne s'aventura donc que précautionneusement, s'assurant qu'il n'y avait personne, et franchit rapidement cet endroit. Comme elle l'avait pensé, le chemin continuait, plus étroit, parfois impressionnant, sous des rochers surplombants. Petit à petit, le son des bambous enfla, et elle arriva, essoufflée.

Elle ne comprit d'abord pas ce qui l'attendait là. Elle voyait bien des tubes de bambou, suspendus à des cordes, s'agitant pour s'entrechoquer et faire la musique. Mais il n'y avait personne. Comment bougeaient-ils? On ne pouvait le voir, car tout était mélangé à la luxuriante végétation. Des fleurs poussaient là, sans doute plantées exprès, comme un petit jardin, avec des offrandes de nourriture à quelque divinité, sur une grosse pierre plate. Aurore suivit la corde qui semblait animer le tout, le long du chemin qui continuait. Quelques mètres plus loin, près d'une cascade du ruisseau, elle aboutissait à une palette de bois qui tombait, entraînée par la cascade, s'en échappait, pour remonter (grâce à un contrepoids à l'autre extrémité de la corde) et se remettre à nouveau sous le jet, indéfiniment.

Aurore fut d'abord déçue de ne pas trouver quelque chose de magique, ou au moins de vivant, à l'origine de cette mélodie qui enchantait sa vie depuis sa tendre enfance. Il n'y avait ici que des ficelles et des bouts de bois. Mais cette première impression s'effaça, et l'enchantement reprit. C'était un endroit agréable, fleuri et parfumé; les tubes de bambou, soigneusement réglés dans un mode mineur très doux, dansaient en arabesques sans jamais passer à nouveau au même endroit. Chacun essayait d'osciller à son propre rythme, comme tout pendule, mais la corde les tirait toujours à un moment différent du balancement, résultant en un mouvement changeant et une musique jamais identique. C'était bien pensé, pour de simples paysans! Il en résultait une sorte de poésie, en même temps rustique et étrangement aérienne, vivante. L'âme de leur civilisation rustique et tranquille vivait dans cette musique perpétuelle.

Aurore commença à revenir vers le village: son absence prolongée pourrait être remarqué. Heureusement, elle rencontra, sur le chemin du retour, l'une des grands-mères du hameau qui était toujours gentille avec elle. Elle lui demanda où elle était allée, bien qu'elle s'en douta. Puis la grand-mère eut quelques remarques qu'Aurore ne comprit pas. Elle l'emmena avec elle, pour lui montrer un autre chemin qui ne passait pas par les bains. C'était un gentil cadeau complice: Aurore pourrait visiter la forêt et les bambous aussi souvent qu'elle le voudrait!

 

Aurore arriva à l'âge où elle fut en mesure de travailler à plein temps pour le hameau (ce qui serait très jeune pour nous). Il apparut alors clairement qu'elle ne recherchait pas la compagnie des jeunes de son âge; seule la gentille grand-mère recevait parfois ses soupirs... On aurait pu penser que Aurore était tranquillement heureuse dans ce village paisible au milieu de la nature. Mais il n'en était pas vraiment ainsi. Elle souffrait parfois, sans savoir pourquoi. Elle était incapable de trouver la raison elle-même, et encore moins de le dire aux autres. La gentille mamie le sentait bien, mais sans davantage comprendre pourquoi. Mais elle l'écoutait et la réconfortant par sa bonté. Cela lui faisait du bien, et c'était spécialement bienvenu quand le père d'Aurore était absent pour la ville, comme souvent les hommes de son âge, pour ce qu'ils appelaient le service.

Il y avait tout de même des choses précises qui avaient vivement blessé Aurore. Parfois, l'un des adolescents du hameau s'amusait à jeter des pierres aux oiseaux, et il était arrivé qu'il en tue. La première fois elle hurla de rage, et s'attendit à ce qu'il fut sévèrement puni, mais il ne reçut que que de molles remontrances, en parole seulement, alors que d'autres avaient reçu des fessées pour des fautes bien moins graves. Le même jeune homme venait parfois avec elle dans le jardin, et il parlait tout le temps. Il prétendait qu'il mangeait les oiseaux après les avoir tués, mais elle n'a jamais cru de telles âneries.

Une autre fois, la grêle avait réduit la récolte de fèves, ce qui était catastrophique dans leur situation misérable. Les paysans des rizières, plus bas dans la vallée, étaient venus, comme à l'accoutumée, avec leurs sacs de riz; comme à l'accoutumée ils avaient procédé au rituel compliqué, au terme duquel le riz se répartissait dans les divers greniers, tandis que fèves et autres grains emplissaient les sacs des porteurs. Aurore pensa que, en toute logique, leur récolte de fève étant maigre, ils recevraient plus de riz, pour compenser. Pas du tout! Ils en reçurent moins. Durant toute la saison suivante le hameau entier souffrit de la faim, sans une plainte, sans un murmure, comme un dû. Aurore, furieuse, en conçut une sensation d'injustice au-delà de toute expression, mais on lui enjoignit sévèrement de ne rien dire.

Ces accidents étaient certes fâcheux, mais la nature humaine étant tout de même plutôt positive, Aurore aurait pu les oublier ou au moins ne pas gâcher sa vie avec ces griefs. La vérité est qu'elle portait en elle une blessure bien plus profonde; elle ne pouvait goûter aux joies de la vie comme elle l'aurait voulu. Comme elle s'approchait de l'adolescence, une mélancolie de plus en plus marquée se répandait en son coeur, sans qu'elle puisse en connaître l'origine. Cela la prenait surtout les jours de pluie, comme on s'en doute. Pourtant elle refusait farouchement cet état et elle aurait combattu à mort pour en sortir; mais comment s'y prendre contre un mal inconnu et abstrait? Elle était totalement impuissante.

Ses parents voyaient bien que leur fille se languissait. Ils se méprirent d'abord, pensant qu'Aurore était en proie à un désir bien naturel à son âge. Ils lui parlèrent de se marier, mais cette démarche n'eût pas du tout le succès escompté. Aurore refusa absolument de nommer un seul garçon avec qui faire sa vie, et fit même une moue de dégoût quand ils évoquèrent celui qui tuait les oiseaux. Mieux valait ne pas insister.

Les jours qui suivirent Aurore pensa bien à un garçon, un qui aimerait comme elle contempler la vie de la nature en faisant son jardin. Mais le choix était fort maigre dans leur minuscule hameau comme dans le voisinage, et pas un ne correspondait à cet idéal pourtant guère ambitieux.

 

Un jour, son père absent depuis plusieurs semaines, surgit soudain au village, exalté, en compagnie de deux autres hommes qu'elle ne connaissait pas. Quand ils entrèrent dans la modeste maison, elle fut soudain transfigurée... L'un des inconnus portait une robe d'un rouge profond, certes élimée, mais pour les gens simples et si pauvres de cette lointaine contrée elle était fort belle.

L'homme à la robe rouge n'était pas comme les autres, il rayonnait la magie, la puissance!

Le père d'Aurore expliqua que c'était un moine, un homme qui connaît les grands mystères de l'existence, bien plus que lui-même, pauvre paysan. Le moine regarda Aurore avec un grand et chaud sourire, le sourire entier et profond des êtres vrais. Il eut quelques gentilles paroles, puis il se retira. On aurait dit qu'il avait fait tout se trajet, plusieurs jours à pied dans les durs sentiers de la montagne, tout ça rien que pour sourire à Aurore. Ces moines devaient vraiment être des gens extraordinaires.

Ils eurent une discussion, à part d'Aurore, qui ne put pas comprendre quoi que ce soit. Le moine, après avoir dispensé des médicaments aux villageois, fut logé pour la nuit dans une autre maison. Il est reparti le lendemain matin tôt, sans qu'Aurore puisse le revoir.

Aurore n'osa pas reparler de cette rencontre. Mais parmi tous les hommes qu'elle connaissait, le moine était celui qui l'intéressait le plus, et de fort loin. Elle aurait beaucoup aimé en savoir plus sur les moines, qui ils étaient, ce qu'ils vivaient, où ils habitaient. Ces questions brûlaient ses lèvres, mais une timidité terrible lui interdisait de demander quoi que ce soit.

Le père d'Aurore se préparait à nouveau à partir, quelque jours après la visite du moine. Il vint trouver Aurore et lui déclara gravement qu'elle devait venir avec lui en ville. Aurore en conçut des sentiments contradictoires. En bonne paysanne, l'idée d'un voyage hors de son cadre familier la bousculait; mais un espoir bien supérieur en force la souleva: allait-elle revoir le moine? Allait-elle rencontrer d'autres personnes au sourire vrai? Elle n'en laissa rien paraître et son père crut voir sa fille lui obéir sagement, comme une fille bien élevée qui obéit même si cela lui en coûte. Il fut fier de sa fille, mais en réalité il ne la comprenait absolument pas, et il perdait de plus en plus le contact avec elle.

 

A cette époque les voyages étaient longs et difficiles, sur d'étroits sentiers souvent obstrués de végétation; il fallait franchir les rivières à gué, lutter contre le courant furieux, de l'eau jusqu'à la taille, dans le tonnerre des rapides qui pouvaient vous happer. Il fallait encore porter de lourdes charges, qui brisaient les épaules juvéniles, et tout cela pieds nus sur les pierres aiguës. Aurore supporta vaillamment ces difficultés. Mais il fallait également passer des nuits dans des maisons de paysans. Certaines ressemblaient à celles du hameau, ornées de guirlandes de coloquintes ou de grandes fleurs sèches, mais d'autres étaient de repoussants taudis, et cela pour Aurore c'était bien pire que de trimmer dans le torrent ou de ahaner dans les raidillons.

Enfin ils arrivèrent dans la vallée au fond plat où se dressait la ville. Cette vallée fertile était tout occupée de diverses cultures et de maisons de paysans. La ville proprement dite en occupait l'aval.

Il ne faut pas du tout s'imaginer, au mot de ville, quoi que ce soit qui ressemblât à ce que nous connaissons. Il n'y avait là que quelques édifices communautaires, et des dortoirs de chaume pour leurs serviteurs et ouvriers, joyeusement égayés entre arbres et jardins. Les deux seuls bâtiments en dur étaient le palais du prince et le temple, et encore pour l'essentiel étaient-ils en bois. Leurs toitures en planchettes se patinaient de gris sombre et de taches de lichen jaune; leurs murs, plus abrités, étaient de planches brunes, sauf le bas en pierres, pour lutter contre l'humidité. Ils se ressemblaient, chacun d'un côté d'une place gazonnée, sortes de pagodes carrées, encore rustiques, à un seul niveau. Elles n'en étaient pas moins délicatement sculptées et même peintes par endroits. Pour Aurore et ses compagnons c'était là un spectacle féerique et grandiose. Les rues principales étaient pavées de grosses pierres plates brutes, avec de l'herbe dans les joints. Les quartiers d'habitation étaient parcourus de simples chemins serpentant parmi les arbres et les paillotes, sur fond d'herbe et de jardins, sans trace d'aucune délimitation ni clôture. Les seules autres constructions notables étaient les greniers où l'on préparait aussi la nourriture pour les ouvriers et les serviteurs; c'est là qu'Aurore, son père et leurs compagnons de voyage reçurent leur part pendant leur séjour.

Le père d'Aurore lui fit visiter les différentes parties de la ville. Il lui montra d'abord le chantier d'un nouveau bâtiment, en dur comme le palais, mais destiné à recevoir les réserves de grains. En effet la ville connaissait à ce moment une grande expansion due à l'afflux d'artisans, d'ébénistes, de tisserands, et même de forgerons: il fallait les accueillir, eux, leurs familles et leurs ateliers, ce qui n'allait pas toujours sans problèmes. Le père d'Aurore lui montra fièrement les murs de pierre au montage desquels il avait participé. Oh certes lui, le paysan ignorant, n'avait pas maçonné, mais ils les avait portées, ces pierres, et de cela ses épaules se souvenaient! A ce moment l'édification de la charpente s'achevait, une équipe était dans les hauts pendant qu'une autre à terre débitait des pièces de bois en chantant.

Il régnait à ce moment dans la région une ferveur de pionniers, un enthousiasme de renouveau: on bâtissait de meilleures maisons, et le nouvel enseignement religieux donnait plus d'Harmonie et de Bonheur.

Le Prince avait donné l'ordre que les travaux se fassent dans la gaieté, en chantant les chansons en accord avec les règles sacrées de l'Harmonie, pour que les murs du futur bâtiment soient pétris de bonnes vibrations, de bons sentiments et de joie. A cette fin les jeunes ouvriers qui, comme avait fait le père d'Aurore, venaient accomplir leur service depuis les campagnes environnantes, avaient maintenant le droit d'amener leurs femmes, pourvu qu'elles n'aient pas encore d'enfants à s'occuper.

Ainsi, il y avait autant de chansons et de joie qu'il le fallait, et le prince pouvait être content! Le chantier bourdonnait comme un essaim, avec des chants successifs et des rires joyeux.

La rue de la ville était active, mais calme et propre, avec beaucoup d'herbe et des galets. Quand ils se rencontraient, les gens évitaient aimablement de se heurter. Toutefois certains suivaient ces règles de douceur, en souriant et en accomplissant les gestes, alors que leur pensée allaient dans une direction opposée! Cela fit frissonner Aurore, qui ne comprit jamais, mais alors jamais, ce que cela signifiait.

Il y avait aussi des soldats, mais heureusement Aurore n'a jamais deviné leur véritable fonction. De toute façon, en dépit de leur bataclan guerrier, ils étaient aussi peu effrayants que Charlot conscrit.

Le palais du prince était interdit à ce moment, mais les jours de fête, les gens pouvaient entrer dans la grande salle de réunion, pour des cérémonies ou pour recevoir des vêtements. Toutefois ce bâtiment était plus fonctionnel que luxueux, avec ses scribes et ses réserves de divers ustensiles. Mais la présence des soldats, la déférence des travailleurs, l'extrême soin apporté aux jardins environnants, le grand parvis de dalles, tout contribuait à donner à ce lieu une aura impressionnante, invitant au respect.

 

Le temple était en permanence en accès libre, sauf bien sûr pour les dépendances où les prêtres vivaient.

Ils devaient joindre leurs mains et se prosterner devant l'entrée. Aurore le fit très consciencieusement, non sans une forte émotion. L'intérieur était sombre et solennel comme nos cathédrales, mais avec la chaleur du bois, de l'Orient, avec ses décorations exubérantes et riches en couleurs. Au-dessus de l'autel, un superbe Bouddha couvert d'or brillait, se détachant sur un fond de bois sombre. Aurore, pleine de respect, admirait son sourire doux et profond, son regard intérieur, entièrement dans sa méditation: c'était aussi un sourire authentique! Mais plus éthéré que celui du moine. Pour la première fois, elle sentait de l'encens, et elle en fut émerveillés. Ce parfum puissant l'émut au plus profond d'elle, comme si il était véritablement la présence de l'Esprit dans ce lieu, pulsant d'une profonde et sublime vibration sacrée...

Il n'y avait pas de service régulier dans le temple, sauf au lever et au coucher du soleil, ou les jours de fête. Mais il y avait toujours beaucoup de monde, et toute la journée cet endroit était très animé, avec des mantras et des prières. Lors des cérémonies, il y avait aussi des cymbales et de grands tambours.

Aurore fut très vivement impressionnée par ce lieu tout bruissant de mystère des choses profondes de la vie, tout imprégné de vibrations subtiles... Elle savait que Bouddha avait enseigné à être doux entre humains et à ne tuer les animaux sous aucun prétexte. Elle trouva dans sa maison consacrée un soutient, un réconfort, Comme si Bouddha avait été un père aimant et doux... Il était là, du reste, par la magie de son sourire, par l'encens mystérieux, par la ferveur d'Aurore et par le battement de son coeur ému...

Ils restèrent un moment dans le temple. Du monde entrait et sortait en permanence, malheureusement avec beaucoup plus de bruit qu'il n'aurait dû être permis dans ce lieu de méditation. Aurore n'aurait pu le supporter longtemps, mais pour quelque mystérieuse raison elle était apparemment la seule à s'en offusquer. Aurore ignorait ce que signifiait le mot «méditation» mais elle pensa qu'il s'agissait d'avoir en esprit la vision d'un monde joli et doux, où chacun saurait s'émerveiller de la Beauté de la vie. C'était plutôt ce que nous appelons la visualisation positive, mais peu importe.

Soudain le père d'Aurore s'exclama en sourdine que c'était à leur tour, puis il l'emmena vers le fond, par une petite porte, dans les dépendances. Ils y furent accueillis par un moine habillé de la fameuse robe rouge. Aurore le regarda intensément, avec l'espoir de revoir un vrai sourire, mais celui-ci semblait plutôt revêche. Son père demanda à rencontrer un nom qu'elle ne se rappela pas. Le moine à l'air revêche (mais c'était en fait un érudit fort brave) les conduisit par un couloir vers une cellule et les y fit entrer.

C'était un peu une réduction du temple principal: les mêmes murs de bois sombre, les mêmes sculptures bariolées et contorsionnistes, présentant des thèmes mythologiques ou concrets: vie du Bouddha, récolte du riz, fleurs et oiseaux, scènes d'amour poétiquement rendues. Avec émotion Aurore y vit aussi des écritures, exquisément travaillées, signes mystérieux et hautement sacrés exprimant la Sagesse et la Beauté des enseignements des moines et du Bouddha. Dans sa naïveté, Aurore crut qu'elle savait lire, car elle voyait les formes harmonieuses des lettres sanskrites exprimer une poétique et mystérieuse vibration!

Au-dessus d'un petit autel se tenait aussi une statue du Bouddha, mais de bois noir celle-là, avec de chaque côté d'impressionnantes et solennelles tentures pourpres. Au milieu de la pièce, assis en lotus sur un trône bas, un vieillard en robe rouge (neuve, celle-là) semblait les attendre, chauve comme un oeuf, ridé comme un vieux fruit, bon comme le Soleil avec son sourire lumineux et infiniment modeste. Egalement sur les côtés étaient assis des moines en grand apparat, avec des cordelières et des pompons dorés. Et par dessus tout flottait un envoûtant parfum d'encens, mêlé à celui des tissus et du vieux bois. Sans le savoir Aurore était en présence du Grand Maître spirituel de la cité, vénéré par des centaines de moines et des milliers de paysans, devant qui même le prince se prosternait.

Elle n'osa parler et fit timidement le salut que lui avait ordonné le moine à l'air revêche.

On la fit s'asseoir en face de lui, avec son père un peu en avant d'elle. Ils restèrent ainsi en silence un moment. Aurore était pleine d'un incompréhensible espoir, mais elle entendit s'affoler le coeur de son père. Le vieillard hocha la tête, puis ferma les yeux, juste un peu plus grave.

 

Il parla lentement, avec de longues pauses, d'une voix adoucie par les ans.

«Sois remercié, ô cultivateur des hautes montagnes, d'avoir répondu à mon appel, et d'être venu maintenant.

«Ta fille, ô paysan des hautes montagnes, ta fille a tout ce qu'il lui faut pour accomplir ce qui est son karma pour cette existence. Tu ne dois pas t'inquiéter pour elle. Tu ne dois pas non plus penser que tu as commis une faute envers elle. Tu ne dois pas non plus penser que tu as commis quelque péché à son sujet, dans cette vie ou dans une autre.

«Tu ne dois pas non plus penser qu'elle a commis un péché, dans cette vie ou dans une autre. Ta fille a vécu dans d'autres vies sous un autre ciel, sous un autre Soleil plus clair et plus clément que celui-ci; elle a vécu parmi des âmes pures et elle-même est tout à fait innocente.

«Mais vois-tu, homme de la forêt, ta fille a commis une très grave imprudence, une chose qui te serais incompréhensible. Mais elle l'a fait en toute innocence. Elle l'a fait en pensant Servir. Elle garde de cela une profonde blessure dans son coeur, et même son Souffle De Vie en a été affaibli. (Un silence, puis, plus bas:) Il lui faudra d'autres vies encore pour guérir.

«Tu as fait, homme de la montagne, ce que tu pouvais faire de mieux. Tu peut aller l'âme en Paix. Juste une chose encore: ne prend pas tant le soin de vouloir marier ta fille, car sa voie est déjà tracée.»

Ils échangèrent des paroles rituelles, et le vieillard posa encore quelques questions sur la spiritualité au père d'Aurore. Ce dernier s'empêtra quelque peu dans les réponses, et un des moines lui fit sévèrement signe du doigt que ça allait barder. Mais le vieillard n'eut qu'un large sourire indulgent.

Le moine à l'air revêche réapparut pour les inviter à sortir, à reculons, car on ne tourne pas le dos au Grand Sage. Avant que la porte capitonnée ne se referme, le vieillard fixa Aurore d'un regard à la fois admiratif, complice, compatissant et mélancolique.

 

Sur le chemin du retour, et les jours qui suivirent, Aurore se remémora chacune des paroles du vieillard. De toute évidence, il avait parlé pour elle, et ce n'était que par politesse et par tradition qu'il s'était adressé à son père. Ces paroles avaient levé certains doutes: non, Aurore n'était pas en proie à un démon; non, elle n'avait pas quelque horrible faute à expier. Quel soulagement d'être sûr de n'avoir eu aucun commerce avec le mal. Mais cela mis à part, les paroles du Sage étaient bien mystérieuses. Certes Aurore savait, comme tous les gens du hameau et de la ville, que l'humain naît, s'épanouit, meurt et renaît indéfiniment, exactement comme les fleurs sur un arbre, qui, pour une fleur, paraît éternel. Malheureusement il n'était que trop rarement possible de se rappeler des existences passées; seuls certains Sages faisaient cela, mais ils n'en parlaient que très chichement. Où pouvaient bien se situer «un autre ciel» et «un autre Soleil»? Qui étaient ces «âmes pures»? Que s'était-il passé de si terrible dans son autre vie? Elle avait parfois eu la sensation étouffée, diffuse, d'une cassure dans son passé, d'une masse noire et lourde d'un poignant regret, qui l'empêchait de capter toute la bonne lumière de la vie. Si ce n'était pas une mauvaise action, qu'était-ce donc de si terrible?

Déçue aussi de n'avoir pas d'information sur son mariage futur. A son âge, le désir en était maintenant vif, mais elle ne pouvait l'envisager qu'avec un garçon qui partageât son désir de vie harmonieuse.

A quelques jours de là, elle osa prendre sa mère à part, pour lui demander la permission de se marier avec un moine. Pour quelle raison incompréhensible s'offusqua t-elle si vivement? (Ça ne lui arrivait pourtant pas souvent) Elle répondit sévèrement que les moines ne se marient jamais. Désappointée, Aurore demanda alors s'il lui était possible d'aller vivre parmi les moines, à la ville ou dans un monastère, tampis si elle ne pouvait se marier avec l'un d'eux. Sa mère répondit avec moins de véhémence mais encore péremptoirement que les filles ne pouvaient pas devenir moine. Seul son petit frère pourrait devenir moine, pas l'aîné, le petit, et encore seulement s'il étudiait correctement. Le rôle des femmes était de rester aux champs et de s'occuper des enfants. Le seul homme qui restait à marier au hameau était celui qui tuait les oiseaux, l'autre ayant été emporté par une fièvre.

 

Aurore ne montra à sa mère aucun signe de contrariété; elle s'en fut dignement, histoire de montrer qu'elle aussi savait se tenir. Mais en son for intérieur, c'était l'effondrement de tous ses espoirs, après la Lumière à peine entrevue. Elle bouillait d'une terrible révolte devant l'absurde, l'injuste, l'incompréhensible. Elle allait finir sa vie dans ce hameau qui lui paraissait maintenant minable et terne, après les merveilles qu'elle avait découvertes au temple. L'odeur d'air vicié qui traînait dans les maisons les matins de froidure lui devint insupportable. Encore heureux que le vieillard du temple ait mis son père en garde contre un mariage forcé: le garçon qui tuait les oiseaux, sentant les choses venir, multipliait de plates et odieuses assiduités jusqu'au fond du jardin.

L'avenir semblait totalement obscur et bouché. Il n'y avait aucun mot dans leur langue pour parler de l'injustice, mais toute une collection pour dire la soumission et la fatalité. Aurore se rappelait l'épisode de la grêle.

Heureusement le désagréable jeune homme fut appelé à son tour pour les travaux à la ville. Aurore disposait donc de quelques mois pour dissiper son ressentiment et faire le point. Elle put jardiner tranquillement aussi, et cela lui fit du bien de retrouver cette joie éternelle. Les paroles du Sage avaient attiré sur elle l'indulgence des gens du hameau: on la laissa aller dans la forêt quand elle voulait.

Une nuit elle se réveilla. Une petite voix, probablementun rêve, répétait: «Patience, Confiance» «Confiance, Patience», comme dit par un être infiniment joyeux et radieux. Elle en fut fortement ébranlée. Plusieurs nuits elle entendit les explications: «Confiance: tout va s'arranger. Tout le mal se dissipera. Ne crains rien pour l'avenir» ou encore: «Aie confiance dans la Source Universelle de toute Vie». Puis la voix disparut avec un dernier petit rire de Printemps. Elle n'eut jamais d'explication, ni n'en demanda jamais. Mais elle comprit que ces paroles étaient toutes de Sagesse. L'apparente douceur de ses compagnons du hameau n'était que fatalisme, démission, soumission par ignorance. Elle avait bien mieux à faire. Il était certes inutile de gaspiller son énergie à une révolte vouée à l'échec. Mais se soumettre était pire. Il serait bien plus profitable de s'entraîner à rester rayonnante, sereine, confiante. Pour le reste, Bouddha, ou le karma, peu importe, lui donnerait ce qui lui reviendrait, récompense méritée ou épreuve nécessaire. Arriver à cet état serait très dur, et il ne lui restait plus qu'un mois avant le retour de son désagréable promis. Après, elle le sentait, il ne lui serait plus jamais possible de se consacrer à ces choses essentielles. Alors il lui fallait travailler dur, ne compter sur aucune aide et surtout ne rien dire à personne.

Pendant tout ce mois, Aurore fut dans une sorte d'exaltation: les mystérieuses paroles nocturnes lui avaient communiqué une farouche énergie. Elle s'était fixée sur la musique des bambous, et chaque note devait être un rappel de la Sérénité, et chacun des tubes en rappeler une nuance différente. Elle évita les conversations brûlantes, que du reste on ne chercha pas à lui imposer. Elle éluda même toute discussion, mais avec les gens du hameau, ce n'était pas bien difficile: Il suffisait de donner quelques réponses toutes faites pour qu'on la laisse tranquille. Elle jardina assidûment, ce qui lui attira même des félicitations, dont elle n'avait cure. Elle souriait à tous, - cela faisait partie de son entraînement - mais dans son for intérieur, elle se battait, férocement, pied à pied.

Vers la fin de la période de service, on ne pouvait savoir le jour exact, elle vécu le coeur battant à chaque bruit de pas qui arrivait, à chaque éclat de voix. Mais peu importait maintenant: elle avait gagné. Le sourire qu'elle affichait à ses compagnons était maintenant l'expression d'une authentique Joie intérieure. Qu'ils ne remarquèrent pas davantage, d'ailleurs.

Son désagréable parti revint au hameau à la fin d'une belle après-midi ensoleillée, accompagné d'un autre moine qui ne pensait pas tomber si à point...

Trois heures avant, la musique perpétuelle des bambous s'était soudainement tue, remplacée par un étrange silence. Le bon vieillard chargé de l'entretient de l'instrument est passé le réparer. Sur son chemin, il a trouvé Aurore endormie, derrière les jardins, près du chemin aux bambous. Elle n'avait jamais été aussi jolie, avec ses seize ans. Elle avait laissé libres ses cheveux noir de jais, comme pour une fête et, allongée gracieusement dans l'herbe avec sa plus jolie robe, elle souriait comme le Bouddha dans le temple. Il aurait dû la réveiller, car il y avait des travaux urgents dans les jardins. Mais il n'eut pas le courage de le faire.

L'homme se dépêcha d'aller visiter les bambous. Il eut à chercher la pelle en bois. Il la retrouva, éjectée à plusieurs mètres, inexplicablement éclatée de l'intérieur, avec des éclats tout autour par terre. Quand il revint, il revit Aurore telle qu'il l'avait laissée. Cette fois, il se décida à la réveiller, afin de lui éviter des remontrances si d'autres la trouvaient. Il hésita et toucha sa joue, qui était déjà froide.

 

La musique des bambous a été réparée, après les funérailles. Je pense qu'elle est toujours là aujourd'hui, peut-être pourrez-vous l'entendre si vous passez par là. Mais elle est restée un peu mélancolique...

 

 

Les Jardins d'Aéoliah

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Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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