Le temps avait coulé petit à petit sur la douce Aéoliah, et les nouveaux éolis n'avaient fait que consolider leur Bonheur. Nellio commençait à aider Alambo dans la délicate peinture artistique; Aurora était devenue une virtuose du tissage, parmi une belle équipe: Elora, Elnadjine, l'entraînant Sondounéou et sa brune compagne Tzilnia-Linia, magicienne de la broderie, ainsi que Sélina et Sélinao, soleils de Sérénité.
Algénio et Liouna continuaient à cultiver avec Anthelme, quand ce dernier n'étudiait pas. Liouna avait trouvé sa vocation d'aider les mondes en formation, mais à ce stade elle n'avait fait qu'étudier le rouleau d'Anthelme, sans penser pouvoir y participer réellement à brève échéance. Et puis elle n'était pas pressée, la discrète Liouna. Elle le savait, il lui fallait d'abord vivre sa vie sur la douce Aéoliah, profiter pleinement de son Bonheur. Tout viendrait en son temps. C'était une petite éoline discrète, silencieuse, toujours serviable et active. Comment eut-elle pu imaginer que bien vite viendrait l'heure d'utiliser les prodigieux talents dont elle était la dépositaire sans le savoir?
En effet, si la plupart des éolis ont des souvenirs, ou au moins une idée de leur existence passée avant de naître sur Aéoliah, pour Algénio et Liouna c'était le noir total. Cela leur avait épargné le sentiment d'étrangeté éprouvé par les autres en découvrant la vie corporelle. La seule indication à leur disposition leur venait de la mère d'Algénio, Murlya. Murlya était une grande éoline aux longs cheveux d'or clair, retenus par un petit bandeau vert pâle de la même couleur que ses doux yeux, toujours vêtue de mauve pastel. On l'eut dit immatérielle. Discrète, parlant peu, extrêmement douce et prévenante, elle s'activait en silence à tous les menus travaux du village éoli et à la culture d'une sorte de myrtille éoline, la murline. Elle aimait éperdument son compagnon Omron, un éoli aussi silencieux que travailleur, toujours une pioche à la main, les cheveux châtains, vêtu d'un pourpre violacé aux curieuses broderies dorées. Murlya et Omron étaient très aimés au village, pour leur discrétion aimable et leur douce présence manifestée par tant de bons services rendus. Ils étaient l'Aéoliah profonde, sereine et équilibrée, forte et tranquille comme le rocher, spirituelle comme le nimbe du soleil.
Contrairement aux autres parents, qui aiment souvent à raconter à tous leurs amis ce qu'ils ressentent à propos de leur futur enfant, Murlya et Omron étaient restés très secrets. Ce silence avait été mis sur le compte de leur discrétion naturelle et personne n'y avait prêté d'attention particulière. Il arrivait parfois que les futurs parents reçoivent la visite d'Adénankar, ou d'un autre Jardinier des âmes, pour quelques conseils ou aide spirituelle. Aussi on n'avait pas vu mystère dans ces longs conciliabules nocturnes chuchotés dans la petite maison ronde d'Omron et Murlya, peu de temps avant la conception d'Algénio, et qui se terminaient à l'Heure Obscure par le furtif glissement d'une silhouette vers la forêt. Murlya avait juste laissé entendre à Algénio qu'il avait déjà eu des expériences corporelles sur une autre planète, mais elle s'était tue aussitôt, laissant le gamin sur sa curiosité. Les parents de Liouna s'étaient montrés plus énigmatiques encore et le seul indice sur son identité spirituelle réelle était la profonde résonance éveillée en son coeur par le rouleau sur la création des mondes. Que signifiait-elle? Mais Anthelme n'avait pas redemandé d'autres rouleaux de cette sorte. Liouna n'avait osé questionner qui que ce soit sur son passé, ni sur sa vocation. A coeur perdu dans toutes ses passionnantes activités du village, elle n'y pensait d'ailleurs pas souvent, mais en concevait quelquefois un soupçon de nostalgie, seul sentiment négatif que le cerveau éoli peut vaguement ressentir, parfois. Liouna prit patience, pressentant que la révélation viendrait en son temps. Liouna et Algénio étaient également presque les seuls à ne pouvoir quitter leur corps, et cela était un peu frustrant. Mais ils pouvaient très bien rêver, en dormant ou éveillés.
Une autre pièce du mystère était les visites d'Adénankar à Algénio, à l'écart du village, où il s'asseyait derrière lui, les mains immobiles, presque à toucher son dos ou d'autres parties de son corps. Algénio n'en parlait pas aisément, juste pour dire que les mains d'Adénankar lui faisaient grand bien. Liouna avait facilement remarqué qu'après ces séances, il était plus enthousiaste pour les activités quotidiennes et plus tendre avec elle.
Mais tous ces détails n'avaient au fond rien d'extraordinaire: il arrivait parfois que l'émouvant chef-d'oeuvre de l'incarnation d'un éoli nécessitât quelques retouches ou adaptations personnelles. C'était là le travail habituel des Jardiniers des âmes, qui s'en acquittaient fort bien, sans qu'il soit forcément nécessaire d'en parler en dehors des familles.
Pourtant vint le moment où Algénio commença à se souvenir. Ce fut extrêmement étrange. La première fois, c'était à l'Heure Obscure, au coeur de la nuit Aéolienne, quand l'anneau est dans l'ombre de la planète et les fleurs lumières éteintes; seul sur la Montagne du Soir veillait encore le rassurant sémaphore rouge, plus calme à cette heure tardive, comme si ses mystérieux gardiens sommeillaient un peu eux aussi. Un dernier grillon attardé stridulait encore, par intermittence, seul dans le Grand Silence de la nuit, et les étoiles resplendissaient de tous leurs feux, sans plus d'anneau pour les voiler. Dans la chambre d'Algénio et Liouna il faisait complètement noir, seule la fenêtre formait un ovale légèrement luminescent, scintillant doucement. (Les éolis admirent parfois ce poétique fourmillement de la faible lumière, que l'oeil humain peut percevoir aussi, en y faisant spécialement attention, sans accommoder sur la fenêtre. C'est une manifestation tangible, sans instruments, de la nature quantique de la lumière, dont nous voyons le grain de photons). Algénio était à moitié éveillé, comme souvent les éolis la nuit. Dans le grand lit rond, Liouna dormait à ses côtés, toute nue sur le drap mauve, lovée parmi un monceau de tendres coussins, châles et doudoux; le parfum de son corps superbe emplissait la minuscule chambre de sa chaude présence.
Algénio s'était étendu sur le dos, se sentant bizarre. Et cette image se projeta dans son outre-mémoire. Il était lui, avec un corps semblable à celui des éolis, mais sans ailes. Ce corps devait être géant, car l'herbe et les fleurs ne lui arrivaient qu'aux genoux. Le paysage était beau comme sur Aéoliah, avec des myriades de fleurs, des arbres et des collines ondulantes; des oiseaux chantaient et un ruisseau glougloutait, un peu en contrebas du chemin qu'il suivait dans son autre corps géant: rien que de familier. Mais Algénio, au lieu de s'imprégner l'âme de toute cette Beauté, d'être heureux, ému aux larmes de cette fantastique énergie poétique, NE RESSENTAIT RIEN. Il ne prêtait aucune attention au suave parfum de la marjolaine, ni à l'amertume de la bardane. Les fleurs brunes du plantain et les hampes délicates de la folle avoine fouettaient un mollet complètement insensible, la chaleur de la terre gorgée de soleil n'éveillait aucun sensuel émoi au pied nu qui la foulait. Au moment où la scène s'était réellement déroulée dans le passé, il n'avait pas même remarqué ce vide de sensation, mais maintenant, en éoli, ce vide ressortait avec une acuité extrême, comme une énorme incongruité. C'était le même malaise que celui que nous ressentons après un de ces rêves incompréhensibles qui nous accablent certaines nuits, pleins de scènes absurdes accompagnées de sentiments inconnus mais indéfinissablement désagréables...
L'image s'estompa, laissant Algénio stupéfait. Il n'y avait pas de mot dans la langue éoline pour nommer cet inconcevable état. Comment pouvait-on ne pas s'enivrer par tous les pores de la caresse de la douce brise d'été, du zonzon du bourdon, des vibrations souveraines du Soleil dans le ciel immensément bleu, du parfum enivrant des herbes sous le pied, de leur froufrou voluptueux sur les jambes nues? Cela n'avait pas de sens. Tout dans l'univers vibre, aime et frémit, les étoiles, les êtres vivants, l'air, la mer, et même les rochers à leur grave manière.
Algénio resta longtemps pensif, cherchant en vain à quoi raccorder cette énigmatique réminiscence. Puis il se serra contre Liouna endormie, dans la douce chaleur et le parfum de son corps, ramena sur eux un des châles de coton laineux, et finit par retrouver le sommeil.
Le lendemain il ne su parler de cette impossible vision à personne, mais s'en trouva fort troublé. Le travail ne l'intéressait qu'à moitié, et Liouna remarqua facilement qu'il était temps qu'Adénankar vienne. Il vint effectivement, l'après-midi, et comme à son habitude, il emmena Algénio à l'écart. Mais cette fois Liouna les suivit. Adénankar se tourna vers elle, avec un regard grave qui signifiait: «Veux-tu vraiment savoir?» Elle hésita, puis fit encore un pas. Adénankar reprit alors son chemin, et tous trois se retrouvèrent ensemble à l'endroit où avait habituellement lieu la cérémonie d'Algénio. C'était un gentil recoin moussu, pentu, en bas du village, sur le chemin de la plage de mousse où les nouveaux éolis avaient découvert l'amour. On entendait le ruisseau limpide et par moment des rires cristallins ou de joyeux flops d'ailes dans l'eau fraîche. Ce recoin moussu était entouré d'un buisson au feuillage fin et compact, couronné de grappes odorantes de minuscules fleurs violettes pleines de colibris chamarrés. Derrière, une tribu de canards éolis cancanaient allègrement en gambadant dans l'herbe.
Algénio s'assit, un peu amorphe, dans un creux qu'il avait fini par imprimer dans la mousse, et Adénankar commença à promener ses mains le long de son dos, en changeant parfois, ou les secouant sur le côté, comme pour les égoutter. Il ne semblait prêter aucune attention à Liouna. Rien d'extérieur n'indiquait ce que signifiaient ces gestes, aussi elle se mit en méditation pour percevoir de l'intérieur. D'abord elle capta la riche Bienveillance du Jardinier des âmes, puis la Confiance et la Gratitude de son Algénio bien aimé. Mais dans son coeur perlait une petite tache grise, couleur absolument incongrue dans le coeur d'un éoli. Liouna s'intéressa alors au corps spirituel d'Algénio, ce qu'elle avait déjà fait de nombreuses fois. Habituellement il lui apparaissait comme une série de lumières floues de diverses couleurs: les centres énergétiques que sur Terre nous appelons Chakras, qui échangent des bouffées de lumière dansante: la vie. Or ce jour-là certains des Chakras semblaient comme voilés, laissant fuir leur énergie, et les influx traînaient en chemin. Les mains expertes d'Adénankar attiraient la lumière, la rassemblaient ici, ou la déplaçaient ailleurs; et petit à petit les Chakras retrouvaient leur éclat. De temps à autres Algénio sursautait, comme surpris, ou soupirait. Adénankar accomplissait ainsi son méticuleux travail, méthodiquement, passionnément, sans aucun geste inutile. Quand il eut fini, Algénio avait retrouvé tout son éclat, comme le ciel bleu après la pluie.
Liouna rouvrit les yeux pour voir son Algénio se relever prestement et venir l'embrasser tendrement, complètement rétabli. Adénankar eut un large sourire pour Liouna, et vint lui caresser ses courts cheveux foncés, pendant qu'Algénio lui tenait la main. Liouna eut un grand soupir heureux, car ce sont là des gestes de chaude amitié pour les éolis, même si ils les accomplissent souvent.
Toujours sans un mot, tous trois reprirent le chemin du village, à la queue leu leu, Adénankar suivant. Arrivé à l'orée du village, il s'éclipsa doucement, avec un dernier sourire.
Liouna se planta devant Algénio, posant ses mains sur sa poitrine à lui, et l'interrogea du regard. Mais il ne répondit rien. Liouna replia alors ses mains sur sa propre poitrine. Algénio fut ému par la douce confiance qui illumina son visage.
Main dans la main, ils regagnèrent le centre du village, parmi les autres éolis.
Les réminiscences d'Algénio commencèrent à se produire sporadiquement, tous les deux ou trois mois. Elles l'affectèrent moins que la première fois. Elles n'apportèrent d'abord rien de nouveau. Mais au bout de quelques années, elles se firent plus fréquentes et plus précises. Il revit plusieurs fois la mystérieuse scène du promeneur absent de lui-même, avec des variantes, des détails supplémentaires, qui parfois lui revenaient en plein jour, quand il se questionnait à ce sujet. Puis d'autres scènes émergèrent à leur tour de la brume grise de l'oubli, dont l'interprétation lui parut plus nuancée, plus familière. De toute évidence Algénio retrouvait le souvenir d'une de ses existences passées, ce qui aurait été assez banal, sauf son caractère fantastique, sur une étrange planète.
Il serait trop long de la décrire par épisodes en désordre, telle qu'elle réapparut à Algénio, au fil des années. Quand celui-ci se décida enfin de parler à Liouna, il pu alors lui raconter une histoire cohérente, bien qu'incroyable.
Algénio raconta que cette vie s'était déroulée assez récemment, sur une autre planète semblable à Aéoliah, si ce n'est que les corps y étaient beaucoup plus grands, plus trapus, et sans ailes. Ces gens étaient des humains, race très voisine des éolis et assez répandue parmi les planètes amies d'Aéoliah: Les jeunes éolis en avaient vu des images sur les rouleaux de l'école. Les humains de la planète d'Algénio avaient la peau brun clair, comme l'écorce de certains arbres, tandis que leurs cheveux et leurs barbes étaient noirs et mats. Ils vivaient dans un paysage idyllique de verdure et de fleurs, de lavandes et de roches claires, dans des maisons arrondies faites de pierres, de branches et de chaume. Ils utilisaient des outils de bronze fondu au feu et cultivaient des herbes dont ils récoltaient les graines; ils les pilaient et les faisaient cuire sur le feu. Les éolis connaissent l'existence du feu et de la cuisson, sans pour autant les utiliser. Ce village était plein d'enfants: la vie des habitants devait être étonnamment courte, une cinquantaine d'années pour les plus âgés. Tout cela aurait été fort charmant, mais l'inconcevable commençait juste après.
L'ancien Algénio, de même que les autres habitants du village de son ancienne planète, semblait peu sensibles aux mille plaisirs de la vie, la beauté des fleurs, des couchers de soleil, des mignonnes petites vies de la nature, pas plus qu'à la joie du corps ou de l'esprit dans l'activité. Ils semblaient ignorer ce qui fait la trame même du Bonheur, ce sans quoi la condition humaine n'est qu'une tragédie vaine et sans espoir: la richesse infinie, la profondeur, la chaleur incomparable de la relation entre êtres conscients, entre êtres humains... Seulement vaguement, parfois, il leur arrivait de goûter la pure et franche joie d'aider, de donner de l'Amour, de la reconnaissance, ou d'en recevoir, ou le plaisir d'être ensemble, de contempler les mêmes choses, de partager les mêmes espoirs. Même le simple bonheur d'exister leur semblait étranger... Il serait faux de dire qu'ils y étaient totalement insensibles; ils recherchaient même cela, quelque part au fond d'eux-mêmes; Algénio, sur la fin de cette incarnation, pu y arriver, au prix d'un certain entraînement. Mais la pensée de ses compagnons était comme brouillée par des émotions aussi violentes qu'impénétrables, et pourtant familières à Algénio, qui faisaient comme des nuages noirs obscurcissant la lumière de la vie. De ces émotions hors-unité naissaient des idées, des paroles et des actes qui embrouillaient la trame de la vie, perturbaient les essentiels échanges d'Amour, ternissaient la joie d'être ensemble... Et d'autres choses encore, bien pires, qu'Algénio hésita à conter à Liouna. Mais il lui fallait aller jusqu'au bout maintenant qu'il avait commencé.
Les éolis savent ce qu'est l'Harmonie, ils l'étudient même assidûment, dès l'enfance, à l'école, dans leurs activités, pendant leurs méditations ou leurs rêveries. C'est en fait un des grands buts de leur existence. Ils en détaillent les lois les plus secrètes, les appliquant à tous les domaines. Leur vie quotidienne dans ses moindres détails est imprégnée d'Harmonie, de Beauté, de Poésie, ils ont constamment présent à l'esprit une passionnée recherche de la perfection, équilibrée seulement par leur humour primesautier et fantasque. Vous n'auriez pas trouvé chez les éolis un seul rouleau sur l'économie, mais plus de rouleaux sur l'Harmonie qu'il y a de problèmes économiques chez nous. Dans une telle conscience de tous les instants, ils savent parfaitement que certains gestes, certaines associations, de couleurs par exemple, s'opposent à l'Harmonie ou à la Poésie. Il est certes possible de s'éloigner un peu de la ligne idéale, trop purement intellectuelle: c'est même cela la danse, la vibration palpitante et passionnée de la vie. Une fleur n'est jamais totalement symétrique, une note d'un chant trémole et se pose aux environs de la fréquence mathématiquement exacte. Mais il y a des limites à ne pas dépasser; seul l'humour peut venir chatouiller ces limites mais sans jamais tomber au-delà. Les éolis, et Algénio aussi bien, savent pertinemment qu'en dépassant ces limites, des choses néfastes arrivent qui ne doivent jamais arriver. Aussi, pleins de bonne volonté, ils ne les dépassent jamais, ils ne leur vient pas même à l'idée de le faire, pas plus que nous autres, ami lecteur, n'aurions l'idée de dépasser le bas côté de la route, en voiture, pour voir en quoi consiste un accident. Même si il nous arrive parfois de serrer à gauche ou à droite, voire de zigzaguer pour rire, nous sommes tous irrévocablement convaincus que l'embrassade du platane n'est pas intéressante, aussi nous ne tentons jamais de dépasser le bas côté, et l'idée même d'essayer nous paraîtrait folle, inquiétante, symptôme de grave dérèglement. Les éolis, eux, savent fondamentalement que l'inharmonie est une très pauvre expérience de vie! Jamais ils ne franchiraient le bas-côté!
On devine alors la violence des sentiments qui assaillirent Algénio en éoli, découvrant que dans son ancienne vie, ses compagnons, et lui même aussi, franchissaient mille fois par jour le bas-côté, les limites de l'Harmonie, comme d'une chose sans importance, apparemment nullement conscients d'en récolter chaque jour les terribles conséquences: souffrance, conflits, haine, ennui, misère, désespoir! Comme si chez nous, des conducteurs de voitures s'amusaient à sortir de la route et à foncer dans les platanes, sans comprendre pourquoi ils seraient blessés, et recommençaient dès qu'ils pouvaient tenir à nouveau le volant! Heureusement le cerveau éoli d'Algénio ne captait pas tous ces sentiments négatifs, mais il les traduisait indifféremment par une sensation d'extrême étrangeté, d'incongruité, de pitié, et, dans le cas d'Algénio, par un grand trouble de son nouveau corps spirituel encore peu consolidé.
Par leur manque d'Entraide désintéressée, les anciens compagnons d'Algénio s'imposaient une compétition qui se traduisait par une misère et des privations parfois cruelles; par leur manque d'Harmonie entre personnes, d'attention la plus élémentaire à autrui, certains d'entre eux étaient malheureux leur vie durant, et aucun ne connaissait un Bonheur véritable; certains semblaient ignorer complètement la Poésie; d'autres semblaient y prêter parfois attention, mais comme à un accessoire: ils piquaient des fleurs parmi les chaumes de leurs toits, sans se préoccuper de les voir noircis de fumée; les femmes portaient de belles parures de bronze et de coquillages sur des habits qu'elles ne devaient apparemment pas laver souvent; des immondices s'accumulaient à proximité des maisons, juste cachés par une petite haie de branches entrelacées... Bon, malgré ces détails, le tableau n'était pas vraiment laid, il aurait même paru charmant à certains de nos touristes en mal de nature, mais pour un éoli cette si molle recherche d'Harmonie n'avait nul besoin de mener à des catastrophes pour être profondément choquante.
Durant son ancienne vie, cette condition avait d'abord paru normale à Algénio; mais il avait petit à petit pris conscience du manque, d'abord dans son for intérieur. Il commença à s'entraîner pour mieux capter, mieux s'intégrer à la nature, mieux se centrer dans la vraie vie, ne plus passer à côté. Il y arriva assez facilement, d'autant plus qu'à cette époque de son ancienne vie il était jeune, on venait de le marier à une douce compagne, et ils s'aimaient tendrement. Avec les jeunes amis de son âge ils formaient une équipe joyeuse et insouciante, sans bistrots pour enlaidir leur juvénile camaraderie. Logiquement, il entreprit d'offrir en partage ses enthousiasmantes découvertes à ses compagnons, tout comme il distribuait de grand coeur les délicieuses fraises ou merises qu'il ramassait au cours des longues séances de cueillette communautaire.
Il parla en premier à sa compagne, lui montrant les beautés qu'il était en train d'explorer. Elle fut d'abord heureuse de ces merveilleuses découvertes et commença elle aussi à s'exercer. Il en fut de même avec deux ou trois proches amis de son âge. Mais quand il se mit à en parler devant davantage de monde, il se passa des choses totalement incompréhensibles.
Certains se mirent à rire; il partagea d'abord de bon coeur ce rire avec eux, car il n'était jamais le dernier pour la rigolade! Mais ces rires-là mirent rapidement l'Algénio humain fort mal à l'aise.
Pour bien comprendre les sentiments de l'Algénio éoli, il faut savoir que les éolis appliquent également l'Harmonie dans l'action. Même quand ils sont d'avis différents, ils ne se contredisent jamais, car leurs pensées sont toujours intégralement en accord avec les grandes Lois Universelles de la vie: l'Amour, l'Entraide, l'Harmonie. Ainsi les éolis, dans leurs décisions collectives, arrivent toujours rapidement à un consensus agréable pour tous, comme nous l'avons vu à l'occasion de la construction de la filature d'Aurora: faire adopter son avis par les autres n'a jamais une importance vitale, puisque les autres avis sont tous aussi porteurs de Bonheur. De toute façon chaque éoli d'Aéoliah est totalement libre de faire ce qu'il veut et de mener sa vie comme il l'entend, tant qu'il est en accord avec les Lois Universelles de la vie et de l'Harmonie. Sans ce respect commun des Lois Universelles, il est totalement inutile d'espérer arriver à une quelconque entente en groupe, sans reniements ni compromis, puisque les intérêts vitaux eux-mêmes peuvent devenir contradictoires.
C'est ainsi qu'un Bonheur parfait et une Paix absolue, totalement exempts de tout conflit ou compromis, et même de toute compétition, peuvent régner indéfiniment sur toute planète où ces Lois Universelles sont aimées et vécues. C'est grâce aux Lois Universelles de la vie que les éolis peuvent s'approuver et s'encourager mutuellement sans aucune restriction dans leurs choix différents; un éoli qui prend une décision ou une initiative est de ce simple fait approuvé, aimé et aidé dans son choix par toute la communauté.
Une chose qui, bien entendu, devient rapidement impossible dès que la moindre pensée égoïste souille la pure inspiration des Lois Universelles de la vie.
Là est le véritable secret qui permet aux éolis de toujours s'entendre merveilleusement entre eux, au-delà des techniques de communication les plus subtiles. Lors de la construction de la filature d'Aurora, nous avions vu à quelle finesse et à quelle précision peut arriver la communication entre éolis; pourtant elle serait totalement inefficace si ils n'avaient pas une base commune pour s'entendre, au-delà de toute opinion, croyance, préjugé, idéologie, système... Non pas que ces systèmes de pensée soient tous foncièrement mauvais, mais ils sont des constructions artificielles, arbitraires: chez nous, sur Terre, chacun a les siens, et ne peut s'entendre avec autrui que s'il a les mêmes, ce qui, en dehors de groupes très spécialisés, est extrêmement peu probable. Pourquoi alors s'encombrer de tels systèmes, qui ne mènent qu'à des disputes? Il vaut infiniment mieux s'en tenir à ce qui est, à ce qui est donné par la vie, à ce qui existe réellement, quel qu'il soit.
Voici donc vraiment comment Aéoliah demeure un paradis où la Paix règne indéfiniment, quoi qu'il arrive, et ce dans la plus totale Liberté.
Pour parler notre langage humain actuel, l'initiative de l'ancien Algénio se heurta au refus idiot de la nouveauté, une de ces tares qui bloque l'émancipation des Humains. Il fut rejetée par son village qui démarra un conflit avec lui. Algénio perdit ses amis et même sa compagne qui l'abandonna sans l'ombre d'une hésitation pour rester en accord avec le clan. Il s'enfuit alors dans la forêt où il pu développer encore ses idéaux, mais le chagrin et les rudes conditions d'existence amenèrent bien vite la ruine de son corps physique et la fin de sa vie. Cette belle histoire serait ainsi bien triste si nous ne savions qu'Algénio, triomphant de la sottise, de la misère, de la souffrance et même de la mort, était mille fois récompensé de son idéalisme en renaissant sur la merveilleuse Aéoliah avec une si douce compagne... qui ne le trahira jamais, celle là.
Le comportement des compagnons de l'ancien Algénio, s'il nous paraît, hélas, familier à nous, amis lecteurs, était totalement absurde, incohérent et dépourvu de toute signification aux yeux d'un éoli. C'est comme, pour nous, si nous jetions la nourriture et détruisions nos maisons, sans comprendre pourquoi nous souffrons du froid et de la faim ensuite. Ah, si ses amis avaient écouté Algénio, sans doute seraient-ils devenus de ces Sages fondateurs de civilisation célébrés de millénaires en millénaires...
Ces visions perturbèrent beaucoup Algénio, d'où la tache grise dans son coeur, et l'assombrissement de son corps spirituel. Sans l'aide d'Adénankar, il n'aurait sans doute pas pu tenir le coup. Il pu s'en sortir finalement en choisissant, parmi les sentiments étranges qui le chaviraient, de ressentir pour les malheureuses créatures de son ancien village une sorte de Compassion navrée...
Algénio n'avait plus rien à dire à présent. La fleur-lumière rose commençait à baisser, et les ombres violettes de la nuit à tapisser les murs pastel de leur chambrette. Liouna, assise en lotus à côté d'Algénio, sur leur lit mauve, le regardait gravement. Elle avait tout écouté sans presque rien dire, et maintenant elle méditait. Algénio contempla les objets familiers comme s'il les voyait pour la première fois: les froufrous dans lesquels ils aimaient à se blottir pour dormir ou pour s'aimer, les deux demi coquilles de noix, couvertes d'une grande corolle, qui servent à garder un peu de rosée pour se laver le matin; leurs grands chapeaux et leurs robes pliées au pied du mur arrondi de leur chambrette nue et toute simple.
Amis lecteurs, voyez-vous, on aurait pu craindre que les éolis ne soient que des créatures superficielles, heureuses d'un bonheur factice à l'abri des vrais problèmes. Eh bien pas du tout. Les éolis sont des êtres profonds, responsables et courageux; leur bonheur, et leur paradis, ils se les sont construits de leurs mains, et gagnés par leur respect intransigeant des lois Universelle. Les éolis ne se moquent jamais. L'Amour est la première des Lois Universelles, c'est si vrai que quand un éoli aime, l'univers n'a plus qu'à suivre. Les éolis sont des créatures merveilleuses de Bonté et d'Amour, et je vous souhaite sincèrement de rencontrer un jour de tels êtres, ami lecteur.
La petite Liouna, la discrète éoline travaillant aux humbles besognes des champs, la toute nouvelle éoline qui ne parle pas souvent, savez vous ce qu'elle a dit? Liouna, après un moment de méditation, rouvrit ses yeux, et, pour les anciens compagnons d'Algénio au si étrange comportement, elle n'eut que trois mots, mais si touchants:
«Comment les aider?»
On entendit le Grand Silence de la nuit tendre l'oreille.
Puis Liouna s'allongea pour dormir. La belle planète Aéoliah continuait sa course, rutilante de lumière et de splendeur, parmi les étoiles de l'Infini, suavement bercée par l'éternelle et cristalline musique des sphères.
Algénio ne fut plus jamais malade, même quand plus tard revinrent des souvenirs plus affreux encore. Qui l'avait guéri? Le regard tranquille de Liouna, ou ses douces paroles? Plusieurs jours s'écoulèrent tranquillement après qu'il lui eut tout dit. Il faisait, comme toujours, un soleil resplendissant; la vie était la merveille de chaque instant, parmi les fleurs et les travaux des champs. Si les incroyables visions de Nellio avaient pu le plonger dans un abîme de perplexité, elle n'avaient plus le pouvoir de troubler son bonheur quotidien.
Il y avait une grande récolte de pollen jaune, et Algénio alla avec Liouna aider Nellio et Aurora, avec aussi Anthelme et Elnadjine, Elsignor et Elsigna, tous les nouveaux éolis. Il fallait y aller tôt le matin, car on humidifiait un bâton de rosée pour pouvoir agglutiner le pollen, que l'on rassemblait ensuite dans des petits godets de bambou suspendus au cou pour le faire sécher l'après-midi. Les huit nouveaux éolis se retrouvèrent ensemble, ce qu'ils aimaient bien car cela leur rappelait leurs premières amours et les délices de leur enfance.
Les fleurs dont on récoltait le pollen étaient des sortes de crocus, aux corolles en forme de coupe profonde, blanches veinées de mauve, qui arrivaient toutes à la poitrine des éolis. Tout au fond de la coupe, s'étoilaient les étamines d'un jaune intense et un pistil vert pâle, humide de nectar. Le champ de crocus était assez grand, (trois mètres carré!) et on n'y voyait que des corolles serrées les unes contre les autres, avec les éolis dépassant par ci par là, comme si, avec leurs chapeaux, ils avaient été une autre sorte de fleurs éparses dans les crocus. Autour de ce champ, à l'écart du centre du village, mais avec encore quelques maisons dispersées, s'étendaient une plaque de mousse épaisse, d'autres grandes plantes formant des haies, et un bouquet de grosses fleurs rouges. Derrière la haie, d'autres éolis riaient en travaillant à on ne sait quoi: les nouveaux éolis se mirent aussi à plaisanter, leur rire insouciant tinta à son tour dans l'air pur, ce qui fit rire encore plus les autres éolis cachés. En peu de temps ce fut un concours de pouffage inextinguible! Et puis, ne le répétez pas, avec l'autre bout du bâton qui leur servait à attraper le pollen au fond des corolles, les éolis, savez-vous, tout enivrés du suave parfum, ramassaient aussi un peu de nectar sur le pistil, le poudraient de pollen et suçaient le tout: c'est délicieux, un régal dont ils raffolent...
Mais la subite guérison d'Algénio, pas plus que sa maladie, n'était passée inaperçue. La plupart des éolis du village voyaient ou ressentaient distinctement les vibrations de leurs amis; tous avaient remarqué le trouble croissant d'Algénio, puis son soudain rétablissement. Presque tous avaient vu disparaître la tache grise en son coeur aussi facilement que nous terriens aurions remarqué un changement de vêtements. Plusieurs également avaient ressenti une subtile différence chez sa compagne Liouna, suite au rétablissement d'Algénio. Mais personne ne posa de question: c'est ainsi, les éolis sont très discrets. Et puis s'il y en avait un qui avait des questions à poser, c'était surtout l'Algénio! Les autres en savaient sans doute plus que lui...
Il y avait quelque chose d'autre encore. C'était l'impression d'un événement imminent. Probablement Algénio et Liouna le ressentirent aussi. C'était comme si un invisible et inaudible tam-tam battait continûment le rappel des énergies; on vit rentrer petit à petit les membres du village partis en voyage, et aussi les amis d'autres villages voisins vinrent s'y rassembler. Le village gonfla à près du double de sa population habituelle, et il fallut loger tous ces invités chez soi, dans des tentes ou dans des nids d'oiseaux à la ronde.
Cela se produisit quelques jours plus tard, à midi. Deux ou trois mots avaient circulé. Chacun se sentit concerné et vint sur la place des réunions du soir, où avait également lieu le repas de midi.
Le repas de midi, chez les éolis, est une occasion de rassemblement, de célébration commune, de rencontres. Il est fort animé, car on y discute et l'on y rit beaucoup! Au centre sont rassemblés les fruits et les champignons, sur un lit de feuilles pour la propreté. Des éolines coupent avec entrain des tranches ou versent du jus dans des coupes; on y trouve aussi des coques de noix remplies de rosée, et, au milieu, toujours, les fleurs-lumière, qui, bien sûr, ne brillent pas en plein soleil: elles se rechargent. En une joyeuse animation, formant des files bariolées, chacun va se servir, se resservir ou se reresservir, puis revient à son petit groupe d'amis avec une tranche de fruit ou un godet en bambou qu'il a empli en le trempant directement dans l'eau ou dans le jus de fruit. (Il n'y a pas de maladies contagieuses sur Aéoliah, aussi ses habitants n'éprouvent aucun dégoût à leur contact mutuel, ni ne sont astreints à autant de règles d'hygiène que nous). Certains vont un peu plus loin siroter leur tranche d'ananas, dans un endroit plus calme, et on en voit même qui, ne le répétez pas, font des réserves.
Mais certains jours, tout le monde reste sur la place: on y fait fête ensemble, parfois même un espace près du centre est laissé dégagé pour un spectacle spécial (c'est rare, car les éolis préfèrent de loin les grands jeux auxquels chacun participe plutôt que le rôle passif de spectateur). Il en fut ainsi ce jour-là. Les nouveaux éolis s'étaient mis ensemble, ils avaient eu le sentiment que ce qui allait arriver les concernait. En particulier Liouna et Aurora s'étaient mises côte à côte, se tenant épaule contre épaule, geste de tendresse courant entre amis éolis ou éolines.
Il y eut un silence du côté de la forêt, et les regards s'y portèrent. Adénankar venait de déboucher d'une des tonnelles naturelles de cistes roses qui menaient vers chez lui, suivi d'une file de six éolis et éolines que les nouveaux ne connaissaient pas. Adénankar venait parfois au repas de midi, habituellement par la voie des airs, parfois en compagnie d'inconnus; il parlait à tel et tel, mangeait et repartait avec des provisions pour sa mystérieuse compagne Milarêva, que les nouveaux éolis n'avaient encore jamais vue. Mais aujourd'hui leurs démarches solennelles et l'aura puissante de cette lente procession firent rapidement cesser toutes les discutions. Deux des six inconnus étaient habillés comme ceux du village, ils firent même quelques discrets saluts à des amis. Deux autres étaient des éolis de la montagne, vêtus de pétales de fleurs séchés, les deux derniers enfin portaient aussi de ces habits de pétales colorés imperméables que les éolis utilisent pour les voyages lointains. Ils suivaient Adénankar en procession, portant rubans ou écharpes, signe de grande solennité. Il fallut leur laisser le passage, et ils arrivèrent à l'espace vide central. Les nouveaux éolis virent les parents d'Algénio et de Liouna rejoindre leurs enfants, comme si cela avait été convenu d'avance. Surtout Omron et Murlya, parents d'Algénio, s'assirent derrière lui et se firent aussi discrets qu'à leur habitude. Sans qu'ils ne sachent pourquoi, les nouveaux éolis sentirent leurs coeurs battre...
Adénankar resta debout, tête baissée, devant ses compagnons assis. Il commença son discours par un long silence. Le repas était suspendu. (Ami lecteur, faites donc comme si vous y étiez: attendez un peu avant de lire la suite, et posez donc votre casse-croûte...)
Puis il leva son regard vers Algénio, et lui sourit doucement.
«Ami Algénio?
- ... »
Sidéré, l'Algénio, de voir toute cette pompe rien que pour lui.
«Es tu heureux de vivre sur notre planète?»
Algénio était terriblement confus. Ainsi Adénankar savait; il savait toujours tout cet Adénankar. D'autres dans le village savaient aussi sans doute. Et ses parents aussi, tiens. Ils en savaient probablement bien plus que lui-même ne s'était rappelé. Tout le village et les amis du village, et Adénankar et les inconnus le regardaient, avec ce sourire si doux, si naïvement charmant des éolis et des éolines, avec une grande Bonté et aussi un petit je ne sais quoi qui donne toujours envie de rire. Dans son dos il sentait aussi le regard tranquille comme le roc de son père Omron, et celui limpide et frais de sa douce mère Murlya. Sa gentille compagne Liouna, assise à sa droite, irradiait une confiance inébranlable, malgré ses yeux écarquillés par un prodigieux étonnement. A côté d'elle, Aurora et Nellio, fixant la mousse devant eux, l'approuvaient. A sa gauche le sage Anthelme rayonnait et Elnadjine tourna la tête vers lui, rejetant tendrement en arrière ses superbes cheveux flous couleur crème. Alors ce fut trop, trop de bonheur pour Algénio qui s'effondra en larmes. Il pleura de joie, l'Algénio, sur le sein de sa bien aimée, dans les bras de sa mère et de son père, parmi tous ses amis connus et inconnus qui le regardaient, saturé de toutes ces délicieuses vibrations à lui envoyées par ceux qui savaient déjà, et aussi par ceux qui attendaient de savoir.
Quand il eut fini, au bout d'un temps qui lui parut très long, il releva la tête vers Adénankar qui n'avait pas bougé.
«Alors tu es heureux.»
L'énoncé d'une telle évidence fit rire tout le monde!
Adénankar parla alors longuement.
«Il arrive parfois que l'incarnation d'un nouvel éoli demande des ajustements ou des soins, comme pour le repiquage d'une plante délicate.»
Il y eut un murmure approbateur; d'ailleurs le repas reprenait très discrètement son cours, sans perturber l'attention soutenue que les éolis portaient aux importantes paroles d'Adénankar.
«Pour Algénio, ce fut particulièrement difficile. Il est fort probable que sans votre aide dévouée à tous et sans vos méditations quotidiennes Algénio n'aurait pas pu rester parmi nous.»
La gorge d'Algénio se serra de nouveau. Emu de tout ce discret et merveilleux dévouement qu'il n'avait même pas soupçonné, il ne pensait pas du tout à manger, lui, ni ses amis d'ailleurs. L'un des éolis inconnus assis derrière Adénankar claironna, d'une voix haut perchée: «C'est aussi grâce à toi et à tes fantastiques talents de médecin.»
Adénankar courba le dos sous le compliment. Il était terriblement modeste, cet éoli. Un type comme Adénankar, vous le propulseriez sur la Terre, qu'il affronterait aggressions et injures, calomnies et tortures, sans jamais se départir de son merveilleux sourire, bon comme du pain complet. Mais les compliments et les remerciements le troublaient comme une fiancée timide. C'est ainsi, son émouvant côté humain qui nous le fait si proche, comme une étoile venue nous rendre visite en cachette. Il continua, un bémol plus bas:
«Mais seuls les parents d'Algénio et de Liouna connaissaient exactement la vérité, qu'il est maintenant temps de révéler à tous. Nous avions choisi ce village pour tenter une chose que nous n'étions pas du tout sûrs de pouvoir réussir: aider à l'intégration d'Algénio qui vient d'un monde dont les habitants ne savent pas encore vivre en harmonie avec les Lois Universelles de la Vie.»
Un brouhaha s'éleva à cette incroyable déclaration. C'était comme un coup de tonnerre. Les anciens éolis disaient bien parfois qu'il existait de tels mondes, mais la plupart ne voyaient là que spéculations aussi lointaines qu'inconcevables, voire mythiques, peut-être seulement des histoires d'école pour édifier les jeunes éolis. A tel point que la réaction du village était bien plus de curiosité que de dégoût pour ces étranges expériences de vie hors-unité. C'est que les éolis de ce village en ignoraient le terrible prix: la souffrance. Les compagnons d'Adénankar hochèrent gravement la tête, sauf ceux de la montagne, merveilleusement imperturbables.
Adénankar expliqua d'où venait Algénio, et ce qui se passait sur le monde exotique où il avait vécu... vingt trois ans seulement. Il utilisa des mots que les nouveaux éolis n'avaient jamais entendu, comme maladie, inharmonie, malheur, aliénation, dis-réalité, ces mots négatifs que nous connaissons bien, nous, malheureux, sur notre Terre, mais dont il fallait longuement expliquer le sens aux nouveaux éolis comme à ceux du village. A chaque nouveau mot, il tournait son regard vers eux. Les jeunes éolis n'avaient absolument aucune expérience de ce que ces vocables pouvaient recouvrir, sauf Algénio bien sûr. Abasourdis à leur tour, Anthelme, Nellio et surtout Aurora posèrent des questions, mais Elnadjine se contenta d'écouter avidement.
Adénankar parla d'abord de la création des univers. L'univers physique dans lequel existaient Aéoliah et la planète d'Algénio avait émergé de la Source Universelle de vie, dans une titanesque explosion, en même temps que bien d'autres qui y naissent en permanence, mais avec des lois physiques différentes et généralement plus malléables pour les esprits harmonieux qui les reçoivent en partage.
Dans celui-ci, l'esprit n'a que peu de pouvoir sur les formes qui y existent, ce que nous appelons la matière. Cette matière est en quelque sorte autonome. Elle n'obéit que très peu à la pensée, mais en contrepartie elle jouit d'une propriété remarquable: tout phénomène de cet univers continue d'exister même si on ne pense plus à lui. C'est évident, penserez-vous, amis lecteurs. Eh bien non, en fait, et c'est même un des plus passionnants mystères de cet univers-ci. Du fait même de son inertie aux influx spirituels, cette matière dont devaient être faits les corps physiques posait de passionnants problèmes: les corps, au lieu d'y être des simples images ou nuages d'énergies, des rêves faciles à projeter comme à modifier, ces corps devaient au contraire être des mécanismes d'une complexité inouïe, où la faiblesse de la vie devait être compensée par de formidables amplificateurs, des automatismes régulateurs d'une subtilité prodigieuse, bâtis par des processus auto-organisateurs d'un haut niveau mathématique. Quelle merveille, au service du Bonheur et de la vie, quand, après avoir vaincu tous ces obstacles, des âmes arrivent à goûter l'Harmonie et la Félicité sur une des innombrables planètes de cet univers!
Quand une planète matérielle a terminé sa vie, ses anciens occupants retournent généralement dans des plans d'existence spirituelle. Mais ils y ramènent une force, une puissance, une consistance d'être qu'ils n'auraient jamais pu acquérir par d'évanescentes et fades rêveries, aussi belles fussent-elles... C'est sans doute là un des plus grands bienfaits de l'incarnation dans les mondes matériels.
Mais en contrepartie, il y a parfois des problèmes, des anicroches.
Adénankar expliqua ce qui était arrivé sur la planète d'Algénio, et qui se produit parfois aussi sur d'autres planètes où l'évolution des corps est en cours. L'immense majorité des âmes qui vivent sur ces mondes en formation sont des âmes juvéniles. Elles n'ont encore que peu de force d'âme, avec des corps spirituels inconsistants, indifférenciés. En plus elles se retrouvent dans des corps physiques encore imparfaits, dotés de psychismes immatures, bien trop peu sensibles aux charmes de la véritable vie, où la capacité de maintenir sentiments et idées sous la direction de l'âme ne se manifeste pas encore avec assez de force, pas assez de constance. Je ne répète pas tout, amis lecteurs, car certains esprits malinvoles pourraient s'emparer de ces explications pour tenter de justifier le mal, ce qui n'était pas, mais alors pas du tout le propos d'Adénankar.
Enfin le résultat, Adénankar eut du mal à en brosser le tableau à ses amis, mais nous ne le connaissons que trop, des musiciens débutants, au goût encore incertain, s'emparant d'instruments pas encore accordés, ne peuvent donner qu'une belle cacophonie, ce que nous appelons le mal, cacophonie d'idées et de sentiments égocentriques, incohérents et inharmonieux, bruit tonitruant des psychismes qui s'agitent sans but, chacun pour soi, hors du contrôle des âmes... Ces problèmes de débutants seraient plus drôles que vraiment douloureux, si il n'arrivait parfois que les puissantes énergies natives de ces planètes, faute d'être guidées vers l'Harmonie par ses habitants, s'investissent alors dans de fausses directions, créant de terribles égrégores maléfiques capables de dévoyer les âmes juvéniles et d'en prendre le contrôle. Ces âmes dévoyées se mettent à leur tour à alimenter l'égrégore noir, qui devient incroyablement puissant, verrouillant ainsi la situation...
Normalement cette période dangereuse passe assez vite sans trop de dégâts, notamment grâce à l'aide des Jardiniers des âmes et autres guides des mondes de l'Esprit, dont le rôle est, comme nous l'avons vu, d'aider les âmes fondatrices à se créer leurs mondes, notamment en veillant à ce que ces dangereux phénomènes ne se produisent pas, ou en tout cas ne dépassent pas certaines limites. Une fois le cap passé, la planète et ses habitants sont suffisamment forts pour se passer de toute aide, ils peuvent alors s'élancer, libres, et vivre par eux-mêmes ce qu'ils ont projeté dans toute leur plénitude, sans plus jamais retomber dans aucune sorte de mal. Sur Aéoliah, le problème avait été efficacement évité, car les fondateurs n'étaient pas des âmes juvéniles; ils n'autorisèrent l'incarnation de ces âmes inexpérimentées qu'une fois les corps, les psychismes et les égrégores stabilisés, et encore avec beaucoup de prudence, puisqu'elles ne furent jamais plus d'un pour mille de la population. C'était pourtant à l'époque où les éolis essaimaient sur les différentes îles autour desquelles les continents allaient grandir: La croissance de leur population ne pu ainsi s'accomplir que très lentement, au rythme du mûrissement des nouvelles âmes. Mais on attendait depuis un demi milliard d'années, on n'allait pas tout gâcher en voulant en gagner quelques centaines de mille! C'est à cette époque que les éolis mirent au point l'art délicat des Jardiniers des âmes...
Mais sur quelques planètes, ce phénomène n'avait pu être maîtrisé, et il avait pris des proportions autrement plus graves, en arrivant même à créer de la souffrance. Le cas de la planète d'Algénio était étrange, mais dans cette histoire on n'en finit plus de renchérir sur l'étrange. Des égrégores noirs y existaient déjà bien avant l'incarnation d'humains, de par la faute d'animaux monstrueux qui s'étaient dotés de griffes et de dents tranchantes pour voler la chair d'autres animaux. Ainsi ils pervertirent toute l'évolution future des corps eux-mêmes. Les âmes humaines incarnées sur ce monde n'avaient pas encore assez de force pour choisir entre l'Harmonie et les suggestions des égrégores hors-unité (Hors-unité peut se dire dé-monos, en grec...). Certaines en arrivèrent même à prendre carrément la vie à rebrousse-poil et à refuser de reconnaître la Vérité, à refuser de reconnaître les sublimes Lois Universelles, refuser de s'enthousiasmer à la beauté de l'univers, refuser de s'y plonger, de s'y perdre pour s'y trouver elles-mêmes enfin. Pourquoi refusaient elles? Peut-être que la Source de Vie plaça là des âmes qui avaient déjà échoué à accepter les merveilleuses lois de la vie, lors d'expériences précédentes, sur d'autres planètes... pour leur offrir encore une chance de comprendre? Ou pour qu'elles ne perturbent plus les autres mondes?
Cette cause unique, simple, de leurs souffrances, se manifestait d'une quantité de façons différentes, selon que ces âmes étaient atteintes bénignement ou profondément, selon la part de la Vérité qu'elles refusaient plus particulièrement, ou tout simplement selon la personnalité qu'elles avaient endossée. La matière de cet univers, de par son extraordinaire propriété d'exister et de se comporter indépendamment de ce qu'on pense d'elle, était un excellent instrument pour aider ces âmes déboussolées à admettre au moins sa propre vérité physique, ce qui était un premier pas vers l'Humilité et la Sagesse. La majorité des âmes incarnées sur la planète d'Algénio, peu atteintes, pourraient se guérir et s'en sortir par elles-mêmes, à condition toutefois de trouver assez de force d'âme pour ne plus se laisser subjuguer par la minorité violemment révoltée contre la vie, ou d'y échapper par quelque biais. Par contre, pour les âmes rebelles à la vie, leur seul espoir est d'un jour comprendre que toutes leurs souffrances proviennent uniquement de ce refus de jouer le jeu de la vie. Et encore, pour cela leur faudra t-il désembrouiller les multiples niveaux d'illusions du monde artificiel et des valeurs illusoires qu'elles s'étaient créées, exactement comme une chèvre têtue qui a entortillé sa corde autour de son piquet devra accepter de retourner un certain nombre de fois en arrière pour atteindre le chardon qu'elle convoite.
Comme la maladie des âmes révoltées est très contagieuse, en particulier pour les âmes juvéniles qui manquent par trop de discernement, les planètes qui en hébergent sont surveillées avec la sévérité la plus extrême: Pas un seul de leurs habitants ne les quittera jamais, jamais, jamais, sans avoir fait la preuve irréfutable et impartiale de sa totale guérison, devrait-on pour cela y passer la totalité des cent milliards d'années que les étoiles ont pour briller. La Justice Cosmique n'est pas une administration: aucun passe-droit ni pot de vin n'est possible. C'est qu'il n'est absolument pas question de laisser le mal se répandre dans l'univers et polluer les ineffables paradis de Sagesse et d'Amour.
Et ici c'est à vous d'en apprendre: la planète d'Algénio, ami lecteur, où il avait vécu son étrange vie antérieure, cette planète peuplée d'âmes juvéniles ou d'âmes révoltées contre l'Harmonie de l'univers, n'était autre que notre Terre. Vous vous en doutiez, allez. Algénio y avait vécu à l'époque que nous appelons l'Age du Bronze, dans une région d'Europe qui n'était pas encore la Yougoslavie, dans un de ces premiers villages agricoles que les archéologues ont découvert dans les années 1980 en leur donnant des noms bizarres.
Algénio, âme inexpérimentée mais de bonne volonté, s'était guéri facilement, avec l'aide des anges et des esprits qui se sont donné pour tâche d'aider les âmes en difficulté. Les problèmes qu'il éprouva sur Aéoliah vinrent de ce que sont corps spirituel avait été perturbé par ses épreuves terrestres. Mais à aucun moment il ne douta ni ne se laissa aller, et c'est ce qui le sauva en finale. Pendant sa vie Terrestre, grâce à ses persévérants exercices de présence à la Beauté de la nature, il avait acquis une confiance solide dans la Source de Vie universelle, et pressenti l'existence des Lois Universelles de la vie. Ses souffrances physiques, dues à la faim et au froid, quand il eut quitté son village, auraient pu détruire cette confiance, mais ses anges gardiens virent que son idéal n'était pas du toc: ils lui permirent alors d'entrevoir, dans ses rêves, un monde meilleur au delà de la Mort, et surtout de le rejoindre vite: en voulant cueillir des fruits haut perchés, il tomba fort opportunément d'un rocher, et quitta ainsi la Terre proprement, sans souffrir, en pleine conscience. Fini les épreuves inutiles; le froid gourd et la faim fielleuse qui habitaient son corps depuis cinq ans disparurent instantanément pour faire place à un merveilleux choeur d'âmes bienveillantes qui le réconfortèrent, le consolèrent de ses malheurs et le guidèrent vers une école dans le monde de l'esprit. En quelques années il rattrapa son retard. Aéoliah se trouvait ressembler beaucoup à la Terre, de part ses vibrations profondes. Les professeurs de l'école du monde de la pensée contactèrent l'équipe d'Adénankar, qui demanda à Murlya et à Omron d'accueillir Algénio. Il leur confia sans complaisance toute la difficulté de leur tâche, et il les avertit dûment des graves risques qu'ils prenaient pour eux-mêmes. Pas une seconde Murlya et Omron n'hésitèrent ni ne doutèrent. Nous connaissons la suite.
«Et moi?» Liouna rougit aussitôt d'avoir osé poser pareille question. Il est vrai qu'elle ne pouvait être par hasard la compagne d'Algénio.
Adénankar eut un petit rire bienveillant.
«Il aurait été dangereux qu'Algénio et toi aillent vous promener dans les mondes de l'esprit avant qu'Algénio ne soit guéri, et nous avons dû prendre quelques précautions. Mais maintenant vous retrouverez petit à petit vos facultés et vos souvenirs et tu t'apercevras que, toi et moi, nous avons été à la même école des Jardiniers des âmes.»
Il y eut des exclamations stupéfiées: La petite Liouna? Incroyable! Liouna était maintenant rouge, mais rouge, que c'est pas possible. Aurora, adossée contre elle, bondit comme électrisée: sa tendre amie: incroyable! Elnadjine était stupéfaite, bouche bée, mais Anthelme se tapa sur les cuisses, hilare: «Ha ha! Je m'en doutais!» Liouna regardait tout autour d'elle: ce n'était pas possible, c'était une plaisanterie. Adénankar plaisantait parfois, mais pas sur des sujets si profonds. Liouna croisa les regards tranquilles et souriants de ses parents: ainsi ils savaient... et ils n'en avaient jamais rien laissé paraître.
Quand les commentaires cessèrent, le silence qui revint posait une question. Adénankar était immobile, le buste penché en avant, gravement. L'après-midi était avancé et le Soleil amorçait sa descente vers la Montagne du Soir. La douce brise qui s'était levée, annonciatrice de pluie, apportait ici le tendre parfum des fleurs-tonnelles et, par moments, des bouffées d'humidité du torrent en contrebas de chez Adénankar, là où Nellio et Anthelme s'étaient perdus, il y a longtemps. Le parfum, le Soleil, le vent, posaient une question. Adénankar attendait, et ses amis aussi.
Ce fut la petite Liouna qui, encore une fois, rougit pour répondre:
«Il faut les aider.»
Adénankar se redressa imperceptiblement.
Liouna précisa, comme s'il était nécessaire de préciser:
«Les autres, ceux qui y sont restés.»
Le silence était palpable. Elle ajouta, se levant soudain, avec une énergie totalement inattendue:
Notre village va devenir une base d'aide pour les Terriens!»
Le silence le plus respectueux accueillit ces paroles, malgré la nombreuse assemblée. Les oiseaux et même le vent s'étaient tus. Adénankar sursauta, puis, lui, le Grand Sage, l'être supérieurement évolué, eut un sanglot de Bonheur! Il se dirigea vers Liouna, lui murmurant quelques mots qui resteront à jamais leur secret. Certains disent même qu'ils ont vu Adénankar rougir un peu. Il la serra contre sa poitrine, lui caressant les cheveux, les yeux fermés. Un long et doux frisson monta alors des tréfonds de la planète, et la Montagne du Soir vibra d'un éclair de lumière blanche, visible en plein jour, ce qui ne s'était jamais produit de mémoire d'éoli. Liouna s'abandonna complètement, la tête renversée en arrière, dans les bras du Sage. Longuement le sol oscilla calmement, avec un grave grondement, faisant dodeliner les têtes ou les bras détendus, puis retrouva petit à petit sa stabilité.
Quand Adénankar et Liouna se séparèrent, le vieux Jardinier des âmes eut encore quelques mots pour elle, dont certains sont parvenus aux oreilles de leurs amis:
«...et pourtant, moi, je me rappelle bien, et je te reconnais parfaitement...»
Avant de clore ce chapitre, il faut préciser que ces gestes d'Adénankar avec Liouna, pour tendres qu'ils aient été, ne sont nullement inhabituels entre éolis et éolines d'un couple différent. Les éolis sont ainsi. Leur totale fidélité dans le couple leur donne cette liberté en dehors, sans aucun risque d'équivoque. De toute façon, pour la tendresse entre éoline et éoli au sein d'un couple, c'est autrement et il n'y a aucune confusion possible.
Aussi, après avoir vu comment les éolis discutent en groupe de toute question collective, il peut paraître incroyable qu'une éoline à peine sortie de l'enfance ait pu prendre seule une aussi grave décision qui scellait le destin de plusieurs centaines d'autres pour des milliers d'années, cela sans aucunement leur demander leur avis.
C'est que son intention était en accord avec les Lois universelles, notamment Aimer et s'Entraider. Elle ne pouvait donc gêner personne, ni être contredite. De toute façon chaque éoli ou éoline était totalement libre en fait de vibrer ou non avec le projet de Liouna. Ceux qui n'y participeraient pas l'approuvaient de toute façon. Pour la question de savoir qui participerait et comment s'y prendre, on verrait. Mais on le ferait, de toute façon.
Cette façon d'agir n'est ainsi nullement en contradiction avec la puissante démocratie directe et immédiate des éolis. Leur formidable capacité d'entente et de communication n'a même pas à entrer en jeu.
C'est bien là, comme on l'a vu, le secret de l'union profonde et indéfectible de tous les éolis d'Aéoliah. Ils se réfèrent tous aux mêmes Lois Universelles de la vie, au même ineffable paradigme de l'univers. Ils ne font pas de leur vie une affaire «personnelle», au sens étroitement égocentrique du terme. Leur vie, leur personne, n'est pas un but en soi, mais un moyen de résonner à l'unisson avec la vie, de vibrer avec les autres, avec l'univers, de s'émerveiller... Libres de tout ce que nous appellerions «intérêt personnel», vibrant au même profond Amour de la vie, ils sont ainsi toujours cohérents sur l'essentiel sans même avoir besoin de communiquer entre eux. C'est là ce que nous appelons Communion, état d'accord profond sur une base commune, qui n'a aucun besoin de concertation ni d'échange d'information, pas même télépathique. Eolis et éolines sont toujours d'accord sur le fond, et ne discutent que pour la mise en pratique, les moyens. Ainsi, un éoli n'a jamais à renoncer à aucune de ses aspirations.
Pour un peu d'Amour, pour un peu de bonne volonté, par le respect du «mode d'emploi» de la vie, et sans même se prendre au sérieux, les éolis sont formidablement libres, sans aucun besoin de ce que nous appelons chez nous la «démocratie» pour garantir cette Liberté... Ils sont également incroyablement unis et efficaces en collectivité, comme nous allons le constater.
Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.
Pour les archives Wayback Machine d'avant Mai 2024, cherchez l'ancien URL:
https://www.planet-eolis.net/nav/eolinav.php?index=1007&lang=fr&e=f
Notice légale et copyright. Sauf indication contraire (signe © dans la barre de navigation) ou exception légale (pastiches, exemples, citations...), tous les textes, dessins, personnages, noms, animations, sons, mélodies, programmations, curseurs, symboles de ce site sont copyright de leur auteur et propriétaire, Richard Trigaux. Merci de ne pas faire un miroir de ce site, sauf si il disparaît. Merci de ne pas copier le contenu de ce site, sauf pour usage privé, citations, échantillons, ou pour faire un lien. Les liens bienveillants sont bienvenus. Tout usage commercial interdit. Si vous désirez en faire un usage commercial sérieux, contactez-moi. Toute utilisation, modification, détournement d'éléments de ce site ou du monde des éolis de maniére à déprécier mon travail, ma philosophie ou les régles morales généralement admises, pourra entraîner des poursuites judiciaires.