Naufragée Cosmique        Chapitre 13       

Chapitre 13

* Doux préparatifs *

Yanathor sort soudain de sa méditation: «Ça y est. Allons prévenir le village.» Ellebon, qui parlait aux oiseaux, tourne délicatement la tête, laissant repartir l’izdar qui perchait sur sa main. Puis il emboîte le pas à Yanathor. Ils laissent derrière eux le petit dôme bleu grand ouvert au soleil. Auranaïa, qui étudiait un peu plus loin dans les bois, les rejoint à l’orée du village.

A cette heure-ci les éolis sont tous aux champs, et le village plein de soleil paraît désert. Comme il est mignon, ce village éoli, fleuri à outrance, net comme un gazon, tout plein de ces naïves maisons-potiron, et d’autres objets poétiquement disposés!

D’un commun accord tacite, il avait été convenu que Yanathor et son équipe de géants ne viendraient aux alentours du village que pour un motif important. C’est le cas. Ils trouvent facilement une éoline amenant sa récolte pour le repas de midi. Son petit coeur saute de joie dans son petit sein en apprenant la nouvelle. Un quart d’heure plus tard, tout le monde est au courant: Aurora est enfin décrochée de cette entité qui la tourmentait. Il est temps de commencer les préparatifs de sa réintégration sur Aéoliah, selon les consignes du Cénacle.

S’en repartant, les Gardiens ne prêtent même pas attention à un petit carré de mousse un peu moins haute qu’au voisinage, seule trace de la pyramide où Nellio a vécu au ralenti pendant douze siècles. La vie chaude et joyeuse a reprit tous ses droits, achevant, par ses parfums et sa Poésie, de dissiper toute trace de tristesse en ce lieu. Fort peu probable de rencontrer Nellio dans les parages! On peut même parier qu’il a dû employer ses talents d’auto-suggestion à effacer tous ces vilains souvenirs de sa mémoire même. On ne lui refera pas le coup!

 

On n’attend pas le soir pour se réunir. Dès la fin du repas de midi Yanathor signale sa présence, dans les bois derrière la terrasse du repas: il chante une sereine mélodie de sa belle et suave voix, en s’accompagnant d’une sorte de petite tempura dont on joue les yeux fermés.

Quand tout le village hurle en choeur «Yanathor! Yanathor!» il consent à s’arrêter et s’amène en faisant mine de demander «Mais quoi? Mais que se passe t-il?»

Quel bel après-midi qui commence de si poétique façon! Le ciel tout lavé par la pluie récente rayonne de son bleu le plus pur, le plus intense, la chaleureuse plénitude de la vie. Quelques mini-cumulus à la traîne cotonnent (il n’y a pas de moutons sur Aéoliah, aussi les nuages ne moutonnent pas, ils cotonnent: logique, non?) Le Soleil tout neuf dispense une nouvelle clarté, la verdure revigorée est plus verte encore, les fleurs plus nombreuses, les oiseaux un peu fous volettent partout, ivres d’azur et de liberté.

«Ah, Aurora! Vous voulez que je vous parle d’Aurora» s’exclame Yanathor, qui fait durer le plaisir. Ellebon et Auranaïa arrivent en musardant. Enfin tous trois s’installent en lotus sur le tapis de mousse qui leur est réservé. Nellio est maintenant parmi les autres éolis, à côté d’Anthelme et Elnadjine.

Yanathor parle enfin. «Bon, vous le savez maintenant: Aurora ne vit plus avec ce personnage qui la tenait en son pouvoir. Elle s’est finalement rendu compte qu’il était dans le mal. Cette fois sa prise de conscience est assez profonde, et sa maîtrise d’elle-même assez grande pour qu’elle puisse purifier totalement son esprit de toute trace d’influence de cet être. En tout cas elle ne risque pas de revenir habiter dans sa maison: il y a un obstacle... de taille! (Oh! Comment il parle de la grosse Martine! Même s’il ne connaît pas le mépris, Yanathor ne mâche pas ses mots. Il a été voir Calcutta, aussi les bedaines passent fort mal.)

«Pour le reste, les anges de la Terre ont tout très bien arrangé pour elle. Ils avaient en fait tout prévu depuis déjà longtemps. Aurora n’aura pas ces étranges «problèmes financiers» qui viennent toujours tout compliquer sur la Terre. Ils ont fait impeccablement leur boulot. Nous on va pouvoir faire le nôtre sans aucune interférence.»

Un silence joyeux accueille d'abord ces révélations. C’est un grand progrès depuis la première venue de Yanathor: Il avait alors clairement laissé entendre que tout n’était pas joué. Maintenant tout est gagné d’avance. Le retour d’Aurora est une certitude, une question de quelque années seulement!

Puis les exclamations fusent, s’entremêlent: «Oh-Yooo Oh! Oh-Yooo Oh! Youpiiii!» puis s’organisent en un chant de joie des éolis, extrêmement dynamique: tout le monde danse en farandole, tournant autour des trois Gardiens. Ces derniers sourient, heureux du bonheur qu’ils ont donné aux éolis. Cela valait bien d’y consacrer quelque mois de leur vie! C’est qu’ils y tenaient tous, à leur Aurora, qui pourtant était si discrète au village...

Yanathor reprend, écouté avec la plus grande attention: «Il faut accentuer les préparatifs. Dès cette nuit avec le groupe de méditation nous verrons un nouveau travail. Ce sera beaucoup plus discret mais très important: il s’agit pour Aurora de purifier, de rééquilibrer son mental terrien et de l’aligner sur l’égrégore d’Aéoliah. Elle ne le sait pas avec son mental terrien mais son âme la guidera, et elle trouvera au fur et à mesure ce dont elle aura besoin. C’est à ça qu’il faudra l’aider et nous devrons chaque soir regarder exactement quel travail sera le plus approprié. Maintenant l’un de nous trois viendra pour cela aux séances.

«Mais il y a un second travail dont je vous avais un peu parlé et qu’il faut maintenant commencer. Il faudrait un petit groupe de quatre ou cinq d’entre vous. Nous allons monter dans le vaisseau.»

 

...

 

Sidérés, les éolis.

Aussi époustouflés que vous, amis lecteurs, si tout à coup quelque dieu venait vous trouver pour vous inviter à visiter l’Olympe.

Ah! Ce Yanathor a l’art de captiver ses auditeurs.

Comme ça, il annonce qu’on va monter dans le vaisseau. Non mais c’est incroyable.

Heureusement encore, c’est le petit, de camping. Justement, il arrive, tout seul.

Les éolis, dans un silence attentif, regardent la petite soucoupe trapue se balancer doucement au-dessus du village, légère comme un oiseau. Rappelez-vous, c’est le petit dôme de camping, bleu mat intense, plat dessous, renflé dessus, comme un petit pain, avec, pour la porte, un creux dans le bord exactement comme si on en avait croqué une bouchée.

Il a quelque chose d’extraordinaire dans son aspect. Sa couleur, si intense, si vibrante, comme une flamme bleue, un feu follet. Il est mat, translucide, mais sa surface ne diffuse ni ne reflète la lumière blanche du Soleil, comme le ferait un globe de verre dépoli: c’est une forme de pure lumière, irradiant de l’intérieur un bleu extrêmement intense, irréel, vivant, émouvant et mystérieux, à nul autre pareil...

Il est maintenant juste à côté de la place du repas.

Yanathor se lève, pose une main sur le rebord de la soucoupe, et l’autre sur sa hanche, décontracté. Ses yeux rient. «Alors, qui veut venir?»

La foule des éolis hésite, goûtant une délicieuse stupéfaction. Puis quelques-uns se lèvent. Anthelme et une flageolante Elnadjine, le coeur battant à tout rompre mais toujours prête à suivre son cher compagnon où qu’il aille, Antonnafachto lui aussi toujours partant pour les expériences les plus bizarres, et sa compagne Miélora pleine d’allant et pas du tout impressionnée, Liouna et Algénio, plus un autre couple que nous ne connaissons pas encore: Iré-é-elle et Balanio. Encore des noms pas de la Terre! En tout cas Iré-é-elle est bien en chair, bien réelle, comme son compagnon peut vous l’affirmer. Gare aux jeux de mots malencontreux: Il est maître ès-voyage astral et autres surprises, et il pourrait bien vous arriver des drôles de trucs, la nuit...

«Huit. Il faudra qu’on vous apprenne à compter un jour, taquine Yanathor. Enfin ça ira. Vaisseau, descend!» Et la merveilleuse petite soucoupe s’abaisse au niveau de ses genoux.

Yanathor tire le rideau qui masque l’entrée, dévoilant un ovale de pure lumière bleue. Quelle beauté fascinante! Le dôme est opalescent, et le joyeux soleil d’Aéoliah y joue comme dans un vitrail.

«Allez hop, on y va», fait-il, avec sa tranquillité incroyablement dynamique. Il monte souplement, en se baissant car la porte est basse comme celle d’une tente. De ses mains il invite les éolis qui s’envolent et franchissent, hésitants, le seuil. Ellebon et Auranaïa entrent en dernier, font un signe d’au revoir avant de tirer le rideau.

Pour les éolis restés sur la place, la stupéfaction est à son comble. Cela s’est passé tellement vite, que malgré leur légendaire esprit d’à-propos, ils sont tous restés cois. Le petit vaisseau de camping se balance doucement pendant quatre ou cinq minutes, puis s’élève et disparaît au Nord par dessus la forêt.

Quand enfin le village reprend ses esprits, il n’y a plus rien à voir, plus de Yanathor ni des autres. Seule reste la bourdonnante présence de l’extraordinaire qui vient de se dérouler juste sous leurs yeux.

 

Mais voyons plutôt ce qui s’est passé dans le petit vaisseau.

Les trois Gardiens se sont assis au centre, entre quelques instruments de musique. Les éolis se sont posés autour, sur le sol moelleux ou sur les instruments.

Ici il faut absolument se défaire de tous les clichés et stéréotypes de la science-fiction sur les vaisseaux cosmiques, leur fonctionnement et leur aspect. Il n’y a que les ovnis, et encore, qui tiennent un peu le coup face à cette réalité totalement nouvelle pour nous. Tout d'abord, une fois entré on a bien l'impression qu'il est nettement plus grand que vu de dehors. L’intérieur du vaisseau-tente est vraiment comme dans une tente, avec trois couchettes et d’autres affaires. Mais au lieu d’être en toile, le dôme paraît être un verre opalescent d’un bleu intense, illuminé en transparence. On s’attendrait à ce que les personnages, éclairés d’une telle lumière, soient tout bleus. Il n’en est rien, et les vêtements et la chair apparaissent de leurs couleurs normales, mais avec une vibration intensifiée et magnifiée. Le sol est également d’un bleu plus mat, plat, mis à part les emplacements couchette en creux. Mais cette matière a de bien extraordinaires propriétés: elle est comme floue, sans surface précise, comme une nappe de brume. Si on y porte la main, on ne ressent aucun contact, seulement une résistance élastique, comme quand on cherche à rapprocher des aimants de même pôle. Si on y marche, elle vous renvoie souplement votre effort, comme un tatami; quant aux couchettes, on y est tout bonnement en apesanteur, juste maintenu en place. C’est d’un moelleux, d’un confort suprême! Aucun risque d’ankylose, aucun besoin de se retourner de temps à autres!

Il n’y a rien pour diriger le vaisseau ni pour commander ses fonctions, aucun instrument, pas le moindre petit cadran, même pas un petit manche de pilotage. Le vaisseau semble obéir à la seule volonté de ses occupants. Il n’y a pas de compartiment moteur ou auxiliaire, et tout l’espace intérieur est habitable. Pas non plus de climatisation: l’air semble émaner de la paroi elle-même, et le souffle n’y rebondit pas dessus! Cette paroi semble solide, et pourtant l’air en vient. Si l’on s’y cogne on s’y enfonce sans dommage, comme dans du sable. Elle ne réfléchit pas la lumière comme le ferait le verre, et serait même parfaitement invisible sans sa pure couleur de vitrail opalescent.

Cela fait beaucoup pour les petits éolis éberlués! Antonnafachto patauge jusqu’aux genoux, en riant et levant les bras. Liouna s’est réfugiée sur le tempura, petite merveille sculptée en feuilles de bois délicates, bombées pour former la caisse. Pas du tout le genre d’objet que l’on trouve dans la science-fiction. Certainement il provient d’un marché de Bombay ou de Bangalore, où Yanathor se sera rendu incognito.

Les trois Gardiens sourient de l’ingénuité des éolis. Quel charmant spectacle! Cette désarmante naïveté est une délicieuse nourriture pour leur âme! Auranaïa irradie doucement sa sublime aura violette. Ellebon est bon. Yanathor observe, totalement neutre et ouvert.

Soudain le dôme devient parfaitement transparent. (Alors que vu d’en bas il est resté bleu). Les éolis se portent le long de la paroi et contemplent le village et leurs amis restés au sol, sur la place du repas. Aucun son n’en parvient plus depuis que l’ouverture de la porte est devenue solide elle aussi. La soucoupe n’a pas encore bougé mais ils sont déjà ailleurs.

Yanathor: «Petits éolis mignons, ce vaisseau n’est pas du tout en matière ordinaire. Il n’est pas formé d’atomes, ni même de champs électromagnétiques ou autres. C’est un égrégore spécial suffisamment fort pour se manifester concrètement. En un tel lieu toutes les pensées et tous les sentiments ont une importance cruciale. Habituellement, quand nous transportons des êtres non réalisés, nous les isolons pour ne pas que leurs pensées incontrôlées ne perturbent le vaisseau. Mais vous, vous êtes capables de discipliner suffisamment votre mental pour ne pas perturber la manoeuvre, et même de piloter vous mêmes, avec un peu d’entraînement. On essaie?

- Oui!

- Oui oui oui!

- Bon, alors doucement. Mettez-vous en méditation. ... Ça y est? Nous assurons, en cas d’erreur, que tout se passe bien. On essaie de monter, dans une vingtaine de secondes?»

Au bout du temps dit, le vaisseau oscille doucement et consent à s’élever petit à petit. Les éolis jubilent, fiers comme un bambin qui apprend à monter à vélo avec papa qui tient le guidon. Quelle joie! Quel rayonnement! Ils glissent maintenant au-dessus des arbres, au dessus de la forêt d’Adénankar.

Soudain l’engin se penche jusqu’à la verticale, sans qu’aucun de ses occupants ne soient renversés.

«Antonnafachto!»

Le vaisseau retrouve à regret son assiette horizontale.

Dehors les arbres défilent maintenant rapidement, puis s’abaissent loin en-dessous. La silhouette élégante du pic de grès rose grossit à toute allure, devient massive. Le sens du danger... Le vaisseau se fige. Yanathor observe toujours, souriant.

Liouna: «On ne va pas rester là. Dans vingt secondes on recommence, et on va sur le sommet du Dil Dézéïr.» Yanathor a un petit rire: ses élèves sont dégourdis! A nouveau le vaisseau s’ébranle et glisse en montant.

Le pic est formé de vastes pans de roche poétiquement galbés, d’un joli rose. Tout à fait au sommet, il y a un petit plat, comme sculpté dans la roche. Ah il en a fallu des chaussettes pour user ainsi le grès dur, au fil des millions d’années! Car les sommets des montagnes sont très fréquentés sur Aéoliah. Les éolis adorent les vastes perspectives et l’air léger des hautes altitudes. Le Dil Dézéïr, très élégant, isolé, en forme de pain de sucre, les attire irrésistiblement, de fort loin à la ronde. Résultat: il y a presque toujours quelqu’un à son sommet, et juste en-dessous les mineurs éolis ont creusé une petite grotte qui sert d’abri, avec toujours de l’eau dans une vasque et des pâtes de fruit, pour ceux qui seraient fatigués d’une telle grimpette.

Actuellement, trois éolis inconnus, vêtus de bleu foncé, et trois éolines, deux en rose et une en jaune d’or, sont assis en lotus face au Nord, comme un vol d’oiseaux. Ils regardent passer le vaisseau avec curiosité, mais sans aucun étonnement.

«Ils méditent. Ne les dérangeons pas»

D’ici la vue est époustouflante, vers Irizdar au Nord, vers la montagne du soir à l’Ouest, et d’autres chaînes lointaines au Sud. A l’Est, le plateau se termine avec le pic, et au-delà s’étendent une vallée sinueuse, puis toute une théorie de collines verdoyantes, puis... L’immensité infinie de la plaine intérieure du Septième Continent, à perte de vue, s’estompant dans la brume turquoise du lointain. Une étendue de forêt gigantesque, d’un seul tenant, intensément verte, trouée de lacs d’émeraude, damassée de nuances différentes. Quelle formidable sensation de liberté, cette ivresse d’air, d’espace et de voyage qui vous saisissent, face à un si vaste panorama!

Cette région d’Aéoliah ressemble beaucoup à celle de la Terre appelée Amazonie, avec aussi des endroits inondés en permanence, et d’autres choses curieuses comme ces rivières dont le cours change de sens au rythme des pluies. Ce Paradis vert, comme l’appellent les éolis, est très habité, et nous irons peut-être le visiter dans un autre récit.

«Yanathor, jusqu’où peut-on monter?

- Comme vous voulez.

- Plus haut, plus haut!» Jubilent-ils comme des enfants.

Dans leur enthousiasme, les éolis propulsent le petit vaisseau jusque dans la stratosphère, bien plus haut que les oies. Soudain les montagnes ne sont plus que des taupinières et l’immense tapis chamarré de la mystérieuse Amazone Aéolienne étend ses moirures à perte de vue, et certains endroits sont tellement fleuris que la forêt en est rose, ou bleue, dorée... Plus au Nord, s’étend une vaste région sableuse, jaune ou vert clair, plus sèche. Dans cette ancienne plaine alluviale surélevée par un mouvement tectonique récent, l’eau s’infiltre et ne ressort qu’au fond des vallées, dont les méandres et ramifications dessinent une résille arborescente, contrastée en vert foncé. Malgré une grande abondance de sable alluvial dans les vastes plaines intérieures des continents Aéoliens, il n’y a que rarement des dunes, le vent étant généralement trop faible, et l’humidité presque toujours suffisante pour que l’herbe fixe le sable.

Le vaisseau monte encore, et ce ne sont qu’exclamations renouvelées devant tant de magnificence. Soudain à l’Ouest la mer paraît. Ils sont maintenant à l’altitude orbitale, et dans le ciel de velours noir, tout piqueté d’étoiles, avec la brume dorée de l’anneau, resplendit un immense Soleil insolent! L’horizon bien courbé est un liseré bleu extrêmement émouvant, d’une splendeur à couper le souffle! Qu’elle est donc belle leur planète! Comme à chaque fois qu’ils la contemplent, ils en ont des larmes de reconnaissance... Mais d'en voir une bien plus grande partie rend ce sentiment bien plus fort!

...

Vu d’ici, le vaste complexe montagneux qui borde le continent à l’Ouest n’est plus qu’un immense tapis aux dessins ondulants et imbriqués, réseaux de couleurs, résilles de blanc, parsemé des taches lisses des nombreux lacs. Un panache volcanique se répand vers le Nord-est. Vers l’Est la perspective de l’Amazone Aéolienne s’arrête sous un immense dais de nuages blancs: l’unique front météo d’Aéoliah, un immense arc reliant les deux pôles, qui tourne indéfiniment autour de la planète. Il fait une rotation par mois environ, dictant le rythme des pluies. Il vient de passer au-dessus du village, et il traverse maintenant l’immense plaine, d’Ouest en Est, non sans musarder et s’éclater en multiples bancs qui suivent curieusement les couleurs du terrain.

«L’espace! Dit simplement Yanathor.

- C’est beau» répond simplement Liouna, bien plus émue qu’elle n’osait le dire.

Tous sont sidérés par ce fantastique spectacle.

Soudain le vaisseau semble tanguer et osciller.

«Nous reprenons le contrôle maintenant, dit Yanathor. Vous êtes un peu fatigués, mais c’est fort bien pour un début. Le plus difficile est de bien travailler en groupe, mais pour ça vous êtes doués.

«Que se passe t-il si les pilotes ne sont pas en Harmonie?

- Le vaisseau devient ingouvernable. Ce pourrait même être très dangereux, il ne pourrait plus garder sa forme par exemple, et il laisserait fuir l’air. Il est très important au départ d’avoir un bon égrégore de groupe. Maintenant nous allons redescendre».

 

Nouvelle surprise! L’espace disparaît soudain, sans aucune transition, laissant instantanément la place au paysage connu de la grande vallée entre le village et Irizdar, avec son immense falaise lisse de grès jaune et sa cascade qui se résout en pluie sans atteindre le sol.

«Mais à quelle vitesse incroyable...

- Quelle vitesse? Questionne Yanathor. Il n’y a pas de vitesse. L’intérieur du vaisseau était en rapport avec un point de l’espace situé en orbite. Nous avons changé cette relation, et l’avons mise au dessus de cette rivière. Il n’y a pas eu de trajet intermédiaire. Donc pas de vitesse. N’essayez pas encore, c’est plus délicat.

- C’est comme dans l’astral, remarque Anthelme.

- Exactement. Ce sont les mêmes phénomènes, mais l’égrégore du vaisseau est tellement puissant qu’il entraîne la matière de vos corps avec. Rappelez-vous l’unité fondamentale de toute manifestation: cet univers physique, malgré sa densité et sa persistance, est aussi une création de l’Esprit, au même titre que tous les mondes fugaces et malléables de l’astral ou des rêves. Il obéit aux mêmes lois fondamentales; seulement il est beaucoup moins malléable pour notre pensée et notre désir personnels. Seuls de grands êtres auraient la force de le modifier, mais ils ne le font que dans des circonstances exceptionnelles. Ce vaisseau est une sorte d’amplificateur de la volonté, qui nous permet les déplacements hors des lois de la matière ordinaire.

- De quoi est-il fait? Demande Algénio.

- De rien. C’est un égrégore. Il peut agir sur la matière, pour par exemple la repousser si on s’en approche (il toque la paroi du doigt. On n’entend rien d’autre que le petit choc sur la chair) ou pour produire, si on le regarde, les ondes lumineuses qui correspondent aux images que l’on veut lui faire montrer: celle du vaisseau, vu de dehors, ou les scènes des différents lieux, vu de dedans. On pourrait imiter parfaitement des matières ordinaires, comme du bois ou du verre teinté. Nous avons préféré le faire de pure couleur. On peut même le rendre totalement invisible, sans aucune difficulté, puisque de toute façon il n’est pas là

Les éolis contemplent Yanathor, un peu incrédules. Il sourit. Il n’en dira pas plus aujourd’hui.

Le vaisseau descend doucement, vers la rivière. Soudain le bruit de l’onde rapide leur parvient, exactement comme si la paroi avait soudain cessé d’exister, avec les chants d’oiseaux du voisinage et même la fraîche brise qui toujours souffle ici. Suprême délice de Liberté! Le vaisseau se cale à trente centimètres au-dessus d’un petit seuil rocheux dépassant la surface, près de la rive.

Ils sont au coeur d’un fantastique paysage, d’une beauté sauvage, d’une puissance inexprimable. La plupart des éolis ne sont jamais descendus dans cette profonde vallée, ne faisant que la survoler en route pour Irizdar.

Au Nord, la formidable falaise de grès jaune les surplombe, toute illuminée de soleil. Le panache de la cascade scintille. Vu d’ici, elle est encore plus énorme, au-dessus encore d’une série de contreforts intensément verts, qu’elle domine de sa masse compacte. Par endroits émergent des blocs effondrés de plus de cent mètres d’arête.

Au Sud, Les contreforts du plateau, noyés d’ombre verte, escaladent le ciel par ressauts successifs coupés de bancs rocheux bruns. Dans les ravins obscurs, profonds et mystérieux, palpitent des écumes de torrents.

A l’Ouest, mauve par la distance, le massif de la Montagne du Soir surplombe la vallée. A l’Est, cette dernière disparaît derrière un coude.

Le fond de la vallée est relativement plat. La rivière qui y coule est assez importante, moutonnant sur des seuils de roche brune, charriant inlassablement des bancs de sable qu’une végétation aquatique tente sans cesse de conquérir.

Toute cette région vibre d’une beauté grandiose qui étreint les coeurs. Les éolis ont de petits sanglots d’admiration. Quel Bonheur! L’intensité et la fraîcheur de leurs sentiments jamais ne s’émousse et toujours se renouvelle! Chaque merveille, chaque joie les surprend toujours comme pour la première fois!

Ici comme ailleurs, le fond en auge de la vallée est couvert d’arbres; mais ils n’ont pas de fleurs comme sur le plateau ou en plaine. Ils couvrent des sous-bois d’arbustes et de lianes violettes, impénétrables et mystérieux. Par endroits cette sylve plonge ses racines jusque dans la rivière, lançant au-dessus des eaux de majestueuses arches aux profondeurs obscures, emplies de lianes aux fleurs envoûtantes. Ailleurs, elle s’abaisse progressivement, laissant dans les bras morts une prairie de graminées des sables, ou des herbiers de joncs, phragmites et nénuphars.

D’étranges oiseaux vivent ici, généralement de grande taille, ressemblant à des canards, des avocettes, des grues. Ils s’égaillent le long des bras morts, parfois en troupes si compactes qu’on ne pourrait marcher entre eux. Ils se nourrissent des graines des plantes aquatiques, ou de certaines mousses et herbes. Dans la forêt résonnent des cris joyeux ou étranges, entrecoupés de silences où seul le flot pressé de la rivière se fait entendre, au passages des seuils. Parfois des troupes d’oiseaux s’envolent massivement, sans cause apparente, dans le puissant grondement de milliers d’ailes.

Dans l’eau vivent des êtres aquatiques inconnus sur Terre, des anémones, des mollusques, et bien sûr des poissons de toutes tailles et de toutes couleurs.

Dans ce genre d’endroit au puissant magnétisme, les éolis n’y vont que rarement, ou pas du tout. C’est le domaine de la Nature souveraine, des esprits des lieux, des animaux. Iraient-ils pour quelque motif, qu’ils n’y construiraient rien de permanent. Bien entendu les Gardiens Cosmiques respectent ces dispositions.

 

Tout le monde est sorti du petit vaisseau, les éolis posés sur la longue roche, Yanathor et ses amis pataugeant joyeusement dans l’eau jusqu’aux mollets. Ils enlèvent leurs tuniques...

Rien de tel qu’un bain de rivière pour communier avec cette fantastique nature! Et les voilà qui plongent et s’ébrouent, lançant des gerbes luisantes. Yanathor nage avec vivacité sous le flot rapide, vers les profondeurs, tandis qu’Ellebon et Auranaïa, de l’eau jusqu’à la poitrine, attirent les poissons et leur parlent. En un rien de temps, plusieurs centaines leur tournent autour, et l’eau bouillonne de leur joyeuse présence. Certains sautent à plus de deux mètres, et arrivent à retomber sur les deux amis qui rient aux éclats!

Yanathor surgit de l’onde, sur l’autre rive, avec des gestes joyeux, parmi les roseaux. Il monte sur un tronc couché et caresse de superbes oiseaux roses qui nichent là. Ils répondent par des cris curieusement aigus pour leur taille, qui font rire les éolis.

Ces derniers, encore très intimidés par leurs grands compagnons, hésitent un peu avant de les rejoindre. Ils se glissent dans l’eau peu profonde, entre la roche et la rive, pour ne pas être gênés par les vagues ni par le fort courant. Ici l’eau est plus tiède, parfaitement transparente sur un fond de sable jaune, tout piqueté de points bleus: de petits mollusques, plus d’adorables vers roses, et encore des anémones violacées ou vertes. Ces dernières se nourrissent en capturant des algues en suspension, et elles sont assez fortes pour attraper la main d’un éoli. C’est en tout cas le nouveau jeu d’Antonnafachto et Anthelme. Ces petits animaux-fleur sont si passionnants!

Yanathor reparaît de ce côté, souffle, s’ébroue, puis s’assied sur la roche.

«C’est beau ici, petits éolis. Vous n’y venez jamais? Qu’est-ce qu’on est bien!»

Comme à son accoutumée, Elnadjine flotte sur son immense masse de cheveux plus clairs que sa peau. Iré-é-elle et Balanio se poursuivent dans les herbes en riant, puis tombent sur le nid d’une sorte de grue. Etonnés de trouver de si gros oeufs, ils regardent les grandes grues au-dessus d’eux et les félicitent. Les nobles oiseaux abaissent leurs têtes couronnées d’une aigrette d’or. Elles gloussent et se laissent caresser leur aigrette...

Algénio est intrigué. «Yanathor? Parfois en passant par ici, on voit des choses rouges ou d’autres couleurs, sur le bord de la rivière, ou sur des îles: qu’est-ce que c’est?

- Ma foi, je n’en sais rien. En tout cas ce n’est pas nous, nous ne venons que depuis peu, et notre vaisseau est bleu. Peut-être des habitants de quelque planète voisine qui visitent ce lieu étonnant, comme nous.

- Je ne pense pas. En plus les esprits des lieux ne veulent rien nous dire. Ils se marrent, c’est tout. Si ça avait été des promeneurs, Ils n’auraient pas manqué de protester et de leur faire des farces, tu sais comment ils sont, surtout les grands esprits de la rivière.

- Ah, pourtant les esprits des rivières sont plutôt coulants, c’est bien connu. En tout cas, ce n’est rien que de Bien, en tout cas, puisque cela ne nous a jamais été signalé. C’est la première fois que nous personnellement travaillons sur Aéoliah. Que voulez-vous, on ne vient pas souvent ici, tout y va toujours pour le mieux chez vous! L’eau était délicieuse.»

Eh oui, amis lecteurs, c’est ainsi: les éolis ne savent pas tout ce qui se passe sur leur propre planète. Ils y habitent, mais en aucun cas ils n’y sont installés en conquérants avides de plier la nature entière à leurs lois. En plus des mystérieuses visions qu’a signalé Anthelme, on entend parfois dans cette vallée d’étranges et fort belles notes de musique, dont personne ne semble connaître l’origine. Ce lieu ferait un fantastique site hydroélectrique, il recèle du fer, du cuivre et même un peu d’uranium. Mais personne n’y touchera jamais. Tout au plus les éolis se contentent-ils de prélever d’infimes quantités de minéraux colorés pour leurs peintures ou pour quelques joyaux. Et trouver une de leurs mines est sans doute la chose la plus difficile qui soit sur Aéoliah.

Après un silence; Yanathor reprend:

«Vous ne recevez jamais d’extra-Aéoliens dans votre village?

- Non, jamais dans les villages, mais parfois, à Irizdar...

- Vous savez bien que le portail doré d’Irizdar est assez grand pour que des humains y passent à l’aise.

- En tout cas à Irizdar ils disent tous que ce sont des éolis qui l’ont creusé, pareil pour la galerie de l’orgue. Et celle-là, aucun humain ne pourrait y passer.

- Que voulez-vous, amis éolis. Si c’est un secret, alors je ne sais pas, ha ha ha!»

Yanathor se tourne, monte sur la roche, s’étire, contemple les formidables montagnes, au-dessus. Son regard s’arrête sur la cascade qui ne retombe nulle part. Les éolis s’aperçoivent alors que sa peau bleue est tout à fait sèche! Elle frémit, les muscles roulent et vivent dessous, attentifs aux moindres mouvements, le souffle la soulève régulièrement, il en émane une intense vibration de vitalité, de puissance, de Liberté, de chaleur, de Douceur. Mais elle est totalement sèche et propre, malgré le bain récent.

Le corps des Gardiens Cosmiques est-il un véritable corps de chair, matériel, ou une projection de l’esprit, comme leur vaisseau? Ou quelque état intermédiaire?

C’est Anthelme qui se pose de telles questions, mais il est loin d’être le seul. Sûrement le corps des Gardiens n’est pas de banale chair, il a tant de propriétés extraordinaires. Il doit être immortel, et sans doute aussi invulnérable. Mais s’il n’est pas de chair, alors... pourquoi mangent-ils? Ils le font même en l’absence des éolis, comme ont pu le constater ceux qui sont allés à leur camp. Pourquoi, si ce corps est aussi une pure création de l’esprit, pourquoi Yanathor a t-il... un nombril? Ne riez pas, amis lecteurs, ce sont là des questions qui ont une portée métaphysique.

 

Sans que personne ne se soit concerté, ils convergent tous vers leurs habits, vers le vaisseau.

 

Un petit détail aura sans doute intrigué certains lecteurs: l’absence totale de galets et même de gravier dans la rivière. On n’en rencontre que très rarement sur Aéoliah, même sur les plages. Alors que sur Terre il y en a partout, sauf dans les vastes plaines comme en Amazonie ou en Chine. C’est parce que le débit des rivières Aéoliennes est sensiblement constant, en tout cas ne connaît pas de crues, et surtout pas les gigantesques déluges immémoriaux qui, sur la Terre, ont façonné beaucoup de nos vallées à fond plat. Aussi la plupart du temps les rivières Aéoliennes se contentent-elles de charrier du sable ou du limon, et elles mettent fort longtemps pour se creuser une vallée. D’où aussi le grand nombre de lacs, de cascades, que les rapides mouvements tectoniques creusent ou élèvent en permanence, trop vite pour que les rivières puissent trouver un profil d’équilibre. Tant mieux: la Poésie ne fait qu’y gagner!

 

Le retour au village est triomphal: les éolis sortent du vaisseau, en volant, car il reste à quelques mètres en l’air. Puis... il disparaît sur place, avec les trois gardiens toujours à l'intérieur!

«Oyooooh! Oyoooh! Où êtes vous allés?

- Dans l’espace! C’était super!

- Dans l’espace! Ils sont allés dans l’espace!

- Ouais! On a vu l’anneau et les étoiles! En plein jour!

- Et qu’est-ce que c’était beau!

- Avec les yeux, pas en astral!

- Après on a été à la grande rivière, dans la vallée! Balanio et moi on a caressé les grues qui font des oeufs tellement gros qu’on ne peut même pas les soulever!

- Oui oui, les Gardiens ils se sont baignés aussi, comme nous, mais dans la grande rivière, en plein courant!

- Pas un problème pour eux, même avec le courant et les vagues.

- Moi j’ai mis la main dans une anémone!

- Il y a mis le bildolio aussi, sacré Nafachto.»

Rires et exclamations ponctuent ce récit, délicieusement en désordre, mais si poétique. Ah ces éolis... !

Rapidement ils se dispersent à nouveau dans les champs et les ateliers, heureux de cette merveilleuse visite. Elle ne leur a pas monté à la tête, et ils n’en oublient pas de s’activer! Ils sont émerveillés, enthousiasmés, mais pas le moins du monde excités. Et c’est avec particulièrement d’amour que cet après-midi-là sont pomponnés les gentils pomminis, mulchés et désherbés les mangiammes, triées les balles de coton. C’est presque trop tôt que le Soleil vient caresser les croupes de la Montagne du Soir, et que, dans la tiédeur tranquille du jour finissant, les éolis se retrouvent à nouveau ensemble sur la place des repas, entre les grillons et les poétiques eyerlis.

Juste cette soirée se prolonge un peu plus tard: on y commente avec moult détails les événement du jour et les étranges révélations de Yanathor sur les vaisseaux cosmiques, entre quelques doux chants et violons.

 

 

Petit groupe par petits groupes, bientôt le village presque en entier est initiée aux joies de l’espace, et plutôt plusieurs fois qu’une.

Une fois Anthelme demande à visiter un trou noir.

«Oh! Tu veux vraiment voir ça?

- Oui. On peut?

- Si tu veux, mais nous piloterons. Tu le sais: ce n’est pas un endroit où il pousse des fleurs.»

Aussitôt les trois Gardiens se concentrent. La forêt et les roches ovoïdes des rebords du plateau disparaissent soudain pour une profonde obscurité. Le temps pour leurs yeux de s’accoutumer et ils voient: dans le noir espace interstellaire, seules brillent les étoiles. Il y en a tout autour, dessus, devant, derrière, et même, étrange et déroutante sensation, «sous» le vaisseau... Où sont-ils? Pas de soleil ni de planète en vue. Le vide. L’obscurité totale du Cosmos. Aucune constellation connue. Totalement isolés dans une immensité inexplorée, avec pour seule compagnie la lointaine et froide lueur des étoiles.

«Où est-il, le trou noir?

- Là devant: On approche.»

Le temps de repérer «devant» (rien ne bouge dehors) et ils aperçoivent une étoile brillante, bleutée, scintillant comme un arc électrique.

Au fur et à mesure qu’ils s’approchent se révèle un fascinant spectacle. Le scintillement est entouré d’un disque rougeoyant, comme l’anneau d’une planète, mais il frémit, oscille par à coups imprévisibles, accompagnés de phosphorescences violettes. Il tourne, de plus en plus vite en s’approchant du centre, de plus en plus brillant, chauffé au rouge puis à blanc. Mais le scintillement lui-même provient de plus au centre encore. De ce point de lumière partent deux rayons violets pulsants, parfaitement rectilignes, qui irradient de chaque côté en formant un angle de soixante degrés environ avec le disque, puis se perdent à l’infini. Yanathor commente: «Nous avons choisi celui-ci car il niche dans une région particulièrement riche en gaz et en poussières interstellaires, qu’il absorbe non sans les avoir chauffés au delà du possible. Ce sont eux qui font ce tourbillon, le trou noir lui-même n’est pas encore visible d’ici.»

Déjà, alors que cette vision n’occupe encore qu’un petit coin de ciel devant eux, leur en parvient, à travers les parois de leur vaisseau, une vibration lourde, âpre, rauque, qui s’enfle à leur approche, accompagné d’un sourd crépitement: les ondes gravitationnelles émises par le monstre, parfaitement audibles quand elles ont suffisamment d’énergie pour ébranler l’air de leur vaisseau.

Cette fois nos amis découvrent un endroit où les lois courantes de l’univers n’ont plus cours, une sorte de fin du monde, porte de l’enfer, abîme incandescent, intense vibration de catastrophe, violent et imparable comme la foudre, noir et âcre comme les ravages du feu...

Comme ils s’approchent du monstrueux tourbillon, la transparence du vaisseau diminue. Heureusement, car ils abordent maintenant une fournaise, un ouragan éblouissant de protons et d’électrons, lançant flammes et bourrasques incandescentes autour d’eux. Jamais aucun vaisseau matériel n’aurait pu y survivre!

Le centre du disque tournoie à une vitesse vertigineuse, et le tintamarre grandit encore. Ce cyclone cosmique de temps à autres s’exacerbe, lance des volutes et des éclats à l’entour, puis se reforme, sous l’attraction infernale, inexorable, de l’astre mort.

Du feu central émerge ce qui semble d’abord une sphère obscure, à moitié cachée par le disque. Ce dernier est bizarrement plié à cet endroit comme si la sphère l’avait entraîné dans un basculement. Mais les éolis ne sont pas encore au bout de leurs surprises. Il leur faut attendre d’être assez près pour bien comprendre ce qui se passe...

(Note de l'auteur: La description de trou noir qui suit a été écrite en 1989. Eh oui, les capacités de visualisation du cerveau humain peuvent être aussi puissante que les méga-ordinateurs gavés d'équations relativistes! Je ne l'ai pas modifiée à dessein, même si cela ne correspond pas exactement aux résultats plus récents)

Ce qui semble une sphère totalement noire est, comme on l’aura compris, l’horizon du trou noir, mais ce n’est pas une boule de matière: là l’espace lui-même est déformé par l’effroyable champ gravitationnel qui y règne! Imaginez un dessin sur une toile élastique, dans laquelle nous enfonçons un objet rond, jusqu’à y faire un trou: sur le bord du trou le dessin est déformé, étiré, comme un paysage à travers une de ces anciennes vitres avec des bulles à l’intérieur du verre. Un effet d’optique somme toute banal par son aspect, mais prodigieux par sa catastrophique origine.

L’obscurité centrale ne semble pas être une sphère solide, mais un orifice, un trou, tout empli de ténèbres mystérieuses et effrayantes, comme la gueule d’un four ou l’entrée d’un gouffre. Et c’est bien d’un gouffre insondable qu’il s’agit, puisque rien de ce qui y tombe n’en ressortira jamais...

Vue de près la simili sphère noire est comme Saturne avec son anneau. Elle ne paraît pas tout à fait ronde d’ailleurs, comme un oeuf couché dans le plan de l’anneau. La portion de cet anneau qui passe derrière est déformée, déviée autour du rond noir, au lieu de disparaître derrière. Comme il tourne très rapidement, l’effet est spectaculaire, à couper le souffle.

Le disque n’est pas homogène, il est parcouru de tourbillons plus petits, qui continuellement se mêlent, explosent, se reforment, éjectent des lambeaux qui s’étirent et se rassemblent en une ronde vertigineuse. Certains passent devant la sphère obscure, si près que leur trajet est lui aussi déformé par la proximité de l’horizon, si vite qu’on n’en aperçoit plus que des traînées éblouissantes qui se contorsionnent follement avant de se terminer par un dernier flash thermonucléaire.

Ajoutez-y un grondement de cataracte, de maelström, un charroi d’énormes rocs dévalant une montagne, ponctué de détonations et de crissements terrifiants, et voici la déroutante et pathétique vision à laquelle sont confrontés les émouvants petits éolis d’Aéoliah.

Ah ça non, il ne pousse pas de fleurs ici! Quelle colossale et effroyable vibration! Et encore, il ne s’agit que d’un petit trou noir stellaire, Yanathor ne leur a pas montré un quasar... Brr... Il est vrai que le quasar d’Aéoliah est éteint: non pas qu’il n’existe plus, mais il est maintenant tellement énorme qu’il avale des étoiles entières sans rien en laisser réchapper. Déroutante matière, dont les lois sont si différentes de celles de la vie...

Anthelme réalise soudain que l’horizon, la gueule de ténèbres béante, leur cache maintenant la moitié du ciel: ils sont presque au point de non-retour.

«Mais... Yanathor...

- Ne t’inquiètes pas. Nous ne sommes pas en ce lieu. Nous ne faisons que le voir.»

Comme ils franchissent l’horizon, un calme étrange succède à ce chambardement. L’anneau est maintenant derrière, comme s’il était vu à travers une fenêtre ronde. Devant et tout autour, c’est une ténèbre totale. Instinctivement les éolis regardent en direction du centre. Mais ils n’y voient rien. Aucune lumière ne viendra jamais de là. Mais, plus sur la gauche, qu’est-ce donc? Un anneau de lumière, semblable à celui qu’ils viennent de traverser, mais bizarrement déformé, inversé: il semble se dilater, accélérer de l’intérieur immobile vers l’extérieur tourbillonnant, lançant des tentacules vers eux. Comme ils avancent, un autre anneau plus petit apparaît aussi, plus près du centre, encore plus déformé, puis un troisième, réduit à une vague lueur scintillante.

«Voilà: ce que vous voyez ici n’est qu’une illusion d’optique relativiste. Ce sont des reflets de l’anneau extérieur, inversés dans le temps, entortillés autour du centre par la rotation qui entraîne même l’espace. Le véritable centre, vous ne le verrez jamais, même depuis notre vaisseau: Ce qui s’y trouve ne peut se traduire en sensations compréhensibles par vous. Maintenant il vaut mieux ne pas trop s’attarder dans ce cadavre d’étoile: les vibrations n’y sont pas très bonnes.»

Comme toujours avec la fulgurante vivacité des Gardiens les revoici instantanément dans le chaud soleil et la délicieuse verdure du plateau, sur Aéoliah. En bas, gros comme des têtes d’épingles, les éolis et les éolines s’affairent aux jardins ou sur les placettes du village. Eternelle vision de doux Bonheur, qui dissipe rapidement l’abasourdissement des instants précédents.

 

Tout de même, Algénio est étonné d’entendre que le vaisseau est entré dans un trou noir, lieu dont normalement aucun objet matériel ne peut réchapper. Un peu plus tard, lors d’une autre sortie, il demande à Yanathor:

«Comment peut-on être dans un endroit avec le vaisseau, sans rien subir de ce qui s’y passe?

- On n’y est pas, dans cet endroit. Par exemple on n’a jamais été «dans» le trou noir. Simplement la paroi du vaisseau a restitué des ondes lumineuses et des images exactement comme on les aurait vues en ce lieu.

- C’est matériellement impossible!

- Pour l’esprit c’est très facile. Comme le vaisseau est fait d’esprit...

- Mais où étiez-vous, alors? Du village on ne vous voyait pas.

- Nous n’étions nulle part. L’intérieur du vaisseau emporte avec lui une petite portion d’espace, complètement isolée du reste de l’univers. Quand on est arrivé et que la porte se rouvre, alors la portion d’espace intérieur est reconnectée avec l’espace du lieu d’arrivée. Mais entre temps on n’est nulle part, exactement comme un nombre ou un rêve ne sont nulle part. Ainsi, il n’y a pas de lieu privilégié pour se reconnecter dans l’univers et on peut le faire absolument où l’on veut, à l’époque que l’on veut. Regarde.» Aussitôt le vaisseau, qui planait au dessus du village comme à l’accoutumée, s’ébranle à bonne vitesse en direction du Dil Dézéïr.

«Eh attention, on va s’écrabouiller!

- C’est ce que tu penses, mais ton sens du danger t’a t-il averti?

- Non. Mais...»

Le pic de grès rose grossit, envahit le ciel, des lianes fleuries à mi-pente se précipitent... Une dernière vision de roches bondissantes et c’est le noir total.

«Mais que...»

Les revoici de l’autre côté, dans l’ombre verte, avec l’immense vue de la forêt d’émeraude vers l’Est.

«Ça alors, on l’a traversé!

- Mais ce n’est pas possible!»

Yanathor et les autres Gardiens rient de ce naïf étonnement.

«Décidément, c’est exactement comme en astral, commente Niouline qui est de ce voyage. Mais en plus on emmène le corps et ce qu’il y a autour. Figures toi, Yanathor, que je m’y attendais, et que je n’ai pas du tout été surprise de traverser la montagne!

- Bravo!

- C’est que j’ai l’habitude, toutes les nuits je sors en astral.» Elle se tait soudain, rougissante de modestie, comme si elle en avait trop dit. Pourquoi cette silencieuse éoline fréquenterait elle donc si assidûment l’astral? Encore un mystère éoli, sans doute passionnant, mais Niouline n’en dit pas plus. Même les Gardiens n’en sauront rien. Ils ne cherchent d’ailleurs nullement à percer son secret.

 

Mine de rien, avec quelques vols par semaine, une bonne partie des éolis du village, dont tous ceux que nous connaissons, se trouvent bientôt familiarisés avec le maniement du petit vaisseau. Oh bien sûr ils sont loin de pouvoir le piloter tout seuls, et d’ailleurs là n’est pas le but des Gardiens. Piloter et utiliser en routine un vaisseau cosmique demande une solidité d’esprit, une force, une concentration, que les éolis n’ont pas forcément. Nous, Terriens, en serions bien incapables, avec nos pensées et rêvasseries continuelles dont la plupart d’entre nous ne contrôlons même pas le cours!

Il faut voir les Gardiens piloter: Ils sont assis, immobiles, se concentrent. Même si Yanathor commente pour les éolis, leur pensée commune a la puissance massive et ordonnée d’un embiellage de locomotive et la fluide précision d’un ballet sidéral. Le but des Gardiens n’est pas vraiment d’apprendre aux éolis à piloter, mais bien de pouvoir les faire monter dans leur vaisseau-mère et de les y laisser libres, sans avoir besoin de les isoler ni de les surveiller. C’est tout de même un beau cadeau, n’est-ce pas? Le moment venu, il aura son utilité.

 

Il ne faut pas croire que ces vertigineuses perspectives montent à la tête des éolis. Pas du tout. Quand c’est l’heure de pirouetter dans l’espace, ils vont pirouetter dans l’espace, mais quand c’est l’heure de jardiner, ils jardinent, avec tout autant d’enthousiasme, à coeur perdu.

Voici Algénio, qui revient de la forêt avec Nellio. Tous les deux sont chargés comme des baudets, de feuilles mortes. C’est qu’ils sont costauds, ces éolis. On voit deux meules qui avancent, en rigolant, sortes de champignons à pattes.

Le rire, c’est Nellio. Il y avait si longtemps qu’on n’avait entendu son rire franc, clair et calme comme le matin! Quelle douce émotion, pour Algénio, de retrouver son ami. En ce moment, il n’en voit que les jambes, devant lui: le reste est couvert de feuilles.

C’est comme une belle histoire interrompue, un peu oubliée, un peu jaunie, et qui soudain reprend son cours, pimpante et claire, chaude et prenante. Et puis ces bois sont si beaux! Les immenses fûts droits comme des I grimpent loin au-dessus d’eux, vers les frondaisons d’un vert tendre et sensuel d’où redescendent des grappes généreuses de fleurs odorantes. Dans cette cathédrale de verdure résonne la chorale des oiseaux, tendres chantres de la vie et de la Poésie! Les feuilles mortes, sur Aéoliah, ne jaunissent pas: elles sont d’un vert passé. Elles tombent en petites quantités, mais continuellement, car les arbres sont tous à feuilles vivaces. La mousse les recouvre vite, aussi le sous-bois est-il toujours un gazon de mousse net et frais, et il n’est pas rare d’y trouver des tapis de pétales odorants, qui tombent doucement en pluie des hautes frondaisons.

Pas de souci, pas de crainte du lendemain, pour les éolis: à chaque seconde, résonne quelque part la dégringolade d’un fruit mûr suffisant pour dix repas. Ils pourraient même manger les mycéliums qui courent sous les feuilles mortes.

Le chemin que suivent nos deux amis serpente entre des plantes des sous-bois. Ils portent leurs feuilles dans de grandes hottes faites de quelques brins d’un osier très fin, une herbe courante sur Aéoliah. Les bretelles en sont d’une sorte de chanvre, cousu en bande au lieu d’être toronné comme une corde, puis enveloppées dans le tissu du dossard. La charge se porte haut, pour bien se répartir sur le porteur et ne pas le fatiguer. Une technique simple, naturelle et efficace.

Algénio est heureux, heureux d’être avec son ami, heureux de sentir les parfums des champignons et du terreau, heureux de vibrer à l’unisson des compagnies d’oiseaux qui chantent éperdument au-dessus d’eux. Il chante lui aussi, une de ces rengaines joyeuses et sereines que les éolis se transmettent depuis trois milliards d’années sans jamais s’en lasser.

Soudain Nellio se retourne en pouffant:

«Tout de même, ici il pousse des fleurs!

- De quoi de quoi?

- Au moins ici c’est poétique, c’est pas le trou noir!

- Ah ça tu l’as dit. Cette histoire de trous dans l’espace qui mangent tout et ne rendent jamais rien, ça n’est pas du tout dans les Lois Universelles. Si au moins ils redonnaient des sortes de débris, qui iraient fertiliser quelque part. Mais non, même pas ça.

- Si, ça doit bien servir à quelque chose. Les étoiles en mourant elle redonnent des éléments qu’elles ont fabriqué en leur sein et en explosant elles fertilisent l’espace avec, exactement comme nous quand on fait du compost.

- Oui, je sais: l’azote, le carbone et l’oxygène dont toute vie est faite, l’aluminium de nos os...» (Eh oui, amis lecteurs, les os des éolis sont faits de fibres de carbone noyées dans un alliage d’aluminium et de silicium! Voilà qui contribue à l’extraordinaire légèreté du corps éoli, qui ne concède rien à la solidité. Quelle merveille la vie Aéolienne a t-elle été créer!) (Note de l'auteur: ceci a été écrit en 1989, 20 ans avant le film «Avatar»). Algénio continue: «Plus toutes les roches et minéraux, l’or et tous les oligo-éléments sans qui la vie ne pourrait pas fonctionner... Alors, après tout ce travail, les étoiles elles peuvent bien laisser ce machin en mourant.

- Moi je croyais qu’après l’explosion il ne restait rien.

- Effectivement certaines supernovas ne laissent rien du tout. Mais d'autres font des trous noirs ou des pulsars.

- Peut-être que ça sert à avaler toutes les mauvaises vibrations, pour que l’espace soit toujours propre. As-tu remarqué comme on est bien, là-haut?

- Oui, on se sent plus aérien, plus... Comment dire? Plus mauve, plus vaste.

- Yanathor a dit que bientôt on ferait des méditations dans le vaisseau. Ça serait super!

- Piloter c’est déjà une méditation.

- Je suis content: Hier je suis allé au camp des Gardiens et Yanathor m’a parlé d’Aurora. Il dit que maintenant qu’elle n’est plus avec l’entité il peut nous raconter ce qu’elle fait.»

Aurora! Un vieux réflexe ressort chez Algénio: ne pas en parler à Nellio. Mais si Yanathor le fait... Pendant un instant, Algénio fait le vide mental, relâche tout attachement ou conflit avec ses pensées, puis se visualise libre, joyeux et serein pour parler d’Aurora. Ainsi, comme lui a expliqué Nellio, il peut reconnecter ses cellules nerveuses pour effacer le réflexe conditionné devenu inutile et s’en débarrasser. Quant à Aurora, nous verrons ce qu’elle fait aux chapitres suivants, car pour nous sur Terre c’est un peu plus compliqué que pour les éolis.

Toujours chantant ou devisant, ils arrivent aux tonnelles, que les porteurs de feuilles contournent par un chemin spécial pour ne pas continuellement déranger la tranquillité biblique de ce lieu.

Sur la place des repas ils croisent leurs amis, puis continuent vers les terrasses du village. Enfin ils vident leur chargement et l’étalent soigneusement entre des cotonniers. Pour cela il faut aller sous les épais arbustes, c’est un jeu toujours aussi rigolo, car on ne sait jamais exactement quelle farce on va trouver dans ce dense feuillage où l’on n’y voit rien. Blof! Une énorme chenille verte! Faut-il la sortir? Non, elle ne veut pas.

«Ça fera la farce pour les suivants.

- Mais au fait, Algénio, Qui c’est qui l’avait mise, au début, la chenille?

- Ben euh... Mais c’est nous! OUAH AH AH!

- HO HO HO! Celle-là elle est bonne! On s’est fait prendre à notre propre farce!

- Je t’assure, je n’y pensais plus du tout!»

Ils en tombent sur le derrière, tellement c’est drôle. Toujours aussi drôle, faut-il préciser, car ce n’est pas du tout la première fois que ça leur arrive! Mais chut: ne rien dire, voici les suivants. Filons vite, après avoir bien remis la chenille en place.

 

Après le repas, nous retrouvons Anthelme et Elnadjine, Nellio, Liouna et Algénio, parmi tous les autres éolis plus anciens, dont on ne les différencie plus. Il y a là Antonnafachto et Miélora, Landernako et Niouline, les peintres, Sélina et Sélinao, Iré-é-elle et Balanio. Iré-é-elle est une des plus belles éolines du village, blonde vêtue de bleu pastel, à la fois vive et délicieusement poétique. Souvent elle chante, le soir, le regard perdu dans l’outremer du ciel où s’allument les premières étoiles. La nuit éoline tombe doucement, tandis que monte le grand silence: curieusement, ce soir, on n’entend aucun grillon. Seul un lointain oiseau de nuit lance sa poétique complainte de temps à autres.

Le soir est le moment où, après une journée bien remplie dans le plan concret, une journée de Service et d’amitié, on s’ouvre à l’Infinitude de l’univers, dans le calme et la tranquillité propice. Les yeux brillent des dernières lueurs du jour qui meurt, ou de la douce clarté des fleurs-lumière.

La veille, Nellio n’est pas venu au repas, puisqu’il était resté tard au camp des Gardiens. Mais grâce au téléphone éoli, tout le monde sait qu’il a eu, le premier, des nouvelles d’Aurora. Sans rien dire, tous les éolis font cercle autour de lui. Il n’y a plus qu’à...

Une voix angélique tombe soudain du ciel outremer, puis une autre, un peu chuintante et merveilleusement émouvante, accompagnées du chant des violons éolis, suraigu comme les trilles des joyeux oiseaux troglodytes.

Un instant de stupéfaction, puis ils aperçoivent les silhouettes sombres de deux grands oiseaux porteurs parfaitement silencieux et de quatre colombes qui tournent au dessus de la place.

«Ozoard! Ozoard! Orzeilla!» Ils font tous un tapage, toujours aussi joyeux de revoir l’extraordinaire baladin rouge et sa blanche baladine.

Quelques instants plus tard, ils sont posés sur la place, remercient les oiseaux, font des gestes. Ozoard, son immense violon en bandoulière, lutte un moment pour récupérer son chapeau que l’une des oies devait trouver à son goût. «S’il te plaît, rends moi mon chapeau!»

Les autres visiteurs ne sont pas moins qu’Adénankar et Milarêva, et un couple d’éolis de la montagne, une superbe blonde à l’immense chevelure, qu’ils ont déjà vus dans de telles soirées.

Ça va chauffer! On fait de la place pour les nouveaux arrivants, on amène d’autres fleurs lumière et les instruments de musique. Des amis dispersés dans le village arrivent.

«Ozoard! Ozoard! Où étais-tu?

- Ah mes amis! Si vous saviez! Nous revenons au moins du quinzième continent!» (Aller au treizième continent est une expression courante des éolis qui signifie aller vraiment très très loin, puisqu’il n’y a que douze continents sur Aéoliah) Orzeilla distribue des baisers sur le nez; rapidement une queue d’amateurs se forme.

«Berzellio aide-moi à sortir cette fleur bleue, pour eux il en faut des roses ou oranges»

Quand tout le monde est assis, Adénankar prend la parole, la douce Milarêva tendrement adossée contre lui, le regard levé vers le ciel.

«Ah mes amis, ce moment que nous attendions tous est enfin arrivé! Nellio a eu des nouvelles de sa compagne! Il va nous dire enfin ce qu’il a entendu chez les Gardiens, et qu’il n’a pas osé dire encore même à ses amis!

- Ben c’est bizarre.

- Bon, ça on s’en sera douté. Dis nous le beau, Nellio!

- C’est sûr que c’est mieux, en tout cas. Elle n’est plus dans la maison de l’entité. Figurez-vous que l’entité... Vous n’allez pas me croire: il a changé de... de compagne.»

Pof! Ils ne s’attendaient pas à un truc pareil, les éolis. Un silence incrédule accueille cette invraisemblable déclaration.

«J’aurais pas dû le dire. Bon, c’est vrai qu’il y a des planètes où ils sont à plusieurs compagnes et compagnons. Leur psychisme et leurs âmes sont prévus pour, et pour eux c’est une autre Harmonie. Mais les Terriens ils sont pourtant comme nous: normalement un couple une fois formé reste ensemble toute la vie. Si ils sont séparés, ils n’en meurent pas comme nous, mais ils ont alors des sentiments très non-agréables.

«Et alors l’entité il a changé de compagne comme nous on change de chaussettes. Il est vraiment dans le non-amour, le pauvre. C’est une maladie qu’ont certains Terriens: ils ne savent pas aimer, alors ils ne sont jamais heureux avec leur compagne ou compagnon, et ils en changent tout le temps. Sa nouvelle chaussette, non, pardon sa nouvelle compagne a aussi une drôle de maladie: son ventre est rebondi comme si elle avait avalé un pomméomélonne tout entier. Et le plus c’est que c’est vraiment parce qu’elle mange trop!»

Aucun rire ne fuse, car, vous le savez maintenant, les éolis jamais ne se moquent de quelqu'un, et c’est par un silence apitoyé que la plupart d’entre eux accueillent ces étrangetés.

«Nellio! Le beau! Le beau!

- Oui, le beau. Aurora est seule, maintenant. Elle ne le sait pas mais son âme le sait, elle se prépare pour son Service à l’Humanité. Elle se défait de l’influence de l’entité, elle pourrait presque revenir maintenant, si ce n’était le Service. Quand elle reviendra, ce sera toujours Aurora, mais elle sera différente. Sa lumière aura une grande force.

«En ce moment Yanathor, Ellebon et Auranaïa sont en train de préparer le plan précis pour sa réintégration. Ils vont installer des connections directes entre la conscience d’Aurora et la conscience collective, le Logos de la Terre. Pour elle ce sera une merveilleuse découverte que de nous rencontrer, de trouver un monde inimaginablement beau. En fait l’espoir d’un tel monde de Bonheur et d’Harmonie dort au plus secret du coeur de chaque Terrien. Par Aurora cette découverte émerveillée sera transmise à la conscience collective de l’Humanité, et elle pourra ainsi être ressentie comme un appel, comme une merveilleuse nouvelle, par tous les Terriens qui seront assez réceptifs. Cela contribuera à l’éveil de l’humanité, qui n’a plus de temps à perdre maintenant: pour eux c’est l’éveil spirituel ou le rien. Cela valait donc bien la peine qu’Aurora et les Gardiens y consacrent quelques années!

- Oh oui! Quelle merveilleuse idée!

- Quel magnifique plan!

- Quel émouvant dévouement!

- Pour Aurora! Hourra! Hourra!

- Pour les Gardiens! Hourra! Hourra!»

Le violon d’Ozoard, la harpe d’Orzeilla, les tam-tams d’Alambo et Antonnafachto, le tambour d’Artapon entament un rythme joyeux et vif, sans attendre la fin des hourras, qui se continuent en farandole. La nuit, faute d’éclairage, les farandoles éolines se font en portant des coques à fleurs lumières, formant un petit train lumineux qui se tortille et se balance joyeusement!

La fête ce soir est bien partie. Rappelons que les éolis n’ont pas le même rythme de vie que nous: Ils n’ont pas besoin de dormir toute la nuit, alors que sur Terre se coucher souvent tard est un vice qui s’avère vite très dangereux.

Ce soir Nellio mène la farandole, lui qu’on n’avait vu à la fête depuis douze siècles. Quelle pêche il a maintenant! Incroyable! Un déchaînement d’énergie depuis si longtemps contenu. Il chante, très bien d’ailleurs, une joyeuse chanson qui avait bercé son enfance, si loin, avant le drame.

Les éolines dansent avec Nellio, Milarêva, puis Orzeilla qui fait à Nellio la belle surprise d’une chanson composée exprès pour lui!

Ce soir-là ont fini de se dissiper les derniers relents de tristesse pour Nellio et pour le village. Nellio a un rôle important à remplir dans l’accomplissement de ce qui se prépare avec Aurora. Il a acquis pour cela une détermination joyeuse, calme et inébranlable. Les éolis, assoupis aux heures plus tranquilles de la nuit, ne se doutent pas encore quelle colossale force de guérison est en train de se rassembler...

 

 

 

 

 

 

Naufragée Cosmique        Chapitre 13       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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