Naufragée Cosmique        Chapitre 8       

Chapitre 8

* Le Gardien Cosmique *

Oyooh! Oyo-oooh!

Qu’est-ce qui rend si joyeux les éolis d’Aéoliah qu’ils en oublient de chanter le lever du Soleil?

Oyoooh! Oyo-oooh! Youpiiii!

Qu’on se le dise: Dans le ciel mauve de l’aurore brille une perle d’or. Les Gardiens Cosmiques sont revenus! Sûrement que c’est pour Nellio. Depuis douze siècles qu’ils attendent ce moment!

Une légère brume violette estompe les arbres voisins, le ciel rosit, vire au doré, puis au bleu. Le merveilleux vaisseau cosmique n’est plus qu’une petite nacre, qui finit par disparaître devant la splendeur de l’astre du jour. Il doit être très haut, bien au-dessus de l’air. Et immense.

La planète Aéoliah et ses habitants éolis sont toujours restés pareils à eux-mêmes. Toujours les oiseaux font leur pure et miraculeuse prière au lever du Soleil, et leur chant résonne toujours dans l’air cristallin, merveilleusement vivifiant à cette heure. Que tout cela est beau! Que les éolis sont joyeux! Les voilà qui sortent leurs grands pinceaux à rosée, une touffe de cheveux emmanchés sur une longue tige d’herbe. Toujours actifs, toujours joyeux, toujours bondissant subtilement, ils s’affairent en chantant, répondent aux oiseaux, se saluent d’une maison à l’autre. Quelle fraîcheur de sentiments!

Maintenant ils mangent, ou vont visiter le compost. A cette heure on parle doucement, car l’herbe est encore humide. Chuut! Met ton grand chapeau-fleur, gentille éoline, et trottine vers le jardin joli. Voici compère chenille, qui se déroule et tâte la tiédeur naissante du Soleil. Là, à côté du grand cactus, sans épines bien sûr, poussent les gentils pomminis, et près de la maison-courge d’Ellonorée fleurissent les boudzinias roses (C’est qu’ils sont timides). Vite, étale ces feuilles mortes au pied du gros Miélorhodon: il est plein de fruits bientôt mûrs, miam miam, qu’est-ce qu’on va se mettre! Et surtout n’oublie pas: embrasse éperdument ton gentil compagnon, toutes les cinq minutes au minimum. Non, toutes les trois minutes.

Aéoliah est toujours la Pure, la grandiosement Belle, la superbement Libre et Vierge, la Vivifiante, la complice, inviolée et mystérieuse, fantasque et rigolote, féerique et poétique, elle l’est depuis sa création, et le restera jusqu’à la fin de son Soleil.

La source peut chanter fièrement dans la verdure exubérante, et les fées y boire sans l’ombre d’une crainte: ici un promoteur ça n’existe pas. Les éolis ne voient pas le gris. Leur Bonheur est toujours intégral et inaltérable. Vu d’ici, aucun mal, même minime, aucune peine, aucune grisaille, pas même la routine ni l’habitude, ne viennent jamais voiler la flamme de leur regard. Impossible. «Utopique». Des croyances, comme disent les messieurs sur Terre. Les éolis en ignorent l’existence même, ne sont pas seulement capables d’imaginer que l’on puisse être malade au point de vouloir détruire tant de splendeur. Eux, ils ne savent qu’aimer, être heureux et joyeux, et ils y arrivent très bien. Seuls les dévoués secouristes des âmes ont une idée des choses non-bonnes, mais ils n’en parlent guère aux autres. Même chez les âmes Terriennes qu’ils ont recueillies, les dernières traces de mal, de gris, achèvent de se dissoudre au chaud Soleil de l’Amour, de la Joie, de l’époustouflante Beauté de leur merveilleuse planète.

Sur Terre, il y a aussi bien des beautés, autant que sur Aéoliah en fait. Mais les âmes frustes ont le terrible pouvoir de passer devant sans s’émouvoir, sans sortir de leurs pensées larvaires de profit ou de puissance. Sur Aéoliah cela même n’est pas pensable. La Beauté vous envoûte, vous saisit et vous transporte: aucune échappatoire au Bonheur, le coeur s’affole, de joie coulent les larmes. Dans notre vie actuelle, sur la Terre, le Bonheur est parfois si furtif qu’on le remarque seulement quand il nous a quitté; sur Aéoliah c’est une émotion éclatante, qui à tout moment de la journée peut vous chavirer pour votre plus grande joie!

Pourquoi tant de privilèges pour les naturels de cette merveilleuse planète? Injuste facétie d’un Créateur arbitraire? Héroïque conquête psychologique? Que non point. Tout simplement Aéoliah est dans l’univers normal. Là où naissent et habitent tous ceux qui ne veulent vraiment pas du mal. Là où la Terre les rejoindra quand nous n’en voudrons plus non plus.

 

Le village de Nellio a changé. Avec le temps, il s’est déplacé, un peu plus haut dans les rochers, un peu plus près de la plate-forme de Nellio, à côté de sa pyramide où il habite toujours. Pour un peu ce lieu pourrait maintenant servir pour les repas communs. Mais ils mangent toujours sur l’autre plate forme, en haut de la colline, près des tonnelles de cistes roses.

La pyramide de Nellio est maintenant encadrée par deux superbes arbres qui projettent leur ombre sur sa pelouse, l’après-midi. D’ailleurs tout le voisinage est aujourd’hui boisé, et même des anciens champs. Si c’est beau, ces roches claires et lisses, sur fond de mousse bien nette, avec ces arbres simples, grands troncs et boules de feuilles.

La plate-forme est restée disponible, selon les instructions données à Nellio douze siècles plus tôt. Pour entretenir un endroit sans trop avoir à y travailler, les éolis ne s’embêtent pas: ils y mettent de la mousse alflor. Elle pousse tellement que rien ne peut plus y aller, et elle sait garder sa propre humidité dans ses ramifications compactes. C’est tellement épais qu’on y enfonce complètement: il faut s’envoler pour en ressortir. Par contre, pour inviter un Gardien Cosmique à s’asseoir, c’est l’idéal.

Les Gardiens Cosmiques ne sont pas des gens pressés, on l’a vu. Ils travaillent avec le temps. Le vaisseau ne revient pas le lendemain, ni les jours suivants. Qu’importe: son apparition est déjà un message. Et agréable, sinon il ne se serait pas montré à l’aube.

 

Attendons donc.

Les habitants du village sont pour la plupart restés les mêmes, sauf les secouristes des âmes, égayés un peu partout dans les autres villages sur le plateau. La place laissée par leur départ n’a jamais été vraiment remplie, aussi le village est resté assez petit. Et tranquille.

Les amis de Nellio sont toujours là, formant en fait, avec quelques autres, le noyau du nouveau village. C’est que tout tourne autour de Nellio, sans qu’on le dise.

Adénankar et Liouna ont préféré faire naître un peu plus loin sur le plateau les âmes Terriennes qu’ils ont prises en charge: plus d’une cinquantaine maintenant. Pas plus de deux ou trois par village: ils savent, et les anciens Terriens s’en sont vite rendu compte aussi, qu’un regroupement excessif tend à faire resurgir les séquelles du passé. Effaçons-les d’abord! Mais il leur faut tout de même quelques contacts les uns avec les autres, car ainsi ils peuvent se soutenir mutuellement. Le plateau avec ses deux centaines de villages est l’endroit idéal pour une telle organisation.

Algénio et Liouna se sont installés près de la place des repas, où les tonnelles de cistes roses sont maintenant enserrées de grands arbres. Liouna préside à l’entretien de cette place, avec l’aide des autres au village.

Anthelme et Elnadjine n’ont plus vraiment de maison à eux, car souvent ils voyagent pendant de longs mois. Anthelme a entrepris l’étude de la grande Sagesse Aéolienne... Quand, après un long séjour dans un lointain centre ou école de l’esprit, ils réapparaissent, sur le dos de quelque grand oiseau exotique, avec l’immense chevelure d’Elnadjine, clair signal qui se remarque de loin, c’est toujours une joie pour le village!

Adénankar et son éthérée compagne Milarêva ont toujours leur base dans les arbres derrière le village. Cette construction étonnamment solide a su résister tout ce temps, bien que le tronc qui la supporte ait grossi de plus du double. C’est que c’est prévu pour! Les pièces de bois sont montées de manière à adapter leurs angles. Ce coin de forêt a peu changé: la cathédrale de verdure et de lumière est toujours aussi belle, avec ses impressionnants piliers, ses lianes couvertes de fleurs, ses oiseaux merveilleux, son tapis de feuilles. Quelques arbres sont tombés, dégageant autant de petites clairières pleines de fourrés et de lumière, où se préparent de futurs grands arbres. De sous la sylve ombrée, on y voit une brume d’insectes danser en rondes d’étoiles lumineuses...

Milarêva a pris l’habitude de fréquenter le village, du moins par périodes. Elle est toujours discrète, mais va et vient, parle aux uns et aux autres, chante avec les oiseaux, les prend sur ses genoux, reste parfois sur une des placettes à trier du coton ou préparer les repas, sans jamais toutefois rester pour manger. Par moments, elle redevient le fantôme, comme autrefois, et pendant vingt ou trente ans on n’aperçoit que de temps à autres sa blanche silhouette, la nuit.

Sa principale activité est de s’occuper des anciens Terriens, avec qui sa présence féminine est souvent irremplaçable. Elle se fait leur maman des âmes. Il faut toujours vérifier, écouter, consoler, avec ces âmes qui ont souffert et dont les mauvais plis peuvent ressortir encore longtemps après. Il faut beaucoup de Bonheur et de lumière pour tout effacer! Malgré cela tout se passe finalement mieux qu’ils l’avaient espéré: s’ils ont eu des difficultés, aucun véritable échec n’est à déplorer jusqu’à présent. Le mérite en est surtout à la puissance d’Aéoliah, à la force de son plan, (de son égrégore, dirait-on) de son énergie, à la joie de vivre inaltérable de ses habitants, à leur Enthousiasme, à leur Activité incessante...

Qu’ils sont heureux, ces anciens Terriens parmi les éolis! Ils n’ont pas seulement un corps d’éoli, mais aussi un coeur, un Enthousiasme, une gentillesse, une vitalité d’éolis... En fait, après seulement quelques années de vie Aéolienne, on ne les distingue plus qu’à grand-peine des autres éolis. Les plus anciens, comme Algénio, sont des éolis à part entière, qui vivent leur vie sans plus du tout s’en référer ni à Adénankar, ni à Milarêva. Algénio est maintenant maître flûtiste et il tient sa place parmi tous les autres dans la fanfare et les fêtes du village. Se rappelle t-il seulement? En tout cas il n’en parle jamais plus.

Ceux que nous avons vu naître au début du premier livre «Les Jardins d’Aéoliah», ne sont plus des jeunes éolis! Nous les avions connus timides, allant en cachette voir Adénankar, nous les retrouvons épanouis et fièrement campés parmi les anciens du village. Il y a eu des naissances, et même, Liouna et Algénio ont eu un enfant, au nom un peu bizarre de Aron. Il ne parle guère de lui, et il s’habille toujours de bleu foncé comme sa mère, avec un très petit chapeau de la même couleur. Il n’a pas de barbe, ce qui est assez rare chez les éolis aux cheveux bruns. Il n’a apparemment aucun souvenir de vie antérieure, sans doute même n’avait-il jamais vécu dans un monde matériel avant Aéoliah. Bien qu’il soit un éoli tout à fait régulier, un sentiment de mystère plane autour de lui. Il ne sourit pas, comme s’il était toujours plongé dans une très profonde méditation. Il s’est fait une flûte dans un mode inconnu dont il joue seul d’étranges mélodies. Cela a t-il un rapport avec le secourisme des âmes? Est-il un Sage? Même Adénankar ne saurait le dire. Si vous voulez savoir, amis lecteurs, rendez-vous dans quatre ou cinq cent ans. Aron a sans doute envie de vivre son Bonheur comme tous les autres enfants éolis avant de révéler son secret.

Et Nellio? Il est toujours Nellio. Discret, parlant peu, cultivant son jardin. Il est toujours affectueusement entouré de ses amis, et dorloté par Milarêva. Il a réussi à soustraire de sa pensée toute référence à son amour perdu si loin, et ne souffre pas. Il est même heureux. Pas tant que les autres, mais un peu.

Curieusement il est le seul à ne pas avoir vu le grand vaisseau cosmique. C’est qu’il se lève tard. Il se couche tôt, aussi, et il passe la nuit d’un trait. Que fait-il pendant tout ce temps? Rêve t-il? Rejoint-il son Aurora dans quelque limbe? Prie t-il pour elle? Ou est-il tout simplement inconscient?

Précisons qu’à cette époque Adénankar et les sages d’Irizdar n’ont aucune nouvelle fraîche d’Aurora. Tout juste savent-ils que l’âme qui l’avait blessée refuse depuis longtemps de retourner en incarnation pour régler ce problème avec elle, et lui permettre ainsi de se libérer. Ils savent qu’entre temps Aurora a eu plusieurs existences sur la Terre où elle a beaucoup appris.

 

Enfin, plus d’un mois après l’arrivée du grand vaisseau, revoici le Gardien Cosmique. Les éolis normalement ne voient jamais les Gardiens Cosmiques, ce sont pour eux des êtres un peu mythologiques, avec qui ils n’ont jamais à faire de toute façon. Alors sa venue est un bien étrange événement, comme si chez nous apparaissait soudain quelque Messie, dont on parlerait parfois sans penser jamais le voir. Et puis, c’est pour Nellio: Quelle joie! Quel Enthousiasme! Quel Espoir naît dans le bon petit coeur des éolis!

Le Gardien Cosmique est apparu à l’aube, comme le vaisseau, ou comme font quelquefois les voyageurs de la nuit et les éolis de la montagne. Ils l’ont trouvé assis en lotus sur la pelouse de Nellio. Tout comme les éolis, dans sa méditation il a écouté le merveilleux chant des oiseaux et admiré le lever du soleil, silhouette hiératique dans la brume dorée, la narine frémissante, les yeux perdus dans le merveilleux paysage, ou souriant aux éolis qui s’asseyaient un à un à ses pieds. Nul ne l’a vu venir et les premiers arrivés disent qu’il est ainsi depuis les heures fraîches, avant toute lueur au levant.

Nellio s’est éveillé bien avant son habitude. Il est dans la main du Gardien. Car rappelez vous, le Gardien Cosmique est de notre taille humaine, alors que les éolis, eux, sont des lutins ailés petits comme des mésanges. Quel contraste! Il est comme une de ces immenses statues du Bouddha adorées en Inde, avec le même ineffable sourire, mais vivante. Quel merveilleux spectacle, que cet homme aux traits si doux, dont le regard palpitant semble tourné vers l’Infini! Assis sur sa banquette de mousse délicieuse, il est tout entouré de la foule gaiement colorée des éolis et des éolines recueillis et silencieux. Le Soleil a dissipé la fine brume du matin et rayonne maintenant sa joie dans un air cristallin, merveilleusement transparent, où l’herbe et les arbres ont mis leurs verts les plus frais et les plus pimpants.

L’heure d’aller au jardin dans la rosée trouve le Gardien Cosmique toujours assis sur sa pelouse de mousse, Nellio dans sa main, entouré d’un cercle de plus en plus large d’éolis, retenant silencieusement leur joie et leur curiosité: cet être imposant et si important leur inspire une sorte de déférence et un silence intimidé. Il en arrive encore, des fins fonds du village et des bois environnants, où se nichent des maisons solitaires.

Le Gardien Cosmique a la peau bleu ciel, comme certains éolis des continents lointains. Bien qu’incontestablement masculin, il ne porte pas de barbe, et pas non plus de cheveux: son crâne est lisse et régulier, à peine plus gros que les nôtres. Seuls ses yeux sont plus grands. Il est sans âge, mariant subtilement l’Enthousiasme et la spontanéité de la jeunesse avec la profondeur et le rayonnement tranquille de l’âge mûr. Il est vêtu d’une simple tunique à courtes manches qui lui descend jusqu’aux mollets, en un tissu un peu rêche, d’un bleu plus soutenu que sa peau, dépourvue de tout insigne ou marque distinctive de son rang.

Il sourit maintenant aux éolis, passant de temps en temps Nellio d’une main à l’autre. Ce dernier le regarde fixement sans rien dire, mais on devine la tempête en lui...

Pas de formules de politesse, aucune salutation, rien pour entamer la discussion, ni d’un côté ni de l’autre. C’est la suprême délicatesse: ces deux univers si différents s’admirent, prennent le temps de se ressentir, de se pénétrer des vibrations l’un de l’autre, comme quand on hume un bon fruit avant de l’entamer.

Car ce sont bien deux mondes que presque tout oppose. Les éolis vivent de jardin et de fruits parmi les oiseaux et les fleurs; les Gardiens chevauchent des vaisseaux fulgurants dans le Silence infini des immensités sidérales. Les éolis sont plutôt sédentaires, tandis que les Gardiens n’ont pas de base fixe. Les éolis et les éolines vivent dans la nature, avec ce qu’elle leur donne; les Gardiens habitent des nefs-citadelles du cosmos, artificielles, bien que d’une technique autrement plus belle que la nôtre. Les éolis, petits êtres modestes et discrets, n’ont pour seule ambition que d’enchanter une petite planète perdue dans un coin du vaste univers, alors que les Gardiens sont de prestigieux paladins aux formidables pouvoirs, au service exclusif de la plus noble cause qui puisse exister: la vie. Les éolis, enfin, ne ressentent que les émotions positives et agréables, alors que les Gardiens savent pleurer devant l’injustice et la laideur, et ressentir pleinement la Compassion pour les êtres qui souffrent. Dans leur immense Bonté, ils ont accepté cette servitude, ce noble et beau sacrifice, afin de mieux remplir leur rôle de Justice. Car ils savent que la Compassion pointe précisément à l’Innocence, au besoin de Réparation. Ah, amis lecteurs si un jour vous devenez Gardien Cosmique, sachez que cela n’est pas toujours de tout repos!

Pourtant, malgré cette inconcevable distance entre leurs univers respectifs, la communication est immédiatement établie entre le Gardien et les éolis, avant qu’une seule parole ne soit prononcée, avec la plus grande facilité. Le Gardien parcours l’assistance de ses grands yeux violets, et porte lentement Nellio assis dans sa main, au niveau de son immense visage. La minuscule assemblée frémit d’une houle impatiente. Quelques murmures commencent à fleurir le silence.

Comment ces êtres si différents, qui se connaissent si peu, se sentent-ils en confiance, amis, et même en communion intime dès la première minute? C’est que tous Aiment et vivent les mêmes Lois Universelles: l’Amour, la Beauté, l’Entraide. Leur Silence à tous vise également à goûter à la même Poésie dans ce si chaleureux paysage. Ils sont là par le même Amour pour Nellio et sa compagne disparue, prêts à tout pour les réunir. Ce même Amour des Lois Universelles leur garanti à tous la même Harmonie avec la Création et tous ses occupants, la même Paix, conditions d’une même absolue Confiance. Alors, quelles que soient les différences de couleur, de taille, de culture, et même d’esprit, ils savent qu’ils sont tous Frères, et tous Fils du même Univers. Alors tout est simple. Et tout est possible!

 

Enfin arrivent ceux qu’on attendait: Adénankar, Milarêva et deux érudits d’Irizdar qui se trouvaient chez eux. Ils prennent place juste devant le Gardien, où on leur avait laissé un peu d’espace.

Encore une dizaine de minutes de Silence délicieux... Quelqu’un dans l’assemblée, n’y tenant plus, crie «Aurora!» Et c’est le signal d’un mythologique brouhaha chez les éolis! Le Gardien rit gentiment, puis annonce, sans préambule, d’une voix harmonieuse, un peu basse: «De bonnes nouvelles d'Aurora.»

Comme il ne continue pas, c’est Adénankar qui demande: «Nous sommes sans savoir depuis si longtemps. Cette âme qui l’a blessée a t-elle enfin accepté de se réincarner pour réparer ce qu’elle a brisé?» Même le Jardinier des âmes parle avec un grand respect à cette auguste créature!

«Oui, elle a accepté. (Frisson de joie)

- Encore faut-il qu’elle et Aurora grandissent et se rencontrent.

- Tout cela est prêt, amis éolis. Ils viennent de se retrouver sur la planète Terre dans de très bonnes conditions. Aurora s’est parfaitement comportée, et a progressé bien plus vite que nous le pensions. Elle veut s’en sortir et elle a tout pour réussir. Tout n’est donc plus qu’une question de quelques années.»

A ces nouvelles la joie explose enfin chez les éolis! Eux qui n’espéraient rien avant des siècles voire des millénaires... Seuls quelques-uns se doutaient d’une échéance plus proche, mais n’avaient rien dit, surtout pas à Nellio, pour ne pas risquer de lui donner de faux espoirs. Si le Gardien est maintenant si affirmatif, c’est que certainement la situation est presque gagnée.

Les éolis dansent, s’embrassent, chantent, s’envolent et papillonnent en farandole autour du Gardien toujours assis, presque à le toucher. Si Adénankar veut continuer la conversation, le voilà qui doit se réfugier... sur un genou du Gardien, aussitôt imité par Milarêva à côté de lui. De là à voir le Gardien submergé par tout le village en liesse, il n’y a plus très loin.

A ce moment, Nellio, sortant soudain de sa réserve, pose au Gardien quelques questions émouvantes et bien trop intimes pour que nous les rapportions, mais ce dernier y répond gentiment. Le village approuve joyeusement, tandis que Nellio reprend, dans la grande et douce main, sa posture d’adoration silencieuse.

Il faut comprendre les éolis: après tant de siècles de cette condition boiteuse, de ce noeud contre-nature, quel soulagement quand les choses reviennent à leur place! Quelle joie de revoir bientôt leur amie, dont un drame du secourisme des âmes les avait privés depuis tant de temps! Les Lois Universelles, apparemment prises en défaut dans les étranges replis du lointain monde Terrien, auront finalement triomphé!

«Amis éolis, il faut tout de même vous dire que tout n’est pas encore gagné. J’aurais préféré attendre qu’Aurora soit effectivement revenue, plutôt que de risquer de vous décevoir. Mais la planète Terre elle-même est en grave danger en ce moment, au point que toute vie pourrait même y être détruite. Aussi, en cas d’échec maintenant, il serait bien plus difficile de sauver Aurora plus tard. Il faut absolument qu’elle le soit maintenant. Et pour cela nous avons besoin de votre aide.»

Les éolis, malgré leur absence de sentiments tels que la colère ou la tristesse, sont tout de même profondément touchés de savoir la Terre en danger. Et encore n’imaginent-ils pas qu’elle l’est à cause des humains eux-mêmes, sans doute pensent-ils à quelque catastrophe naturelle. Vite! Il faut tout faire pour la sauver! Quelle émouvante Compassion, venant de ces êtres pourtant si éloignés de nous! Eux qui, sur leur planète idéale, ne vivent que les émotions positives et les beaux sentiments, n’en sont pas pour autant insensibles ni indifférents à la détresse des autres; simplement à la vue de l’injustice ou du mal, la colère ni la peur ne viennent obscurcir leur jugement ni paralyser leur main. Ils peuvent ainsi mettre toute leur énergie et leur esprit à défendre le Bien, à protéger la vie. Et ils ne s’en privent pas, puisqu’ils ont organisé le secourisme des âmes, afin d’aider les êtres des planètes où sévit le mal, comme la Terre. Chez les éolis il n’y a jamais d’accident, aussi le drame qui avait privé Nellio de sa compagne n’avait pu se produire que pendant une séance de secourisme des âmes sur la lointaine Terre...

Le Gardien explique aux villageois en quoi consiste l’aide dont il a besoin. Ce sont des formes de méditation particulière, qu’il serait malaisé de décrire. Ceux parmi les lecteurs qui ont pratiqué l’aide spirituelle en auront une idée, mais petite seulement car, vous vous en doutez, la science des Gardiens est infiniment plus raffinée et précise que la nôtre, encore balbutiante. Là où nous nous contentons d’une louable mais vague émission d’Amour, eux savent exactement les nuances précises du travail qui doit être fait. Et ils profitent pour l’expliquer de la simple et subtile langue des éolis, si riche en variations et vibrations, et qui peut se comprendre sur plus de douze modes différents. Bien qu’elle n’ait pas été prévue pour la médecine de l’âme, elle s’y prête tout à fait bien, alors qu’aucune langue terrienne actuelle ne le permet aisément.

Petit à petit, la timidité des éolis s’est envolée et en voici plus de vingt sur les genoux et même sur les épaules du Gardien toujours souriant. Heureusement son corps parfait ne connaît ni ankyloses ni démangeaisons: ce ne serait pas le moment d’éternuer! Afin d’éviter de mettre en danger l’un ou l’autre des éolis qui lui courent partout et volettent autour de lui, il tourne seulement la tête, quand il répond à l’un ou à l’autre, toujours avec bonne grâce.

Les indications sur l’aide à Aurora se terminent par une bien étrange allusion: «Pour l’instant ces méditations suffiront. Mais au moment critique il nous faudra peut-être intervenir plus directement. Et là aussi votre aide sera nécessaire.» Mais le Gardien ne veut pas donner plus de précisions. «Intervenir directement»... Aller sur la Terre, en astral, comme font les secouristes des âmes? «Chuut» répond le Gardien en souriant. Ah! Mais que veut-il donc dire? Il change un peu de sujet, mais les éolis sentent bien que c'est relié:

«La Terre est actuellement dans une situation exceptionnelle où tout peut arriver, le meilleur comme le plus non-bon. (la langue des éolis n’a pas de mots pour parler du mal) Il pourra être nécessaire d’employer des moyens en conséquence, pour aider les Terriens à découvrir le bon choix, ou pour éliminer certaines forces anti-bien. La Terre arrive au stade où elle pourrait se doter d’une direction planétaire de Sages, et un de nos rôles sera de le favoriser, peut-être de l’imposer. Notre groupe de la galaxie d’Aéoliah est loin de la Terre, mais pourtant nous y serons. De votre côté, il serait utile de vous préparer à recevoir des âmes animales en quantité, au cas où les choses tourneraient trop mal sur la Terre. Votre aide peut être précieuse.»

 

Ces graves sujets épuisés, voilà la joyeuse bonne humeur des éolis qui prend le dessus:

«Il faut lui faire visiter le village!

- Il faut lui faire goûter les murlines!

- Non, les choupas d’abord!

- Dis Gardien, regarde ma maison-potiron à deux étages!»

Et voici le grave et important personnage parcourant le village, avec moulte précautions comme on l’imagine, sur la pointe des pieds, car rien n’a été prévu ici pour supporter un si imposant individu. Chaque pas est une aventure compliquée pour poser le pied entre les plantes à ne pas écraser tout en conservant un minimum d’équilibre. Quelle rigolade! Quelle espièglerie! Voici Antonnafachto, c’est lui bien sûr, assis en lotus sur... le sommet de son crâne! Mais le chevalier cosmique n’a que faire d’un tel panache, et il envoie balader le plaisantin d’un hochement de tête amical mais sans réplique. Il lui faudra quand même accepter le chapeau-fleur, minuscule sur cette vaste tête lisse!

Autour de lui volettent les éolis et les éolines, comme des petits oiseaux ou des papillons. Il lui faut se baisser pour sentir les fleurs, écouter les chants, la musique, et prendre tout le monde dans ses mains, chacun son tour. Non mais quels gamins, ces éolis.

Pour finir, il chante. Quelle merveilleuse voix de baryton, douce et ample, puissante et chaude! Tous sont figés sur place par la perfection, la maîtrise absolue, la suave et émouvante mélodie...

Puis, le paladin signifie que l’heure du jeu est passée, à sa manière: son rayonnement redevient grave et digne, et tous les éolis, à nouveau intimidés, reprennent du champ. Un sourire, une pirouette, et, avec une légèreté de ballerine, sans froisser une seule feuille, il reprend prestement en sens inverse le chemin si laborieusement parcouru, suivi à distance par les éolis étonnés...

 

Le Soleil donne maintenant toute sa bonne chaleur et sa lumière aux frais feuillages; la rosée a fini de sécher; les parfums capiteux des fleurs ont supplanté celui de l’aurore; les oiseaux volettent et s’interpellent joyeusement. Les éolis, tout enivrés d’une merveilleuse joie de vivre, ont à cette heure une sensuelle envie de jardinage et de mouvement, aussi seuls quelques uns continuent à suivre le Gardien.

Avec la simplicité d’un lycéen qui répare son vélo, celui-ci s’assied à nouveau sur la pelouse, Nellio debout à ses pieds, devant la petite pyramide orangée qui lui sert d’habitation à Nellio depuis l’accident. Et il... ouvre la pyramide, comme un couvercle, qu’il pose dans l’herbe à côté de lui.

Les quelques éolis curieux aperçoivent pour la première fois l’intérieur de l’étrange engin. De l’entrée, un court tube mène à un récipient ovoïde, qui n’est autre que la chambre de Nellio. Mais le reste est occupé par une série de tubules et de sphères imbriquées, pulsant doucement d’une superbe lumière irisée. Rien à voir avec quoi que soit que vous connaissiez, amis lecteurs: c’est une machine vivante, immatérielle... Certaines parties même changent de forme, animées d’une inconcevable respiration.

Le Gardien, décontracté, sans plus prêter attention aux éolis, se plonge dans cette étrange métamécanique, sans doute pour y modifier quelque réglage. Il reste un moment en méditation, demande à Nellio de rentrer dans sa chambre, d’en ressortir. Comme il travaille, la machine, privée de son pare-rayonnement, a de bien curieux effets sur les environs. Les fleurs s’ouvrent ou se referment. Les oiseaux s’assemblent dans les deux arbres, pépiant soudain tous en choeur. Les chenilles s’arrêtent de manger, étonnées. Les éolis sont envahis de frissons délicieux, de sentiments voluptueux, mais totalement inconnus. Flashes de lumière à l’intérieur de la tête! Des sons étranges et merveilleux, comme si la musique des sphères accordait ses instruments, le paysage chavire soudain, fantastique accélération dans un vertigineux toboggan cosmique! C’est vraiment un drôle de truc qu’ils nous ont inventé là, ces Gardiens.

Enfin il remet l’enveloppe en place, et tout rentre dans l’ordre. Les éolis retournent à leurs jardins et à leurs amours, leurs voix cristallines et leurs rires-clochette se répandent dans les environs.

Le gardien reprend Nellio dans une main, se lève, fait un salut amical de l’autre main aux éolis qui sont encore là, puis soudain cours, s’envole presque, avec une incroyable vitalité, vers la forêt jolie, toujours Nellio dans sa main, et on ne les reverra plus de toute la journée.

Quand le lendemain, Nellio se réveille à nouveau, il est plus en forme, et, enfin, après si longtemps, il sourit. Mais il ne dit pas grand-chose de ce qu’il a été faire avec le Gardien. Tout juste apprend t-on qu’il a reçu des soins par imposition des mains, qu’ils ont parlé d’Aurora, bien sûr, et aussi qu’ils ont discuté un moment chez Adénankar.

Progressivement, c’est un nouveau Nellio que découvriront les éolis, qu’ils n’avaient pas imaginé: plus sûr de lui, entreprenant et responsable, membre actif et indispensable de leur petite communauté. Mais... attendons la suite.

 

 

 

 

 

 

Naufragée Cosmique        Chapitre 8       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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