Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 6       

Chapitre 6

Les secrets des rouleaux.

Anthelme prit rapidement l'habitude, quand il avait fini un rouleau, d'aller en demander un autre chez Adénankar, accompagné d'Elnadjine ou de Nellio. A chaque fois le même rituel recommençait: deux, parfois quatre oies chevauchées d'éolis inconnus plus ou moins exotiques apparaissaient dans le ciel, déposaient le nouveau rouleau et repartaient avec l'ancien, le plus souvent aussitôt, quelquefois après un repas offert de bon coeur par ses amis du village et que les voyageurs inconnus acceptaient volontiers. Une fois, ce ne fut pas de silencieux éolis de la montagne, mais un couple d'un lointain village, qui se montra au contraire fort bavard: ils restèrent trois jours et apprirent beaucoup de choses à Anthelme, nous verrons un peu plus loin quoi.

Nous allons nous aussi nous pencher sur ces rouleaux avec Anthelme, bien que nous ne ferons que survoler ce que lui mit des années à apprendre et à assimiler en détails. En fait il n'avait pas fini quand se produisirent les événements des chapitres suivants, mais il vaut mieux voir tout cet ensemble de connaissances avant de reprendre le fil de notre récit.

Egalement, nous comparerons souvent les descriptions d'Aéoliah avec celles de la Terre, simplement pour nous donner un point de repère commode. Evidemment, Anthelme à cette époque n'étudiait qu'Aéoliah, il ignorait jusqu'à l'existence même de la Terre et ne s'y intéressa que plus tard, après les dits événements, et encore d'une manière qui aurait bien surpris bon nombre de nos complanétriotes.

Nous ne parlerons guère des rouleaux mathématiques, qui soit sont déjà connus sur Terre, soit sont trop exotiques encore pour nous. Non. Anthelme devait petit à petit en étudier des dizaines, pendant sa longue vie. Mais le second rouleau qu'il demanda à Adénankar fut, on s'en doute, un où l'on parlait des frissons d'Aéoliah. Celui qu'il reçut n'en parlait qu'accessoirement, mais expliquait de fort intéressantes choses. Anthelme le cala avec curiosité sur son support à rouleaux neuf.

Le support à rouleaux est un petit meuble en bois en forme de pupitre incliné à 60 degrés, sans pieds car les éolis s'assoient en lotus, par terre, sans siège. Le rouleau est bobiné sur un axe en bois qui prend place dans des encoches, en bas du pupitre; il ne reste plus qu'à le dérouler sur la tablette, en haut de laquelle il trouve une autre bobine réceptrice, munie d'une manivelle. Le texte et les images sont ainsi bien visibles pour un ou deux éolis. Les supports de l'école sont verticaux comme un tableau, pour être vus par plus de monde. Le rouleau est nettement plus large qu'un livre, et les éolis en profitent pour présenter leurs idées en diagrammes synthétiques, en panoramas poétiques, plutôt qu'en textes à la file. Quand on reçoit le rouleau, il est emballé dans un joli fourreau coloré, étanche à la pluie pour le transport à dos d'oie. Pendant la lecture on cache cet étui sous le pupitre.

Anthelme s'assit donc satisfait. Elnadjine était là, bien sûr, avec sa couture, ses froufrous et son parfum chaleureux et unique. Elle gratifia Anthelme d'un beau sourire complice en balançant sa nappe de cheveux, geste d'amoureuse qui lui allait toujours droit au coeur. Il lui rendit son sourire:

«Ça c'est un beau rouleau, avec des peintures, tu pourras venir voir.»

Elle le remercia d'un nouveau sourire: l'essentiel était qu'Anthelme soit heureux avec ses études; elle n'en attendait rien de plus. Mais elle devait venir plus souvent qu'elle ne s'y attendait, car effectivement certaines images étaient fort belles.

 

 

Ce rouleau commençait par la formation des systèmes planétaires, mais avec plus de détails qu'ils ne l'avaient vu à l'école. C'était il y a fort longtemps, plus de trois milliards d'années, dans une région de l'espace infini, dense et riche en nuages primordiaux, qui commencèrent à se condenser. Il s'y forma d'abord de grosses étoiles bleues très brillantes, illuminant superbement de rose et de vert le nuage qui continuait à se serrer sur lui-même tout en tournant autour de la galaxie de la future Aéoliah. Les grosse étoiles bleues fabriquèrent en leur sein les éléments qui deviendraient plus tard les roches, l'eau et le sol des planètes comme Aéoliah. Puis elles projetèrent le tout en explosant dans une apothéose de lumière, fabriquant encore à cette occasion les métaux rares comme l'or (que les éolis connaissent, nous le verrons) mais aussi toute une variété de substances aux subtiles propriétés qui se retrouvèrent plus tard diluées dans les roches, les eaux et le sol des planètes, et si précieuses pour le fonctionnement des corps vivants: les oligo-éléments.

Anthelme et Elnadjine s'émerveillèrent de voir tant de substances indispensables à la vie devoir leur existence ici bas à ces étoiles disparues, qui avaient resplendi si fort en leur temps. Ces passages du rouleau étaient illustrés de fort belles images, et non seulement Elnadjine mais aussi bien d'autres éolis du village vinrent s'extasier devant les volutes et les effilochures colorées du merveilleux nuage galactique au sein si fécond. Ces illustrations étaient chacune une petite oeuvre d'art, aux merveilleux fondus et dégradés magistralement exécutées à la détrempe par d'anonymes artistes, quelques deux cent soixante sept ans plus tôt, à voir la date de fabrication du rouleau. De minuscules éclats de mica figuraient les étoiles. Ils en avaient le piqué, brillant et scintillant au soleil. Ces œuvres étaient si pures que personne n'aurait osé ne serait-ce que poser le doigt dessus, afin de leur conserver le plus longtemps possible leur fraîcheur.

N'oublions pas amis lecteurs, qu'Aéoliah existe dans le même univers physique que le nôtre. La seule question qui se pose alors est de savoir pourquoi elle est différente de la Terre.

Toutes ces explosions d'étoiles firent un beau remue ménage dans le nuage primordial qui continuait de se contracter. Elle le déchirèrent en morceaux qu'elles tassèrent encore davantage en les fertilisant de leurs poussières. Tasser est ici très relatif, puisque ces nuages étaient encore extrêmement dilués, par rapport à l'air, et encore bien plus grands que les futurs systèmes solaires: tout cela se passait à l'échelle incommensurable de la galaxie. Mais à ce stade les nuages étaient déjà noirs, avec parfois des formes étranges: des sortes d'éclaboussures, de colliers de perles sombres, parfois munies de sortes de pédoncules. C'est qu'ils n'obéissent pas aux mêmes lois que ceux que nous avons l'habitude de voir dans notre ciel.

On se doute que ces nuages devaient former à nouveau des étoiles, mais plus petites que les premières. Mais n'allons pas si vite, car c'est à ce moment que des groupes d'âmes choisirent les futurs systèmes solaires en gestation pour y vivre des expériences corporelles. En effet, même si trois milliards d'années est très ancien pour nous, cet univers, lui, est bien plus ancien encore, et les toutes premières civilisations y sont apparues il y a plus de dix milliards d'années. Aussi, à trois milliards d'ans dans le passé, soit sept milliards d'années après les premières civilisations, de nombreuses civilisations primordiales avaient déjà existé dans l'univers, s'étaient épanouies bien au-delà de ce que nous connaissons sur Terre, puis étaient mortes avec leur soleil. De telles civilisations primordiales apparaissent spontanément, et c'est leur évolution propre qui fait naître, vivre et évoluer les milliards d'âmes qui les habitent, en un processus de maturation lent et parfois semé d'embûches douloureuses (nous en reparlerons). Le résultat d'une telle évolution est imprévisible, et c'est ce qui en fait l'émouvante beauté. A l'époque de la formation d'Aéoliah, donc, plusieurs générations de telles civilisations spontanées s'étaient déjà succédées, et un nombre inimaginable d'âmes de toutes sortes et de tous niveaux peuplaient l'univers, souvent désireuses de revivre des expériences corporelles magnifiques, chacune à sa façon.

Donc déjà à cette époque, les temps étaient mûrs pour qu'apparaissent des civilisations d'un type nouveau, non plus spontanées ni primordiales, mais créées et planifiées dès le départ par des âmes déjà évoluées, selon leur désir et leur vibration. Ce second type de civilisation est bien plus propice au bonheur, et tout y est prévu pour qu'aucun mal ne puisse y advenir. Mais le premier type existe toujours, car personne ne peut prévoir quelle nouvelle sorte de bonheur il va en sortir. C'est pourquoi aujourd'hui coexistent les deux types de civilisations dans notre univers. Bien sûr les choses ne sont pas aussi tranchées, et les civilisations spontanées peuvent maintenant compter sur des coups de pouce bénéfiques des civilisations évoluées, si cela peut leur éviter de s'engager sur des voies trop néfastes. Les civilisations du second type peuvent aussi recueillir des âmes provenant du premier type, et les aider à accomplir leur évolution. Enfin les civilisations spontanées ont la possibilité d'accéder au même bonheur définitivement stable que celles du second type, à partir du moment où leurs habitants prennent en charge leur destin. C'est une telle transition qui est actuellement en jeu sur Terre. Car la Terre est une civilisation spontanée du premier type, alors que Aéoliah est une civilisation créée, du second type. Voilà donc pourquoi il y a le mal chez nous et pas sur Aéoliah, et comment ce mal peut disparaître de chez nous aussi rapidement que nous le voudrons.

 

Aéoliah est une civilisation du second type, mais à l'époque des nébuleuses, elle n'était encore que le projet d'un groupe de quelques centaines d'âmes seulement, parmi bien d'autres candidats à fonder une civilisation. Tout comme les nuages interstellaires qui se rassemblent à partir d'éléments disparates et chaotiques, ces âmes diverses doivent arriver à s'entendre, à former des égrégores, c'est-à-dire des ensembles de pensées et de sentiments cohérents, sorte de corps collectifs dans les plans abstraits, et qui peuvent avoir quantités d'usages judicieux. Chaque âme a tout loisir d'amplifier davantage son groupe ou d'en changer s'il ne lui convient pas. Ainsi, au moment où les futurs systèmes planétaires s'individualisent, les groupes d'âmes s'organisent eux aussi, chacun sur le lieu d'un futur soleil. C'est le moment ou jamais, car il leur faut choisir les bons nuages, avec les bons dosages d'oligo-éléments et de métaux, sans trop de corps néfastes pour la vie. Aéoliah fut un de ces bons dosages.

Les nuages primordiaux, maintenant bien séparés les uns des autres, continuaient à se contracter sur eux-mêmes. Idéalement ils se rassemblent en boules, appelées globules de Bok, car les gaz et les poussières qui les composent commencent à être suffisamment rapprochés pour frotter les uns sur les autres, et calmer les mouvements convulsifs du début. Ces mouvements se dissipent donc, sauf un: la rotation d'ensemble, qui existe toujours peu ou prou, et n'a rien sur quoi frotter. Chaque nuage prend donc bien forme de boule, petite par rapport à ses débuts mais encore beaucoup plus grande que le futur système solaire, tournant sur elle-même en rapetissant. Mais dans certains nuages la rotation est trop forte au départ, et la boule se condense en deux morceaux ou plus, qui continuent chacun de leur côté à se contracter tout en restant à tourner l'un autour de l'autre. Cela donne des étoiles doubles ou multiples.

Anthelme, lisant cela, en oubliait presque les frissons d'Aéoliah pour le grand frisson cosmologique. Mais on allait y venir, puisque c'était indiqué sur l'introduction du rouleau. Il invita Nellio et aussi Algénio, qui amena sa compagne Liouna. Cette dernière fut littéralement fascinée par la formation des mondes, et surtout par celle des groupes d'âmes qui y élisent domicile. Les éolis savent bien sûr que beaucoup de planètes sont habitées, et certains d'entre eux visitent couramment des planètes amies, grâce à ce que nous appelons le voyage astral. C'était même expliqué dans le rouleau astronomie de l'école, qui s'intitulait «Oh, aimer l'Univers!». Mais à ce moment aucun des nouveaux éolis n'avait encore tenté ce genre d'expérience, dont on parlait d'ailleurs peu dans ce village, si absorbé par ses fleurs et par son discret bonheur agreste. Anthelme reprit donc sa lecture, la discrète Liouna à ses côtés, et derrière, Elnadjine dans ses charmants froufrous parfumés: elle n'avait qu'à lever la tête pour apercevoir les magnifiques images d'ellipses nébuleuses à chacune de leurs étapes, magistralement illustrées par l'artiste inconnu.

 

Parallèlement à la condensation de la matière physique, les groupes d'âmes commencent à s'organiser, chacun sur la vibration ou autour du projet qu'ils ont choisis. Il leur fallait maintenant répartir les rôles, selon les futurs règnes organiques, imaginer les formes corporelles, les relations écologiques, etc. A ce stade ces groupes étaient déjà bien définis, même si d'autres âmes les rejoignaient encore, en harmonie avec leur projet. Il arrivait qu'il vienne aussi des âmes plus expérimentées, venant de civilisations qui avaient achevé leur existence sans que toutes leurs âmes n'aient pu terminer leur évolution personnelle. De telles âmes recherchent d'autres planètes en formation, où leur expérience peut être précieuse.

 

On se doute que la formation d'un monde est une affaire fort importante qui attire également toute l'attention de Grands Etres très évolués, Gardiens de la Vie, et d'une quantité d'Ouvriers de l'Infini: un plan grandiose s'agence et se met en marche, avec ses architectes et ses artistes, ses acteurs et ses techniciens, ses ténors et ses figurants. Un plan précis et minuté, une partition de génie dont l'exécution doit s'étendre sur plusieurs milliards d'années: Accueil de nouvelles âmes, agencement des subtils rouages des corps ou des régulations écologiques, et bien d'autres choses, qui sont le rôle et l'idéal de tout un peuple d'Ouvriers de l'Infini, Compagnons de la Création, qui migrent de nouvelle planète en nouvelle planète pour aider à l'édification des mondes, simples Techniciens de la Création ou Grands Initiateurs. Liouna dévora littéralement ces lignes, mais le rouleau n'en disait pas beaucoup plus. Curieusement, elle n'eut pas, à ce stade, l'idée d'aller elle aussi chez Adénankar chercher la suite...

 

Pendant ce temps le nuage matériel de la future Aéoliah continuait à s'effondrer sur lui-même sous son propre poids. Comme il n'y a ni haut ni bas dans l'espace, chaque partie du nuage tombait sur les autres parties: résultat, il rétrécissait. Mais un tel rétrécissement a pour effet d'augmenter la vitesse de rotation, engendrant une force centrifuge de plus en plus forte, obligeant le nuage sphérique à prendre la forme d'un disque en rotation. On peut visualiser un tel disque comme formé d'annelets nuageux concentriques, tournant de plus en plus vite quand on se rapproche du centre. L'ensemble a la forme de deux cymbales ou chapeaux chinois se touchant par la pointe: au bord de gros anneaux tournant lentement, puis en allant vers le centre des annelets de plus en plus petits, minces et rapides, correspondant chacun à l'orbite d'une future planète. Ainsi le mouvement régulier et circulaire des futures planètes est déjà en place, avant même la formation de l'étoile.

Si toute l'énergie de rotation était conservée et concentrée dans l'étoile, celle-ci tournerait à une vitesse folle. En fait le champ magnétique du nuage, lui aussi incroyablement concentré, produit une sorte d'orage magnétique qui éjecte par les pôles de l'étoile une partie de la matière en des jets de centaines de milliards de kilomètres. Ainsi la matière qui va alimenter l'étoile perd t-elle son énergie de rotation dans ces jets, et l'étoile formée tourne lentement.

Toute cette matière qui s'accumule au centre chauffe énormément, de par la chute et la compression qu'elle subit. Ainsi l'étoile commence t-elle à briller, et elle fait son entrée triomphale dans le monde de la lumière! Elle est maintenant suffisamment chaude pour allumer le feu des étoiles, d'abord le deutérium, puis l'hydrogène. Elle entame enfin sa longue vie d'étoile adulte stable et sans histoire.

 

La naissance d'une étoile est un grand événement, surtout quand elle a été élue par des âmes vivantes! Quelle grande fête cosmique pour ces millions d'êtres qui l'attendent pour y vivre!

 

Le disque autour de l'étoile est toujours là, mais le nouveau vent stellaire chasse maintenant tout résidu du nuage primordial qui aurait encore pu l'alimenter. Il n'est bientôt plus formé que d'annelets tournant en cercles réguliers, matrice des futures orbites planétaires. Il pourrait rester ainsi, sans les phénomènes que nous allons décrire. Ce disque nuageux de poussières et de gaz, est en effet instable à la longue, jusqu'à ce qu'un infime déséquilibre la fasse évoluer brusquement en condensation de planètes. C'est ce qu'attendent les âmes se préparant à investir le futur corps planétaire: dans de telles situations, une influence très minime peut emporter l'équilibre dans un sens ou dans un autre et entraîner des conséquences extrêmement différentes. Et elles ne la loupent pas, cette occasion, croyez moi, car à ce stade ce n'est plus une vague idée qui les anime, mais un projet bien solide qui les émeut et les enthousiasme!

Il y a une histoire de nombre très importante. Si une volute nuageuse en croise une autre toujours au même moment de son orbite, elle l'attirera toujours de la même façon. Si elle ne la croise jamais au même moment, tantôt elle l'attirera, tantôt elle la chassera, ce qui équivaut à ne pas l'influencer. Ainsi elle tend à chasser toutes les autres volutes dont les orbites ont un rapport entier ou fractionnaire avec la sienne, pour les regrouper sur des orbites avec des rapports irrationnels (racine de deux, de trois...) Comme toutes les parties du disque font de même les unes sur les autres, elles se contredisent mutuellement et il ne se passe rien. Jusqu'au jour où quelque part dans le disque une volute devient un peu plus grosses que les autres... La symétrie est alors rompue: cette volute commence à attirer la matière de son propre annelet, puis à chasser celle des annelets qui ont un rapport fractionnaire avec le sien. Le phénomène se propage rapidement à tout le disque: il se fragmente en anneaux séparés par des vides, dont les orbites ont des rapports irrationnels entre eux, selon la loi de Titus-Bode. Ainsi les futures planètes se voient attribuer chacune leur orbite définitive et leur matière constitutive, bien qu'elles soient encore sous forme de nuages. Les âmes au moment de la rupture de symétrie prient ardemment pour qu'elle se fasse de telle sorte que l'anneau qui deviendra leur planète contienne la bonne quantité de matière et de composition adéquate...

 

Puis, rapidement, la matière de chaque anneau se rassemble en forme de C, puis en arc, puis en haricot, puis en une sphère en orbite. Enfin chacune de ces sphères nuageuses en orbite se condense à son tour en planète solide, selon exactement le même processus que celui qui a donné l'étoile: disque, anneaux, etc. Ce qui explique que les planètes peuvent avoir elles aussi des satellites, répliques miniatures du grand système solaire. La phase finale de condensation en un astre solide est très rapide: quelques mois, laissant enfin une planète plus ou moins chaude selon sa taille, souvent entièrement fondue. (Voir plus en détails la formation des planètes au chapitre VIII-2 de «Epistémologie Générale»)

 

Ces explications valent pour un système solaire idéal, mais habituellement de nombreuses causes viennent modifier légèrement ou profondément le processus de formation des planètes. Tout d'abord le disque n'est jamais parfaitement régulier, ni en masse, ni en composition: la loi de Titus-Bode n'est qu'approximative, de même que les orbites ne sont qu'approximativement circulaires, les axes des planètes plus ou moins penchés, etc. Parfois, tout comme pour les étoiles doubles, le nuage qui doit former une planète se fragmente et on obtient une planète double. C'est ce qui est arrivé avec... notre Terre et sa Lune. C'est fantastique, nous vivons sur une planète double, le saviez vous? Il arrive que le disque originel soit tellement gros ou tourmenté que le processus de formation des planètes y débute immédiatement, avant même celui de l'étoile. Le résultat peut être une planète gigantesque, une naine brune, voire un petit soleil compagnon. (Une naine brune est l'intermédiaire entre une étoile et une planète: elle brille comme une étoile, du fait de la chaleur produite lors de sa formation, mais, incapable d'allumer des réactions nucléaires durables, elle s'éteint lentement).

Aéoliah n'a pas tant ce problème, car Anthéroah est nettement moins grosse et plus lointaine que Jupiter. Un système instable peut quand même porter la vie si la grosse planète perturbatrice est à une distance telle du soleil qu'une de ses lunes est habitable, comme cela aurait pu arriver pour Titan, la grosse lune de Saturne, seule de notre système solaire à avoir une véritable atmosphère. Plus près du Soleil, Titan aurait pu donner un charmant petit monde, avec dans son ciel le fantastique spectacle de Saturne et de ses anneaux...

Dans les parties les plus externes du disque, la matière est dispersée sur de trop grandes distances, et il ne s'y formera jamais de vraie planète, mais des centaines d'astres de glace de quelque dizaines ou centaines de kilomètres de diamètre, et d'innombrables comètes. Chez nous c'est la ceinture de Kuiper, au-delà de Neptune, qui a sa réplique chez les éolis. Il arrive enfin que, lors de la formation d'une planète, la partie la plus centrale de son disque ne puisse se condenser et reste alors indéfiniment, sous forme d'un anneau planétaire. C'est typiquement le cas de Saturne, mais d'autres planètes de chez nous ainsi qu'Aéoliah ont gardé un anneau plus ténu.

C'est un point important pour bien comprendre la formation des planètes: l'ébauche de chacune est un vaste nuage de gaz et de poussières liés par l'ordre de leurs mouvements, qui, comme on l'a vu, occupe tout un disque autour du soleil. Ce n'est pas un petit cailloux qui grossit, et encore moins une collection d'astéroïdes qui se tamponnent. Cette origine dans de vaste nuages explique les nombreuses régularités d'un système solaire, en particulier des choses telles que la rotation de Mercure sur Elle-même avec un rapport fractionnaire exacte de l'orbite terrestre: une fois les planètes condensées, il est impossible que de telles résonances apparaissent.

Toutes ces particularités peuvent être plus ou moins induites à la rupture de symétrie par les âmes qui vont s'incarner dans le système solaire en formation. En effet, un système physique où toutes les parties dépendent les unes des autres est particulièrement réceptif à des influences spirituelles.

 

Mais il y a plus fort encore, quand il s'agit de trouver des planètes à la bonne distance du soleil, ni trop chaud ni trop froid, pour que la vie puisse s'y épanouir. Les planètes peuvent réguler leur température, dans certaines conditions, et être ainsi habitables dans une gamme de distance du soleil assez large, appelée écosphère. Si le système planétaire est suffisamment bien formé, ce qui est tout de même le cas d'une bonne majorité d'entre eux, les emplacements des planètes sont disposés à distances régulières, selon la loi de Titus-Bode. Et l'écosphère est assez large pour souvent contenir au moins un, parfois même deux emplacements, occupés par des planètes rocheuses. Dans notre système, Mars est aussi dans l'écosphère, et il aurait pu héberger la vie si, plus massif, il avait été capable de retenir son air et son eau. Une bonne part des étoiles, doubles comprises, ont ainsi un système planétaire ressemblant au nôtre, avec une ou deux planètes bien placées; et beaucoup de ces dernières en profitent pour héberger la vie, parfois même à deux autour de la même étoile.

Les civilisations sont donc loin d'être rares dans le cosmos. Le lecteur ne manquera alors pas de se poser la question de savoir pourquoi sur Terre nous n'avons pas connaissance d'un tel foisonnement de vie. La réponse en est assez curieuse. Ou plutôt les réponses.

Les scientifiques de la Terre recherchent les manifestations de la vie parmi les émissions radios, encouragés par le fait que les radiotelescopes dont nous disposons aujourd'hui sur Terre pourraient communiquer avec leurs homologues à plusieurs centaines d'années-lumière, c'est-à-dire vers plusieurs civilisations techniques comparables à la nôtre. En pratique, ces appareils ne peuvent détecter que des sources puissantes, focalisées dans la bonne direction: émetteurs télévision ou radar. Or il s'agit là de systèmes de contrôle centralisé de l'information, émanations d'un système social hiérarchisé. Et, a moins de tomber par un fabuleux hasard sur une planète juste au même stade d'évolution que la Terre, il est fort peu probable que les autres humanités du Cosmos aient conservé de tels systèmes sociaux archaïques, dont la survie à long terme est très problématique. Une utilisation discrète et conviviale des techniques est plus réaliste, dans un réseau social d'êtres responsables, capables de diriger leurs vies et d'organiser eux-mêmes leurs relations deux à deux, là où elles ont lieu. Une telle situation peut perdurer indéfiniment, sans difficulté particulière... Mais ces civilisations n'utilisent pas de puissants émetteurs radio! Même sur Terre, ce stade est déjà à son déclin, il n'aura duré que quelques dizaines d'années, à comparer avec les dix milliards d'ans de vie de notre Soleil! La probabilité que nos voisins passent par le même stade au même moment est extrêmement faible...

On peut aussi se demander s'il n'existerait pas une sorte de censure cosmique: les civilisations à portée de nos oreilles s'abstiendraient d'émettre dans notre direction, pour toute une variété de motifs allant de la non-ingérence à leur sécurité, en passant par un projet de contact selon des modalités bien définies, quand la Terre aura atteint un certain niveau.

Il existe aussi des civilisations moralement très avancées, mais qui pour diverses raisons n'utilisent pas de techniques radio, comme Aéoliah.

Sans compter avec une possible censure, bien terrienne celle-là, d'une découverte aux implications philosophiques aussi vastes. Dans tous les cas le résultat est le même: la vie est là, indécelable... (Voir plus en détails le Paradoxe de Fermi, dans la huitième partie de «Epistémologie Générale»)

Mais l'explication que donne le rouleau d'Anthelme en est bien sûr entièrement différente. La communication entre planètes est un sujet à la fois magnifiquement simple et très vaste, et nous pourrons nous en imprégner tout au long de cette merveilleuse histoire d'éolis et du livre suivant.

 

La formation proprement dite de la planète sphérique et dense à partir d'un nuage de gaz et de poussières dilués en orbite n'est pas activement suivie par le groupe d'âmes. C'est surtout une affaire de mécanique offrant peu de prise à la création. Un gros splotch. Chaque anneau planétaire se rassemble en une sphère de nuages, qui doit encore se condenser. L'état solide n'apparaîtra qu'au tout dernier moment. Or toutes ces poussières doivent se freiner les unes contre les autres pour pouvoir se rassembler. Si c'est une grosse planète comme la Terre ou Aéoliah, l'échauffement dû à ce frottement est tel qu'elle fond complètement, et c'est une sphère de roches bouillantes qui apparaît, où le fer, plus lourd, va immédiatement au centre. Toutefois, contrairement à ce que l'on lit dans beaucoup de livres, ce stade brûlant ne dure pas, car une planète n'a pas l'énergie nécessaire pour faire rayonner une surface incandescente pendant des centaines de millions d'années. Une croûte suffisamment froide pour recevoir de l'eau se forme rapidement, en quelques mois peut-être. Mais il faut tout de même quelques millions d'années à la croûte planétaire pour se refroidir et prendre son épaisseur.

 

La première pluie sur une planète, crissante de vapeur sur les roches brûlantes mais fécondes, est aussi une grande fête et le début d'un nouveau travail pour les âmes qui l'ont élue.

C'est à partir de ce moment que commencent deux aventures parallèles et liées: la vie interne des roches de la planète d'une part, et d'autre part l'incarnation-évolution de la vie proprement dite sur sa surface, à partir des matériaux de son sol.

L'intérêt de la compagne d'Algénio, Liouna, pour la création des planètes ne fit que croître jusqu'à devenir une passion. La discrète petite éoline aux cheveux sombres et courts, toujours habillée de violet, aidant à la couture ou aux champs, avait trouvé sa voie. Elle aurait aimé aller en esprit assister à de tels événements, mais curieusement elle et Algénio étaient parmi les rares éolis à ne jamais arriver à sortir de leurs corps. Ils n'en avaient pas été affectés jusqu'à présent, absorbés qu'ils étaient par leur joyeuse vie quotidienne, mais Liouna commença à regretter cette situation. Elle continua néanmoins à se régaler du rouleau au côté d'Anthelme, d'autant plus que maintenant il parlait de la formation des corps vivants matériels d'Aéoliah.

C'est un travail de longue haleine et fort délicat, par étapes successives. Vous avez tous entendu parler, amis lecteurs, de ce que les scientifiques de la Terre appellent l'évolution: au début, dans les premiers océans terrestres, riches de nombreuses substances organiques aujourd'hui disparues, se seraient formées les premières gouttes vivantes qui devinrent les cellules; au bout d'un temps très long celles-ci se seraient assemblées, donnant les premiers animaux et les premières plantes. Ceux-ci à leur tour ont muté étape par étape: un poisson à quatre nageoires serait sorti de l'eau et aurait engendré les reptiles, d'où provient le premier mammifère; celui-ci se diversifia en de nombreux autres, parmi lesquels les primates, dont un donna les humains, qui donneront... etc.

Si, comme on l'a vu, l'évolution sur la Terre a été spontanée, lente et imprévisible, celle sur Aéoliah a été, elle, intensément dirigée dès le départ par les âmes fondatrices et les Grands Etres qui ont présidé à sa naissance, selon leur intention précise, qui a agit et s'est matérialisée étape par étape. Nos petits éolis étaient totalement conscients de cela, et aussi que la vie se développe toujours vers plus de possibilités, vers plus de merveilles, même quand elle n'est pas guidée. Ils savaient tout cela pour l'avoir appris à leur école, tout simplement. Bien entendu l'intention créatrice doit composer avec le monde matériel et ses aléas, et nul ne peut dire exactement combien de temps prendra chaque étape, ni quelles solutions seront effectivement trouvées. Mais nos amis ne doutèrent jamais, même quand plus tard ils étudièrent assidûment l'évolution longue et tâtonnante de la vie terrienne. Sur Aéoliah, ce fut aussi passionnément compliqué, mais infiniment plus direct.

 

La suite du rouleau expliquait comment, à partir de simples solutions de diverses substances chimiques et volcaniques dans l'argile primordiale de mers peu profondes, les âmes et les Grands Etres créateurs, puisant dans la Source Universelle de vie, arrivèrent à créer des êtres vivants simples, puis de plus en plus complexes. Les bactéries apparaissent spontanément et très rapidement, dès qu'il y a de l'eau. Le plus difficile est de sélectionner le bon système génétique. Passer à des êtres pluricellulaires peut être plus long (plusieurs milliards d'années sur Terre!), mais le reste vient naturellement par la suite.

Sur Aéoliah, tout alla très vite, à peine cinq cents millions d'années, à comparer avec cinq milliards pour la Terre. Ce n'est pas si simple qu'il y paraît: par exemple à ses débuts une planète n'a pas d'oxygène, mais seulement du soufre. Or seule une atmosphère riche en oxygène peut fournir suffisamment d'énergie aux muscles et au cerveau des animaux et des éolis (ou des humains). Il faut d'abord former des organismes capables de vivre sans oxygène, mais qui sont peu efficaces. En contrepartie, ces bactéries mangeuses de soufre peuvent vivre n'importe où, jusque dans des couches de roches à plusieurs kilomètres de profondeur. On leur doit certains gisements métalliques. Ce n'est que quand de tels êtres sont suffisamment complexes que l'on peut créer avec des plantes capables de former de l'oxygène en quantité suffisante. Sur Aéoliah, en arriver là nécessita quatre cents millions d'années après la première pluie. Sur Terre, cela en prit quatre milliards, comme on l'a vu. Il est assez paradoxal de penser que l'air que nous respirons actuellement n'existe que depuis seulement un cinquième de l'âge total de notre planète.

Sur Aéoliah les êtres qui vécurent avant l'oxygène (les quatre cent premiers millions d'années) étaient comme des plantes, sans âmes personnelles, mais tout de même plus ou moins sensibles. Les âmes proprement dites attendaient dans le monde de l'esprit, mais certaines commençaient à percevoir par les sens primitifs des premiers êtres. Aux nouveaux éolis lisant le rouleau, cette situation intermédiaire ressemblait curieusement à celle qu'ils avaient vécue... juste avant leur naissance!

Cette antique période d'Aéoliah vit donc certaines âmes vivre déjà des expériences corporelles, ce qui fut d'une aide précieuse tant pour le plan d'Aéoliah que pour leur propre évolution. Mais les autres âmes, restées un peu à distance, travaillaient également au plan. L'égrégore se consolidait grâce à leur puissante vision de la future Aéoliah, et à ce stade il aurait désormais été impossible de dévier. Elles créaient également les plans d'organismes nouveaux; mais cela prenait du temps pour les concrétiser car elles ne disposaient en fait que de peu de moyens d'action physique. Heureusement la vie d'Aéoliah fut dotée d'un système génétique (une forme d'ADN) beaucoup plus souple et réceptif que celui de la Terre, ce qui explique les résultats plus rapides obtenus. Les créateurs durent même stabiliser ce système génétique une fois leurs souhaits réalisés, afin d'éviter des glissements ultérieurs.

Sur Terre notre système génétique est plus rigide, plus mécanique, ce qui explique la lenteur de notre évolution. Mais vu en quoi consistait l'émouvant plan Terrien, un système trop souple aurait permis l'apparition de toutes sortes de monstres, qui n'ont d'ailleurs pas été complètement évités. Il faut en effet remarquer que, bien que la Terre soit une civilisation spontanée et non créée, on peut aussi parler d'un plan la concernant. Ce plan à l'origine avait été conçu par des grandes âmes d'autres civilisations pour empêcher la Terre de trop dériver dans le mal, tout en lui laissant suffisamment de spontanéité pour pouvoir inventer sa propre culture. Ce plan a été repris depuis par des âmes purement terriennes, afin d'épanouir et parachever notre civilisation originale et de nous sortir définitivement du mal, d'où le nom de plan de sauvegarde qu'on lui donnera parfois.

Après les quatre cents millions d'années du début d'Aéoliah, une première famille d'algues, sortes de sargasses dotées d'une capacité d'expansion foudroyante, couvrit d'un gazon brun-vert toute la surface marine d'Aéoliah, commençant à déverser massivement l'oxygène dans l'air. Elles le tirèrent du gaz carbonique, que les volcans déversaient en abondance. Ce gaz s'était déposé sous forme de calcaire, afin d'éviter à la planète de devenir une serre brûlante et inhabitable. Ces roches, déséquilibrées, furent soudain dissoutes par l'appel de gaz carbonique, ce qui fit un beau tohu-bohu géologique! Il n'en reste aucune trace aujourd'hui car toute la mince croûte de cette époque a été entièrement refondue plusieurs fois dans les colossaux mouvements de convection du magma central. Une fois l'air devenu respirable, les animaux purent se développer et acquérir des systèmes nerveux, expérimenter des sentiments, la conscience physique. Les âmes les plus simples choisirent les formes également simples: chenilles, insectes, puis les premiers oiseaux. Les âmes pionnières purent enfin créer les corps éolis qu'elles désiraient, et y habiter.

Ce ne fut pas une mince affaire que de créer ces corps, qui sont des merveilles d'ingéniosité et de miniaturisation. On partit d'un mollusque, très répandu encore aujourd'hui sur toutes les côtes, et que l'on appelle pour cela «mère des éolis» (Amis lecteurs, je me suis aperçu, bien après avoir écrit ces lignes, qu'il existe aussi sur Terre des «limaces de mer» appelées aéolides, très proche du mollusque d'Aéoliah). Les oiseaux en furent également dérivés. Cette parenté explique que les éolis aient des ailes, et qu'il n'y ait pas d'autres gros animaux sur Aéoliah, sauf les mammifères des régions polaires, dont l'origine est différente.

Lors des nombreuses étapes intermédiaires, des pionniers s'incarnèrent pour animer des corps hybrides, heureusement peu nombreux, par étapes successives rappelant un peu l'évolution terrestre, en très accéléré. Mais au fur et à mesure que de meilleures formes étaient créées, les anciennes étaient systématiquement abandonnées par leurs occupants. C'est un peu ainsi que ça s'est passé sur notre Terre, pour passer du dernier primate animal à l'humain, dans une petite population, au bord des grands lacs africains... Si déjà de simples variations de couleur de peau nous posent tant de problèmes, on imagine aisément la pagaille si tous les intermédiaires entre l'homme et le singe avaient été conservés!

Mais sur Aéoliah tous ces détails techniques ne furent l'affaire que de quelques millions d'années, au terme desquelles existaient deux ou trois mille éolis (quelques-uns des fondateurs incarnés) et quelques centaines d'espèces d'insectes, de plantes et d'oiseaux, dans des conditions encore difficiles. Les algues envahissantes du début avaient été elles aussi éliminées, par un bête microbe: elles n'avaient pas de système immunitaire.

Ces premiers véritables éolis, les fondateurs d'Aéoliah, dès qu'ils purent maîtriser l'écriture, couchèrent sur les premiers rouleaux le récit de cette passionnante aventure qu'ils venaient de vivre, puis commencèrent les chroniques écrites d'Aéoliah, qui se continuent encore aujourd'hui, deux milliards et demi d'années plus tard. Les temps d'avant l'écriture sont les temps mythiques d'Aéoliah, bien que contrairement à nos mythes déformés et enjolivés par une trop longue transmission orale, ceux d'Aéoliah sont la mémoire directe des éolis fondateurs, qui ont vécu personnellement les événements, et que des milliers de générations de copistes ont retransmis sans en changer une lettre.

Ces préliminaires réglés, les âmes fondatrices d'Aéoliah purent alors entamer la seconde partie du plan: l'Harmonie, la Beauté, la Poésie. Une dizaine de millions d'années encore, pendant lesquelles l'affolant système héréditaire Aéolien fut progressivement freiné, furent nécessaires pour engendrer la fantastique diversité de fleurs, d'arbres et de plantes Aéoliennes (plusieurs millions, sans compter les mutations qui se produisent encore parfois) les centaines de milliers d'oiseaux et encore autant d'insectes, plus encore tout ce qui vit dans le sol, dans les lacs et dans les mers, et les étranges animaux géants des régions polaires.

Il fallait que toutes ces formes de vie se complètent les unes les autres, se fournissant mutuellement ce dont elles avaient besoin pour vivre, en de vastes et harmonieux cycles d'entraide écologique: les plantes, les animaux, l'air, l'eau et l'humus si important que les éolis l'appellent «mère de la vie». Mais comme l'économie n'est qu'une fraction de l'écologie, il fallait aussi des plantes pour fournir aux éolis tous les matériaux adéquates pour se vêtir, faire leurs maisons, peindre, etc. sans nécessiter d'installations industrielles dont ils ne voulaient pas sur cette planète. Il fallait surtout que tout cela se fasse avec la plus grande Beauté, la plus pure Harmonie, DANS UNE TRAME OMNIPRESENTE DE POESIE QUI NE DEVAIT PAS SOUFFRIR LE MOINDRE ACCROC. C'était là le pari des fondateurs d'Aéoliah, aisé dans les mondes de l'esprit, mais presque intenable dans les conditions physiques de cet univers-ci. Ils y arrivèrent pourtant avec une maîtrise remarquée, bâtissant un inimaginable paradis souvent imité depuis, où ont pu s'épanouir au-delà du concevable, des trillions d'éolis et d'animaux, souvent dès leur première existence corporelle!

C'est en ce merveilleux travail d'épanouissement des âmes que consistait la troisième partie du plan des fondateurs d'Aéoliah, et c'est dans cette troisième partie que se situe ce récit. Les fondateurs d'Aéoliah, après avoir oeuvré pendant cinq cents millions d'années dans le monde de l'esprit, purent enfin vivre les expériences corporelles qu'ils avaient projetées. Ceci ne leur demanda qu'une toute petite centaine de milliers d'années, après quoi ils retournèrent dans les mondes incorporels, ou vers des plans d'existence encore plus merveilleux où la science des éolis actuels perd leur trace. Seuls restent actuellement de cette bouleversante épopée les esprits gardiens d'Aéoliah, et bien sûr l'égrégore extrêmement puissant des fondateurs, que cent mille générations successives d'éolis ont continué à alimenter sans presque le modifier, tellement il était net et achevé!

 

Arrivé à ce stade, Anthelme et ses amis étaient tellement époustouflés et enthousiasmés qu'ils eurent du mal à redescendre; pendant plusieurs jours ils furent très distraits dans leur travail aux champs, parlant et rêvant sans cesse. Au village on les regarda avec une tendresse amusée, et l'on vint même dérouler les images avec eux. Les éolis sont très curieux, mais jamais pressés. Au village ils savent depuis longtemps que certains rouleaux ont de drôles d'effets sur les jeunes! Tous connaissent l'histoire de la fondation d'Aéoliah, et tous vouent une reconnaissance émue aux êtres qui avaient créé ce monde si beau, et conçu ces merveilleux corps si sensibles qui leur donnent tant de joies et de plaisirs. Mais ils savent aussi que tout cela n'était possible que grâce à la Source Universelle de Vie, qui avait créé les univers entiers, qui avait établi les si belles Lois Universelles de la vie et du Bonheur, cette source intarissable d'où émerge en un flot impétueux l'immense Energie Universelle. Ils reconnaissent sagement que la cause ultime leur échappe totalement; ils admettent que le but de l'évolution des âmes dépasse également de très loin les capacités de leur intellect. Et, ma foi, ils ne s'en portent pas plus mal pour autant. Ils ne savent pas, mais ils admirent, ils aiment, profondément reconnaissants, car tout cela est Bon et Beau.

 

 

 

 

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Une grande partie du rouleau expliquait comment les fondateurs d’Aéoliah et leurs successeurs s’entendirent avec la vie des roches, ce que nous appelons la géologie et la géophysique. Le nom éoli pourrait se dire avec humour «petit traité de génie tectonique» histoire de taquiner un peu nos technolâtres terriens incapables d’agir sur les tréfonds de notre planète, limités qu’ils le sont par leur trop courte échelle de temps individualiste! Mais la meilleure traduction serait «géophilie»: «Amour de la planète Aéoliah».

Juste après le collapsus final de l’anneau planétaire, Aéoliah, chauffée à blanc, n’était qu’une immense bouilloire de roches en fusion, d’où jaillissaient des tornades de gaz brûlants, bombardée d’énormes comètes soulevant des vagues de lave vrombissante de vingt kilomètres de haut, couronnées de flammes et de foudres. Incroyable qu’un paradis ait pu naître d’un tel abîme en feu, et pourtant les âmes fondatrices et leurs Artisans de l’Infini étaient déjà là, en esprit, dans les entrailles brûlantes de la planète.

La croûte solide de la planète se forma rapidement, en quelques milliers d’années. Oh elle ne faisait que quelques mètres d’épaisseur, et la vie du attendre encore un peu pour s’y installer: on ne pouvait y parcourir plus d’une centaine de mètres sans rencontrer des crevasses de feu ou des fumerolles ronflantes; les chutes de grosses météorites, résidus tardifs de l’ancien disque planétaire, arrivèrent parfois à retourner cette croûte sur la moitié de la planète. C’est pourtant à cette époque que les premières pluies vinrent caresser les roches fumantes, formant les premières mares. Ces pluies étaient tellement acides qu’elles auraient tout fait crever en quelques minutes, pourtant ce fut dans ces mares que démarrèrent aussitôt les tentatives pour former les premières cellules vivantes. L’argile joua à ce moment un rôle déterminant, en accumulant de préférence certains composants essentiels de la vie, parmi tous les candidats potentiels. Pour cette raison, la plupart des formes de vie sur les planètes de cet univers ont une composition voisine en acides aminés et nucléiques, avec parfois d’étranges exceptions. Les argiles furent également des catalyseurs de choix. Ce lien intime avec les origines de la vie explique peut-être le curieux pouvoir cicatrisant de cette substance apparemment si anodine.

Pendant que les spécialistes de la création biologique s’activaient, depuis le plan de l’esprit, d’autres oeuvraient à l’intérieur de la planète, sur les roches fondues et bouillonnantes, brassées de vastes courants de chaleur. Au début, l’intérieur n’était pas plus chaud que l’extérieur, mais, pendant que la surface refroidissait, l'intérieur continuait de chauffer, car c’est là que se retrouvèrent également l’uranium et le thorium radioactifs, produits par l’explosion des premières grandes étoiles bleues. Ainsi chaque planète, pour pouvoir vivre sa vie interne, reçoit en cadeau dans son coeur une petite partie du feu des étoiles qui l’ont précédée. L’uranium joue ainsi un rôle fondamental pour la vie, curieux paradoxe pour un corps dont l’activité est elle-même foncièrement néfaste à cette même vie. Un des travaux des créateurs fut donc de le stabiliser dans les tréfonds de la planète: les futurs éolis n’avaient pas du tout l’intention de se laisser imposer des mines d’uranium!

Pendant le premier milliard d’années d’Aéoliah, il n’y eut pas vraiment de continents, car les mouvements du magma, encore trop puissants, les aspiraient à l’intérieur à peine formés. La croûte primitive de basalte prit toutefois son épaisseur à peu près définitive en cinquante millions d’années environ, plus mince que sur la Terre: à peine huit kilomètres. Mais contrairement à la Terre, où les poches souterraines de lave fondue sont rares, toute la croûte primitive, et encore une bonne partie de la croûte océanique actuelle d’Aéoliah, flotte sur des roches liquides, comme c’est peut-être encore le cas sur Vénus. Ce n’est que vers dix kilomètres de profondeur que l’on arrive au manteau que la pression empêche de fondre vraiment, comme dans le manteau terrestre. L’existence de cette couche de lave liquide explique que la croûte océanique d’Aéoliah soit plus complexe et plus différenciée que celle de la Terre, et qu’on y trouve même couramment de petits volcans à laves acides. Cela n’empêche pas du tout Aéoliah d’être une fort belle planète, mais sa géologie est par certains côtés différente de la nôtre, et parfois très surprenante. Pensez à ces adorables petits volcans qui ont formé des millions d’îles paradisiaques dans les douces mers tropicales d’Aéoliah...

Pendant toute la période de création de la vie Aéolienne, les quatre cents millions d’années du début, et encore au-delà, Aéoliah fut donc couverte d’un vaste et unique océan, parcouru de profondes fosses, et d’où émergeaient d’innombrables îles volcaniques de taille très diverses. Ces îles jouèrent, allez-vous penser, un rôle fondamental, mais en réalité tant qu’il n’y eut pas d’oxygène, ni de chlorophylle pour capter le soleil, la vie Aéolienne se réfugia plutôt dans les grands fonds, près des émanations volcaniques qui seules pouvaient fournir l’énergie chimique nécessaire aux premiers êtres. Tout ce qui émergeait de l’eau n’était que roches et déserts de sable. Il en fut de même également sur notre Terre, mais vous serez excusés de ne pas vous en rappeler: c’était il y a plus de huit cents millions d’années, peut-être n’y étiez-vous même pas.

Vers la fin des quatre cents millions d’années que prit la vie Aéolienne pour se développer, l’intérieur de la planète commença à se refroidir, très lentement mais définitivement, au rythme de la désintégration de l’uranium et du thorium: moitié tous les cinq milliards d’années. Le paysage était resté à peu près le même, mais certaines îles étaient plus grandes et plus sûres. La fraîche végétation se mit à couvrir joyeusement les roches anguleuses et les cailloux, les premiers insectes et oiseaux s’y activèrent. Ce fut sur une de ces îles que débuta la merveilleuse et fantastique aventure des éolis, il y a deux milliards et demi d’années. Elle était assez grande pour ne plus rien craindre des volcans, mais les comètes étaient encore fréquentes et il fallut à plusieurs reprises demander l’intervention des vaisseaux des Gardiens Cosmiques de la flotte galactique pour les dévier de leurs dangereuses trajectoires.

 

 

 

La croûte de la planète Aéoliah, tout comme celle de la Terre, était à cette époque, et encore aujourd’hui, formée de plaques rigides émergeant des tréfonds de la planète à certains endroits, et réabsorbées dans les obscures fosses océaniques, au gré des courants brassant l’intérieur brûlant de la planète. Au début, ces courants se répartirent au hasard, mais rapidement, les roches légères commencèrent à échapper aux courants absorbants, formant les premiers continents. Ces continents commencèrent à grandir. Les habitants d’Aéoliah arrivèrent à ordonner les courants de magma et à faire naître les continents en des endroits bien précis. Il y en a douze, chacun grands comme l’Amérique, et huit océans circulaires: six répartis régulièrement le long de l’équateur, et un à chaque pôle. Les continents sont également répartis régulièrement six par six aux latitudes moyennes. Cette étonnante disposition existe encore aujourd’hui, bien que ces douze continents aient été plusieurs fois totalement érodés et refondus par la puissante tectonique Aéolienne.

Comment les habitants d’Aéoliah s’y prennent-ils pour ainsi commander aux mouvements du coeur brûlant de leur planète, et par là diriger toute la formation des montagnes, des plaines, des volcans et des océans? Et si je vous dis qu’ils n’utilisent pas de moyens spirituels? Les habitants d’Aéoliah n’utilisent pas non plus de moyens techniques. Mais quels habitants d’Aéoliah? Les éolis? Non: ... Rappelez-vous: les oiseaux. Ce sont eux qui façonnent les paysages Aéoliens. Ce sont eux les principaux habitants d’Aéoliah, cent fois plus nombreux que les éolis, eux les gardiens de la Poésie dans l’égrégore planétaire. C’est pour cela qu’ils ont reçu cet énorme pouvoir. Et ils ne sont pourtant pas plus doués que nos oiseaux terrestres! Les éolis connaissent le rôle primordial des oiseaux et l’admirent. Et pourtant les oiseaux sont avec les éolis comme des petits enfants avec leurs mamans. Comme tout cela est émouvant!

Les oiseaux agissent sur les profondeurs d’Aéoliah en dirigeant l’érosion. Sur Terre, le principal agent d’érosion est la rivière, notamment lors des crues exceptionnelles, qui font souvent plus de travail que les siècles d'écoulement tranquille. Les rivières terriennes sont capables de scier les montagnes les plus dures, et les glaciers sont encore plus agressifs. Elles créent des paysages anguleux, en dents de scie. Sur Aéoliah, où le climat est plus régulier, les crues sont quasi-inexistantes, et les ruisseaux comme les fleuves se contentent de couler dans les trous existants sans beaucoup les approfondir: il y a beaucoup de lacs. L’érosion Aéolienne, plus lente, est surtout l’oeuvre d’un facteur méconnu et pourtant fort important: le sol, les plantes, et surtout la fine couche de racines et d’humus qu’elles entretiennent à la surface. Cet ensemble riche et vivant est une véritable peau de la Terre, qui empêche l’érosion directe de la pluie et des intempéries. Mais elle digère lentement les roches pour en extraire les précieux oligo-éléments, qui autrement finiraient par disparaître, lessivés par le ruissellement. Cette érosion douce et égale donne des montagnes et des collines aux formes arrondies, que l’on trouve souvent sur la Terre, mais qui sont absolument typiques des paysages poétiques et enchanteurs d’Aéoliah. On en trouve partout où les mouvements tectoniques n’agissent pas directement pour créer des formes plus vives. Nos cours de géographie comportent cette erreur: ce n’est pas parce que des montagnes sont vieilles qu’elles sont arrondies, c’est en fait l’érosion humique qui donne ces formes. Peu de gens encore le savent, et c’est pourtant d’une importance capitale: Le couple végétation-humus modèle les formes du paysage, agit sur le climat, le débit des rivières et des eaux souterraines. C’est à lui qu’on doit la source pure, c’est à lui que l’on doit le galbe poétique de la grasse prairie ou de l’alpage si fragile. La végétation et la terre nourricière sont véritablement la peau vivante de la Terre, qui en régule les flux, la croissance et la décroissance. Tout ceux qui ont passé outre cette donnée de base l’ont payé fort cher: sources taries, champs dévastés, terres stérilisés, moissons anéanties, et, plus grave encore, poétiques collines transformées en zones d’aménagement...

Si les plantes commandent l’érosion, les oiseaux d’Aéoliah commandent aux plantes, les fécondant ici, les retirant de là, ou transportant leurs graines ailleurs, parfois fort loin. A court terme ils régularisent le climat et l’humidité, en variant l’épaisseur et la couleur du couvert végétal; ils veillent également à ce que les éolis aient toute la variété de fruits dont ils ont besoin, laissant des clairières pour leurs villages et leurs cultures: les éolis n’ont pas besoin de défricher ni de déboiser.

C’est là un des rares buts connus des mystérieuses migrations des oiseaux d’Aéoliah, qui parcourent inlassablement les douze continents et les huit océans leur vie durant, pour revenir nicher toujours aux mêmes endroits. Certains d’entre eux déposent soigneusement les graines délicates dans la terre ou l’humidité protectrices; d’autres, plus expéditifs, les larguent avec les crottes de dix mille mètres d’altitude! Et pourtant, même ainsi elles tombent aux bons endroits. Beaucoup de graines, pour germer, ont besoin de passer dans l’estomac d’une sorte d’oiseau très précise. De telles restrictions n’ont aucun sens dans la théorie Darwinienne de l’avantage sélectif, mais elles sont un des facteurs qui permettent à l'activité des oiseaux de contrôler celle des plantes, et par là les formes des paysages.

Les oiseaux, accélérant l’érosion ici ou la freinant là, peuvent littéralement sculpter les collines, les montagnes et les rochers: ces artistes-là, génération après génération, leur donnent les formes les plus harmonieuses, poétiques, équilibrées: galbes vivants, dômes, ondulations liquides, puissantes compositions qui font de toute Aéoliah un tableau féerique et vivant, un mystérieux jardin, une création de maître.

A plus grande échelle, réguler l’érosion revient à programmer l’épaisseur de la croûte planétaire et son poids. Or c’est bien évidemment là où elle est la plus lourde qu’elle s’enfoncera le plus facilement dans les entrailles de la planète, facilitant les courants internes descendants. La boucle est bouclée, puisque la maîtrise de ces courants internes mène à celle de la formation des continents, qui se rassemblent là où les courants descendent, comme la mousse sur la soupe qui bout.

Mais quels êtres extraordinaires sont donc ces oiseaux d’Aéoliah? Oh, ce ne sont que de gentils petits oiseaux comme ceux de notre Terre, je veux parler bien sûr des charmants oiseaux chanteurs, comme les mésanges, les merles et bien d’autres anges gardiens de la Poésie. Les oiseaux ont un petit cerveau tout simple, avec quelques idées et quelques sentiments tout gentils. Ce cerveau matériel SEUL serait bien incapable de mener de tels projets ni d’en comprendre le but millénaire, s’il n’était très sensible aux influx provenant de leur ravissante petite âme... plus ceux de l'égrégore planétaire! Le seul avantage des oiseaux Aéoliens sur ceux de la Terre est de capter également les âmes des paysages Aéolien, leur projet, l’intention créatrice qui agit et modèle toute la planète, et de s’en faire les humbles et joyeux instruments. Même là, sur notre Terre, qui sait si ces mystérieux migrateurs qui traversent nos pays si haut qu’on ne les voit même pas, ne participent-ils pas à quelque fantastique plan planétaire, encore caché à la masse des humains ignorants??

Le pari des mystérieux créateurs d’Aéoliah était de vivre la merveille au coeur de cette matière si étrangère aux lois ineffables de l’esprit et de l’âme. Il leur fallait composer avec elle, et ils ne pouvaient lui commander que par de complexes mécanismes écologiques, comme ci-dessus, ou biologiques, dans les corps vivants. Il leur fallut admettre que certains phénomènes en principe dangereux ne pouvaient être supprimés de la surface de leur planète paradisiaque. Leur parfaite maîtrise du climat (qui ne fut pas évidente au début) élimina gel, tempêtes et orages des régions habitées, mais il ne fut pas possible, sur une planète essentiellement vivante, tectonique et active, plus encore que notre Terre, d’empêcher les volcans et les tremblements de terre. Ils en prirent alors le parti, et même se piquèrent au jeu: les frissons d’Aéoliah font bien rigoler les éolis... dont les maisons ne craignent rien! Les volcans renouvellent à la longue l’air de la planète, sa teneur en gaz carbonique, et par ce biais régularisent sa température, en participant au complexe ajustement de l’effet de serre, conjointement avec l’érosion dirigée par les oiseaux, et avec la sédimentation des carbonates, elle aussi régulée par les oiseaux mangeurs de corail. Car au cours de sa vie l’éclat d’un soleil augmente petit à petit, et sans compensation de ces variations de température, aucune planète ne pourrait être suffisamment longtemps habitable: le taux de gaz carbonique dans l’air doit donc diminuer progressivement. Cette régulation oeuvre également sur Terre, et elle permet aussi à une planète de rester habitable à une assez large variété de distance de son étoile. Les frissons d’Aéoliah, eux, sont atténués par une intense circulation d’eau souterraine. Cela arrive aussi sur la Terre, où certaines failles glissent lentement, sans secousses.

 

Mais la meilleure garantie contre tout danger est ce sens spirituel dont jouissent tous les êtres conscients d’Aéoliah, qui leur indique la proximité d’un accident ou d’une catastrophe: éruption, éboulement... suffisamment à temps pour prendre la fuite. Anthelme et ses amis se rappelèrent cette très forte envie de s’envoler qui les prit soudain juste avant le frisson d’Aéoliah, pendant que tous les oiseaux et tous les grillons se taisaient. Grâce à ce sens, il n’arrive JAMAIS rien de fâcheux sur Aéoliah, malgré ses centaines de milliers de volcans bouillonnants et ses montagnes trépidantes. Les éolis et les animaux savent, parfois des siècles à l’avance, où peuvent se produire les éruptions, les projections, les glissements de terrain, et s’installent et vivent en toute quiétude dans les zones abritées. Les oiseaux poussent même l’art jusqu’à empêcher toute végétation là ou passeront les coulées brûlantes! Les éolis et leurs volcans sont de grands copains, et les premiers ne ratent pas une occasion d’admirer les seconds, surtout la nuit, quand ils déploient leurs draperies de feu et leurs monts de vapeurs, grandioses et pathétiques spectacles qui ne font pas de mal à un seul moucheron. Ce sens spirituel existe aussi sur toutes les planètes de cet univers matériel, y compris sur la nôtre, ami lecteur, mais nous sommes si souvent distraits par nos dérisoires activités sérieuses et nos loisirs ennuyeux... Quand une catastrophe naturelle menace sur Terre, les animaux fuient souvent; quand un avion ou un bateau part pour l’au-delà, il reste parfois sur le quai un passager qui a été averti et qui n’est pas monté. L’auteur de ces lignes n’en retirera jamais un seul mot, malgré tous les sophismes sceptiques et tous les mensonges rationalistes, car il a lui-même vu de telles choses.

Déjà, Anthelme et ses amis aimaient beaucoup les oiseaux d’Aéoliah, leurs si charmants compagnons. Mais après avoir découvert tout leur émouvant et discret travail, leur amour frisa l’adoration. Les oiseaux sont les maîtres d’Aéoliah, mais ils n’en tirent que davantage de Modestie et d’Humilité. Leurs âmes sont vraiment des âmes simples et droites, consacrant joyeusement et passionnément leur vie à une obscure activité qui ne portera ses fruits visibles que cent millions d’années plus tard, bien après leur départ d’Aéoliah. Chacun n’accomplit qu’une infime parcelle de ce modelage géologique, mais tous à la fois ils... soulèvent les montagnes.

 

 

⚠ Un problème beaucoup plus grave survint peu de temps avant que les éolis, toujours sur leur première île, ne mettent au point l’écriture. Un petit groupe d’âmes perverses avait réussi à s’infiltrer dans l’égrégore d’Aéoliah. Leur but était de récupérer le fruit de cette passionnante évolution, pour créer une société basée sur l’égoïsme. Ils ne manifestèrent ouvertement leur intention que quand l’évolution des corps éolis fut achevée, mais ils parvinrent à gagner à leur vues un des premiers villages. L’affaire ne pu se régler qu’avec une grande violence, ce qui peut paraître étonnant de la part d’êtres aussi doux et bienveillant que les éolis. Mais être doux et bienveillant ne signifie aucunement être une nouille, et même si la seule guerre d’Aéoliah n’a duré que quelques instants, il ne s’est plus jamais présenté qui que ce soit depuis pour oser défier les éolis. Les chroniques d’Aéoliah la douce et poétique commencent curieusement par cet unique épisode sanglant, qui sonne comme un avertissement. Mais quand les vainqueurs arrivèrent sur le lieu où gisaient les corps écrasés et déchiquetés des fauteurs de trouble, que firent-ils? Ils pleurèrent éperdument, de toute cette vie, de tous ces bonheurs fauchés! Suite à cet épisode, les éolis purent entreprendre le lent peuplement de toutes les îles de leur planète (germes des futurs continents) et les quelques problèmes qui se présentèrent encore à cette époque furent réglés de manière plus calme, comme on le verra au chapitre suivant.

 

 

 

 

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Le rouleau sur la création d’Aéoliah se terminait sur la fin d’Aéoliah. Les éolis envisagent sereinement la mort de leur Soleil et l’arrêt de leur touchante civilisation, dans un peu plus d’un milliard d’années, comme faisant partie des choses inéluctables dans cet univers matériel.

Petit à petit, comme toutes les étoiles, le soleil d’Aéoliah va en se réchauffant, au fil des milliards d’années. Cela n’a pas d’effet sur le climat de la planète, grâce à l’activité des coraux, qui, en fixant le gaz carbonique, réduisent l’effet de serre et régulent parfaitement la température.

Mais, peu avant de s’éteindre, le Soleil d’Aéoliah passera par une phase brûlante. Lentement mais inexorablement, le flux de chaleur augmentera sur la surface d’Aéoliah. Quand il ne sera plus possible de baisser davantage l’effet de serre, les nuages prendront le relais, occupant de plus en plus le ciel pour diffuser vers l’espace les ardeurs du Soleil mourant.

Les éolis de cette époque verront un ciel de plus en plus couvert, cachant un Soleil dont la chaleur sera devenue pénible. Sachant la fin de leur paradis venue, ils arrêteront progressivement de se reproduire, abaissant petit à petit la population de leur planète; ils iront renaître ailleurs, vers d’ineffables mondes de l’esprit, ou vers d’autres planètes paradisiaques tournant autour d’étoiles qui ne sont pas encore nées aujourd’hui...

L’égrégore planétaire, formidable puissance d’Amour et de dévotion à la vie, patiemment rassemblé au fil de quatre milliards d’années de Bonheur et d’activité créatrice, nul ne sait encore ce que l’on en fera. Sera t-il transporté vers une seconde Aéoliah? Sera t-il projeté d’un bloc sur une planète où sévit le mal (s’il en existe encore à cette époque) pour provoquer une guérison brutale mais radicale? Un projet fou parle de libérer totalement et instantanément toute sa puissance dans l’espace physique lui-même. Une aussi formidable déflagration pourrait provoquer des changements sensibles dans l’univers entier, et le rendre plus propice à l’Harmonie, plus réceptif à l’Esprit...

Il faudra une trentaine de millions d’années pour que les nuages recouvrent entièrement le ciel d’Aéoliah, et il ne restera sans doute plus à la fin que quelques témoins, qui partiront en laissant tous les autels et tous les temples allumés. En effet, une fois le ciel entièrement couvert de nuages, rien ne pourra plus empêcher la température de monter à la surface de la planète, jusqu’à l’effet de serre divergent: plus il fait chaud, plus il y a de vapeur d’eau dans l’air, et la vapeur d’eau renforce encore l’effet de serre...

La planète deviendra alors totalement inhabitable en quelques mois. Ses océans s’évaporeront, ses montagnes calcaires seront calcinées comme dans un four à chaux, dans une atmosphère de plus en plus dense et lourde. Toute érosion stoppée par la fin des pluies, elle conservera encore pour quelque millions d’années les derniers témoignages momifiés de sa merveilleuse vie sous son blanc linceul de nuages...

Puis, la chaleur augmentant encore, les nuages et l’air se dissiperont dans l’espace, exposant à nu une surface désertique qui ne tardera pas à fondre...

Enfin, tout comme un satellite qui effectue sa rentrée, la planète commencera de se freiner dans la couronne et les protubérances géantes de son étoile monstrueusement dilatée. Ce vent, d’abord ténu, butera sur la magnétosphère et la queue magnétique de la planète, l'enveloppant d’une flamme bleutée, éblouissante, comme une gigantesque comète. Puis le vent solaire brûlant emportera le champ magnétique, frottant directement sur la surface de lave bouillante. La planète continuera encore un temps de spiraler à l'intérieur même de son étoile, traînant derrière elle une énorme onde de choc, plus une gigantesque queue, presque aussi brillante que l’étoile elle-même. Ainsi elle perdra sa matière de plus en plus rapidement. Le noyau de fer brûlant, libéré de la fantastique pression des roches, entrera très brutalement en ébullition, donnant lieu à d’étonnants volcans magnétiques qui achèveront rapidement de volatiliser la planète.

Sous forme de poussière cosmique, impalpable mais sacrée, elle ira rejoindre d’autres nébuleuses dans l’espace interstellaire, et, qui sait, peut-être participer à nouveau à la merveilleuse aventure de la vie...

 

 

 

 

 

 

Les jardins d'Aéoliah        Chapitre 6       

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux.

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